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Full text of "La théorie de la personnalité morale et son application au droit français"

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LA THÉORIE 

DE LA 

PERSONNALITÉ MORALE 

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SON APPLICATION AU DROIT FRANÇAIS 



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LA THÉORIE 



DE LÀ 



PERSONNALITÉ MORALE 



ET 



SON APPLICATION AU DROIT FRANÇAIS 



PAR 



LÉON MICHOUD 

PROFESSEUR A LA FACULTÉ DE DROIT DE l'uNIVERSITÉ DE GRENOBLE 



PREMIÈRE PARTIE 

NOTION DE PERSONNALITÉ MORALE 
CLASSIFICATION ET CRÉATION DES PERSONNES MORALES 



PARIS 
LIBRAIRIE GÉNÉRALE DE DROIT & DE JURISPRUDENCE 

Ancienne Librairie Chevalier- M arescq et C* et ancienne Librairie F. Pichon réunies 
^ F. PICHON ET DURAND-AUZIAS, administrateurs 

Librairie du Conseil d'État et de la Société de Législation comparée 
20, RUE SOUFFLOT, (5® ARR*) 



1906 



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AVERTISSEMENT 



On retrouvera, dans les trois premiers chapitres de 
ce livre, certains développements déjà publiés, soit dans 
la Revue du droit public et de la science 'politique (La 
Notion de personnalité morale, 1899), soit dans les 
Annales de VUniversité de Grenoble (La création des per- 
sonnes morales, 1900. La classification des personnes 
morales, i903). Mais aucun de ces trois chapitres n'est 
la reproduction pure et simple des articles déjà parus ; 
tous ont été, non seulement revus, mais entièrement 
refondus. Nous avons dû en effet, dans l'ouvrage dont 
nous publions aujourd'hui la première partie, tenir 
compte de tout le mouvement d'idées qui s'est produit 
depuis 1899, en France surtout, autour de la question de 
personnalité morale. Cela nous a amené d'abord à ana- 
lyser ce mouvement, et à discuter les théories émises 
depuis cette date. Cela nous a amené aussi à préciser, 
et, sur certains points, à rectifier nos propres idées. Si, 
dans ses grandes lignes, la théorie que nous exposions 
en 1899 est restée la même, nous avons cru devoir insis- 
ter davantage sur son caractère purement technique et 
mieux définir sa portée et ses limites. Nous avons en 
outre consacré des développements spéciaux à la notion 
fondamentale de représentation de la personne morale 
par ses organes. Enfin sur beaucoup de points de 



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il ▲VàRTISSEBiBlft 

détail, nous avons complété ou modifié nos explications 
anciennes. 

Nous n'avons pas d'ailleurs eu la prétention de faire 
un exposé complet des règles applicables aux diverses 
personnes morales. Notre seul désir a été de suivre, dans 
le détail de la pratique française actuelle Tapplication 
des diverses idées se rattachant à la théorie de la per- 
sonnalité. Peut-être cette tentative ne sera^-eUe pas 
inutile en présence de la crise que traverse aujourd'hui, 
dans la doctrine, la notion de personnalité morale. 
Qu*on veuille bien, à raison des difficultés qu'elle pré- 
sentait, excuser tout ce qui manque à notre travail ! 

Le Chevallon, le 21 août 1905, 

L. MiCHOUD. 



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CHAPITRE I 

LA NOTION DE PERSONNALITÉ MORALE 



Somhaihe : 1. Définition de la personne morale. — 2. Distinction de la 
personne morale au sens philosophique et de la personne morale au 
sens juridique. Celle-ci n'est autre chose qu'un sujet de droit. — 
3. Caractère technique de cette étude. — 4. Relativité des éléments 
techniques du droit. — 5. Leur importance. — 5 bis. Point de départ 
de la recherche : est-il exact que l'homme seul soit un sujet de droit ? 

I. — 6. Exposé sommaire du système de la fiction. — 7. Ses con- 
séquences. — 8. Première objection à lui opposer : il ne résout pas 
le problème de la personnalité morale. — 9. Seconde objection : on 
ne peut l'appliquer au droit public. — 10. Nécessité d'étendre au 
droit public la notion de personnalité. — H- Personnalité de l'Etat 
nécessaire pour en maintenir l'unité. — 12. L'Etat ne peut pas être 
une personne morale fictive.' — 13. Troisième objection au système 
de la fiction : il méconnaît le rôle que joue le législateur dans les 
rapports sociaux, et ne donne pas aux associations licites le régime 
qui leur convient. — 14. Impuissance du législateur à empêcher 
l'existence de fait des personnes morales. — 15. Rôle réel de l'Etat en 
cette matière. — 15 bis. Quasrième objection au système de la 
fiction ; il fait trop abstraction des personnes physiques qui compo- 
sent l'être moral. 

II. — 16. Systèmes qui, tout en repoussant l'idée de fiction, con- 
servent le principe que l'homme seul est une personne. — 17. I. 
Théorie des droits sans sujet, Brinz. — 18. Bekker. — 19. Objec- 
tions. La notion de droit sans sujet iMplique contradiction. Elle est 
dangereuse. — 20. II. Théorie de M. Duguit. — 21. Elle prétend 
écarter toute fiction et toute abstraction ; impossibilité de cette tenta- 
tive. — 22. Insuffisance de la technique proposée par M. Duguit. — 
23. Nécessité de l'idée d'imperium, considéré comme droit de l'Etat. 
— 24. III. Théorie de M. Van den Heuvel. — 25. Théorie de M. de 
Vareilles-Sommières. — 26. Théories de M. Planiol et de M. Berthé- 
lemy. — 27. Théorie d'Ihering. -^ 28. Objections. Ces diverses théo- 
ries ne peuvent expliquer l'existence des personnes morales de droit 
public. — 29. Elles oublient l'intérêt collectif du groupe qui est dis- 

MICHOUD 1 



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i CUAi>lTRE PREMIER 

tinct de l'intérêt individuel des membres. — 30. Elles n'analysent pas 
exactement la situation juridique du groupe. 

m. — 31. Théories qui admettent la réalité de la personne morale. 
Position de la question. — 32. Les théories qui voient dans le droit 
subjectif un pouvoir attribué à une volonté ne peuverit démontrer la 
réalité de la personne morale qu'en démontrant que l'être collectif est 
doué de volonté. — 33. Essai de démonstration par la théorie orga- 
nique des sociétés. — 34. Réfutation. Il n'y a pas identité entre les 
collectivités organisées et les organismes biologiques. — 35. L'idée 
d'organisme n'entraîne pas l'idée de volonté. — 36: Théorie de la 
volonté de Zitelmann. — 37. Réfutation. — 38. Théorie de Rous- 
seau. Son insuffisance. — 39. Théorie de M. Haurioù. La réalité du 
phénomène de la représentation. — 40. Part de vérité contenue dans 
la théorie ; "son insuffisance.'— 41. Théorie de M. Boistel. Le faisceau 
de volontés des associés. — 4Z. Elle n'aboutit pas à démontrer la 
personnalité du groupe. — 43. Système de Jellinek. La volonté existe 
dans la personne morale au point de vue de la raison pratique du 
juriste, non au point de vue philosophique. — 44. Elle se rapproche 
de la vérité en renonçant k rechercher dans l'être collectif une volonté 
réelle, mais elle ne démontre pas sa personnalité. 

IV. — 45. Point de départ à adopter. Le fondement du droit n'est 
pas dans la volonté. — 46. Déqionstration par la situation du fou 
et de Vin fans. — 47. Démonstration tirée de la nature même de la 
volonté ; ce que le droit protège c'est l'intérêt que la volonté repré- 
sente. — 48. La volonté élément secondaire du droit subjectif: Diffé- 
rence entre le droit subjectif et l'effet réflexe du droit d'autrui. Défi- 
nition du droit subjectif. — 48 bis. Objections de M. de Vareilles- 
Sommières : la personnalité de Yinfans ; les animaux et les êtres 
inanimés. — 49. Objection de l'école libérale. La définition du 
droit basé sur l'intérêt cempromettrait l'existence des droits de la 
personne humaine. — 50. Réponse. La doctrine, qui est d'ordre 
technique, est compatible avec toute théorie de droit naturel. — 
51. L'Etat doit proléger d'abord les intérêts de l'individu humain, 
et par conséquent reconnaître la personnalité de l'homme. — 52. Il 
doit aussi protéger les intérêts collectifs et permanents des groupe- 
ments humains, et pour cela reconnaître leur personnalité. — 
53. Conditions nécessaires pour cela. Première condition : un intérêt 
collectif distinct des intérêts individuels. Groupements divers qui 
remplissent cette condition. — 54. Deuxième condition : organisa- 
tion suffisante pour dégager une volonté collective. Formes diverses 
sous lesquelles se présente cette volonté. — 55. Caractère artificiel 
de la volonté ainsi organisée. — 56. Rôle de l'Etat vis-à-vis des 
groupements organisés. L'acte qu'il fait en reconnaissant leur person- 
nalité est de même nature que celui qu'il accomplit en reconnaissant 
la personnalité de l'homme. — 57. Il a le droit de réglementer la 
formation du groupement. — 58. Il peut y avoir dans^ certains cas 



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La notion de i>ËRs6NNALiT£ Morale 3 

utilité à. refuser de reconnaître la personnalité du groupement régu- 
lièrement organisé. En outre l'Etat est compétent pour fixer les limi* 
tes du concept de personnalité. 

V. ^^ 59. Situation des personnes chargées de représenter la per- 
sonne morale. Théorie de la représentation de droit privé (mandat ou 
représentation légale). — 60. Théorie de l'organe. Il est une partie 
intégrante de la personne morale, et par lui c'est en réalité elle qui 
agit. — 61. Conséquences. Il a des pouvoirs supérieurs à celui du 
représentant ordinaire ; il n'a, en tant qu*organe, aucune personnalité 
vis-à-vis de l'être moral. — 62. Objections k cette théorie et réponses. 

— 63. Observations qui limitent la théorie de l'organe. Le mot organe 
ne peut être employé qu'à titre de compai,raison. La personne morale 
n'est pas tout entière dans ses organes. — 64. En quoi la représen- 
tation par l'organe est plus étendue que la représentation ordinaire. 

— 64 bis. Droits' de la personne chargée du rôle d'organe vis-à-vis 
de la personne morale. 

VI. — 65. Limite du concept de personnalité. Séparation absolue, 
en droit romain, entre Vuniversitas et la societas. Application de cette 
idée aux sociétés civiles et commerciales. — 66. Explication des 
particularités offertes par ces sociétés au moyen d'idées autres que la 
notion de personnalité morale. — 67. Origine de la société avec pro- 
priété en main commune. — 68. Possibilité d'un groupe intermé- 
diaire entre Vuniversitas et la societas, — 69. Théorie de la société 
avec propriété en main commune ; en quoi ce régime ressemble à 
celui de la personnalité morale. — 70. En quoi il en diffère. — 71. Il 
faut classer parmi les personnes morales tout groupement daris 
lequel Tintérôt collectif ne se confond pas avec l'intérêt individuel des 
membres. — 72. Il en est ainsi dans tout groupement à but idéal. 

— 73. Il en est de même dans les sociétés de gain à personnel 
variaWe. — 74. Autre critérium tiré du fait que les membres sont 
personnellement tenus des dettes du groupe. Son insuffisance. 

!• Lq mot personne, dans la langue juridique, désigne 
un sujet de droit, c'est-à-dire un être capable d'avoir 
des droits lui appartenant en propre et des obligations 
lui incombant. 

Les mots personne juridique ou personne morale (i) 

(1) Aucun des mots employés pour désigner les personnes mora- 
les n'a réussi à se faire accepter d'une manière définitive. En 
France, on emploie souvent le terme de pei^sonne civile qui se 
trouve dans plusieurs textes (loi du 5 avril 1884, art. 111 ; loi du 
28 avril 1893, art. 71 ; loi du 14 avril 1893, art. 8 ; loi du 21 avril 



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4 CHAPITRE l>ttEMiEn 

désignent un sujet de d7*oit qui nest pas en même temps 
un être humain, une pe^^sonne physigiue. Ceiie définition, 
purement négative, n'apprend rien sur la nature .de la 
personne morale et sur Tétendue des di'oils qui peuvent 
lui appartenir ; mais elle est la seule que Ton puisse 
prendre comme point de départ, parce qti'elle est la seule 
sur laquelle tout le monde puisse s'entendre. Elle 
exprime un simple fait, le fait que dans nos sociétés 

4898, art. 2 ; loi du 43 avril 4900, art. 32 et 34 ; loi du 49 décem- 
bre 4900, art. 4 : loi 'du 25 février 4901, art. 57 ; loi du 44 juillet 
4904 (dans Tintitulé) ; loi du 30 mars 4902, art. 72 ; loi du 31 mars 
4903, art. 74 ; décret du 40 novembre 4903, art. 4 ; loi du 48 fé- 
vrier 4904 ; décret du 2 janvier 4905, art. 8). Nous nous refusons à 
l'employer, parce qu'il implique l'idée que la personnalité est une 
notion de pur droit privé, alors que, suivant nous, elle est une 
notion commune au droit privé et au droit public. Au reste, nos 
lois préfèrent d'ordinaire décrire la personnalité morale sans la 
nommer (V. les explications données à la Chambre des députés, 
par M. Marc Sauzet. dans la séance du 24 mai 1897, à propos des 
sociétés de secours mutuels) ; ou bien elles procèdent en déclarant 
que l'établissement dont il s'agit est un établissement public ou 
d'utilité publique, ce qui implique quelque chose de plus que la sim- 
ple personnalité morale. Il n'j a donc pas à tenir compte du lan- 
gage de la loi. — Parmi les auteurs, on trouve aussi parfois l'ex- 
pression de personne fictive, que nous ne pouvons employer parce 
qu'elle suppose une théorie de la personnalité qui n'est pas la nôtre. 
— Restent les deux expressions que nous indiquons au'text«. Le 
mot personne juridique, aujourd'hui le pTus employé à l'étranger 
(par ex. dans le Code civil allemand, art. 24 et s.), peut être admis 
sans inconvénient grave ; mais on doit faire remarquer qu'il est 
en réalité trop large : car la personnalité juridique ap'partient à 
l'homme, aussi bien qu'aux groupes pour qui on réserve. plus parti- 
culièrement ce terme. 11 faudrait dire : personne purement juri- 
dique ^ ce qui n'est guère pratique. — En somme, nous croyons 
préférable le terme de personne morale qui, il est vrai, est vague 
et n'atteint pas l'essence du sujet, mais qui du moins ne peut 
donner lieu à aucune confusion fâcheuse. Il a été employé par 
quelques législations, notamment l'Allgemeines Landrecht et Je 



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LA NOTION DE PERSONNALITE MORALE S 

humaines des droits dislincts sont attribués, non pas 
seulement à des êtres physiques, mais à certains groupe- 
ments, à certaines associations^ et parfois même à quel- 
que chose de pluë abstrait encore, à un but idéal indé- 
pendant^ au moins en apparence, de tout groupement. 
Ce fait, qui se produit sous nos yeux, et dont nous pou- 
vons constater Texistence dans les sociétés qui ont pré- 
cédé la nôtre, a paru si extraordinaire à certains esprits 
qu'ils y ont vu une institution tout à fait étrange et 
anormale, une sorte de création ex nihilo dépassant 
presque les pouvoirs du législateur : « le mot créçr, dit 
Laurent (1)^ est un mot très ambitieux qui ne convient 

Gode autrichien ; c'est aussi celui qu'emploie Tavant-projet du 
code civil suisse, art. 61 et suiv. Les lois italiennes emploient fré- 
quemment 1 expression de corpi ou enti morali (V. les nombreux 
textes cités par le* commentateurs italiens de Windscheid, Fadda et 
Bensa, Diritto délie Pandeite, Torino 4895, p. 775). M. Hauriou 
[Leçons sur le mouvement social, p. 146), distingue la personna- 
lité morale de la personnalité juridique ; Ton pourrait en effet 
réserver le niot de personnalité morale pour désigner la personna- 
lité philosophique, et employer celui de personne juridique pour 
désigner simplement un sujet de droit ; Ton pourrait aussi comme 
le font d'autres auteurs (p. ex. Gastelein. Droit naturel, p. 510), 
appeler personne morale tout groupe apte à être personnalisé, 
et réserver le nom de personne juridique aux groupes dont la 
personnalité serait reconnue par le droit positif. Mais le seul fait 
que la distinction peut être entendue en d€ux sens difiTérents, 
montre qu'elle est susceptible de donner lieu à certaines méprises. 
Noujs préférons conserver aux deux termes leur synonymie consa- 
crée par l'usage des juristes. La plupart des auteurs français em- 
ploient, ou le moi personnes civiles, ovile moi personnes moî^ales, 
M. Planiol, Droit civil, 1'* éd. t. I, nos 670 et s.), 3* éd. n»' 3005 
'et s.) emploie le moi personnes fictives ; M. Capitant (Introd. à 
V Etude du droit civil, 2» éd. pp. 149 et s.), celui de personnes 
juridiques. 

. (1) PHncipes de droit civil, t. I, n^ 288. — Gpr. Van den Heu- 
vel. De la situation légale des associations sans but lucratif,. 



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CHAPITRE PREMIER 



nullement à la faiblesse humaine : Thomme ne comprend 
pas même la création. Ici cependant le mot est à sa place 
en un certain sens. A la voix du législateur un être sort 
du néant, et figure sur un certain pied d'égalité, à côté 
des êtres réels créés par Dieu ». Pour nous, si quelque 
chose nous étonne, c'est Tétonnenient même exprimé 
par ces lignes. L'idée de droits appartenant à des grou- 
pements humains nous paraît, non pas aussi facile à 
expliquer et à justifier, ^ mais aussi fondamentale que 
ridée de droits appartenant à des êtres isolés. Histori- 
quement elle est au moins aussi ancienne, et il est bien 
certain que dans les sociétés primitives les droits du 
groupe ont eu plus d'importance que ceux des individus. 
Pratiquement aucune société ne peut se comprendre 
sans certains droits attribués à des collectivités. On peut 
différer d'opinion sur l'explication juridique du phéno- 
mène. Mais il a un tel caractère de constance et d'uni- 
versalité qu'il est impossible d'y voir quelque chose 
d'étrange et d'exceptionnel. 

2. L'étonnement de Laurent a sa source dans une 
équivoque. Dans le langage courant, le mot personne 
désigne exclusivement l'être humain. Dans le langage 
philosophique, le sens en peut varier suivant les écoles, 
et, pour quelques-unes d'entr'elles, c'est un mot qui n'a 
même plus aucun sens. Mais pour toutes les écoles spi- 
ritualisles, la définition qu'on en peut donner ne s'appli- 



p. 35. — M. Vauher (Etudes sur les personnes morales^ 1887, 
Préface, p. VII) exprime une idée analogue : « La fiction par 
laquelle on attribue la capacité juridique à quelque chose qui n'est 
^pas un être humain parait étrange au premier abord. . . ». Mais il 
montre fort bien plus loin (p. 384) que cette étrangeté n'existe 
qu'en apparence. 



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LA NOTION DE PERSONNALITE MORALE * 7 

que, au moins sur la terre, qu*à rhomme (1). C'est en 
attribuant inconsciemment le sens philosophique au mot 
personne que Ton arrive à voir un fait anormal dans la 
personnalité morale. — Ojruous ne prétendons pas que 
le droit puisse créer une personne en ce sens. Pour la 
science du droit, la notion de personne est et doit rester 
une notion purement juridique. Le mot signifie simple- 
ment un sujet de droit, un être capable d'avoir des droits 
subjectifs lui appartenant en propre, — rien de plus, 
rien de moins. — Pour savoir si certains êtres répondent à 
cettedéfinition, il ne faut donc pas examiner si ces êtres 
constituent des personnes au sens philosophique du 
mot. Il faut se demander seulement s'ils sont de telle 
nature que des droits subjectifs doivent i.eur être attri- 
bués. Indirectement sans doute, la notion de personna- 
lité philosophique pourra influer sur celle de personnalité 
juridique. Nous montrerons plus loin que le législateur 
peut y trouver un motif pour donner à tout être humain 
la qualité de sujet de droit. Mais rien ne prouve a priori 
que les deux notions coïncident, et que cette qualité de 
sujet de droit ne puisse être appliquée à d'autr*es qu'à 
des hommes. Pour le savoir,. une seule méthode est 
admissible : il faut se demander ce que Ton entend par 
droit (au sens subjectif du mot), et quels sont les êlres 

(1) Il en est ainsi notamment de la définition de saint Thomas : 
Rationalis naturœ individua substantia. Vidée de nature, 
raisonnable impliquée par elle en rend impossible Texteiision ici- 
bas à tout autre être qu'ji l'homme. — La notion de personnalité 
philosophique s'affaiblit daus les écoles qui ne voient dans le moi 
qu^une synthèse, qu'une coordination de phénomènes. Elle dispa- 
raît complètement pour celles qui n'admettent pas Tidée d'indivi- 
dualité (V. p. ex. Le Dantec, V individualité et Verreur indivi- 
dualiste). 



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8 CHAPITRE PREMIER 

qui, d'après la définition à laquelle on arrivera dans 
celle recherche, sont capables d^être considérés comme 
titulaires d'un droit. 

3. De sa nature, cette étude«est d'ordre purement tech- 
nique. Il s'agit de rechercher quelle est l'étendue d'un 
concept juridique abstrait, afin de déterminer à quels 
phénomènes (de la vie juridique on doit l'appliquer. C'est 
une étude du même ordre que celle qui consisterait, par 
exemple, à déterminer l'étendue de la notion de droit 
réel par opposition à celle de droit de créance. De la 
manière d'entendre la notion découleront naturellement 
des conséquences plus ou moins étendues qui permet- 
tront d'enfermer un ensemble de phénomènes connexes 
dans ce qu'on appelle une construction juridique. Si 
nous concevons la notion de sujet de droit comme assez 
étendue pour comprendre certains . groupes humains 
(Etats, communes, associations, fondations), il en résuK 
tera toute une série de conséquences quant aux procé- 
dés techniques à employer pour faire vivre ces groupes 
et réglementer leur activité juridique : il en résultera, 
par exemple, que les biens consacrés aux intérêts collec- 
tifs de ces groupes seront considérés techniquement 
comme là propriété du groupe lui-même et non comme 
la copropriété des membres, que le groupe devra être' 
admis à ester en justice, à contracter, à acquérir, en son 
propre nom, par l'intermédiaire d'un représentant, etc. 
On a pu, ajuste titre, dans ces dernières années, signa- 
ler l'abus que les jurisconsultes aont portés à faire de 
ces constructions juridiques. M. Gény, dans son beau 
livre sur la Méthode d interprétation du droite a montré 
avec une netteté parfaite en quoi consiste cet abus, et 
qupl danger il offre : il consiste « à envisager comme 



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LÀ NOTION DE PERSONNALITE MORALE 9 

douées d'une réalité objective permanente des concep- 
tions idéales provisoires et purement subjectives de leur 
nature » ; et le danger c^est d'aboutir « à faire tenir 
a priori tout le système du droit positif en un nombre 
limité de catégories logiques, qui seraient prédéter- 
minées par essences, immuables dans leur fonds, régies 
par des dogmes inflexibles, insusceptibles par consé- 
quent de s'assouplir aux exigences changeantes et variées 
de la vie » (1). M. Gény n'a pas de peine à montrer que 
les déductions logiques provenant de ces conceptions 
idéales n'ont pas de valeur par elles-mêmes, et que la 
technique ainsi comprise ne doit pas être une fin en soi, 
mais doit rester Thumble servante des idées de justice et 
d'utilité sociale qui seules au fond ont le droit de déter- 
miner les solutions juridiques. Pourtant, et il le déclare 
lui-même (2), ce n'est pas une raispïi pour exclure abso- 
lument les constructions de cette nature : outre leur 
utilité didactique qui est incontestable, elles peuvent 
servir à trouver des solutions nouvelles « en fécondant 
les raisons, toutes concrètes, des institutions au moyen de 
conceptions qui,jouantàleur égard le rôle à' idées- forces, 
permettent d'en tirer des effets inaperçus ou d'y ratta- 
cher de plus équitables conséxjuences ». Ces construc- 
^ tions doivent donc être admises par le juriste comme 
moyens pour arriver à une plus complète réalisation du 
droit; mais il ne doit les accepter qu'à litre de simples 
hypothèses, utiles seulement dans la mesure où elles 
facilitent la véritable tâche du droit, qui est d'introduire 
l'idée de justice dans les relations sociales. 

(1) Gény, Méthode d* interprétation et sources en droit privé 
positif, n^ 61. 

(2) Op. aï., n^. 68. 



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10 CHAPITRE PREMIER 

4. Ces explications, qui nous paraissent très justes, 
peuvent cependant, croyons-nous, être précisées utile- 
ment sur certains points. Les notions premières sur 
lesquelles opère la science du droit — telles par exemple 
que les notions de droit subjectif, de sujet actif ou passif 
du droit, d'objet du droit — ne sont autre chose que la 
décomposition du phénomène juridique par le procédé de 
l'analyse^ et s'il est exact qu'elles n'ont pas en elles-mêmes 
de réalité objective, on doit cependant admettre qu'elles 
nous sont pratiquement indispensables. Aucune technique 
du droit ne peut, croybns-nous, se passer d'elles, parce 
que sans elles il nous serait impossible de percevoir 
dans notre esprit les phénomènes juridiques. Ces notions 
étant une fois définies, les conséquences que le juriste est 
amené à en tirer n'ont rien d'arbitraire; elles sont impé- 
rieusement commandées par la logique: si par exemple 
nous concevons un droit subjectif comme un pouvoir 
de vouloir j comme une puissance attribuée à une vo- 
lonté, il nous sera impossible d'admettre Texistence 
réelle, actuelle, d'un droit sans sujet, et impossible de 
concevoir ce sujet autrement que comme un être doué de 
volonté. Ce ne seront là que les conséquences de la défi- 
nition même que nous aurons admise. Mais ce qui est 
vrai, c'est que la définition qui nous sert de point de 
départ n'est qu'une conception de notre esprit, et que nous 
devons la modifier si nous nous apercevons qu'elle n'em- 
brasse pas tous les phénomènes que nous avons voulu 
grouper sous ce concept. Or la question de savoir quels 
sont les phénomènes que nous devons chercher à grou- 
per de celte manière n'est plus une question de logique ; 
elle ne peut être résolue que par l'observation des faits 
sociaux, La définition, et ses conséquences, c'est-à-dire 



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LA NOTION DB PERSONNALITE MORALE il 

la construction juridique que nous édifierons sur elle, ne 
forment qu'un tout dont, un point une fois admis, le 
reste suit nécessairement. Mais nous ne devons appli- 
quer tout cet ensemble de déductions qu'aux phénoraë* 
nés rentrant dans la définition i^doptée par nous, et nous 
ne devrons adopter cette définition qu'aprè3 avoir vérifié 
que la construction qui en dérive est bien la meilleure à 
' appliquer à Tensemble des phénomènes qu'elle comprend. 
C'est sur ce point — dans l'application de la théorie aux 
faits positifs — que l'arbitraire et l'erreur peuvent se glis- 
ser; nous pouvons nous tromper en affirmant que telle 
ou telle théorie est la meilleure, la plus pratique, la plus 
juste, pour régir un ensemble de faits et par conséquent 
nous devons toujours considérer cette théorie comme une 
hypothèse, prête à être remplacée s'il est démontré qu'une 
autre s'y adapte mieux. Notre théorie ne sera donc pas 
absolue. Si nous arrivons à conclure que la notion de 
personnalité juridique est assez large pour comprendre 
certains groupes humains, nous n'affirmerons pas par là 
même que ces groupes ne peuvent pas vivre sous un autre 
régime que celui de la personnalité. Même pour l'être 
humain individuel l'application de l'idée de personnalité 
n'est pas indispensable, puisque durant de longs siècles 
il a existé des hommes — les esclaves — auxquels le droit 
ne reconnaissaitaucune personnalité et dont certains in^ 
térêts ,au moins étaient cependant prot^és par voie indi- 
recte. Pour les groupes cela est plus évident encore. Des 
milliers de groupements ont vécu et vivent encore sous 
l'empire d'une technique autre que celle qui découle de 
l'idée de personnalité morale, soit sous le simple régime 
de la société, soit sous la forme si développée dans les 
pays anglo-saxons du trust, c'est-à-dire avec des biens 



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12 CHAPITRE PREMIER 

qui sont officiellement la propriété. d*un tiers (1). Toutes 
ces combinaison et d'autres encore peut-être, sont possi- 
bles; et dans certains états de fait, alors par exemple 
que les groupements peuvent craindre une certaine hos- 
tilité de TEtat^ elles peuvent même parfois être préféra- 
bles au régime de la personnalité qui est pourtant, sui- 
vant nous, Je régime naturel de ces grupements. D'autre 
part, TEtatapu préférer à certains moments une techni- 
que différente parce qu'elle servait mieux ses desseins. Il 
faut donc, comme le veut M. Gén/, limiter ^application 
de notre technique là où elle est réellement utile pour 
servir la fin supérieure du droit. C'est par d'autres con- 
sidérations que des considérations techniques que Ton 
• doit décider si les groupements humains sont dignes de 
la faveur ou de l'hostilité du législateur, dans quelle me- 
sure on doit chercher à les développer ou au contraire à 
les restreindre, quelles précautions sont nécessaires pour 
qu'ils ne deviennent pas oppresseurs à l'égard de leurs 
membres, etc. La forme juridique sous laquelle on con- 
cevra ces groupes, personnalité morale ou autre, devra 
être dct préférence celle qui servira le mieux le but 
poursuivi par le législateur. 

5. Mais, jces réserves faites et les questions de techni- 
que étant ainsi ramenées à leur juste valeur, il serait 
dangereux d'en méconnaître l'importance. Elle existe à 
un double point de vue. 

Tout d'abord nous croyons qu'à chaque idée juridique 

(1) On peut voir tout le parti que la pratique juridique anglaise 

,a tiré du trust, dans l'article très intéressant, très suggestif pour le 

juriste continental, que M. Maitland a publié dans la Grûnhufs 

Zeitschrift, t. XXXI (1904), pp. 1 et s., sous le titre de : Trust und 

Ko7*poration» 



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LA NOTION DÉ PERSONNALITE MORALE 13 

correspond une technique qui s'y adapte mieux que 
toute autre, qui en est le vêtement naturel, fait à sa 
mesure et à sa taille. Nous chercherons à démontrer 
que, pour certaines catégories de groupements sociaux, 
le seul régime juridique, correspondant à la généralité 
des faits, est biçn celui de la personnalité morale. Les 
autres procédés ),echniques que Ton peut leur appliquer, 
régime de la société, régime de l'indivision, régime du 
trust, ne traduisent pas exactement les phénomènes de 
la vie corporative; ils ne prennent pas les faits tels 
qu'ils sont, car il ne s'agit, à proprement parler, dans 
ces groupements, ni d'une société, ni d'une indivision 
ordinaire, ni d'une propriété fiduciaire. Leurs membres 
conçoivent le groupe comme un sujet de droit distinct. 
Si le législateur le traite autrement, il déforme la réalité, 
et applique par fiction à un phénomène juridique un 
régime établi pour un phénomène différent. Pratique- 
ment, cela peut suffire parfois ; mais cela n'est pas sans 
entraîner pour le groupe des complications et des dan- 
gers. La technique la meilleure est celle qui serre de 
plus près la réalité. 

D'autre part, les idées appartenant à la partie techni- 
que du droit ne sont pas sans influer snr les solutions 
juridiques elles-mêmes, en imprégnant l'esprit du juriste 
d'idées qui deviennent, comme le dit très bien M. Gény, 
des idées'forces, parfois très puissantes. La matière 
que nous traitons nous en fournit des exemples frap- 
pants et il n'est pas inutile d'y insister quelque peu. 
. En théorie un régime très libéral des associations peut 
s'accommoder de techniques très différentes: la doctrine 
de la fiction telle que nous allons Texposer, peut très bien 
restera la base d'un régime où les associations sont per- 



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14 CHAPITRE PREMIBU 

sonnalisées de plein droit, sans aucune intervention spé- 
ciale du législateur; il. suffit pour cela de déclarer que 
le législateur a admis à l'avance la fiction pour toute 
association licite. ATinverse, les théories qui font résul- 
ter, de plein droit, la personnalité morale de la réunion 
de certaines circonstances de fait peuvent fort bien s'ac- 
corder avec un régime très rigoureux d'autorisation 
préalable des associations ; il leur suffit de dire que 
parmi les circonstances de fait nécessaires à la créa- 
tion d^une personne morale se trouve la reconnaissance 
.de l'association, en tant que telle, par le pouvoir exécu- 
tif ou même par le pouvoir législatif. Mais en fait le 
plus souvent la pratique et la théorie juridique réagi- 
ront Fune sur l'autre et il se formera une théorie s'adap- 
tant mieux que loute autre aux besoins de la pratique 
et secondant ses tendances. La théorie de la fiction a 
été, pour les prétentions de l'Etat à la toute-puissance 
en matière d'associations, un auxiliajre précieux, et elle 
a régné presque sans contestation chez nous tant que 
ces associations ont été soumises à un régime rigou- 
reux d'autorisation préalable. A l'inverse, les théories, 
aujourd'hui dominantes, d'après lesquelles l'Etat se 
borne à reconnaître la personnalité juridique des grou- 
pes, personnalité dont les éléments lui sont fournis du 
dehors, paraissent mieux s'adapter à un régime de 
plus en plus libéral, et seconderont probablement le 
mouvement qui se produit dans le sens de la liberté 
des groupements privés. 

De même, nous estimons que Ton ne pourrait faire 
disparaître l'idée de personnalité sans affaiblir le senti- 
ment nécessaire de l'unité et de la permanence de 
l'Etat ainsi que des autres groupes représentant des 



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La NOtlON DE PERSONNALITÉ MORALE IS 

intérêts collectifs, et à ce point de vue nous jugeons 
dangereuses les théories qui, dans ces groupes, cher- 
chent à ramener tous les droits de la collectivité aux 
droits individuels de ses membres. M. Ducrocq a déjà 
montré (1), et nous insisterons nous-même plus loin 
sur cet exemple, que Toubli de Tidée de personnalité a 
entraîné les assemblées révolutionnaires à prendre, au 
sujet des biens communaux, les mesures les plus regret- 
tables. Elle pourrait de même conduire les représentants 
de TEtat, soit à oublier les engagements pris dans le 
passé (2), soit à se préoccuper trop peu des charges à 
léguer aux générations futures. La logique ne gouverne 
pas le monde à elle seule ; mais on doit toujours compter 
avec son influence latente. 

A ces points de vue et à d'autres encore, que nous 
aurons l'occasion de signaler au passage^ la technique 
à appliquer est loin d'être indifférente aux résultats à 
atteindre ; il importe donc au plus haut point de ne pas 
abandonner Tétude de ces théories abstraites, tout en 
restant conscient de leur juste valeur. 

5 his. Pour la plupart des juristes du xix*^ siècle le 
point de départ de la théorie de la personnalité juridi- 
que se trouve dans Taxiome que l'homme seul est un 
sujet de droit. Nous allons essayer de montrer tout 

(1) Ducrocq. Ç^ours de droit administratif y 7" éd., t. IV, nos 1376 
et s. V. au surplus, infrà, no 29. 

(2) V. la discussion à la Chambre sur les majorais. Séance du 
7 mars 1905. M. Thivrier demande le rejet de la convention avec 
les titulaires du majorât, proposée par la Commission et le Gouver- 
nement, parce que a la République ne peut pas .et ne doit pas 
accepter cet héritage des régimes déchus. » — V. la réponse de 
M. Rouvier, président du Conseil. — V. aussi ci-après (nos 22 et s.), 
la discussion de la théorie de M. Duguit. 



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16 CMAFfTBC PBSSIEB 

d'abord qae les divers sjrstraies édifiés sur cette base 
sont inadmissibles et en désaccord avec la ràlité des 
choses Noas aorons ainsi délayé le terrain sur lequel 
nous essaierons de construire. 



I 



6. Le premier système sorti de cette idée est celui qui 
était couramment admis en France à une époque encore 
récente '1; et que Ton désigne habituellement sons le 
nom de système de la fiction. L'homme seul étant une 
personne réelle, on ne peut expliquer que par une 
fiction juridique Tidée de personnalité appliquée à 
d'autres choses qu'à des êtres humains. Le législateur 
MUppone^ en vue d^un intérêt général, une personne 
fictive qu'il traite partiellement comme si elle était 

(i) V. notammenl Laurent, Droit civil, t. I, nos 287-288 et s. 
Baudrj'Lacantinerie et Houques-Fourcade. Des personnes^ t. I, 
I 296, — Ducrocq, Cours de droit administratif, 7® éd., t. IV, 
n^' 1372, — Trouillot et Chapsal, Le Contrat d'association, p. 78 
et 8* — Beaucoup d'auteurs français, sans insister sur l'idée de 
ûction, emploient pour désigner la personne morale des termes qui 
supposent cette idée : par exemple le terme de personne fictive ou 
celui d'être de raison (exemple : Aubry et Rau, § 54, 5e éd., t. I, 
p,268). Laurent est, de tous les auteurs, celui qui a le plus vive- 
ment insisté sur Tidée de fiction. Mais pour lui la fiction ne va pas 
jusqu'à Tassimilation des personnes civiles aux personnes natu- 
relles ; les premières n'ont, que certains droits, ceux qui leur sont 
reconnus expressément par la loi ; elles ne sont pas réellement pro- 
priétaires. L'assimilation est inexacte et prête à des erreurs dan- 
gereuses. Il est resté, d'ailleurs, seul ou & peu près, & soutenir un 
système aussi restrictif. La plupart des auteurs entendent la fiction 
dans le sens d'une assimilation, au moins partielle, des deux caté- 
gorieq de personnes. ,^ 



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tA NOTION DtE PERSONNALITÉ MORALE 17 

réelle (1). Par\là il rend possible Texistence de droits 
appartenant à cette personne qu'il imagine, et les fait 
rentrer dans ses règles générales. 

7. Il résulte de celte conception première que TEtat 
reste le maître absolu de la fiction dont il se sert. La 
personnalité morale ne répond pas à la réalité. Elle n'est 
qu'une faveur accordée par la loi à certains groupe- 
ments qui lui en paraissent dignes. Sans doute cette 
faveur peut être octroyée sous diverses formes: le légis- 
lateur peut se réserver le droit d'examiner dans chaque 
cas particulier, s'il y a lieu de l'accorder ; il peut délé- 
guer ce même droit à l'autorité administrative ; il peut 
aussi l'accorder à l'avance à tous les établissements qui 



(i) C'est ainsi que la théorie de la fiction est le plus souvent pré- 
sentée : Savigny, Traité de droit romain^ trad. Guenoux, t. II, 
p. 223 et s. — Unger, System des ôsterr. Privatrechts, t. I, 
p. 314, et Kritische Uberschau, VI, 166 : « Le droit fait des fictions 
pour ne pas accepter des notions en contradiction avec ses règles 
fondamentales, et qui apparaîtraient comme des anomalies indis- 
ciplinées ; par ce moyen, le droit courbe les faits sous sa règle au 
lieu de se courber sous les faits. » Puchta (Vorlesungen, p. 56 et 
Kleine Schriften) parle, non de fiction^ mais de création légale. 
Au fond ridée est la même, cette création ne pouvantêtre que celle 
d'un être purement fictif. Elle est seulement présentée d'une ma- 
nière plus choquante. — V. sur ces deux manières d'entendre la 
théorie de la fiction, l'ouvrage deZitelmann qui contient le meilleur 
exposé des doctrines modernes sur ce sujet (Begriff und Wesen 
der sogennariten juristischen Personen, § 3, p. 12 et suiv.). — 
Bierlïng {Zur Kritik derjurist, Grundbegriffe, t. II, n^» 172-173) 
admet qu'il y a une double fiction: l'une consistant à considérer la 
collectivité comme un sujet de droits distinct de ses membres ; 
l'autre consistant dans les rapports de la collectivité et desesmem 
bres, à considérer l'ensemble des membres moins un comme la 
collectivité elle-même. Il nous. semble bien que la première de ces 
fictions entraine implicitement la seconde, en sorte qu'en réalité 
elles se ramènent & une seule. 

MIGHOUD 2 



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18 CHAPITRÉ P^ÈMlEft 

se formeront sur un certain type, et se soumettront à 
certaines règles. Mais comme il ne s'agit que d'une 
faveur, elle reste, par essence, purement arbitraire. 
Aucun groupement, même licite, ne peut élever la pré- 
tention de ravoir par la Nature ; il lui faut la Grâce ; et 
cette Grâce pourra lui être retirée comme elle lui a été 
donnée. En général TEtatne la donnera qu'aux groupe- 
ments qui lui sont agréables et la refusera aux autres. 
La personnalité morale sera donc conçue comme quel- 
que chose de tout à fait diflférent du droit d'association; 
elle sera un attribut que Ton accordera à quelques asso- 
ciations seulement. D'autre part, elle sera indépendante 
du groupement même qui Taura obtenue. On traitera la 
personne morale comme si elle était absolument dis- 
tjncte des membres qui la composent ; elle pourra sub- 
sister, au moins dans l'opinion la plus fidèle à la logique 
du système, quand le groupement aura entièrement 
disparu (1) ; et la volonté de ses membres ne suffira pas 
pour entraîner sa suppression en tant qu'être moral (2). 

Nous devons nous borner pour le moment à celte vue 
générale de la doctrine de la fiction. Elle suffit au but 
que nous nous proposons. — Nous réservons à des 
développements ultérieurs l'élude des conséquences de 
détail du système ; ce que nous voulons faire dès à 
présent, c'est seulement la discussion du principe lui- 
même. 

8. 1° La première objection qu*on doit lui opposer, 
— et elle eât fondamentale, — c'est qu'il ne résout 

(1) Savigny, op, cit., p. 279 (au moins pour le cas où la corpo- 
ration repose sur un intérêt public et permanent). 

(2) Savigny. op, cit,y p. 278. — V. du reste sur ces conséquen- 
ces : Gierke, Genossenschaftsrecht, t. III, p. i8f. 



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LÀ NOTION DE i»BRSONNALIT£ MORALB iÔ 

rien ; c'est qu'il est impuissant à donner la clef J i pro- 
blème posé (1). Le fait à interpréter juridiquement, c'est 
le fait de biens n'appartenant pas à des individus, fait . 
que Ton constate à toutes les époques de l'histoire, et 
dont aujourd'hui encore notre état social ne peut se 
passer. Dire que ces biens appartiennent à une personne 
fictive, c'est dire, en termes à peine déguisés, qu'ils 
n'appartiennent à personne. Si l'existence d'un droit ne 
se comprend pas sans un sujet qui en soit le titulaire, on 
n'explique pas cette existence en l'attribuant à un sujet 
fictif; au contraire, on avoue parla même qu'il n'a pas 
de sujet réel. Autant, comme l'a dit un auteur (2), accro- 
cher son chapeau à un portemanteau que l'on feint dans 
la muraille. La fiction peut servir en droit à simplifier^ 
à faciliter l'explication de certaines théories juridiques; 
par elle-même elle ne résout rien, et là où manque une 
condition essentielle, elle est impuissante à la suppléer. 
Aussi est-ce bien le système de la fiction qui a engen- 
dré directement les doctrines, étranges au premier 
abord, d'après lesquelles les biens en question devraient 
être considérés purement et simplement comme des biens 
sans maître, et les droits qui y sont relatifs comme des 
droits sans sujet. Les auteurs qui ont développé ces 
systèmes se sont bornés à écarter la fiction comme 
inutile, et à déclarer qu'il fallait voir ce qu'il y avait 
derrière elle. En cela ils avaient raison. Mais, le voile 



(1) Cette première objection a été développée par un grand nom- 
bre d'auteurs ; notamment : Zitelmann, op. cit. % 3 ; Meurer, Der 
Begriff und Eigenthûmer der heiligen Sachetiy t. I, p. 66 et 
suiv. etc. — Mestre, Les personnes morales et le problème de la 
responsabilité pénale^ 1899, p. 437 et suiv. 

(2) Brinz, Pandekten, 3« édition, 1. 1, p. 226. 



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âO CHAPITRE PREMIER 

une fois soulevé, ils n'ont pas su voir ce qu'il cachait, 
parce qu'ils conservaient celle idée préconçue que 
l'homme seuj est une personne réelle. Gardant ce point 
de départ et supprimant la fiction, il ne leur restait plus 
aucun point d'appui pour les droits dont il s'agit ; ils en 
étaient réduits à les laisser en quelque sorte en lair, et 
à s'écarter de fcetlc idée fondamentale qu'un droit ne se 
conçoit pas comme existant sans un sujet auquel il 
appartienne» Si éloignée que soit cette conception de nos 
habitudes d'esprit françaises, au fond elle ne diffère pas 
essentiellement du système de la fiction ; entre les deux 
il n'y a que Tépaisseur d'un mot (1). — Aussi est-il 
facrle de suivre les transitions d'une doctrine à l'autre. 
Certains auteurs, lels que Bôhiau (2), marquent cette 
transition en donnant à la fiction une forme particulière : 
la personne morale n'est en réalité qu'une masse de 
biens, un patrimoine sans maître : ce patrimoine est 
traité juridiquement comme s'il avait un sujet humain ; 
il n'est pas une personne, mais on lui fait jouer le rôle 
d'une personne suivant l'expression romaine : Personœ 
vice fungitur. — «D'autres, par exemple Windscheid (3), 
ne se refusent pas à employer l'expression courante de 



(1) Cette parenté entre les deux théories a été déjà plusieurs fois 
indiquée, y. note dans Meurer, op. cit. t. I, p. 54. Le mêntie auteur 
p. 53, classe Laurent parmi les partisans du système des droits sans 
sujet et au fond ce n'est pas sans raison. — M. Planiol, dans une 
note du recueil de Dalloz (92, 2, 513), emploie également des for- 
mules qui paraissent ramener la théorie de la fiction à celle des 
droits sans sujet. Mais il a précisé sa doctrine dans son Traité de 
droit civil. V. infrà n® 26 ; et il a déclaré (3e éd., p. 978, noie 1) 
que sur ce point il avait été mal compris. 

(2) Bôhiau, Rechtssubject und Personenrolley^, 16 et suiv. 

(3) Windscheid, Pandekten, % 49, notes 4 et 5. , . 



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hk NOTION DE PERSONNALITÉ MORALE 21 

personne juridique; mais ils font remarquer qu'en réa- 
lité les droits dont il s'agit sont sans sujet, et que si on 
admet une personnification, c'est par suite du penchant 
de la nature humaine à personnifier ses concepts. On 
dit par exemple de Topinion publique qu'elle a remporté 
une victoire ; du commerce qu'il est entré dans une voie 
nouvelle. La personnification juridique est quelque 
chose d'analogue à ces personnifications courantes. On 
doit l'admettre à cause de ses avantages pratiques, 
parce qu'elle permet d'embrasser dans une même expo- 
sition théorique, et de désigner des mêmes noms, les 
droits appartenant à une personne et les droits sans 
sujet ; elle n'a pas d'autre portée. 

Les auteurs qui ont le plus nettement et le plus 
bruyamment rompu avec la personnification, Brinz par 
exemple, et Bekker, dont nous analyserons plus loin les 
idées, ne vont en réalité pas au delà de la doctrine ainsi 
émise. Ils se bornent à supprimer le mot personne. Ce 
n'est pas ici le lieu de discuter ces théories. Mais il 
résulte des observations que nous venons de présenter 
que le système de la fiction s'expose aux mêmes objec- 
tions qu'elles, puisqu'en somme il n'en diffère pas. Il 
conduit notamment, comme elles, à la mainmise univer- 
selle de TËtat sur les biens dont il s'agit, ces biens 
n'ayant pas de propriétaires réels. ^ 

9.2*'Une autre objection à faire au système se trouve 
dans l'impossibilité où Ton est de l'appliquer au droit 
public. La notion de personnalité s'est développée en 
droit romain uniquement sur le terrain du droit privé. 
Les jurisconsultes romains n'ont jamais employé le nom 
de personne pour désigner l'Etat en tant que sujet des 
droits de souveraineté. Pour eux, être une personne, 



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2Î CHAPITRE PREMIER 

c'était seulement èive capable de droits privés, tels que 
les droits patrimoniaux et les droits de famille. L'Etat 
était en dehors et au-dessus des personnes : et si à une 
époque plus ou moins tardive on l'a considéré comme 
une personne en tarit que fisù^ on ne Ta considéré que 
comme une personne 'de droit privé. On Ta, dans ce 
domaine, assimilé atix^ individus et on n'a nullement 
cherché à embrasser danis cette conception les droits de 
puissance publique qui; lui appartiennent (1). Cette 
notion a été tnaîn ténue, au commencement du siècle der- 
nier, par Savigny et son école, qui pnt exercé, en France 
même, une si grande influence sur la théorie de la per- 
sonnalité morale. Elle Ta èi^^ en partie par fidélité 
aux idées romaines, en partie par des raisons d'un autre 
ordre. L'école ne répugnait pas alors, par réaction 
contre les excès révolutionnaires,, à un retour vers des 
théories qui attribuaient la souveraineté, non à TEtat, 
mais à la personne physique du prince. Elle pouvait donc, 
à la rigueur, considérer comme supWflue la notion de 
personnalité morale en droit public, et se borner, pour 
séparer le patrimoine du prince du patrimoine de TEtat, 
à conserver la notion de fisc, qui est une notion de droit 
privé (2). 

Mais nous devons aujourd'hui élargir Hdée, et voir 
dans la notion de la personnalité une notion générale 
commune au droit public et au droit privé (3). Cela nous 

(1) y. sur ces points les dëveloppements de Gierke,daDs Genos- 
senschaftrsechty t. lit, p. 34 et suiv. 

(2) V. sur ces points les excellents développements de M. Ruf- 
fini: « La classificazione délie persone giuridiche »(dans les Studii 
Francesco Schupfery 4898, p. 333 et s.). 

(3) V. sur celte idée fondamentale : Bernatzik, dans Archiv fur 
ôffentliches Hecht, t. V, p. 176 et suiv, — Gpr. : Beseler, System 



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LA MOTION 0£ PERSONNALITÉ MORAL£ 23 

esl imposé par une nécessilé logique. Tout droil doit 
être rattaché à un sujet capable de le posséder el de 
l'exercer, ou par lui-même ou par des représentants. Si 
cela esl vrai du droit de propriété et des autres droits 
privés, cela est vrai aussi des droits de souveraineté qui 
appartiennent à TËtat. L'idée de sujet de droit, c'est-à- 
dire de personne, est identique dans les deux domaines. 
Cela ne veut pas dire sans doute qu'il faille traiter la 
personne du droit public comme celle du droit privé, ni 
que les droits qui appartiennent à Tune soient de même 
nature que ceux qui appartiennent à Tautre, ni moins 
encore que tout être qui sera sujet de droit dans un de 
ces domaines sera nécessairement sujet dans Tautre. 
Telle n*esl pas la portée de notre conception. Elle signi- 
fie simplement qu*un droit ne se conçoit pas sans sujet, 
et qu'en droit public aussi bien qu'en droil privé il 
importe de distinguer ce sujet de lout ce qu'gn pourrait 
confondre avec lui. Il importe notamment d'affirmer que 

des gemeinen deutschen Prioatrechts (1873), p. 230 ; Gicrkp, pas- 
sim ; Preuss, Gemeinde, Staat, Reich^ als Gebiets Kôrperschaf- 
teriy p. 230 et suiv., p. 152 ; Meurer, op cit., p. 111 et suiv. ; Jelli- 
nek, System der subjectiven ôffent lichen Rech te, p. 12 etsuiv. ; 
Otto Mayer, Deutsches Verwaltungsrecht, t. II, p. 368 et suiv. 
Parmi les auteurs français, on pourrait en ciler un grand nombre 
à commencer par Housseau (Contrat social, I, VI), qui appliquent 
à l'Etat puissance publique l'idée de personnalité. Y. notamment, 
parmi les modernes : Esmein, Droit constitutionnel, p. 1 et suiv. : 
el la plupartdesinternationalistes.Mais ces auteurs n'ont pas eu, par 
la nature même de leurs études, à insister sur V unité de la notion 
dans les deux domaines. Cette idée est au contraire indiquée avec 
précision par Hauriou, Droit administratif, 5*^ éd., p. 291 et s. 
(sur les restrictions qu'il y apporte, v. infrà, cb. III). V. aussi 
Sanlaville : « Personnalité du département » (dans Revue géné- 
rale <r administration, 1899,2, p. 138). Gpr. Ripert.« Des rapports 
entre les pou voira de police et les pouvoirs de gestion » (dans 
Revue du Droit public, t. XXII, p. 7). 



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24 CHAPITRE PRBMIBR 

TËtat est une personne, titulaire des droits de souverai- 
neté en même temps que de certains droits patrimoniaux. 
10. Si Ton n'admet pas cela, en effet, comment conce- 
vra-t-on le droit public ? Devra-t-on déclarer que ces 
droits de souveraineté n'appartiennent à personne, qu'ils 
sont en quelque sorte placés au-dessus des personnes 
juridiques et les dominent? Mais c'est là une interpréta- 
tion qui blesse notre sens logique, nous éprouvons impé- 
rieusement le besoin de rattacher ces droits, comme tous 
les autres, à un sujet. Du reste cela est nécessaire pour 
faire entrer la théorie de la souveraineté dans le domaine 
du droit.' Nous comprenons un ensemble de droits et 
d'obligations se rattachant à un sujet permanent tel que 
rhomme ou un groupe humain. Nous ne comprenons 
pas une souveraineté in abstracto^ n'appartenant à per- 
sonne, et ayant cependant des obligations (1). — Dira-t- 
on, au contraire, que les droits en question appartien- 
nent, non à l'Etat, mais à l'individu qui les exerce? C'est 
là une doctrine qui a été soutenue en Allemagne à une 
époque encore toute récente (2), mais que personne, 
croyons-nous, ne serait lente de soutenir en France. 
Nous ne voulons pas en établir ici une discussion détail- 
lée. Nous nous contenterons de faire remarquer que, de 

(1) y. plus loin la discussion détaillée de cette idée à propos de 
l'ouvrage de M. Duguit {infrà nos 20 et s.). M. Duguit, pour soute- 
nir son système a été amené à la négation absolue du droit de com- 
mander. 

(2) Elle a été principalement soutenue par M. Max Sejdel, dans 
ses Grundzûge einer allgemeinen Staatslehre (1873). Elle a 
trouvé depuis lors un certain nombre d'adhérents ; V. net. Lingg, 
Empirische Untersuchungen su?* allgemeinen Staatslehre (1890). 
Contre cette théorie, v. notamment Rehm, Allgemeine S tuais- 
lehre, p. 156 et s. 



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LA NOTION DE PERSONNALITÉ MORALE 25 

ce point de vue tout individualiste, il est impossible de 
justifier le droit de commander, et l'obéissance qu'un 
homme doit à un autre homme. On ne peut expliquer 
cela que par Tidée que ce dernier ne parle pas en son 
nom, mais au nom de la collectivité qu'il représente et 
qui a des droits supérieurs à ceux de l'individu isolé. 
Celle-ci est donc bien un sujet de droit, une personne. 
Ajoutons que le système contraire reviendrait, par une 
pente glissante, à Tidée de la réunion^ dans la main de 
Tindividu qui commande, des droits patrimoniaux et des 
droits de souveraineté; il nous ramènerait à la confusion 
du droit public et du droit privé et à la théorie de l'Etat 
patrimonial, qui, de l'aveu de tous, ne peut plus être 
celle des nations modernes. 

11. Nous ferons observer d'ailleurs que la notion de 
personnalité publique de l'Etat peut seule lui conserver 
son unité Seule, elle explique d'une manière satisfaisante 
la personnalité fiscale ou personnalité de droit privé, que 
tout le monde est d'accord pour lui attribuer. Elle per- 
met de considérer l'Etat comme une personnalité unique, 
ayant à la fois des droits publics et des droits privés ; 
une personnalité à double face, suivant une -expression 
que nous avons déjà employée ailleurs (1). Dans tout 
autre système, on est obligé de considérer le fisc, ou la 
personne privée de l'Etat, comme quelque chose de dis- 
tinct de l'Etat lui-même, comme une sorte de fondation 
faite par lui (2). Idée étrange assurément : le propre de 

(1) V. notre article sur la Responsabilité de VEtat, Revue du 
Droit public, n* de juillet-août 1895, t. IV, p. 1 et suiv. 

(2) Cette idée de fondation pour expliquer Texistence du fisc est 
admise par beaucoup d'auteurs, même par quelques-uns de ceux 
qui acceptent l'idée de personnalité publique de l'Etat, par exem- 



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26 CHAPITRE PREMIER 

la fondation est de se détacher de la personne du fonda- 
teur et d'échapper, par cela même qu'elle existe, à sa 
libre disposition, au lieu que ce qui caractérise les 
deniers de HElat, c'est précisément d'être employés aux 
besoins généraux auxquels pourvoit l'Etat puissance 
publique. Il y a bien là une seule et même personne : le 
Trésor public est pour l'Etat ce qu'est pour un particulier 
son porle-monnaie ou son coffre-fort (1). 

Il ne faut donc pas, comme on le fait trop couramment 
en France (2), réserver le mot de personnalité morale ou 
juridique au droit privé. C'est précisément pour cela que 

pie Meurer, op. cit,, p. 116. V. au surplus l'exposé et les citations 
de cet auteur. — Cette idée est la seule qui puisse rendre compte 
de l'existence du fisc pour ceux qui restreignent la personnalité au 
droit privé. Elle n'en est pas moins insoutenable. 

(1) Cette comparaison très juste a été faite par un grand nombre 
d'auteurs. Bâhr, der Rechtstaat, p. 55. — Il est curieux de la 
trouver déjà dans les post-glossateurs, qui avaient construit une 
théorie de Vuniversitas embrassant à la fois les droits publics et 
les droits privés. V. le passage de Lucas de Penna, cité par Gierke 
{Ijfenossenschaftsreckt. t. lïl, p. 360) : fiscus et œrarium {quœ idem 
sunt), est pars ipsius reipublicœ,sicut fiscus meus, id est, saccus 
in quo responuntur pecuniola mea, est pars totius patrimonii. 

(2) C'est là l'opinion généralement admise en France, parce 
quelle est seule compatible avec la théorie de la fiction. Aussi était- 
ce celle de Savigny, op, cit.,, p. 234. Nous la trouvons aujoul'd'hui 
admise notamment par M. Ducrocq {Droit administratif, 6® éd., 
t. iï, n<^ 905, et article dans la Revue générale du Droite 1894, 
p. 101). — Un auteur italien Giorgi (La dottrina delta persone 
giuridiche, t. I, p. 52), prend ici une situation singulière. Il 
admet que les êtres moraux peuvent exercer des droits publics 
comme des droits privés ; mais pour se conformer à l'usage, il res- 
treint le terme de personne juridique au seul droit privé : non e un 
bel parlare esatto, mae quello che corre, — On a parfois exprimé 
cette idée que le fait d'admettre la personnalité publique de l'Etat 
est de nature à augmenter sa puissance. Nous la discuterons plus 
loin (V. ci-dessous, ch. III) . 



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LA NOTION DE PERSONNALITÉ MORALE 27 

nous refusons d'employer le terme personne civile, qui 
contient implicitement cette restriction et qui par cela 
même éveille un préjugé contre Tunité de la notion. 
Nous considérons Vidée de personnalité morale comme 
aussi nécessaire en droit public qu'en droit privé; et 
cette idée, que les observations précédentes nous parais- 
sent déjà suffire à fonder, trouvera sa confirmation dans 
les explications que nous donnerons plus loin sur les 
systèmes qui, comme celui de M. Duguit ou celui de 
M. Vareilles-Sommières, nient l'utilité de cette idée 
aussi bien dans Tun des domaines que dans Tautre. 

12. Mais s'il en est ainsi, comment voir en la person- 
nalité morale une fiction du législateur? Ce n'est pas la 
loi qui a créé TEtat, ce n'est pas elle qui lui a conféré les 
droits éminents qui lui appartiennent, ni par conséquent 
sa personnalité. Celle-ci est une conséquence de l'exis- 
tence même de TEtat; que les juristes en aient ou non 
conscience au moment de sa formation, elle naît avec 
lui. La loi la suppose préexistante et ne fait que la régle- 
menter et la limiter. Ce qui est vrai de TEtat est vrai des 
autres groupes humains auxquels appartient la person- 
nalité; plusieurs de ces groupements sont historique- 
ment antérieurs à l'Etat, et la plupart ont une formation 
analogue à la sienne. Ils se sont constitués soit par la 
force même des choses, soit par la volonté de leurs mem- 
bres. La loi n'est intervenue que pour réglementer (dans 
certains cas) les rapports juridiques qui leur donnent 
naissance, et ensuite les rapports juridiques du groupe 
une fois constitué. Elle les prend, comme elle prend 
tous les rapports humains, tels que les lui présente 
la réalité, et elle se borne à leur donner la formule 
légale la mieux appropriée à leur destination. 



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28 CHAPITRE PREMIER 

On a, il est vrai, essayé de distinguer à ce point de 
vue TEtat des autres groupements humains. Savigny a 
nommé TEtat une personne morale nécessaire (1) ; et le 
plus intrépide adversaire de la personnalité morale, 
Laurent lui-même (2), a accepté cette dénomination. 
Mais partisans et adversaires ont très bien vu, en 
général, qu'il y avait là une concession dangereuse pour 
le système de la fiction. Si une seule personne morale 
peut naître autrement que par la volonté de la loi, c*en 
est fait delà théorie (3). 

13. 3^ Nous touchons du reste ici à une autre objec- 
tion fondamentale que Ton peut élever contre le système 
de la fiction. Il méconnaît le rôle que joue le législateur 
dans les rapports sociaux. Par lui-même le législateur 
ne crée rien. L'existence matérielle des rapports qu'il 

(l)0/î. ct7.,p. 239. 

(2) Droit civil international ^ t. IV, n^ 73. Gpr. Principes de 
droit civil, t. I, p. 407. V. aussi Tissier, Traité des dons et legs, 
n0 91. 

(3) D'un côté, M. li\i(ivo(i({{Revue générale du Droit, 4894, p.iOl) 
et, dans un esprit diamétralement opposé, M. Van den Heuvel', 
Assoc. sans but lucratif, p. 57, ont tous deux insisté sur cette 
idée. C'est pour y échapper que M. Ducrocq cherche à démontrer 
que la personnalité morale de l'Etat a sa source dans les lois spé- 
ciales qui Torganisent et la réglementent. L'idée est admissible 
pour Id personnalité de pur droit privé ; mais quelle est la loi qui a 
fait de l'Etat un être moral capable de légiférer et de se conférer à 
soi môme le droit d'avoir un patrimoine?— M. Boistel a insisté avec 
grande raison sur l'objection que nous formulons ici au système de 
la fiction : « L'Etat est précisément une de ces personnes morales 
dont il s'agit de justifier l'existence ; c'est la plus importante et la 
plus considérable de toutes; et il est impossible qu'une explication 
soit admissible si les raisons données ne résolvent pas la partie la 
plus grave et la plus étendue du problème. » {Conception des per- 
sonnes morales. Rapport présenté au Congrès international de phi- 
losophie tenu à Genève du 4 au 8 septembre 4904, p. 5). 



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LA NOtlOll M PËRSO?<}NALITE MORALB 29 

réglemente échappe à ses prises. Il peut seulement con- 
sidérer certains rapports comme illicites, et les prohiber; 
par là il en empêche indirectement la naissance ; mais 
s'ils naissent malgré sa prohibition, il ne peut que les 
punir, il ne peut les empêcher d'exister (1). Si des parti- 
culiers se réunissent pour affecter à perpétuité certains 
biens à un but qui leur est commun, le législateur peut 
prohiber ce groupement, le faire tomber sous le coup de 
la loi pénale, donner à l'Administration le pouvoir de le 
dissoudre. Il ne dépend pas de lui que les associés aient 
eu en vue autre chose que ce qu'ils ont voulu : Tafifecta- 
tion de certains biens à un but déterminé. S'il considère 
le groupement comme licite, sa tâche doit être de don- 
ner aux rapports créés par lui la formule qui ei^prime le 
plus exactement leur réalité intrinsëquev 

Or la loi est infidèle à cette mission quand elle se 
refuse — arbitrairement, ou uniquement parce qu'elle 
n'a pas de sympathie pour Tobjel, du reste licite, que se 
proposent les associés, — à considérer comme un sujet 
de droit le groupement qui, dans la pensée de ses mem- 
bres, a son avoir propre et des intérêts distincts des inté- 
rêts individuels. Cette manière d'envisager Tassociation 
ne constitue point une fiction. Ce qui est fictif au con- 
traire, ce qui est arbitraire et artificiel, c'est de déclarer 
que les parties restent copropriétaires de Tavoir social, 
alors qu'elles ne veulent pas l'être (2). Voici par exem- 

(1) Cpr. Haupiou, Leçons su?^ le mouvement social, 2* Append., 
p. 461. 

(2) M. Vauthier, Etudes sur les personnes morales, p. 385, oppo- 
sant lune à Tautre, la conception de Vuntversitas romaine, et 
notre théorie actuelle des associations non personnifiées déclare 
que la première était plus profonde et plus juste : « Les grands 
légistes de Tancienne Rome avaient admis qu'un certain nombre 



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3Ô CttAPITRE PtlEMlEA 

pie, dans notre régime antérieur à la loi dii 1*^' juil- 
let 1901 (1), une société savante approuvée par le 
Préfet (ce qui la mettait en règle avec les lois sur les 
associations), mais non reconnue comme établissement 
d'utilité publique. Celte société a un budget, formé 
principalement ou exclusivement des cotisations de ses 
membres. A qui appartiennent les fonds qui y figurent ? 
Les associés ne les considèrent point comme leur pro- 
priété ; il ont eu en vue de les affecter définitivement à 
leur œuvre collective. S'ils ont fait sur ces fonds quel- 
ques économies, et s'ils cherchent à les placer, les voici 
obligés de prendre un détour. Acheter un titre de rente 
ou des obligations de chemins de fer au nom de l'asso- 
ciation, c'est impossible en droit ; celle-ci n'existe pas. 
Les acheter au nom de chaque associé individuellement, 
et en faire leur copropriété, c'est impossible en fait ; ils 
sont trop nombreux; et puis cela est plein de dangers 
pour l'avenir, et ne répond point au but qu'ils se propo- 
sent. Que feront-ils donc le plus souvent ? C'est un 
membre de l'association qui achètera les titres en son 
nom, et qui en restera le dépositaire; l'associatioja ne 
paraîtra point, ce sera son trésorier qui sera titulaire du 

d'individus, en confondant leurs intérêts, en réunissant leurs volon- 
tés, constituent par cela seul un groupe capable de faire valoir ses 
droits (Remarquons en passant que ce point est contesté ; nous ne 
pouvons l'examiner incidemment). A cette conception nous en 
opposons une autre, selon laquelle une association d'êtres humains 
reste une agglomération informe et impuissante, à moins qu'un 
décret de l'autorité ne l'appelle à l'existence juridique ». M. Vau- 
thier considère cette dernière conception comme rendue nécessaire 
par un motif politique (la crainte des empiétements de TËglise), 
mais comme juridiquement inférieure à l'autre. 

(1) La loi du i^^ juillet 1901 échappe en partie aux reproches 
que nous adressons ici à la législation antérieure. Y. infrày ch. IV. 



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La NOtlON DE PERSONNALITE MORALE 31 

droit, sauf à lui en tenir compte. Et sans doute elle 
peut vivre sous ce régime, vivre d'une vie précaire et 
toujours menacée. Mais n'est-ce pas là que se trouve la 
fiction, et non pas dans Fidée que l'association elle- 
même est propriétaire? (1) 

Que Ton suppose maintenant cette association sollici- 
tant et obtenant, après une certaine durée d'existence, la 
qualité d'établissement d'utilité publique. Qu'y a-t-il de 
changé dans sa situation ? Les parties ont simplement 
obtenu qu'on réglât leurs relations conformément au but 
qu'elles se proposaient. Ce but n'a pas changé ; les 
moyens employés non plus ; les membres sont restés les 
mêmes ; les statuts n'ont pas été modifiés ; c'est bien la 

(1) C'est cependant cette pratique régularisée et admise comme 
un droit, qui a permis aux Anglais de développer sous le nom de 
trust des œuvres désintéressées très importantes. V. l'art, précité 
de M. Maitland, dans GrûnhuVs Zeitschrif, 1904 (t. 32), notam- 
ment, p. 42 et suiv. Nous ne nions pas que ce ne soit chose possi- 
ble ; mais nous croyons que c'est une traduction juridique peu 
exacte de la réalité, et que ce système compliqué ne se serait 
jamais implanté si l'idée plus simple de personnalité morale n'avait 
pas trouvé devant elle des obstacles artificiels. Il est à remarquer 
d'ailleurs que ce régime est en fait rapproché par la pratique an- 
glaise de celui de la personnalité morale, puisque la destination des 
biens est énergiquement protégée par voie indirecte. M. Maitland 
lui-même montre mieux que tout autre que, si ce régime a pu per- 
mettre de vivre à des associations considérables (Inns of Courts, 
Jockey Club, Bourse de Londres), qui n'ont pas éprouvé le besoin 
de se faire incorporer, ou qui même ont redouté Tincorporation 
(grâce à laquelle elles auraient eu la qualité de personnes morales), 
il constitue cependant un régime très artificiel. En réalité il n'a 
pu se développer que grâce à la bonne volonté des juges anglais 
qui ont toujours refusé de regarder ce qu'il y avait sous Venve* 
loppe ou derrière le rempart du trust ; et il faut porter la réus- 
site du système au compte de Tesprit libéral de la race anglo- 
saxonne. 



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32 CHAPlTftE PREMIER 

mèrae individualité juridique, qui était resiée jusqu^alors 
à Tétat latent, et qui obtient désormais sa place au 
soleil. Elle est si peu créée par la loi que la jurispru- 
dence, interprète de la loi, exige pour la reconnaître 
qu'elle ait déjà un certain temps d'existence (1), et que, 
même pendant cette période embryonnaire, on a été 
impuissant à lui créer un régime juridique dans lequel 
ridée de personnalité n'apparaisse pas par quelque 
côté (2). 

(1) On sait qu'en principe la jurisprudence du Conseil d'Etat 
n'admet la reconnaissance d'utilité publique que lorsque rétablis* 
sèment qui la sollicite justifie des ressources nécessaires et a déjà 
fonctionné en fait pendant une durée de trois ans. Elle n'admet 
d'exceptions à cette règle que dans certains cas qui lui paraissent 
particulièrement dignes de faveur (V. les notes de jurisprudence 
administrative du Conseil d'Etat publiés par MM. Rajnaud et 
Lagrange, 1899, p. 175 et 184). 

(2) Pour certaines associations non reconnues mais qui ont un 
but d'intérêt général (sociétés de tir, sociétés de courses, comices 
agricoles, associations protectrices de l'enfance), la jurisprudence 
avait fini par reconnaître l'existence d'une sorte de demi-person- 
nalité, qu'elle qualifiait d'individualité juridique, et qui leur per- 
mettait du moins d'ester en justice. Y. note sous Cass., 30 janvier 
1878. S. 78. 1. 21.. et Cass.. 25 mai 1887. D. 87. 1. 289. S. 88,1. 162. 
V. aussi Tissier, Dons et legs, n<>42. La Gourde Dijon avait appli- 
qué ^ette doctrine à une association de pécheurs à la ligne, ce qui 
marquait une tendance, sinon à généraliser la solution, du moins à 
admettre facilement qu'il existait un but d'intérêt général (Dijon 
15 mars 1899. D. 99. 2. 200. V. aussi Besançon, 29 mars 1899. D. 

1900, 2. 40i, note de M. Planiol. Tribunal de Narbonne, 3 janvier 

1901. iîeyMe des sociétés, 1901, p. 289 (applique cette doctrine à un 
cercle). Il semble que la différence pratique entre cette individua- 
lité et la personnalité ne consistait guère que dans l'impossibilité 
de recevoir des dons et legs. Au reste la jurisprudence n'a jamais 
admis l'extension de cette individualité à toutes les associations. 
V.Limoges, 22 janvier 1900.D 1902.2,422.— Même pour les associa- 
tions ne jouissant pas de cette faveur et notamment pour les con- 
grégations religieuses, la jurisprudence a souvent admis l'existence 



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•.r-s.> 



LÀ NOTION DE PERSONNALITE MORALE 33 

14. Aussi, il suffit du regard le plus superficiel jelé sur 
rhistoire, pour se rendre compte que Texislence des 
personnes morales a toujours échappé aux prises du 
législateur. Il a pu les méconnaître temporairement, 
refuser d'en tenir compte, les poursuivre même comme 
des ennemies. Jamais il n'a pu les faire disparaître 
d'une manière absolue. Invinciblement elles revenaient 
à la vie, parce qu'elles correspondaient à un besoin de 
l'étal social. 11 est vraiment étonnant que celle leçon 
d'histoire ait été «si mal comprise, et qu'on l'ait même 
parfois interprétée à rebours. Un auteur, avant de 
raconter, dans un ouvrage d'ailleurs très remarquable, 
la destruction de tous les corps et communautés par nos 
Assemblées révolutionnaires, fait l'observation suivante: 
« Cette page de notre histoire comporte un enseigne- 
ment : elle montre combien Texistence des personnes 
morales est artificielle et contingente, puisque le jour 
où elle cesse de paraître utile et où elle pourrait devenir 
dangereuse, l'Etat les anéantit et s'empare de leurs 
biens » (1). On dirait vraiment que ces lignes ont été 

d'une société de fait dont Texistence produit certains effets juri- 
diques. Par exemple l'associé qui a acquis pour le compte de l'as- 
sociation, ni ses héritiers, ne peuvent revendiquer le bien acquis 
comme leur appartenant en propre. Req. l'r juin 1869. D. 69. 4. 
313. — Civ. Gass., 30 mai 1870. D. 70. 1.277. —Montpellier, 
17 avril 1893. D. 94. 2. 329. — Les libéralités qui sont faites aux 
membres sont annulées comme faites à la congrégation par per- 
sonne interposée, ce qui suppose l'existence latente d'une person- 
nalité morale, etc. (v. la critique de ce système dans la note 
de M. Beudant. D. 79. 2. 225; mais le système qu'il y subs- 
. tilue n'échappe pas lui-même à tout reproche de ce genre). — 
Enfin la loi reconnaît depuis longtemps l'existence des congréga- 
tions au point de vue fiscaL\. p. ex. Req. 21 nov. 1898. D. 99. 1.41. 
(2) Tissier, Dons et legs, n^ 18. 

MICHOUD 3 



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^3i CHAPITRE PREMIER 

écrites en Tan III, au momenl où la Révolution venait 
d'achever son œuvre de destruction. Même à celte date, 
elles eussent été inexactes, car la personnalité des com- 
munes tout au moins avait résisté à l'épreuve. Ecrites 
deux ans plus tard elles eussent déjà reçu des événe- 
ments un démenti complet, car le législateur avait déjà 
rappelé à la vie quelques-unes des personnes qu'il avait 
essayé de supprimer (i). Et comment ne pas voir que le 
xix*" siècle a reconstitué autant de[personnes juridiques, 
et plus sans doute, que la Révolution n'en avait 
détruit? L'œuvre du législateur a été inefficace parce 
qu'il n'a pas eu conscience de son vrai rôle. Tout- 
puissant en la forme, il est toujours obligé de revenir 
tôt ou tard à une saine interprétation des rapports 
sociaux, quand il s'est trompé sur leur compte. 

15. Nous ne voulons pas dire par là, bien entendu, 
que le législateur soit obligé de reconnaître la person- 
nalité morale à tout groupement qui a la prétention de 
l'obtenir. Nous admettons d'abord, ce qui est l'évidence 
même, qu'il est compétent pour déclarer le groupement 
illicite, et qu'il peut dans ce cas user des moyens qui 
sont en son pouvoir pour l'empêcher de se former. 
Nous admettons aussi qu'il peut, même en considérant 
le groupement comme licite, refuser de lui reconnaître la 
personnalité, à litre de mesure de police, afin de l'em- 
pêcher d'arriver à un développement qui pourrait deve- 
nir un danger pour l'ordre public. Nous croyons que de 
sa part cette mesure n'est ni très digne, ni très fran- 

(1) Loi du 16 vendémiaire an V, et du 29 pluviôse an V, pres- 
crivant que les hospices reprendraient la propriété de leurs biens 
non vendus, et réorganisant leurs commissions administratives. — 
Loi du 7 frimaire an V, créant les bureaux de bienfaisance. 



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La notion de pëusonn alité morale 3S 

che (i) ; mais elle ne dépasse pas ses pouvoirs; et il est 
possible que dians certains cas elle constitue une demi- 
mesure assez opportune. Ce que nous demandons, c'est 
que le législateur se rende bien compte de la qualité en 
laquelle il agit. £n faisant cela, il ne remplit plus sa 
mission normale d'interprète du droit ; il intervient à 
titre de pouvoir de police pour empêcher, pour gêner 
tout au moins Tune des manifestations de la vie sociale, 
et non pour l'interpréter. 

Nous devons ajouter que TElat n'a pas seulement dans 
les sociétés humaines le rôle de législateur. ïi est lui- 
même, comme nous Pavons dit plus haut, une personne 
morale ayant à la fois des droits publics et des droits 
privés. Comme tel, il peut avoir dans la naissance de la 
personne morale un rôle plus actif que celui dont nous 
venons de parler. Comme législateur, il se borne à la 
reconnaître. Comme personne morale déjà existante, il 
peut participer à sa création soit en jouant à son égard 
le rôle de fondateur (c^est ce qu'il fait quand il crée un 
établissement public), soit en entrant lui-même à titre 
d'associé dans le groupement qui la constitue. D'autre 
part, étant chargé des intérêts généraux de la société, 
l'Etat peut provoquer entre les particuliers la formation 
de ce groupement ; il peut le faire, soit par voie d'encou- 
ragem.ent, soit au besoin par voie de contrainte. Mais 

(1) Cpr. Dans le mAme sens la note de M.Lyon-Caen dans Sirey^ 
95. 1. 65. — Hauriou, Droit administratif, p. 124, et Leçons sur 
le mouvement social, p. 461. — Cette manière de voir n'exclut pas 
la possibilité d'établir certaines limitations de capacité à rencon- 
tre des associations dont le développement exagéré pourrait deve- 
nir dangereux. V. d'ailleurs infrà, nos 56 et s., où se trouve 
un exposé plus complet de ce que doit être» suivant nous» le rôle 
de rstat en cette matière. 



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36 CHAPITIIE PREMIER 

ces divers modes de son activité ne doivent pas être 
confondus avec la mission qui lui incombe lorsqu'il se 
trouve en présence d'un groupement formé en dehors 
de lui. Dans ce dernier cas, il doit en principe se bor- 
ner à donner aux fails leur inlerprétaiion juridique, et 
les mesures de prohibition qu'il peut introduire dans 
la loi doivent toujours se justifier par des motifs spé- 
ciaux. 

Nous dirons donc volontiers, avec un économiste, et 
comme conclusion pratique des observations précé- 
dentes : « Au lieu de se demander : la loi doit-elle 
reconnaître aux corporations le droit de posséder : il 
faut au contraire se demander : y a-t-il des raisons 
impérieuses pour que la loi restreigne ou même annule 
ce droit de posséder collectivement ? » (1). La question 
ainsi posée reste entière et nous réservons au législa- 
teur tous ses droits. Mais nous ne voulons pas qu'on 
renverse la question et qu'on présente comme le droit 
commun ce qui n'est que l'exercice, exceptionnel de sa 
nature^ d'un pouvoir de police ; 

15 bis 4^ Signalons encore un point, d'importance capi- 
tale, sur lequel le vice du système de la fiction se montre 
à découvert par les conséquences auxquelles il conduit. 
Dans ce système, la personne morale, unité idéale et fic- 
tive, est absolument indépendante des personnes physi- 
ques qui la manifestent à l'extérieur. Non seulement elle 
est quelque chose de plus que la collection de ces per- 
sonnes (idée que tout le monde doit admettre, bien que 
certains systèmes ne lui fassent pas suffisamment sa 

(1) Opinion exprimée par M. Horn, à la Société d'économie poli- 
tique en 1861 . — Journal des Economistes y t. XXX, 1861, p 469 et 
suiv. 



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LA NOTION DE PERSONNALITE MORALE 37 

part), mais elle est placée en quelque sorte en dehors de 
ces personnes, et celles-ci sont traitées comme lui étant 
tout à fait étrangères. Dans les rapports juridiques qu'ils 
peuvent avoir avec elle, ses membres sont donc des tiers. 
Ont-ils droit à jouir personnellement d'une part de ses 
biens, à recueillir certains fruits sur les immeubles qui 
lui appartiennent? On traitera leur droit comme un 
droit sur la chose d'aulrui. Sont-ils tenus envers elle à 
certaines prestations? On ne fera pas de différence entre 
celles qu'ils doivent en tant que membres du groupe et 
celles que doivent des tiers, ou qu'eux-mêmes peuvent 
devoir pour d'autres motifs. Agissent-ils au nom du 
groupe? On les traitera comme s'ils représentaient un 
tiers, et on comparera là personne morale à un pupille 
représenté par son tuteur. La. personne morale pourra 
disparaître sans leur volonté, et continuer de vivre mal- 
gré leur volonté contraire ; si elle disparaît, on les con- 
sidérera comme absolument étrangers aux biens qu'elle 
laisse, ceux-ci seront regardés comme vacants. Toutes 
ces conséquences découlent naturellement du système 
de la fiction. Elles sont cependant, pour une bonne pari, 
si contraires à la réalité, que sur beaucoup de points la 
pratique a dû les abandonner (1). C'est qu'en faisant 

(1) Ex. : On admet très généralement en France la personnalité 
des sociétés de commerce ; elle n'est plus contestée en pratique. 
On est bien obligé pourtant de ne pas considérer comme vacant le 
patrimoine de la société quand celle ci disparaît.Comment justifier, 
du point de vue de la fiction, le partage des biens entre les asso« 
ciés ? 

Les droits des habitants sur les biens communaux, p. ex. les 
droits d'affouage ne peuvent du point de vue de la fiction être con- 
sidérés que comme des droits sur la chose d'autrui. Mais l'idée est 
si manifestement insuffisante que beaucoup d'auteurs l'ont aban- 
donnée (V. Rep. Dalloz, Vo Forêts, n» 1765). 



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38 CHAPITRE PRBMIBR 

ainsi abstraction des personnes physiques qui composent 
la personne morale, on oublie l'élément principal du 
problème et on le simplifie outre mesure. Aucune per- 
sonne morale ne se conçoit sans les membres physiques 
qui forment en quelque sorte son corps. On doit donc 
chercher une théorie qui maintienne Tunité de la per- 
sonne morale, mais sans perdre de vue que c'est une 
unité complexe, et que les personnes physiques qui la 
composent ne sont pas pour elle des tiers. Elle est une 
unité, mais elle est aussi une collectivité ; et on en aura 
une idée insuffisante si on se borne à l'envisager au pre- 
mier point de vue (1). 

Ce n'est point encore ici le lieu d'essayer une cons- 
truction juridique qui concilie les deux idées : notre but 
dans les explications précédentes était uniquement de 



La jurisprudence a mdmis la responsabilité de la personne 
morale pour la faute de ses représentants beaucoup plus largenoent 
que ne le comporterait la théorie normale de la représentation 
d'une personne par une autre (V. notre article sur la Responsabi- 
lité de VEtat, Revue du, Droit public y n^ de mai-juin i895, t. IIÏ, 
p. 408 et suiv.). 

Enfin nous croyons qu'en droit public il est impossible de se 
rendre un compte exact des rapports entre l'individu et l'Etat si on 
les traite comme deux tiers absolument étrangers l'un à l'autre. 
Mais cette idée est trop complexe pour que nous puissions ici la 
développer incidemment. C'est seulement dans la seconde partie de 
cet ouvrage, en étudiant la vie intérieure des personnes morales, 
que nous pourrons insister sur ces divers points. 

(1) C'est un des mérites de l'école dite germaniste (dont nous 
sommes loin, comme on le verra,d'accepter toutes Içs conclusions), 
d'avoir insisté sur ces idées. V. Gierke, Crenossenschafts théorie ^ 
notamment p. 174 et suiv., et Preuss. Gemeindes Staat Reich., 
p. 166 et suiv. Nous nous réservons de discuter plus tard leur point 
de vue. 



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LA NOTION DE PERSONNALITÉ MORALE S9 

montrer Tinsoffisance pratique du système de la fiction. 
Nous verrons plus loin comment on doit y suppléer. 

II 

16. Si l'on rejette.ce système, et si on conserve comme 
point de départ l'axiome que Thomme seul est une per- 
sonne, on est amené à nier complètement Texistence et 
la nécessité des personnes morales. Pour expliquer la 
situation juridique des biens qui forment leur patrimoine 
et des droits qui sont exercés par leurs représentants, il 
reste deux voies ouvertes : on peut considérer ces biens 
et ces droits comme n'appartenant à personne ; on peut 
les considérer comme appartenant aux individus qui 
composent Têlre moral. 

17. 1"* La première voie est celle où se sont engagés, 
à la suite de Brinz et de Bekker (1), les partisans de la 
théorie des droits sans sujet. Les Romains, nous dit 
Brinz (2), ne disent point : La cité est une personne, mais 
seulement : là cité tient laplace^ d'une personne avouant 
par là qu'elle n'en est pas une. Dans leur division des 
personnes, il n'y a ni personne morale, ni personne ficr 
tive, mais uniquement des hommes, c'est seulement 
dans leur division des choses que nous voyons appa- 

(4) Brinz, Pandekten, % 59 et suiv. § 432 et suiv. (3e éd., t. I, 
p. 222 et suiv. t. IIÏ, p. 453 et suiv.) ; Bekker. Zum Lehre von 
Rechtssubject, dans Jahrbûcher fur die Dogmatik [1873] t. XII, 
p. 1 et suiv. ; Demelius, Jahrb. fur Dogmatik, t. IV, p. 113 et 
suiv. Parmi les auteurs plus récents, on peut citer coname se ratta- 
chant presque entièrement à cette théorie. Rumelin, Methodisches 
ûber juristische Personen {Prog, zur Feier des Geburtsfestes 
des Grossherzoges Friedrichs . Fribourg-en-Br., 1891). 

(2) Op. cit., t. I, p. 224 (§ 60). 



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40 CHAPITRE PREMIER 

ratlre ce que nous appelons aujourd'hui les personnes 
juridiques. Les Romains ne procèdent donc pas en créant 
une seconde catégorie de personnes; ils se bornent à dire 
que certaines choses, bien que soumises au droit n'appar- 
tiennent cependant à personne, sont res nullius. Les 
modifications que les modernes ont introduites dans 
cette conception ne sont nullement un progrès, car dire 
que l'Etat et les Villes sont des personnes, cela est bien 
permis à la fantaisie, mais non à la science. Les moder- 
nes n'ont fait en somme qu'introduire dans le langage 
juridique une métaphore populaire ; et c'est ensuite pour 
justifier cette métaphore, qu'ils ont posé l'axiome : sans 
une personne, pas de patrimoine. Ce principe, une fois 
admis, les a entraînés, soit à recourir à la création d'une 
personne fictive, soit à essayer de démontrer la réalité 
de la personne morale. Toutes ces tentatives sont vaines. 
Il n'est pas besoin de se mettre en frais de recherches 
pour trouver la personne. Un bien peut, non pas seule- 
ment appartenir à quelqu'un, mais aussi appartenir à 
quelque chose, à un but, qui n'est pas pour cela une 
personne. Le patrimoine de la personne morale est en 
réalité le patrimoine du but (Zweckvermôgen). Celte idée 
de but se trouve dans les Universitates^ telles que TEtat. 
les Communes et les Corporations, comme elle se trouve 
dans les fondations, et notamment dans les piae causae. 
Seulement dans ces dernières, il est plus visible que le 
patrimoine est dominé exclusivement par le but ; pour 
les premières c'est YUniversitas elle-même, Etat, Com- 
mune ou Corporation, qui forme le but auquel ^le patri- 
moine est affecté. C'est ce but que les conceptions cou- 
rantes ont personnifié, en rattachant la personnification 
à ce qu'il y avait en lui de plus visible ; la Ville, le Dieu> 



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^""^'•i \ * 



LA NOTION DE PERSONNALITÉ MORALE 41 

la Corporation ; et quelquefois en la rattachant au bien 
lui-même : le Temple, TEglise, THôpital, le Fisc. Plus la 
fantaisie s'est donnée sur ce point libre carrière, plus il 
est nécessaire de s'en tenir à la réalité, c'est-à-dire, à la 
notion de patrimoine sans maître, simplement affecté à 
un bnt. 

18 Bekker a rendu cette théorie plus subtile et plus 
fine en creusant, au point de vue philosophique, la notion 
de sujet de droit. On peut, dit-il (1), avoir à l^égard d'un 
droit deux situations acquises très distinctes : la disposi- 
tion et la jouissance (2). La disposition, c'est le droit de 
se comporter en maître, de défendre la chose en justice, 
de l'administrer, elc. ; la jouissance, c'est le droit de 
jouir matériellement des avantages qu'elle procure. Ces 
deux situations sont souvent séparées ; la première ne 
peut appartenir qu'à un être doué de volonlé ; la seconde 
peut appartenir non seulement à un homme incapable de 
vouloir, tel qu'un fou ou un infans, mais même à un 
animal ou à une chose inerte. On peut donc disposer au 
profit d'un animal ou d'une chose, à condition de pour- 
voir à l'administration du bien donné ; car l'animal et la 
chose ne peuvent avoir que la Genuss et non la Verfii- 
gung. Sont-ils de véritables sujets de droit? Bekker 

(1) Op. cit., p. \ et suiv. V. pour la discussion du système de 
Bekker, Bieding, Zur Kritik der juristischen Grundbegriffe, t. II, 
nos 163 et suiv. M. Max Schwab a poussé à son extrême limite 
l'idée émise par Bekker et a soutenu que le sujet du droit était 
celui auquel la loi reconnaissait le droit à la jouissance de l'objet 
(Genuss) (Rechtssubjekt und Nutzbefuffniss.hêAe 1901, p. 41 et s.). 
11 en conclut que l'homme seul est sujet de droit. Pourquoi pas 
l'animal ? Parce que les lois sur la protection des animaux n'ap- 
partiennent pas au droit privé (eod. 1. p. 50). Réponse insufflsante. 

(2) On peut traduire ainsi les mots Genuss et Verfûgung qu'em- 
ploie l'auteur. 



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42 CHAPITRE PREMIER 

déclare que cela importe en somme assez peu et il se 
défend de les personnifier ; il se borne à dire : la chose, 
l'animal peuvent jouir ; et le Droit, dans certaines limi- 
tes, doit admettre les dispositions en leur faveur, bien 
qu'il soit en principe fait pour l'homme, parce qu'au 
fond, ce qu'il protège dans ces dispositions, c'est bien la 
volonté humaine; et celle-ci est dig-ne de protection tou- 
tes les fois qu'elle n'est pas contra bonos mores. 

19. L'objection le plus souvent opposée à ces théo- 
ries, c'est que la notion de droit sans sujet implique 
contradiction. Cette objection est évidemment fondée de 
la part de ceux qui définissent le droit subjectif : un 
pouvoir attribué à une volonté, et qui voient dans l'être 
à qui cette volonté appartient, ou dans la volonté elle- 
même, le véritable sujet du droit. Il est clair qu'avec 
cette définition ce dernier ne peut se concevoir sans une 
volonté dont il dépende, par conséquent sans sujet. Mais 
nous chercherons à démontrer plus loin que la définition 
est incomplète, et que si un droit suppose une volonté 
qui l'exerce, celte volonté n'appartient pas nécessaire- 
ment au sujet. Dans cette opinion l'objection est moins 
évidente; elle subsiste cependant: si le fondement du 
droit n'est pas dans la volonté, il est dans l'intérêt même 
qui est protégé sous le nom de droit subjectif, intérêt 
qui ne peut être qu'un intérêt humain. Dans ce système 
l'existence d'un sujet reste logiquement nécessaire, 
parce qu'un intérêt suppose un intéressé (1). 

Sans insister pour le moment sur ce point (qui ne 

(1) Remarquons que la question n'est pas de savoir si on peut 
concevoir un droit séparé de son sujet, s'il peut en être abstrait 
par la pensée, mais de savoir* s'il peut avoir une existence réelle 
sans un sujet auquel il appartienne. 



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LA NOTION DE PERSONNALITE MORALE 43 

pourra être bien compris que lorsque nous développe- 
rons notre théorie) nous devons faire remarquer dès à 
présent le côté dangereux de la théorie des droits sans 
sujet. M. Vauthier Ta qualifiée d'inquiétante (1), en 
observant que si le droit se rattache à son but, et non à 
l'homme lui-môme, celui-ci pourra être dépossédé au 
profit du but et que c'est là une tendance purement 
socialiste. Ainsi présentée, la critique nous paraît exa- 
gérée. Car les auleurs de la théorie ne prétendent pas 
rappliquer à toute espèce de biens. Elle n'est pour eux 
qu^nne explication juridique des biens appartenant aux 
personnes morales : ils n'y soumettent pas ceux qui 
appartiennent aux personnes physiques. A côté du 
pertinere ad aliquid^ Brinz admet le pertinere ad ait- 
quem ; il ne renonce donc nullement aux droits indivi- 
duels. Le danger de la théorie, bien que plus restreint, 
n'en est pas moins réel. Comme la doctrine de la per- 
sonne fictive, et plus qu'elle encore, parce qu'elle écarte 
le voile qui masquait les conséquences du système, elle 
laisse les droits dont il s'agit (ceux des personnes mora- 
les) dans une situation toute précaire. S'il n'y a pas de 
sujet, d'ayant droit, qui l'Etat trouvera-t-il en face de 
lui pour los défendre ? J'entends bien qu'il y a le but, et. 
que TEtat ne pourra s'emparer des biens qu'à la condi- 
tion de conserver leur affectation. Mais du moment 
qu'aucune personne, autre que lui-même, ne tend à 
atteindre le but, qui l'empêchera d'y renoncer et d'em- 
ployer les biens à tout autre objet? C'est lui dans ce 
système, qui reste le maître souverain de l'affectation ; 
les personnes physiques* qui ont créé le patrimoine de la 

(1) Op, cit., p. 275, note 2. 



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44 CHAPITRE PREMIER 

personne morale, qui l'ont développé, qui ont proposé ce 
but à son activité, sont purement et simplement évin- 
cées, mises de côté comme si elles n'existaient pas. Le 
lien entre le droit et les personnes se trouve rompu. Il y 
a d'un côté des droits sans sujet, un patrimoine sans 
maître, dont TEtat pourra s'emparer sans que personne 
puisse élever une contradiction légitime ; de l'autre une 
corporation sans patrimoine, un ensemble de personnes 
dont l'immixtion dans l'administration des biens ne sera 
tolérée par l'Etat qu'autant qu'il la jugera utile. C'est la 
mainmise de l'Etat sur tous les patrimoines ayant une 
destination supérieure à Tutililé particulière de l'indi- 
vidu : c'est le monopole de TEtat pour tout objet d'utilité 
générale, ou même collective (1). 

20. 2® Les théories dont nous venons de parler ne se 
préoccupent que du droit privé. Dans un ouvrage des 
plus remarquables (2), notre collègue, M. Duguit, a réso- 
lument porté la question sur un terrain plus large, il a 

(i) Remarquons que Tarbitraire de l'Etat, dans ce système est 
absolu. Il peut créer, comme il peut supprimer, les patrimoines 
sans maître par sa seule volonté. II suffît qu'il leur assigne un but, 
et théoriquement ce but peut être aussi étranger que possible à 
tout intérêt humain. Bekker nous parle des droits que Ton peut 
attribuer au chien Tiras et à la chienne Bellone, Rûmelin de ceux 
que Ton peut attribuer au chiffre 1891. Le danger de créations 
pareilles est sans doute pratiquement nul. Mais leur simple possi- 
bilité théorique suffît à faire douter du système. - Au fond d'ail- 
leurs la théorie des droits sans sujet ne fait que substituer à la 
fiction traditionnelle une fiction nouvelle ; car après avoir pro- 
clamé la possibilité de droits sans sujets elle est obligée de ratta- 
cher ses droits à quelque chose^ de les considérer comme appar- 
tenant à ce quelque chose, et ce ne peut être là qu'une fiction. Cpr. 
Bierling, o/>. cil , n^ 168. 

(1) Léon Duguit, Etudes de droit puhliCy l. LÈtat, le droit objec- 
tif et la loi positive. \\, UEtat^ les gouvernements et les agents. 



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LA NOTION DE PERSONNALITE MORALE 4^ 

nié Tutilité de la personnalité morale, et par là nié la 
nécessité de relier les droits à des sujets, tant en droit 
public qu'en droit privé. Sa thèse, qui a déjà rencontré un 
certain nombre d'adhérents (1), et qui laissera certaine- 
ment une trace importante dans notre littérature juridi- 
que, déborde d'ailleurs de beaucoup le cadre de notre 
ouvrage. Elle a sa base en effet dans une philosophie 
générale du droit, que Fauteur fonde sur Tidée de soli- 
darité, et sur- une théorie nouvelle des relations entre 
gouvernants et gouvernés. Il nous est impossible ici de 
la discuter d'une manière complète. Il est cependant 
essentiel de l'apprécier dans ses grandes ligne3. 

Tout ce que l'observation sociale nous révèle, dit 
M. Duguit, c'est, d'une part, Texistence de la solidarité 
sociale, d'oti découle des règles de droit objectif aux- 
quelles tout individu doit se conformer, d'autre part, 
l'existence de volontés individuelles ^ qui ont droit à se 
réaliser quand elles sont conformes à ces règks de droit 
objectif, qui n'y ont aucun droit dans le cas contraire. 
Il est inexact de concevoir suivant la notion courante, 
le droit subjectif comme un rapport entre deux sujets. 
C'est sfmplement un pouvoir appartenant à une volonté 
quand elle est conforme à la règle de droit. Le mot 
droit subjectif doit d'ailleurs être évité et remplacé par le 
terme de situation juridique subjective qui a l'avantage 
de ne pas éveiller l'idée de rapport entre deux sujets. 

Ceci posé, la notion de personnalité morale — 
comme d'ailleurs beaucoup d'autres notions juridiques 
courantes — devient tout à fait inutile. Si la volonté 

(1) Notamment M» Jèze. Les principes généraux du droit ad» 
miniatratif (Extrait de la Revue générale d'administration) y 
1904. 



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46 CfiAPITRfi PREMIER 

des représentants d*un groupe produit des effets plus 
étendus que la volonté d*un individu ordinaire, ce n'est 
pas à raison de la personnalité du groupe, c'est parce 
qu'il est conforme à la règle de droit que ces effets plus 
étendus se produisent. Spécialement, TElat ne doit pas 
être considéré comme une personne morale ; l'envisager 
ainsi, c'est tomber dans Tabstraction et la fiction ; en 
réalité TEtat n'a aucune existence réelle ; il n'existe que 
des gouvernants et des gouvernés, les premiers se dis- 
tinguant des seconds uniquement parce qu'ils sont les 
plus forts. lien résulte que la volonté des gouvernants 
n'a pas, par elle-même, plus de valeur que celle des 
gouvernés; si elle produit des effets plus étendus, c'est 
parce qu'il est conforme à la règle de droit que ces 
effets se produisent : cette volonté, étant déterminée par 
un but social, doit produire des efï'ets sociaux, et par 
exemple engager dans l'avenir non seulement la per- 
sonne même qui Ta manifestée niais encore ceux qui la 
remplaceront dans ses fonctions. Le pouvoir d'imposer 
cette volonté par contrainte s'explique encore plus sim- 
plement sans qu'il soit besoin de recourir à la notion 
de souveraineté appartenante une personne morale ; ce 
pouvoir n'est qu'un pouvoir de fait^ résultant de ce que 
les gouvernants sont les plus forts ; iln^est légitime que 
lorsqu'il agit conforménnent au droit objectif. 

21. Sans discuter à fond les idées fondamentales de 
cette théorie, ce qui nous conduirait à présenter, à 
l'exemple de l'auteur, toute une philosophie du droit, 
nous nous bornerons à indiquer deux points sur lesquels 
elle nous paraît inacceptable. Nous ferons observer tout 
d^abord qu'elle a pour point de départ le désir avoué de 
bapnir du droit tout ce qui est fiction ou abstraction et 



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La NOtlOM DE t'ERSONNALlTÉ MORAtti 4Ï 

de? s'en tenir à la simple observation des faits. L'auteur 
ne cesse de revenir sur celte idée, et s'il rejette la 
notion de personnalité, ce n'est pas tant parce qu'il la 
juge inutile, que parce qu'il la juge artificielle : « Nous 
croyons naïvement, dit-il (1), que c'est un roi^ un 
empereur, un parlement, une majorité, qui veulent et 
commandent. Erreur I les faits ne sont rien ; les juristes 
sont au-dessus d'eux, ils n'ont point à en tenir compte ; 
ils vivent dans un monde qui leur est propre, dans une 
sphère inaccessible aux profanes ; le monde extérieur 
n'est rien ; les juristes ne connaissent que le monde des 
juristes.... Essayons donc de nous débarrasser une* fois 
pour toutes de ces fantômes, de ces abstractions, de 
prendre les choses comme elles sont, et de voir ensuite 
quelles conséquences juridiques on peut et on doit en 
tirer. Adoptons les théories juridiques aux faits et non 
pas les faits aux théories juridiques ». 

Nous ne croyons pas nous tromper en croyant que le 
livre de M. Dugult est en grande partie inspiré directe- 
ment par celte devise, et en ajoutant que le succès de 
ses idées lui est dû pour une grosse part. Et en vérité 
c'est une tendance très louable que de chercher dans nos 
théories juridiques à diminuer la pari d'abstraction et 
de fiction, et à serrer d'aussi près que possible la réa- 
lité. Mais il importe de/se rendre compte que l'abstrac- 
tion ne disparaîtrajamais de notre science : une théorie 
juridique ne peut pas ne pas abstraire, c'est de son 
eesence même. Une théorie juridique est un produit de 
noire esprit, par laquelle nous cherchons à classer les 
faits de la vie réelle, pour déterminer à quelle règle 

(l)T.l, p. 240.241. 



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48 CHAPITRE PREMIER 

générale ils seront soumis. Or, pour cela, nous sommes 
bien obligés d'employer des formules abstraites, saisis- 
sant dans les faits les caractères généraux qui les 
rapprochent et permettent de Tes grouper. Ce sont ces 
caractères communs qui nous fournissent les concepts 
juridiques, tels que ceux de personne, de droit sub- 
jectif, d'obligation, etc., sur lesquels nous opérons (1)/ 

Il serait facile de démontrer que M. Duguit n'échappe 
pas plus qu'un autre à cette nécessité. A la notion 
d'Etat, par exemple, il substitue la notion de gouver- 
nants et de gouvernés. C'est là substituer simplement 
une abstraction à une autre abstraction ; car, dans la 
réalité des choses, les gouvernants ne sont pas distincts 
des gouvernés comme il Timagine; nous sommes tous à 
la fois Tun et l'autre, et il faut un effort d'abstraction 
pour nous considérer suivant les cas, tantôt à un point 
de vue, tantôt à l'autre. La vraie question n'est donc 
pas de savoir si l'idée de personnalité morale est une 
abstraction (elle Test certainement, mais pas plus que 
toute autre idée juridique), mais si cette abstraction 
répond mieux aux besoins de la technique juridique 
que celle qu'on propose de lui substituer. 

22. Or, la technique que nous ofiFre M. Duguit nous 
paraît évidemment insuffisante. Elle ramène tous les 
phénomènes de la vie juridique à des actes de volonté 
individuelle subordonnés à une règle de droit, et cette 
conception, en soi, n'est pas inexacte (réserve faite de la 
manière dont l'auteur comprend la règle de droit). Mais 

(1) Ces concepts n'ont aucune existence objective. Ils désignent 
seulement la manière dont notre esprit se représente des rapports 
entre les hommes. Y. Jellioek, Allg» Staats-lehre^ p. 145 et suprà, 



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La NOtlON i)E t>ËRSONNÀLIT£ MORALE 4d 

elle ne permet pas, à elle seule, de dégager les consé- 
quences des faits juridiques. Soit, par exemple, , un 
contrat passé par X... : à la suite de ce .contrat, cer- 
tains actes de volonté de X... vont devenir conformes à 
la règle de droit, alors qu'antérieurement elles ne Tous- 
sent pas été, et inversement. Nous traduisons : X... va 
avoir des droits et des obligations résultant du contrat. 
Comme résultat, toutes les théories sont d accord. Mais 
par quel procédé la théorie de M. Duguit déterminera-t- 
elle quel est le X... qui va avoir ces droits et ces obliga- 
tions ? C'est toujours une personne physique, sans 
doute, qui passe le contrat ; mais une seule et même per- 
sonne physique peut en passer dans mille conditions diver- 
ses : pour elle-même, pour l'Etat dont elle est un agent, 
pour la commune ou le département qu'elle administre, 
pour la société commerciale qu'elle dirige, pour le cer- 
cle ou l'association qu'elle préside, pour le mineur dont 
elle administre les biens, pour le tiers qui lui a donné 
un mandat^ etc.; et toutes les fois qu'elle ne passe 
pas le contrat pour elle-même, ce n'est pas elle qui est 
obligée, mais une série d'autres personnes physiques 
(par exemple les divers représentants successifs de 
l'Etat, de la commune, de l'association). Comment 
déterminera-t-on ces personnes sans recourir à l'idée de 
personnalité, et sans déterminer quel est le suiet de 
droit auquel est imputable le contrat ? M. Duguit se 
contente de nous dire que le contrat produira tous les 
effets voulus par la règle de droit, et nous n'y contredi- 
sons pas, mais nous nous permettons de trouver la 
réponse un peu courte. Sans doute il ne nie pas la con- 
tinuité et Vunité de l'Etat ; mais il ne donne pas à ces 

MIGHOUD 4 



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SO CHAPITRE PREMlEU 

faits leur expression juridique {\)\ il ne construit pas 
une technique du droit qui nous permette de nous orien- 
ter au milieu des phénomènes complexes de la "vie. Il 
nous faut pour cela recourir aux idées de personnalité 
juridique, de représentation, de sujet actif et passif du 

(1) Nous reviendrons plus loin (ci-après, eh. III, § (), sur la 
notion de Vunité de l'Etat pour en montrer Tiraportance, et en 
môme temps pour la défendre contre certaines tentatives de dé- 
membrement qui se sont produites dans la doctrine. En ce qui con- 
cerne la continuité de l'Etat, malgré le changement des personnes 
qui le représentent, la théorie de la personnalité en est aussi la 
seule expression juridique précise. M. Duguit (p. 333) cherche à' 
démontrer que cette idée a sa source dans le droit monarchique 
c'est-à-dire dans le droit d'une époque où l'idée de personnalité 
de TEtat n'était pas encore nettement dégagée. Mais l'ab- 
sence d'une théorie assise sur la personnalité de TEtat a pré* 
cisément eu cette conséquence que la perpétuité de l'Etat n'a été 
reconnue que péniblement, et qu'il a fallu prendre des détours pour 
en introduire les conséquences dans la pratique. Lebret au xviie 
siècle (Souveraineté du roi, L. IV, ch. IX), admet encore que le 
roi n'est point tenu de payer les dettes de son prédécesseur, si ce 
n'est t pour les lois de la charité, de l'équité et de l'honneur m, et 
parce qu'il est tenu dé « décharger la conscience » de ce prédéces- 
seur. On trouve à divers endroits des procédés empiriques cher- 
chant à combler le vide laissé par l'absence de la théorie de la per- 
sonnalité ; p. ex. on fait conflrmer par le prince, d'une manière 
expresse, les actes de son prédécesseur, ou on permet de poursuivre 
les sujets pour les dettes du prince (V.Stobbe, Handbuch des deuts- 
chen Privatrechts,^^ éd. t I,§ 50, notes 2à4).Pour la commune on 
emploie des procédés analogues (eod. l. note 6, et Gierke, Genos- 
senschafUrechty t. II, p. 770 et s.). Combien l'idée de person- 
nalité est à la fois plus simple et plus juste ! M. Duguit explique 
pour son compte la perpétuité de l'Etat (p. 350)en disant que « l'acte 
d'un gouvernant produit des effets durables parce que le but qui le 
détermine se rattache le plus habituellement à un intérêt perma- 
nent et dont la permanence est considérée comme légitime ». 
Sans doute ! Mais c'est précisément ce fait qu'exprime juridique- 
ment la notion d'une personnalité permanente. Gp. ci-dessus, n<* 4 
et ci-dessous, n° 2î9. 



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La NOttON DB PERSONNALITE MORALE 51 

droit, en un mot à une série de théories traditionnelles/ 
que ridée unique du règne du droit objectif ne saurait 
remplacer. 

Assurément on devrait écarter toute cette technique et 
chercher à la remplacer par une autre si elle procédait 
d'une analyse inexacte des faits sociaux. Mais M. Du- 
guit n'a point démontré et ne pouvait pas démontrer 
/cette inexactitude. C'est lui qui donne au contraire une 
analyse incomplëtepu même inexacte sur certains points. 
Nous ne voulons ici insister que sur un seul. 

23. Dans sa théorie le droit de commander disparait. 
L'idée à'imperium n'est qu'une survivance des régimes 
monarchiques (1). Toutes les volontés étant égales entre 
elles, celle des gouvernants n'a pas plus de valeur juri- 
dique que celle des gouvernés, et si les premiers peuvent 
employer la contrainte, c'est uniquement parce qu'en 
fait ils sont les plus forts. Leur contrainte se légitime 
non par un droit de commander qui leur appartiendrait 
en qualité de gouvernants, mais seulement par la con- 
formité à la règle de droit de la volonté qu'il s'agit de 
faire exécuter. M. Duguit ne peut pas soutenir une autre 
thèse, car il lui paraît évident comme à nous que le droit 
de commander ne peut appartenir à un individu en son 
propre nom ; il ne peut donc que faire disparaître Tidée 
de souveraineté. 

Il esf à peine besoin de montrer le danger social d'une 
telle théorie. Elle reconnaît en principe le droit pour 
chacun, non seulement d'examiner la conformité au 
droit de la volonté gouvernante, mais aussi d'employer 

({) V. t. I, p. 336 et s. « En affirmant le droit de commander, 
on ne s'aperçoit pas qu'on ne fait que maintenir les principes de 
la monarchie absolue. . . » 



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èi CHAPITRE PREMIEl^ 

la force — s'il le peut — pour faire prévaloir sur celle 
volonté sa volonlé propre, lorsqu'il la juge plus con- 
forme à la règle de droil. C'est là une Ihéorie propre- 
ment anarchique que nous croyons incompatible avec 
les nécessités sociales. Vneautojnté est nécessaire pour 
proclamer et interpréter le droit ; et il esl nécessaire 
qu'elle puisse imposer sa manière de le comprendre et 
de rinterpréter. — Mais il y a plus : à supposer que 
la règle de droil pût, sans l'intervention d'une autorité, 
être connue et acceptée de tous, la théorie de M. Du- 
guit sérail encore insuffisante. Elle suppose en effet que 
tout ordre des gouvernants peut être conçu comme 
V exécution d'une règle de droit ; en d'autres termes, 
que l'autorité abstraite et impersonnelle du droit suffit 
non seulement pour limiter^ mais pour dicter les actes 
des gouvernants. M. Duguit combat comme une erreur 
ridée que l'Elat peut agir librement, et non point en 
vertu d'une règle supérieure qui l'y contraint : « Cette 
idée est fausse et dangereuse, nous dit-il, tout acte de 
TElat lui est imposé par la règle de droit : il ne peut 
faire que ce que lui impose la règle de droit, et il doit 
faire tout ce qu'elle lui impose » (1). Il est évident que, 
si cela n'est pas admis, le principe d'autorité redevient 
nécessaire pour nous contraindre à obéir aux ordres que 
l'Etat donne librement, dans la limite du droit, mais sans 
avoir pour but d'observer une de ses règles. On com- 
prend que je sois obligé de m'incliner devant la con- 
trainte d'une volonté même égale à la mienne, si elle a 
pour objet de réaliser une règle impérative du droit, non 
devant une contrainte de cette nature^ qui aurait pour 

(1)T. I, p. 305. 



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LA NOTION DE PERSONNALITÉ MORALE 53 

objet de réaliser une décision libre, sans doute conforme 
au droit, mais cependant plus ou moins arbitraire, de 
cette volonté. 

Or il nous semble que l'analyse de M. Duguit est ici 
inacceptable et qu'elle ne traduit nullement la réalité des 
faits. Elle revient à l'ancien système qui fait de TEtat uni- 
quement l'organe du droit, alors qu'en t'ait il commande 
pour d'autres motifs que celui de faire régner le droit : 
pourdéfendre la société qu'il représente contre les atta- 
ques extérieures et intérieures ou, contre les événements 
de la nature (tels qu'épidémies ou inondations) ; pour y 
faire régner la prospérité matérielle et en développer, en 
perfectionner la vie morale, etc. Tout le rôle civilisateur 
de l'Etat est contraire à la théorie d'automatisme juri- 
dique de M. Duguit. Nous voulons bien que l'on rattache 
cette mission civilisatrice à un effort vers une réalisation 
plus complète du droit (1). Mais cet effort nécessite évi- 
demment une série d'actes d'appréciation qui ne sont 
point des actes imposés par une règle de droit, qui sont 
au contraire des actes libres pour lesquels il est impos- 
sible de se passer du droit de commander. On revient 
dès lors à la nécessité d'expliquer ce droit, et nous 
croyons qu'on ne peut le faire qu'en y voyant un droit de 
la collectivité exercé par l'organe qui la représente (2). 

24. 3M1 y a une autre voie pour expliquer Texistence 
des phénomènes habituellement groupés sous le nom de 
personnalité morale, sans donner à la personne morale 
le caractère de réalité. Elle s'écarte de la précédente dans 

. {{) Comme le fait par exemple M. Boistel, Cours de droit natu- 
rel, t. II, nos» 393 et s. 

(i) La discussion de la théorie de M. Duguit sera complétée ci- 
après dans le Gh. III. 



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54 CHAPITRE PREMIER 

un sens diamétralement opposé : au lien de considérer 
les biens comme sans mailre et les droits comme sans 
sujet, el par conséquent de faire abstraction des per- 
sonnes physiques qiii les gèrent ou qui les exercent, on 
les regarde comme appartenant purement et.simplement 
à ces personnes. La personnalité morale devient chose 
inutile, parce que tous les phénomènes que Ton a cou- 
tume d*y rattacher ne sont que des modalités des droits 
des personnes physiques. L'homme seul existe et a des 
droits ; la personnalité des êtres moraux n'est qu'une 
apparence ; une analyse plus profonde permet de mon- 
trer qu'elle ne constitue qu'un vain artifice des juristes, 
une sorte d'échafaudage que Ton peut supprimer quand 
on s'est rendu compte qu^au fond tous les droits qu'il 
soutient appartiennent à des individus. 

L'auteur qui le premier a développé cette thèse est 
M. Van den Heuvel. Après avoir insisté, comme Lau- 
rent, sur le caractère étrange de la fiction qui crée une 
personne, alors que Dieu seul a le pouvoir de faire jaillir 
du néant les personnalités qu'il lui plaît de créer (1), cet 
auteur nous montre que toutes les personnes morales, 
y compris l'Etat, peuvent se ramener à des sociétés ou 
associations (2). Pour prouver que la fiction est inutile, 
il suffit de démontrer que les règles spéciales du contrat 
d'association, pour l'explication desquelles elle a été 
inventée, peuvent se justifier autrement. Or, si Ton exa- 
mine, par exemple^ les règles de la société commerciale, 
la mieux étudiée de toutes les formes de l'association, 

(1) De la situation légale des associations sans but lucratifs 
p. 35. 

(2) Op, cit,, p. 33. L'auteur qui se place ici sur le terrain du 
droit idéal, emploie à peu près indifTëremment les mots société et 
association. 



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LA NOTION DE PEBSONNÀLITÉ MORALE 55 

on constate que tous les effets de la prétendue personna- 
lité civile se ramènent à cette idée que le fonds social 
n'est pas indivis entre les associés, mais est réputé 
appartenir à l'être moral société. De cette idée même on 
tire trois conséquences, qui sont les seuls résultats réels 
de la personnalité civile : 1° le droit des associés est 
considéré comme mobilier même quand la société pos- 
sède des immeubles ; 2° la société ayant pour patri- 
moine propre Taclif social, celui-ci sert de gage aux 
créanciers sociaux, à Texclusion des créanciers person- 
nels des associés (conséquence d'où découlent un certain 
nombre d'autres, notamment l'impossibilité de compen- 
ser les dettes et créances personnelles des associés avec 
les dettes et créances de la société) ; 3^ enfin, dans les 
procès, la société est représentée par son gérant. 

Expliquez ces trois règles sans le secours de la fiction, 
nous dit M. Van den Heuvel, et vous aurez démontré par 
là même que l'idée de personnalité morale est inutile. 
Or, ^u fond rien de plus Facile. La dernière s'explique 
simplement par Tidée de représentation en justice ; elle 
ne contient pas autre chose qu'une dérogation à la vieille 
règle que nul ne plaide par procureur, et cette dérogation 
est, au moins en théorie, et même semble-t-il, au point 
de-vue spécial du droit français, parfaitement admissible. 
Le gérant qui plaide au nom de la société représente en 
réalité les associés eux-mêmes. — Quant à la première 
(caractère mobilier du droit des associés), c'est une règle 
admise par des considérations d'utilité pratique ; on a 
voulu simplement débarrasser les sociétés des entraves 
qu'auraient apportées à la transmission de leurs actions 
les précautions minutieuses dont se trouvent entourées 
les transmissions immobilières. — Reste la seconde, qui 



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56 ^ CHAPITBB PREMIER 

est la plus importante. Mais qu'est-elle autre chose 
qu'une simple séparation des patrimoines, analogue à 
celle qui se produit en d'autres matières sans que jamais 
on ait songé à y introduire l'idée de personnalité? Si je 
contracte une dette, sans poser des conditions particu- 
lières à mon engagement, le créancier aura pour gage 
tous mes biens présents et futurs; mais pourquoi ne 
pourrais-je pas, s'il y consent, restreindre ou augmenter 
son gage? En apportant certains biens dans la société, je 
suis censé les aflFecter spécialement aux obligations que 
je contracterai comme associé. C'est une convention très 
naturelle, pourvu que les tiers en soient suffisamment 
prévenus. La loi en la sanctionnant ne fait qu'appliquer 
le principe de la liberté des conventions, en y ajoutant 
une présomption générale de volonté de la part des 
associés (1). 

Ainsi, les personnes morales ne sont au fond que des 
associations en faveur desquelles la loi a admis, pour 
favoriser leur développement, certaines règles déroga- 
toires au droit commun. Ce sont des associations privi- 
légiées. L'auteur reconnaît que toutes les associations ne 
sont pas soumises à ce régime, et il insiste même à 
diverses reprises sur cette idée, qu'aucune association 
ne peut jouir des faveurs dont il s'agit^ si elles ne lui ont 
pas été accordées par des dispositions spéciales de la 
loi (2). Mais ce régime suffit, suivant lui, à expliquer 

(1) Van den Heuvel, op. cii,, p. 42 et suiv. — M. Marcel Mongin 
{Revue critique, 1890, p. 697), a repris toute cette thèse, en la for- 
mulant plus rigoureusement. Mais cet auteur restreint sa démons- 
tration aux sociétés, et ne prétend pas conclure d'une façon absolue 
à l'inutilité de la personnalité morale. Nous retrouverons plus loin 
ses explications (infrà, nos 66 et suiv). 

(2) Van den Heuvel, op, cit. y p. 63, p. 91 et suiv. 



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LA NOTION DE PERSONNALITE MORALE 57 

toutes les règles applicables aux personnes morales ; 
toutes, même PÉtat et la commune, ne sont autre chose 
que des associations de cette nature (1). Les biens que 
Ton considère comme leur appartenant ne sont en réalité 
que la copropriété de leurs membres ; seulement c'est 
une copropriété soumise à certaines règles particulières. 
25. M. de Vareilles-Sommières, dans le premier ou- 
vrage qu'il a consacré à la théorie de la personnalité 
morale (2) n'allait pas tout à fait jusqu'à la thèse de 
M. Van den Heuvel. Il se bornait à soutenir que les 
associations non douées de personnalité ont le droit de 
posséder, et à leur accorder une situation de fait qui 
ne les éloignait pas beaucoup des associations person- 
nalisées (3). Il admettait encore qu'à côté d'elles le légis- 

(1) 76., p. 38, p. 53. — L'auteur applique également sa thèse 
aux fabriques d'églises qu'il considère comme représentant l'asso- 
ciation des fidèles de la paroisse (p. 54). 

(2) Publié d'abord en 1892 dans la Revue catholique des institu- 
tions et du droit. Paru ensuite en brochure sous ce titre : Le con- 
trat d* association (1893). 

(3) M. Yves Guyot a soutenu dans la Revue politique et parle- 
mentaire (décembre 1898, p. 356 et suiv.) une thèse tout à fait 
analogue à celle qu'admettait au début M. de Vareilles-Sommières. 
Opposant V association contractuelle à V association corporative, 
il propose d'organiser les syndicats professionnels sur le premier 
type, en écartant pour eux la personnalité morale comme inutile 
et dangereuse. Ils constitueraient de simples société civiles non 
douées de personnalité, mais capables de posséder par délégation 
de leurs membres (p. 571). Il ne va pas jusqu'à soutenir que le 
système serait applicable à toutes les personnes morales. Il dit au 
contraire : « La personnalité civile doit être réservée à l'Etat et 
aux communes ». —Le système de l'association purement con- 
tractuelle, non personnalisée, mais pouvant affecter au but de 
l'association des biens appartenant aux associés, a d'ailleurs joué 
un rôle important dans l'élaboration de la loi du l«r juillet 1901. 
C'était le système du projet de loi déposé par M. Waldeck-Rousseau 



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58 CHAPITRE PREMIER 

laieur pouvait établir par fiction des associations de cette 
dernière espèce, et que cette fiction, qui était pour elles 
un « utile ornement », avait pour conséquence de leur 
donner plus de force et de stabilité. Mais depuis lors, 
dans le très remarquable ouvrage qu'a couronné Tlnsti- 
tut (i), il a franchement repris la thèse de M. Van den 
Heuvel en la précisant et en lui donnant des développe- 
ments nouveaux. Pour lui comme pour son prédécesseur 
toutes les personnes morales sont des associations. Les 
droits que la doctrine courante considère comme étant 
ceux de la personne morale sont en r'éalité les droits 
des associés. Ceux-ci sont les vrais co,-propriétaires du 
patrimoine social. Seulement ;ls sont soumis, quant à 
Texercice de leurs droits, à un régime spécial qu'on peut 
appeler le régime personnifiant^ et qui se caractérise par 
les traits suivants: 1^ Un associé ne peut pas, sans le 
consentement de tous (ou ce qui revfent au même sans 
le consentement deTadministrateur fondé de pouvoirs de 
tous) soustraire à la masse commune, par des aliénations, 
sa part dans les objets communs ; 2^ Un associé ne peut 
pas poursuivre ni recevoir séparément le paiement de 
sa part dans le montant d'une créance sociale ; 3*^ Un 
associé ne peut pas être poursuivi isolément soit par 

qui considérait la personnalité civile comme une fiction, et la fai- 
sait dépendre d'une reconnaissance d'utilité publique donnée par 
décret, mais admettait, pour les associations, la possibilité de pos- 
séder en fait les biens dont leurs membres restaient coproprié- 
taires. Le môme système avait inspiré aussi le contre projet de 
l'abbé Lemire, qui l'admettait seulement avec plus de largeur. Ces 
systèmes n'ont pas triomphé. Mais ils peuvent avoir leur impor- 
tance pratique pour expliquer la situation des associations non 
personnalisées (V. infrà, ch. IV). 
(1) Les personnes morales (1902). 



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LÀ NOTION DE PERSONNALITE MORALE 59 

voie judiciaire, soit par voie extrajudiciaire, pour sa 
part dans une dette sociale. Le résultat de ces trois 
règles, c^est que, dans les rapports de rassociation avec 
les iiers, tout se passe comme si les associés ne for- 
maient qu'une personne unique propriétaire du patri- 
moine social. De là pour l'esprit la tentation, d'abord de 
comparer Tassociation à une personne, ensuite, et peu à 
peu, de glisser de la comparaison à la fiction et de décla- 
rer qu'elle est une personne fictive. En réalité, elle n'est 
pas plus une personne fictive qu'une personne réelle ; 
il n'existe en elle pas d'autre personne que les individus 
associés. La fiction de personnalité morale est cependant 
légitime, à condition de bien se rendre compte de ce 
qu'elle est: elle n'est pas Tœuvre du législateur, elle est 
Pœuvre inconsciente de tous. Elle est « la résultante dans 
l'esprit humain d'un régime social... la projection sur 
notre écran intellectuel de l'association soumise au 
régime décrit ». A distance les associés apparaissent 
comme un seul homme, comme une personne unique 
ayant pour tout patrimoine l'avoir social. Cette manière 
de la considérer ne change rien à la nature des choses 
et ne produit aucun effet juridique. Elle a seulement une 
utilité « d'ordre artistique et pédagogique. » — « L'utilité 
de la fiction c'est de peindre et de résumer élégamment 
un état de choses, de lui donner du relief et de la cou- 
leur, de simplifier la description d'une situation com- 
pliquée; c'est d'être un excellent procédé de conception 
et d'exposition ; c^est de rendre des services à la science 
et à renseignement ; c'est d'alléger le langage et même la 
pensée. Telle est l'utilité, toute l'utilité de la personna- 
lité morale » (1). 
(i) Les personnes morales j p. 225, n^ 484. Les explications pré- 



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60 CHAPITRE PREMIER 

La conséquence du système est que la personne mo- 
rale n'est nullement une création législative, mais que 
la situation particulière qui résulte de ce qu'on appelle 
Vulgairement sa personnalité découle du régime même 
auquel les associés se sont soumis. L'auteur applique 
son système à tous les groupements doués de person- 
nalité, depuis TEtat et la commune jusqu'à l'associa- 
tion de droit privé et à la fondation. Il est toutefois 
obligé, pour rester fidèle à son principe de nier délibé- 
rément la personnalité des établissements publics. Pour 
lui, ils ne sont « sauf peut-être quelques rares exceptions, 
que l'Etat, le département, la commune, accomplissant 
une de leurs fonctions avec un rouage spécial et une 
caisse spéciale » (1). 

26. De cette doctrine se rapproche beaucoup celle qui 
a été soutenue par MM. Planiol (2) et Berthélemy (3), 
qui ramènent la personnalité morale à la notion de pa- 
trimoine collectif . Elle n'en diffère que par l'introduction 
de ce mot nouveau, qui lui permet d'opposer plus nette- 
ment Tune à l'autre la copropriété ordinaire et la 
copropriété d'une nature spéciale qui appartient aux 
membres du groupe personnalisé. Mais au fond elle ne 
s'en écarte pas essentiellement, car M. de Vareilles- 
Sommières admet bien, lui aussi, qu'il sagitj non d'une 
copropriété ordinaire^ mais d'une copropriété soumise 
à des règles spéciales. 

cédentes résument la théorie exposée dans les nos 333 à 365 de 
Fouvrage. 

(1) M., p. 667, n» 1542. 

(2) Droit civil, l'e éd. t. 1, p. 259 et s.; 3e éd. p. 977 et s. 
nos 3005 et s. 

(3) Droit administratif, 2« éd. p. 39 et s.; 3e éd. p. 29 et s. 



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La NOtlON DE PERSONNALITÉ MORALE * èi 

D'après M. Planiol, l'idée de personnalité naorale n'est 
autre chose qu'une « conception simple, mais superfi- 
cielle, qui cache aux yeux la persistance, jusqu'à nos 
jours, de* la propriété collective à côté de la propriété 
individuelle » (i). « Nous pouvons, dit de son côté 
M. Berthélemy (2), être, de trois manières, propriétaires 
d'un champ ou d'un troupeau : individuellement, c^est-à- 
dire chacun pour une part divise, pour un nombre déter- 
miné de bêtes ; indivisément, c'est-à-dire chacun pour 
une quote-part du champ ou du troupeau; collective- 
ment, c'est-à-dire à nous tous envisagés comme n'étant 
qu'un ». « Quand je dis, ajoute-t-il, que TEtat est une 
personne morale, je ne veux pas exprimer autre chose 
que ceci : les Français sont collectivement propriétaires 
de biens et titulaires de droits ». M. Planiol insiste d'ail- • 
leurs, à très juste titre, sur la nécessité d'admettre, pour 
la gestion des patrimoines collectifs, un régime spécial, 
ayant comme caractère principal d'être un régime uni- 
taire, c'est-à-dire de soustraire le patrimoine collectif 
aux volontés individuelles des membres^ ce qui le diffé- 
rencie nettement du patrimoine possédé à Tétat d'indivi- 
sion (3). 

27. Ces théories qui ont pris en France un si grand 
développement, se trouvaient déjà comme en germe 
dans l'explication que Ihering avait esquissée plutôt que 
développée dans V Esprit du droit romain (4). Pour lui 

(i) Plaûiol, op. oit,, Ire éd. n» 675.; cpr. dans la 3e éd., nos 3007 
et 3017. 

(2) Berthélemy, op. cit., 2e éd. p. 43.; 3e éd. p. 32. 

(3) Planiol, ire éd., nos 723 et s. 

(4) Trad. Meulenaere, t. IV, p. 430. Les ouvrages de M. Max 
Schwabe (Die juristische Person and das Mitgliedschaftssecht, 
Bâle 1900. Rechtssubjekt und Nutsbefugniss, Bàle 1901. Die 



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?7**- 



62 CHAPITHB PHEMIEft 

déjà, les véritables sujets de droit dans là personne 
morale, c'étaient les individus isolés : ^c La personne 
juridique comme telle est incapable de jouir, elle n'a ni 
intérêt, ni but; elle ne peut donc avoir de droits que là 
où ils atteignent leur destination, c'est-à-dire là où ils 
peuvent être utiles à leurs ayants droit. Un droit qui 
ne peut jamais atteindre ce but est une chimère inconci- 
liable avec ridée fondamentale du principe du droit. 
Pareille anomalie ne peut exister qu'en apparence : le 
sujet apparent du droit cache le véritable... Non, les 
véritables sujets du droit, ce ne sont point les personnes 
juridiques conîrae telles, ce sont leurs membres isolés. 
Celles-là ne sont autre chose que la forme spéciale dans 
laquelle ceux-ci manifestent leurs rapports juridiques 
avec le monde extérieur ». Le principe ainsi formulé 
s'applique sans peine aux associations ; pour elles, les 
véritables ayants droit, ce sont les associés. Quant aux 
fondations, Ihering admet comme étant les sujets du 
droit les destinataires de la fondation^ c'est-à-dire les 
malades, orphelins, indigents, etc., qui profitent en fait 
des biens à elle affectés (1). 

28. Nous faisons à toutes ces théories une première 

Korperschaft mit und ohne Personlichkeit, Bâle 1904), se rat- 
tachent aux théories que nous venons d'analyser. 

(i) Dans un autre passage du même ouvrage (t. III, p. 56-57), 
Ihering explique que la personne morale n'est au moins pour le 
droit privé qu'un instrument technique destiné à corriger le man- 
que de détermination des sujets. — Ailleurs, p. 72, il considère 
l'application de la notion de personne aux êtres juridiques comme 
V extension artificielle d'une notion naturelle^ procédé qu'il juge 
proche de la fiction. — Ihering n'est donc pas aussi radical que 
les auteurs français dont les doctrines ont été analysées dans les 
précédents numéros. Il admet bien l'utilité technique de l'idée de 
personnalité morale et même sa nécessité. 



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■TTppf/ 



LA NOTION ÙE t^ERSONNALITS MORALB 63 

objection que nous avons déjà adressée & la théorie de la 
fiction et qui, d'après nous, est fondamentale : ce sont des 
théories de pur droit privé, qui n'expliquent en rien 
Yexistence, Vunité et la perpétuité des personnes mora- 
les de droit public. Dans la personne morale, elles ne 
voient jamais qu'un patrimoine. Alors même donc 
qu'elles seraient suffisantes pour expliquer la situation 
juridique des associations de droit privé, elles sont^ 
comme la théorie de la fiction, impuissantes à expliquer 
l'Etat. M. Van den Heuvel s'élève quelque part, et à très 
juste titre, contre l'idée de considérer l'Etat comme une 
fiction. Il n'est pas plus exact de le considérer comme un 
gigantesque contrat d'association dans leqtiel les parti- 
culiers ont mis en commun certains biens afin de les 
soustraire à l'action de leurs créanciers personnels et de 
les soumettre à une gestion unique. « Qui donc, dit très 
bien M. Capilant (1), définirait l'Etat : une masse de 
biens qui appartiennent à tous les nationaux? » Sans 
doute les auteurs de ces systèmes ne disent pas que 
l'Etat ne soit que cela; mais dans sa vie juridique ils 
séparent arbitrairement le côté patrimonial de tout le 
reste; alors que le patrimoine n'est pour lui qu'un moyen 
pour atteindre des fins supérieures, ils en font le seul 
élément de la personnalité (ou de ce qu'on entend d'ordi- 
naire sous ce mot). M. Planiol va jusqu'à dire que les 
prétendues personnes morales n'en sont pas, même 
d'une manière fictive, mais sont des choses (2) ; et il 
insiste sur cette idée qu'un groupement quelconque ne 

(i) Introd, à U étude du droit civil, 2° éd., p. 170. 

(2) Droit civil, l^e éd., n^.675. Dans sa 3^ éd., M. Planiol, con- 
séquent avec sa doctrine, classe l'étude des personnes morales dans 
la partie de son ouvi:age consacrée à Tétude des biens. 



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Il 



64 CttA.Pl1*Rfi t^REMlEtt 

peut avoir ce qu'on est convenu d'appeler la personnalité 
que parce qu'il a des biens^ en sorte que « personnalité » 
est synonyme de « masse de biens ». M. de Vareilles- 
Sommiëres revient également à plusieurs reprises sur 
ridée qu'une association qui n'a pas^ de biens n'est pas 
personnifiable, et il en donne même cette explication 
vraiment curieuse qu'une association qui n'a pas de 
biens « n'a pas de rapports avec les tiers » (1). Cela seul 
suffit à montrer jusqu'à quel point, dans l'esprit de ces 
auteurs, l'idée de personnalité est restreinte au domaine 
du droit privé. M. Berthélemy, de son côté, dans un pas- 
sage que nous discuterons plus loin (2), se déclare l'ad- 
versaire de toute personnification de TEtat puissance 
publique. En cela il ne fait que suivre la pente de sa 
théorie, qui ne lui permet pas d'envisager dans son unité 
indivisible la personnalité de TEtat ; et c'est là pour nous 
un vice irrémédiable de cette théorie comme de toutes 
celles qui lui sont analogues. 

29. Ce n'est pas le seul. Même en la restreignant au 
domaine du droit privé, l'explicalion nous paraît insuffi- 
sante parce qu'elle est en partie inexacte. Sans doute 
nous croyons, avec ces systèmes, que les membres delà 
personne morale ne sont pas, pour elle ni pour son patri- 
moine, des tiei's^ comme ils le sont dans le système de la 
fiction. Par cela seul qu'il s'agit d'une personne collective 
nous ne devrons pas faire dans nos théories abstraction 
des personnes qui la composent. Mais de là à considérer 
le patrimoine de l'être moral comme étant la propriété 
des membres (sous une forme ou sous une autre) il y a 

(1) V. Personnes morales, nos 1105 et s., 1125 et s. ' 

(2) V. ci-après, ch. III. 



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tÀ Notion bË pèrsoNNalîtë mouale 6â 

loin. A la différence de la théorie de la fiction qui ne voit 
que le groupe, les théories dont nous parlons ne voient 
que l'individu. Elles oublient qu'il y a, dans le groupe 
lui-même, un intérêt collectif, distinct de l'intérêt indivi- 
duel, à ce point qu'il lui est fréquemment opposé, et que 
cet intérêt n'est pas seulement celui du groupe tel qu'il 
est actuellement composé, mais celui d'un groupe permor 
nent, qui représente les générations futures en même 
temps que la génération présente. L'une des consé- 
quences du système serait de permettre dans tous les cas 
aux membres actuels du groupe de se partager ses biens ; 
c'est la doctrine que la Révolution française a appliquée 
aux biens communaux, et qui explique la délinilion de 
ces biens donnée dans la loi du 10 juin 1793 et repro- 
duite dans l'article 542 du Code civil : biens auxquels les 
habitants d'une ou plusieurs communes ont un droit 
acquis. Les lois révolutionnaires en avaient lire la consé- 
quence pratique qqand elles avaient, ordonné d'abord, 
plus tard permis et encouragé, le partage des biens com- 
munaux entre les habitants (1). C'en serait fait aujour* 
d'hui du patrimoine communal si ces mesures avaient 
été complètement appliquées. Il a été sauvé parce qu^on 
est revenu à une plus juste appréciation de la situation 
juridique et que derrière les habitants de la commune on 
a su voir l'intérêt de la commune elle même. L'arti- 
cle 542 n'est plus^d'accord aujourd'hui — fort heureuse- 
ment — avec les idées qui ont prévalu dans nos lois sur 
la nature du patrimoine communal (2). 

(1) V. les lois du 14 août 1792 et 10 juin 1793. 

(2) M. Van den Heuvel cite à Tappui de son opiûioD, la dëiiDi- 
tion de l'art. 542 ; et M. Planiol approuve cette définition (Ire éd., 
n® 921). Mais la plupart des auteurs la déclarent inexacte. — Cpr. 

MICHOUD 5 



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66 CHAPITBB PREMIER 

30. Toujours sur le terrain du droit privé, on doit 
encore objecter à ces diverses théories qu'elles ne don- 
nent pas Vexpression juridique exacte de la réalité des 
faits. Considérer les associés comnae propriétafres, c'est 
déjà contraire aux faits dans les associations à but désin- 
téressé qui admettent ce que M. de Vareilles-Som'mières 
appelle le régime personnifiant; car dans presque toutes 
les associations de ce genre les clauses sont combinées 
de telle sorte que jamais l'associé ne retirera, pour son 
propre patrimoine, un bénéfice provenant du patrimoine 
social (1). Tout se passe comme si l'associé n'était pas 
propriétaire; d'où l'on doit conclure qu'il ne l'est pas, et 
qu'il y a une véritable fiction à ramener à l'idie de copro- 
priété des individus ce qui est en réalité la propriété du 
groupe lui-même. II faut, pour expliquer ainsi la situa- 
tion juridique, introduire dans l'analyse de cette situa- 
tion des clauses sous-entendues très compliquées, clau- 
ses qui sont purement fictives, et qui n'arrivent même 
pas à rendre compte de toutes les difficultés (2). 

Ducrocq, Droit administratif , V éd., t. IV, nos 1376-4378. « Non, 
certainement, tes biens du domaine de l'Etat et ceux du domaine 
communal, n'appartiennent ni ne doivent appartenir aux citoyens 
ou habitants. Ils n'appartiennent et ils ne doivent appartenir qa'à 
l'être moral. Etat ou commune, qui représente à la fois la géné- 
ration actuelle et toute la série des générations futures.» M. Planiol 
(Droit civil, 3* éd.. p. 977, note 1), répond à l'objection faite au 
texte, que la propriété collective, à la différence de la propriété 
indivise, ne comporte pas 1<î partage. Mais pourquoi ? Un système 
qui ne voit d'autres sujets que les individus est impuissant à 
l'expliquer et M. Planiol ne l'essaie même pas. 

(1) V. sur ce point les explications détaillées que nous avons 
fournies dans notre compte rendu du livre de M. de Varellles-Som- 
raiéres, Revue du droit public, t. XX, p. 342 et s. 

(2) V. ce même compte rendu, p. 344.- Nous avons montré dans 
ce passage combien de clauses sous-entendues, souvent inaccepta* 



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LA NOTION DE PBt<âONNALIT£ MORALE 6Î 

Le système devient encore plus difficile à appliquer 
(indépendamment même du lien à maintenir entre le 
droit public et le droit privé), quand il s'agit des biens 
de l'Etat ou des communes. Comme Ta fait très bien 
observer M. Capilanl (I), les biens de ces personnes 
morales sont loin de profiter toujours exclusivement aux 
membres de la collectivité qu'elles représentent. Le droit 
d'user des voies publiques communales n'appartient pas 
seulement aux habitants de la commune, mais à tous ; 
le droit de visiter le Louvre ou d'y étudier n'appartient 
pas seulement aux Français, mais aux habitants du 
monde entier. Le droit des membres du groupe n'est 
donc « qu'une apparence, qu'un fantôme », puisque 
bien loin d'avoir une parcelle de la propriété de ces 

blés, il fallait introduire dans le pacte social pour expliquer la 
situation juridique des associés. V. aussi Valéry. « Contribution à 
l'étude la personnalité morale » (dans Revue génér. du droite 
1903, p. 32 et s.). Cpr les explications de M. Maitland (art. pré- 
cité dans Gîiinhufs Zeitschrift (t. XXXI, p. 52), sur la propriété 
des associés au profit desquels existe un trust (par exemple les 
membres d'un club) : « c'est une propriété d'une bien merveilleuse 
espèce. Premièrement, elle est pratiquement inaliénable; seconde- 
ment, elle est en fait soustraite à l'action des créanciers de l'asso- 
cié ; troisièmement, elle ne fait pas partie de ses biens en cas de 
faillite ; quatrièmement, cette propriété cesse s'il ne paie pas sa 
cotisation annuelle ; cinquièmement, elle cesse s'il est exclu du 
clu,b conformément aux statuts ; sixièmement, sa part est res- 
treinte par toute réception de nouveaux membres; septièmement, 
il ne peut demander le partage ; huitièmement, pour tout expli- 
quer, nous devons accepter un certain nombre de contrats tacites, 
dont nul n'a conscience au moment où ils s'accomplissent; car, à 
chaque élection de membres, il faut feindre un contrat entre le 
nouveau menlbre et les autres. •> I/auteur montre que tout cela a 
produit en droit anglais un régime excellent. Mais en serait-il de 
même partout? 
(1) Introd. à V étude du droit civily 2e édit., p. 169. 



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^.^Î^-V^r 



68 CHAPITRE iPREMlER 

biens, ils n'en ont pas niême la jouissance exclusive. 
Enfin Ions ceux de ces S3'stèmcs qui mettent à leur 
base ridée, d'association et non pas l'idée plus simple 
de collectivité et de groupement (notamment celui de 
MM. Van den Heuvel et de Vareilles-Sommières), sont 
impuissants à expliquer la personnalité morale des éta- 
blissements publics. Poureux/ces derniers ne peuvent 
être autres que « TEtat, le département ou la commune 
accomplissant une de leurs fonctions avec un rouage 
spécial et une caisse spéciale » (1). Il n'y a plus en eux 
qif'une personnalité apparente, une pure fiction que ces 
collectivités pourront faire disparaître quand elles le 
voudront et auxquels il est illogique d'accorder des 
droits qu'ils puissent défendre on justice contre la com- 
munauté dont ils émanent. Nous ne croyons pas que 
cette notion corresponde aux besoins actuels, et nous 
nous réservons de le montrer avec plus de détail en 
traitant de la création de ces établissements (2). 

m 

31. La personne morale n'est pas une personne 
fictive. Elle n'est pas non plus un simple artifice derrière 
lequel on trouve, soit des patrimoines sans maître, soit 
des individus. Il reste qu'elle soit une personne réelle. 
C'est notre thèse; mais il y a encore bien des manières 
diverses de la comprendre, et ce sont elles, que nous 
devons maintenant examiner. 

(i) De Vareilles Sommières, op. cit., p. 667, n^ iS42. 

(2) V. pour compléter ces critiques notre compte rendu précité 
du livre de M. de Vareilles-Sommières, Revue du droit public^ 
t. XX, p. 339-357. 



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LA NOTION DB P£RSOIÎMALlT£ MORALB 69 

Commençons par rappeler Tidée que nous avons 
énoncée dès le début : en soutenant la réalité de la per- 
sonne morale, nous ne voulons pas dire qu'elle conslilue 
une personne au sens philosophique du mol. La notion 
que nous cherchons à dégager est une notion puremeni < 
juridique. Tout le problème consiste donc à savoir 
quels sont les êtres que Ton doit considérer comme 
capables de droits; et, pour le résoudre, il faut savoir 
nécessairement ce que Ton entend par droit (au sens 
subjectif du mot). 

32. D'après la définition Jla plus ordinairement donnée, 
le droit subjectif est une puissance attribuée à une volonté 
par le Droit objectif y une faculté de vouloir reconnue par 
le Droit {{). Celte définition, comme nous le montrerons 
plus loin, li'esl pas inexacte en elle-même, mais elle est 
incomplète parce qu'elle indique seulement la consé- 
quence du droit subjectif, non son fondement et sa 
raison d^être. Elle éveille Tidéc, fausse selon nous, que 
la volonté libre est elle-même le fondement du droit, et 
que l'ordre juridique n'a pas d'autre objet que de prolé- 
ger ses manifestations, en empêchant qu'elles ne heur- 
tent la liberté d'autrui(2). Pour ceux qui admettent cette 

(1) Cette définition ou d'autres qui n*en diffèrent que par les 
' mots, se trouvent dans un grand nombre d'auteurs. ~ V. notam- 
ment : Savigny, Système, T. l. §IV, p.7 ; Windscheid, Pandectes, 
§ 37 ; Arndts, Pandectes, § 21 ; Capilant, Introduction à V étude 
du droit civil, U^ édit., p. 18 ; Meurer, op. cil.^ p. 36 ; — Zitel- 
mann, op, cit., p. 612. — Les Allemands emploient ici le mot Wol- 

s lendûrfen qui est à peu près équivalent aux mots faculté de 
vouloir. — Gierke, Deutsches Privatrecht, § 27, donne une défi- 
nition qui au fond concorde avec les précédentes. Elle est seule- 
ment plus complexe, parce qu'il y fait rentrer à la fois le côté actif 
et le côté passif du droit. 

(2) On sait que c'est là la doctrine de Kant qui définit le Droit : 



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'.î?-^ 



70 CHAPITRE PREMIER 

idée, il est clair qu'un droit subjectif ne peut exister 
qu'au profit d'un être doué de volonté personnelle et 
libre. La personnalité juridique supposera donc Texis- 
lence d'une volonté de cette nature ; elle coïncidera 
avec la personnalité philosophique. 

Si Ton prend ce point de départ, il faudra, pour 
arriver à démontrer que des êtres collectifs ont une per- 
sonnalité réelle, prouver qu'il y a en eux une volonté 
semblable à celle de l'homme, et respectable pour les 
mêmes motifs. Il ne suffira pas de faire cette preuve par 
approximation ; il faudra moFitrer que cette volonté est 
libre comme la volonté humaine, puisque cette liberté 
seule explique les prérogatives qu'on lui attribue. 

Il est à remarquer cependant que les auteurs qui 
basent sur cette définition leur théorie de la personnalité 
morale n'essayent pas tous de faire celte démonstra- 
tion. C'est le cas notamment pour plusieurs des repré- 
sentants de l'école dite germaniste. D'après eux la per- 
sonne morale est une perso me collective réelle, parce 
qu'elle a une volonté collective, distincte de la volonté 
des individus. Mais ils se contentent sur ce point d'une 
simple affirmation (1) ; ils ne montrent point le proces- 

Tensemble des conditions dans lesquelles la liberté de chacun peut 
coexister avec la liberté de tous, d'après un principe général de 
liberté. V. infrày nos 46 et s., la réfutation de l'idée que la volonté 
libre est le fondement du droit. 

(1) C'est notamment le cas de Gierke. Dans les longs et beaux 
développements qu'il consacre à la théorie, on ne trouve nulle part 
un essai de démonstration de la volonté collective. Il se contente 
de dire : « La capacité de vouloir et d'agir des corporations est une 
réalité existant dans et avec 'enr personnalité. Pour nous, le droit 
leur attribue la personnalité précisément parce qu'il voit en elles 
les sujets d'une volonté collective une et continue. Ici, comme dans 
l'individu nous voyons la base de la subjectivité dans une volonté 



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LA NOTION DE PERSONNALITÉ MORALE 7i 

SUS de cette volonté, ni les qualités qui peuvent la ren- 
dre respectable. Une simple affîrmalion ne suffit pas 
cependant; car l'existence de cette volonté collective 
n*est rien moins qu'évidente." Aussi en a-t-on essayé 
plusieurs démonstrations qu'il est intéressant de passer 
en revue rapidement. 

33. 1*^ On peut chercher tout d'abord une démonstra- 
tion de la volonté des groupes dans la théorie organique 
des sociétés. Les partisans les plus avancés de cette 
théorie, ceux qui en poursuivent les conséquences avec 
le plus de logique, attribuent formellement aux sociétés 
— qui pour eux sont des organismes — des volitions 
semblable^ à celles qui se produisent dans Torganisme 
humain. Les hommes, cellules des orgapismes sociaux, 

jouent dans le mécanisme de la volition sociale, le 
même rôle que les cellules du corps humain dans le mé- 
canisme de la volition individuelle. La Société a son 
cerveau, comme, l'individu. La décision qu'elle prend 
est Tœuvre des cellules de ce cerveau, comme la déci- 
sion que prend l'homme est l'œuvre des cellules du 
cerveau humain. Dans un cas comme dans l'autre, il 

. peut y avoir, entre lescellules, lutte pour l'adoption d'une 
idée : la décision est prise quand certaines d'enlr'elles ont 
réussi à faire prévaloir leur opinion : « Notre être étant très 
complexe, plusieurs volitions se forment à la fois. Elles se 
*ivrent des combats acharnés dans nos centres nerveux. 



qui est la force interne, principe des actes extérieurs ». (Genos- 
senschaftstheoriey p. 608). — On a souvent compté cet auteur 
parmi les partisans de la théorie organique et lui-même ne distin- 
gue pas suffisamment sa théorie de la théorie organique propre- 
ment dite. Elle ne se confond pourtant pas avec elle. V. Jellinek, 
Allg, Staatslehre,^. ili'Vit 



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7a CHAPITRE PRIÉMIER 

Celle qui Temporle est celle qui a emporté le plus de 
partisans. A un certain moment, quelques cellules font 
pencher la balance. De môme, dans nos assemblées 
législatives, quelques députés assurent le triomphe d'une 
proposition au détriment d'une autre » (1). Et qu'on 
objecte pas que les cellules de noire cerveau ne sont ni 
libres, ni conscientes, qu'elles n'ont pas de volonté pro- 
pre, alors qu'il en est différemment des hommes qui 
formeni le cerveau social, et que ceux-ci peuvent- pré- 
tendre à bon droit avoir pris eux-mêmes la décision que 
Ton attribue à la Société. On répondrait qu'entre la 
cellule et l'homme il n'y a que des différences de degrés, 
que les cellules sont douées de conscience dans une .cer- 
taine mesure, et que l'homme n'a de plus qu'elles que 
l'illusion de la liberté (2). Chez l'homme, comme dans la 
Société, les volitions se forment par l'action réciproque 
des cellules les unes sur les autres, action déterminée 
elle-même par la structure de l'organisme et par les 
influences extérieures. 

Si on aimel cette doctrine, et si on consent à l'éten- 
dre à tous les groupements humains, — c'est un point 
sur lequel ses adeptes ne s'accordent pas pleine- 
ment (3) — on sera conduit à accorder au groupe- le 
même traitement juridique qu'aux individus. Ils sont 
doués de volonté dans la même mesure qu'eux ; leur 

(i) Novicow, Conscience et volonté sociales, p. 112-113. 

(2) Worms, Organisme et société [Ih.hs^ 1896), p. o9. 

(3) Worms, p. 30, op. cit,y déclare sa théorie applicable à la 
Société, qui saisit Thomme entier, et non aux groupes secondaires 
on associations, formés en vue d*un butspécial. Mais il ajoute que 
ces derniers aussi rappellent, quoique de plus loin, un organisme 
animé, et que sa démonstration sera peut-être susceptible d'être 
étendue un jour à ces groupements secondaires. — M. Espinas a 



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y^s^fw^r*^-^ 



LA NOTION DE PERSONNALITE MORALE 73 

volonté a le même degré de réalité, ui p'us ui moins. De 
la notion d'organisme découlera donc la notion de per- 
sonnalité juridique. Tout organisme pouvant être consi- 
déré comme produisant une volonté sera apte à' devenir 
une personne morale. 

34. Nous ne voulons point faire ici une discussion 
détaillée de cette doctrine qui, à notre connaissance, n'a 
été développée dans toute sa rigueur par aucun juriste. 
Il importe cependant de montrer pourquoi elle ne peut 
nous mener au but (1;. 

a. Elle suppose tout d'abord admise cette idée que les 
groupements sociaux sont des organismes. Or on sait 
que celte notion, dont les sociologues ont fait pendant 
longtemps la base de leur sience nouvelle, est aujour- 
d'hui répudiée par un grand nombre d'eutr'eux (2). Il y 

étendu beaucoup plus frnnchement la notion d'organisme aux 
groupements secondaires. — M. Fouillée (Science sociale contem- 
poraine, p. 227) a montré les exagérations auxquelles conduit 
Côtle doctrine quand on veut l'étendre à tout groupement. 

(1) V. une bonne réfutation de la théorie organique dans JelH- 
nék,Allgemeine Staatslehre, p. 132 et s. L'auteur fait ressortir 
tout d'abord toutes les difficultés qu'offre la notion môme d'orga- 
nisme. Il montre ensuite qu'il y a entre l'Etat et les organismes 
vivants des ressemblances et des différences, et que la théorie or-" 
ganiqué de l'Etat ne peut aboutir qu'à des analogies^ qu'il est dan- 
gereux de prendre pour des identités. Le danger des fausses ana* 
logies est d'ailleurs bien plus grand en cette matière que l'avantage 
que peuvent offrir à la science les analogies exactes. Enfin la doc- 
trine de l'organisme ne rend pas compte de l'activité réfléchie et 
consciente de son but, qui est nécessaire à l'Etat. — Cpr, pour la 
réfutation de la théorie organique : Boistel, Cours de Philosophie 
du droit j t. II, p. 51 et s. (surtout n^ 33 i^) : Charles Benoist, La 
crise de l'Etat moderne, p. 161 et s. — Maurice Deslandres, La 
crise de la science politique, p. 49 et s. (à propos de la méthode 
sociologique) . 

(2) V. sur ce point la discussion approfondie qui a eu lieu au 



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74 « CHAPITRE PRBMIER 

a sans doute, enlre les groupemenls sociaux et les orga- 
nismes biologiques^^ des ressemblances frappantes ; mais 
les différences ne sont pas moins nombreuses, et il est 
au moins douteux qu'il y ait utilité à les réunir sous une 
dénomination commune. Comme on Va. dit avec quel- 
que raison (I), il y a là au fond qu'une querelle de mots, 
et tout dépend, en dernière analyse, du sens plus ou 
moins étendu que ['on donne au mot organisme. On a 
pu, au moins transitoirement, trouver quelque avantage 
à employer, à titre de méthode scientifique, un système 
de comparaison entre les sociétés et les organismes bio- 
logiques : voilà, semble-t-il, tout ce quMl est possible de 
concéder à cette théorie fameuse. 

35. 6. Mais, concédât-on le mot, on ne se trouve 
guère plus avancé quant aux conséquences que Ton peut 
en lirer sur le terrain juridique. Pour faire sortir Fidée 
de personnalité philosophique de l'idée d'organisme (2), 
il faut en effet quelque chose de plus que la simple con- 
statation de ressemblaùce entre la Société et les êtres 



mois de juillet 4897, dans le Congrès de Vlnstitut International 
de sociologie {Annales de VInst, intern. de socioL, U IV, p. 170 
et suiv.}. La théorie organique des sociétés y a rencontré au moins 
autant d'adversaires que d'adhérents. V. notamment les observa- 
tions de M. Tarde, p. 237 et suiv. - Le même auteur a cru pouvoir 
dire en rendant compte de ce congrès : « La tâche propre du der- 
nier Congrès de sociologie aura été de faire disparaître, comme un 
échafaudage devenu gônant,après avoir pu n'être pas sans quelque 
utilité, ridée de Vorganisme social, » {Revue internationale de 
r Enseignement supérieur, t. 34, p. 259). 

(1) Bernatzik, dans Archiv. fur ôffentl. Recht. t. V, p. 276. — 
Bruno Schmidt, Der Staat, p. 22. 

(2) Nous nous plaçons toujours dans la définition du droit sub- 
jectif donnée plus haut, définition avec laquelle la personnalité 
juridique coïncide avec la personnalité philosophique. 



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LA NOTION DE PERSONNALITÉ MORALE 75 

vivants. Il faul démontrer qu'il y a dans les organismes 
sociaux une volonté propre au même sens que dans l'or- 
ganisme humain... Or, pour établir celle assimilation, 
il faut aller jusqu'à un déterminisme absolu, dont la 
conséquence, si on voulait l'admettre, serait précisément 
d'enlever à la volonté humaine tout ce qui pourrait en 
faire le fondement du droit. 

En effet,, la théorie que nous avons esquissée plus haut 
suppose qu'il n^ ^y soit dans la volonté humaine, soit 
dans la volonté collective, rien autre chose qu'une com- 
binaison de cellules. Pour peu que l'on admette dans 
l'homme un élément indépendant des phénomènes phy- 
siques ou chimiques qui se succèdent dans son orga- 
nisme^ cet élément, si réduit qu'on veuille le supposer, 
suffit à distinguer nettement Thomme du groupe, et à lui 
donner un degré de personnalité auquel ce dernier ne 
saurait prétendre. M. Fouillée, par exemple, qui a pris 
dans ces questions une position intermédiaire, admet au 
moins dans Thomme Yidée d^un moi unique, idée qui 
n'est qu'une résultante, mais qui se réalise en se conce- 
vant, en croyant à sa propre réalité (I), et qui n'existe 
pas dans l'organisme social. Cela lui suffit pour conclure 
très légitimement que la Société^ qui à ses yeux est un 
organisme physiologique f n'est point cependant une zWi 
vidualité psychologique {2). Il lui dénierait sans doute 
la faculté d'avoir, au sens naturel du mol, une volonté 
propre ; il né pourrait en effet lui reconnaître ce degré 
atténué de liberté qu'il admet chez l'individu, liberté qui 
consiste à pouvoir agir sur son développement ultérieur 



(i) Science sociale contemporaine^ 3* éd , p. 222. 
(2) /rf., p 245. 



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76 CUÀPITBE PBEMIER 

par ridée une fois conçue. Il faut, pour avoir même la 
liberté ainsi entendue, une conscience centralisée comme 
celle de l'homme ; la conscience dispersée qu'il recon- 
naît dans l'organisme social n'y sufÇt pas, parce qu'elle 
n'existe que .dans les éléments de l'organisme et que ce 
dernier n'a pas un moi central qui puisse concevoir J'idée- 
force. 

A plus forte raison en est-il de même si Ton admet, 
avec les écoles de philosophie spiritualiste, qu'il existe 
dans l.^homme, derrière la série changeante des phéno- 
mènes, une substance permanente qui assure la conti- 
nuité et la réalité du moi humain. M. Fouillée lui-même 
explique (i) que rien n'empêche de supposer dans 
ITiornme un fond de réalité persistante, quelque chose 
comme un chef d'orchestre mystérieux dont l'action 
assure Tharmonie et la coordination des phénomènes : 
il déclare seulement que c'est là une hypothèse métaphy- 
sique «»n dehors du domaine de la science. Il nous 
paraît évident qu'aucune hypothèse semblable n'est pos- 
sible sérieusement pour l'organisme social. Et l'assimi- 
lation de la volonté du groupe avec celle de l'individu 
devient tout à fait impossible si Ton admet, comme nous le 
faisons, quil y a dans Thoinme une âme, distincte du 
corps, et capable de se décider librement. Pour ceux qui 
ont celle croyance (que nous n^avons pas ici à discuter), 
ridée de personnalité philosophique reprend toute sa 
valeur. La définition qu'il faut donner de la personne au 
point de vue philosophique est celle de saint Thomas : 
rationalis naturœ individua substantia^ et cette défini- 
tion ne peut s'appliquer à la société. Il y a alors entre la 

(l) /cf., p. 224. 



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Là NOTIOK dé PERSONNALITE MORALE 77 

I 

volonté du groupe el celle de Tindividu une différence 
de nature qui est essentielle : la volonté de Tindividu 
est une détermination libre qui lui appartient en propre 
(bien que les influences du monde extérieur et de son 
organisation physique aient contribué à la former) ; celle 
du groupe n'est qu'une résultante des volontés des indi- 
vidus ; dans le processus qui aboutit à la former, il n'y 
a rien autre que ces volontés. 

Sans doute des esprits subtils et enclins aux rêveries 
métaphysiques ont pu chercher l'assimilation dans une 
autre voie, et se demander s'il n y avait pas une' âme des 
sociétés, comme il existe une âme humaine. L'école 
organique allemande, fort distincte par ses origines 
de notre école sociologique, paraît parfois admettre 
cette idée (1). Mais il nous semble inutile de nous y 
attarder. 

36. 2^ Parmi les auteurs qui essaient^ de démontrer 
la réalité de la personne morale, en la basunt sur la 
volonté, il en est un grand nombre qui prennent un 
autre point de départ que l'assimilation des groupes 
sociaux aux organismes biologiques. Tel est notamment 
le cas des auteurs qui ont développé ce qu'on a appelé la 
théorie de la volonté (Willenstheorie). Celui qui l'a 
exposée, à ce qu'il nous semble, avec le plus de préci- 
sion, Zitelmann (2), laisse de côté les données sociolo- 



(i) Bluntschli, Théorie générale de l'Etat, L. I ; n«8 5, 6, 7. 
V. aussi Psychologische Studien ûber Staat MwrfiTir^c^e (Zurich^ 
1844). 

(2) Zitelmann, Begrtff und Wesen der sogenannten juristis- 
chen Personerif p. 62 et saiv. La théorie de Zitelmann a été aussi 
développée par Meurer, Begriff und Eigenthûmer der heiligen 
Sachen, p. 84 et suiv. Mais ce dernier auteur dans un outrage 



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78 CUÀPItRË PltBMtEil 

giquea, et préseiUe une théorie tout idéaliste. Il parle 
bien d'unité organique, maïs îi entend par là simplement 
Tunilé des diverses parties concourant à former un tout 
C'est ce qu'il appelle le principe de l'unité dans la plu- 
ralité. Un ensemble d'individus, nous dit-il, devient, dès 
qu'il est uni organiquement, un être réel nouveau, dis- 
tinct des individus qui le composent, mais ayant en lui 
la qualité commune à tous ces individus (1). Cette loi est 
fondamentale, et on peut la formuler scientifiquement : 
si deux grandeurs A et B, se réunissent purement et 
simplement, elles ne forment pas pour cela une indivi- 
dualité nouvelle, et leur réunion donne simplement 
(A + B). Mais si, à la réunion de ces deux grandeurs, 
vient s'ajouter une force d'unité organique, A et B for- 
ment une troisième grandeur G, différente ^de l'une et 
de l'autre, et qui a les qualités communes à A et à B. 
Cette troisième grandeur n'est point une fiction ; elle a 
une existence aussi réelle que celle de ses parties. La 

postérieur (Die juristischen Personen nachdeutschem Reichsrechû 
Stultgard, 1901), déclaré y renoncer (p. 3), et, tout en maintenant 
ridée de réalité de la personne morale, il la base aujourd'hui d'une 
autre manière, dans laquelle, à ce qu'il nous semble, il se rapproche 
beaucoup plus qu'il ne l'avoue de la théorie de la fiction. Il nie en 
effet d'une manière complète Vunité formée dans la personne 
morale par la pluralité- des sujets et se contente de dire que le 
droit tf*aite le groupe comme une unité (v. p. 3 et § 5, p. 42 et s.), 
(i) Il est curieux de retrouver cette même idée dans une des let- 
tres de jeunesse deTaine (Lettre à Prévôt-Paradol du 11 septem- 
bre 1849. Correspond., 1. 1, p. 101-102). Il explique dans cette lettre 
que l'Etat est un être ou un individu réel et vivant, et non pas une 
abstraction. C'est « un grand être, composé de tous les individus 
de riitat considérés sous un aspect commun, et par suite indiscer- 
nables en tant que tels, et formant ainsi une unité absolue... Cet 
être est hyimsiiny puisque tous ses éléments sont humains. Il est 
donc exactement dans le même cas que les individus )>. 



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ti NOtlÔN bE PERSÔNNÀLÎtE MORÀLfi 79 

formule du principe esl donc : A + B = C, par oppo- 
sition à : A + B = (A 4- B). 

Le principe ainsi posé, Zitelmann Tilluslre par des 
exemples empruntés à tous les ordres de connaissances. 
Le corps humain esl autre chose qu'une certaine quantité 
d'oxygène, d'hydrogène, d'azole, autre chose qu'une cer- 
taine qaanlié d'os, de sang, de chairs. Il y a en lui un prin- 
cipe d'unité, résultant de cette force inconnue dans son 
essence, mais perceptible dans ses effets, qu'on appelle la 
vie. Il a du reste la qualité commune aux parties qui le com- 
posent : comme elles, il esl malière. — Le composé chimi- 
que est autre chose que la réunion des composants, le 
principe d'unité, ici, n'est plus la vie ; c'est l'affinité chi- 
mique ; la qualité des parties qui se retrouve dans le 
tout est d'être matière chimique. ^ De même une œuvre 
d'art est autre chose qu'un assemblage de sons et de cou- 
leurs ; son principe d'unité est dans le but, qui est la 
recherche du beau. — Une maison est autre chose qu'un 
assemblage de poutres et de pierres ; ici, encore^ c'est 
le but qui est le principe d'unité. — Parcourez tous les 
ordres de sciences, et partout la même idée sera appli- 
cable. 

C'est à cette idée qu'il faut recourir pour expliquer 
l'existence des universitates personarum^ ou personnes 
collectives. Ce qui est uni en elles, ce ne sont point les 
hommes. Ceci est essentiel dans la théorie ; car, si on 
voit dans l'homme lui-même Tunité composante, on 
arrive à conclure que le tout, ayant la qualité commune 
aux parties, est lui-même un être humain. Non ; ce qui 
est uni, ce sont les personnes, c'est-à-dire les volontés. 
Ce n'est pas l'homme, en effet, qui est le véritable sujet 
du droit, c'est la volonté humaine. Comme l'a dit un 



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rvv^.-V^Barsï'-^ 



80 CâAPltRB t^REMtEA 

autre partisan de la théorie (i), la notion juridique delà 
personne est tout entière d;ins la volonté ; pour le Droit, 
ce que Ton nomme personne physique n'est pas autre 
chose que la personne juridique^ cucec un superflu physi- 
que. Les volontés ainsi groupées ont en elles un principe 
d'unité qui est la communauté du hut ; leur réunion 
constitue donc un tout organique distinct des parties qui 
le composent, et qui a la qualité commune à chacune 
d'elles,.c'est-à-dire que, comme elles, il est une volonté. 
37. La démonstration, comme on le voit, s'achève 
dans les formes. A son terme, comme à son point de 
départ, on trouve une volonté, c'est-à-dire, nous dit-on,, 
un sujet de droit. Le malheur est que tout cet appareil 
scolastique ne repose sur rien de réel. Il est faux que 
le droit ne considère en l'homme que la volonté ; ce 
qu'il a en vue, c'est bien Thomme tout entier, avec ses 
besoins, ses aspirations, ses désirs, avec son corps et son 
âme ; le droit n'est pas fait pour une entité abstraite et 
métaphysique ; il est fait pour Thomme réel. A supposer 
donc que la mystérieuse opération d'alchimie psycholo- 
gique décrite par Zitelmann donne le résutat qu'il 
attend, elle ne nous mène pas au but. Ce qu'elle nous 
donne, ce n'est pas un être réel, mais une volonté, c'est- 
à-dire simplement un attribut appartenant à un être; 
Quel est le sujet de cette volonté ? Nous ne le voyons 
pas. — 11 nous semble évident, du reste, que sur le 
résultat même de l'opération, Zitelmann se fait de sin- 
gulières illusions ; le prétendu principe que la qualité 
commune aux parties se retrouve nécessairement dans 
le tout conduirait parfois à de bien étranges conséquen- 

(i) Meurer, Begriffund Eigenthûmer, p. 74. 



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Là KoTIO^ DB PERSONNALITE MORALE Si 

CCS ; en tout cas il aurait besoin d'être démontré. Mais 
il nous paraît inutile d'insister sur ce point. L'objection 
fondamentale à nos yeux, c*est que la théorie est fausse 
parce qu'elle est basée uniquement sur la volonté, et 
que sur ce fondement unique on ne peut construire soli- 
dement, 

La théorie précédente n'est du reste applicable qu'aux 
corporations. Pour les fondations, Zitelmann en a une 
autre : ici la volonté qui est le sujet du droit est celle du 
fondateur lui-même ; celui-ci a objectivé sa volonté par 
rapport à la fondation ; il Ta en quelque sorte cristallisée 
en transformant sa faculté de vouloir en une obligation 
de vouloir, ou mieux en une impossibilité de vouloir 
autrement (4). Elle subsistera donc, toujours dirigée 
vers le but qu'il lui a assigné, et suffira pour animer la 
fondation pendant toute sa durée. — Mais on a 
répondu (2) (et l'objection est si convaincante qu'il nous 
paraît inutile d'y insister), qu'une volonté détachée 
de l'homme ne peut être sujet de droit : « La volonté 
n'a de force que comme faculté de vouloir ; comme série 
de volitions successives, elle n'en a pas. » Si le sujet 
de droit est la volonté (ce que pour notre part nous con- 
testons), en tout cas ce ne peut être la volition. Sinon 
on arriverait à multiplier les sujets de droit d'une 
manière tout à fait arbitraire. Or, le système aboutit 
bien à personnaliser, non )a volonté vivante du fonda- 

(1) Le Wollendûrferiy nous dit Zitelmann, s'est transformé en 
Wollenmûssen^ ou mieux en Nichtanderswollenkônnen. 

(2) V. la réfutation de M. de Lapradelle. Théorie et pratique 
des fondations, p. 436. A nos yeux cette réfutation n'est vraiment 
décisive qu'en ce qui concerne la théorie des fondations ; elle ne 
l^est pas en ce qui concerne la théorie des corporations que nous 
avons analysée plus haut. 

MIGHOUD 6 



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82 c&àpitre premier 

leur, mais un acte de cette volonté/ une volition, et le 
résultat est de lui donner une efficacité qu'on peut 
considérer comme contre nature. La volilion d'une 
volonté morte ne doit pas avoir les mêmes pouvoirs 
qu'une volonté vivante (1). 

38. 3** En France, la théorie de la personnalité 
morale basée sur la volonté a trouvé sa première expres- 
sion dans Rousseau (2). Le contrat social, acte d« 
volonté des contractants, en même temps qu*il établit 
l'Etat, fonde sa personnalité. C'est ce que Rousseau 
explique très nettement comme conclusion du chapitre 
même dans lequel il explique en quoi consiste le con- 
trat social : « A Tinstant, nous dit-il, au lieu de la per- 
sonne particulière de chaque contractant, Qet acte 
d'association produit un corps moral et collectifs com- 
posé d'autant de membres que l'assemblée a de voix, 
lequel reçoit de ce même acte son unité, son moi com-* 
mun^ sa vie et sa volonté » (3). Le mobilb de ces 
volontés individuelles est un intérêt commun à tous les 
contractants ; d'où résulte qu'il n'y a de contrat social 
formé que par l'unanimité des adhésions :«Il n'y a qu'une 

(1) Gierke considère la théorie de Zitelmann sur les fondations 
comme se rapprochant de la vérité (Deutsches Privatrecht^ t. I, 
p. 648, note 18), et il voit lui-même dans la volonté du fondateur 
Vdme de la fondation (id. p. 647). Mais il ajoute que son corps est 
représentépar le groupe humain organiséen vue de la réalisation de 
cette volonté. Cela seul l'éloigné beaucoup de la théorie de Zitelmann. 
Le fait qu'il cherche dans la volonté son point de départ l'entraine 
seulement à donner trop d'importance au groupe qui administre la 
fondation et pas assez au groupe des destinataires. 

(2) Ce point a été très bien mis en lumière par M. Achille Mestre 
dans la Revuedu Droit public, t. XVIIl, p. 447 et s. Il serait d'ail- 
leurs facile de rattacher les idées de Rousseau sur ce point à celles 
de ses prédécesseurs, par ex. dé Hobbes. De cive, ch.V,no8 8 et 9. 

(3) Contrat social^ L. I, ch. VI. 



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LÀ NOtlON DE t>ERSOPfNALITÉ MORALE 83 

loi qui exige de sa nature un consentement unanime, c'est 
le pacte social ; car Tassociation civile est Tacte du monde 
le plus volontaire... Si donc, lors du pacte social il s'y 
trouve des opposants, leur opposition n'invalide pas le 
contrat, elle empêche seulement q'u'ils n'y soient com- 
pris ; ce sont des étrangers parmi les citoyens. Quand 
TEtal est institué, le consentement est dans la résidence ; 
habiter le territoire, c'est se soumettre à la souverai- 
neté » (1). Cette conception de l'Etat, Rousseau paraît 
bien, toutes proportions gardées, et d'ailleurs sans y 
insister, l'appliquer à toute association ; il constate en efiet. 
que toute société politique est composée d'autres sociétés 
plus petites et que « tous les particuliers qu'un intérêt 
commun réunit en composent autant d'autres perma- 
nentes ou passagères (2) ». Ces sociétés ont, comme le 
corps social, leur volonté ; on sait que Rousseau en est 
d'ailleurs l'adversaire, et qu'il est un des premiers inspi- 
rateurs de la défiance des législateurs modernes pour 
les groupements particuliers, les « associations partiel- 
les » qui se font « aux dépens de la grande » (3). Il veut 
qu'on les interdise, mais il ne voit nullement dans la 
personnalité de ces groupements une concession de 
l'Etat; pour eux comme pour ce dernier, la personnalité 
est spontanée et résulte de l'union des volontés ; l'Etat 
intervient, non pour accorder ou refuser la personnalité, 
maispourjpermettreouinterdirelegroupementlui-même. 
A côté de ces personnes morales, nées de groupe- 

(4) W.,L. IV,ch. 11. 

(2) De VEconomie politique. Œuvres, t. 111, p. 281 (V. Mestre, 
op. aV., p. 453). 

(3) Contrat social^ L. II, ch. 111. Il ajoute que « s*il y a des 
sociétés partielles, il faut en multiplier le nombre ». Mais en prin- 
cipe c'est bien l'interdiction qui a toutes ses préférences. 



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-, ■\^-.^-'^!^r^. 



84 CHAPITRE PREMIER 

ments volontaires, il en est d'autres qui sont suscitées, 
par l'Etat lui-même pourseconder ses vues ; ce sont celles 
que nous appelons aujourd'hui établissements publics 
(par exemple, suivant Rousseau, les sociétés savantes). 
Parmi elles, il classe le gouvernement lui-même en qui 
voit une personne distincte de l'Etat, « corps intermé- 
diaire établi entre les sujets et le souverain », « nouveau 
corps dans l'Etat, distinct du peuple et du souverain, et 
intermédiaire entre Tun et Tautre » (1). Mais, même 
pour ces personnes morales non spontanées, ^élément 
essentiel de la personnalité est encore la volonté. Le 
gouvernement, par exemple, a une « volonté de corps » ; 
en sorte que « nous pouvons distinguer dans la personne 
du magistrat trois volontés essentiellement différentes : 
premièrement la volonté propre de l'individu qui ne tend 
qu'à son avantage particulier ; secondement, la volonté 
commune des magistrats qui se rapporte uniquement à 
l'avantage du prince, et qu'on peut appeler la volonté de 
corps, laquelle est générale par rapport au gouverne- 
ment et particulière par rapport à l'Etat ; en troisième 
lieu, la volonté du peuple ou la volonté souveraine, 
laquelle est générale tant par rapport à TEtat considéré 
comme le tout, que par rapport au gouvernement consi- 
déré comme partie du tout » (2). 

Rousseau a donc une conception unique de la person- 
nalité morale ; il la base sur la volonté générale qui se 
forme au sein d'un groupement par la réunion des 
volontés des membres du groupe. Il nous fait du reste 
toute une théorie de cette volonté générale, qui n'est 
autre chose que la somme des volontés individuelles en 

(4)/rf.,L.III,ch. I. 
(2)/rf., L. IIÏ, ch. II. 



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LA NOTION DE PERSONNALITE MORALE 85 

tantqu^elles regardent à f intérêt commun et après qu'on 
en a élagué les éléments divergents, « les plus et les 
moins qui s'entre-détruisent » (1). Mais au fond il ne 
nous donne aucune théorie complète sur la personnalité 
morale ; car il ne nous explique pas comment, de cette 
fusion des volontés aboutissant à ce qu'il appelle la 
volonté générale^ naît une personne distincte (2). Malgré 
les comparaisons organicistes qui reviennent souvent sous 
sa plume, il ne parait pas admettre au sens propre du mot, 
la théorie organique (3) ; et il ne voit pas, dans l'Etat 
ou les associations, autre chose que leurs membres, con- 
sidérés, à vrai dire, sous un certain angle. L'explication 
que la théorie organique ne lui fournit pas, il ne l'essaie 
d'ailleurs même pas par une autre voie. Sa théorie est 
donc certainement insuffisante. Mais il est incontestable 
qu'on peut le considérer comme le précurseur des auteurs 
qui, chez nous, ont essayé récemment de baser sur la 
volonté une théorie complète delà personnalité morale. 
39. L'une des théories les plus remarquables essayées 
dans ce sens est celle qui a été présentée par M. Hau- 
riou (4). L^dée fondamentale qu'il introduit dans le débat 
est celle de la réalité du phénomène de la représenta- 
tion. Passant en revue ce phénomène dans ses diverses 

(i) Id,t L. II, ch. III. — « Il y a souvent bien de la différence 
entre la volonté de tous et la volonté générale ; celle-ci ne regarde 
qu'à l'intérêt commun ; l'autre regarde à l'intérêt privé, et n'est 
.qu'une somme de volontés particulières ; mais ôtez de ces mômes 
volontés les plus et les moins qui s'entre-détruisent, reste pour 
somme des différences la volonté générale ». 

(2) Cpr. Mestre, op, ait,, p. 457, note 1. 

(3) V. sur ce point les explications de M. Mestre, p. 464 et s. 

(4) Dans un article de la Revue générale du Df*oity i898, p. 5 
et dans ses Leçons sur le mouvement social, p. 92 et s., et 2® Ap- 
pend., p. 144 et s. 



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86 GHAPITRB PREMIER 

manifestations, il montre qu'il ne repose point sur une 
fiction, mais bien sur un fait réel qui est la fusion de la 
volonté des représentants avec celle des représentés. 
Dans une œuvre collective notamment, il se dégage, sur 
toute décision à prendre, une volonté humaine qui, par 
le jeu des forces intérieures du groupe, devient maîtresse 
des autres volontés et s'impose. Cette fusion des volontés 
n'est sans doute point parfaite. Le Droit, pour consi- 
dérer la volonté ainsi dégagée comme une volonté uni- 
que et persistante, est- obligé de donner à ce phénomène 
une continuité et une importance qu'il n'a pas entière- 
ment dans la réalité. Mais ce sont là les procédés fami* 
'liers au Droit. Partout, et même dans la notion de per- 
sonnalité individuelle, il opère par voie d'abstraction en 
mettant en relief certains phénomènes qui sont réels, 
mais qui dans la réalité sont plus complexes ou plus 
intermittents que les abstractions juridiques auxquelles 
ils correspondent : « La personnalité juridique indivi- 
duelle nous apparaît continue et identique à elle-même ; 
elle naît avec l'individu, elle est du premier coup consti- 
tuée ; elle demeure toujours la même pendant Texis- 
tence ; elle soutient sans défaillance, pendant des années, 
des situations juridiques immuables; elle veille pendant 
que l'homme sommeille ; elle reste saine pendant qu'il 
déraisonne ; parfois elle se perpétue après la mort, puis- 
qu'il y a des successeurs qui sont continuateurs de la 
personne. Or, dans la réalité des choses, les volitions 
des hommes sont intermittentes, changeantes, contradic- 
toires ; non seulement elles ne persistent pas dans le 
mêmepbjet, mais elles y varient constamment. Sur cette 
physionomie agitée, tumultueuse, bouleversée par tousles 
caprices et toutes les passions, qu'est la face volontaire 



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LA NOTION DE PERSONNALITE MORALE 87 

de l'homme, le Droit a appliqué un masque immo- 
bile » (1). Les volitions de îa personne morale, comme 
celles de la personne physique, ne sont pas toujours les 
mêmes, et ne sont pas toujours en acte. Il suffit qu'elles 
existent, qu'elles soient l'œuvre de la réalité ; le Droit 
s'emparera d'elles et en fera la base de la personnalité 
juridique collective : « La part de la fiction n'est pas 
plus grande d'un côté que de l'autre et d'ailleurs cette 
fiction n'est point l'œuvre de l'autorité publique, mais 
celle du millieu social » (2). 

Il y a dans ces observations une grande part de vérité. 
•Mais remarquons tout d'abord qu'on ne peut guère les 
appliquer qu'aux associations purement volontaires. 
Dans celles-ci il y a toujours, derrière les résistances que 
peut provoquer chez une partie des membres une déci- 
sion prise en leur nom, au moins une volonté persistante 
commune : celle de continuer l'œuvre collective. Par là 
les meaibres mêmes qui ont combattu la décision Tac- 
ceptent implicitement, puisqu'ils ne cessent pas de faire 
partie de la société. On peut donc, sans s'éloigner des 
faits, parler de fusion de volontés, et d'unanimité. Mais 
il n'en est déjà plus de même daos les groupements poli- 
tiqueS:» tels que l'État et la Commune, qui ne sont pas 
purement volontaires. Là où l'unanimité n'est jamais 
obtenue, et où les décisions du groupe ne s'imposent que 
par la force à la minorité, il y a une très large part de 
fiction à dire que toutes les volontés se confondent en 
une union réelle. Et cette part s'élargit encore si Ton 



(1) Article précité, p. 149 et Leçons sur le Mouvement social^ 
p. 149. 

(2) Article précité, p. 136. 



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88 CHAPITRE PREMIER 

considère les foiidalions. M. Hauriou lui-même (1) 
avoue qu'il y a, en ce qui les concerne, quelque difficulté 
à apercevoir le groupe des représentés derrière le groope 
des représentants formé par les administrateurs de l'éta- 
blissement. 11 n'y a d'autres représentés que les bénéfi- 
ciaires de la fondation, malades, pauvres, étudia^nts, etc. 
Il faut donc admettre que c'est la volonté de ces bénéfi- 
ciaires qui, fusionnée avec celle des administrateurs, 
forme la volonté de l'être moral! Mais qui ne voit que 
c'est là de la fiction pure, une fiction bien plus grave que 
celle que l'on trouve à la base de la personnalité indivi- 
duelle, puisqu'elle consiste, non pas seulement à donner 
à la volonté d'une personne une continuité plus grande, 
mais à lui attribuer une volonté qu'elle n'a pas? 

D'autre part, la théorie ainsi construite soulève une 
autre objection. En admettant ce phénomène réel de 
fusion des volontés, pourquoi attribuera-t-on la volonté 
ainsi formée au groupe, et non pas à chacun des mem- 
bres (^ui le composent ? On dit bien que « ces vôlitions 
s'organisent en un faisceau, de manière à produire une 
unité » (1). Mais dans la réalité elles restent des vôli- 
tions individuelles conformes entr'elles. L'opération est 
toute semblable à celle qui s'accomplit dans mille cas 
divers où il y a fusion de volonté sans qu'on ait songé à 
parler de personnalité morale : décisions prises en com- 
mun par des copropriétaires, par des créanciers d'une 
faillite, par les époux dans la société conjugale, par les 
membres d'une société non personnalisée, par les mem- 
bres d'un parti politique organisé, etc. Le système ne 



(4) Article cité, p. 133. 
(1) /ô., p. 434, 



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LA NOTION DB PERSONNALITE MORALE 89 

fournît aucun critérium qui permette de distinguer les 
phénomènes de ce genre de celui de ia personnalité juri- 
dique. C'est qu'en réalité il se borne à essayer de démon- 
trer que pratiquement^ socialement la volonté des repré- 
sentants doit être considérée comme celle du groupe 
lui-même. 0» cela est vrai non seulement dans les grou- 
pements personnalisés, mais dans tous les groupements 
organisés. Et cela d'ailleurs ne suffit pas, au point de vue 
d*un système qui base la personnalité sur la volonté, à 
démontrer ia thèse ; elle ne le serait que si on prouvait 
Texistence réelle d'une volonté distincte. 

M. Hauriou est revenu sur la question dans ses Leçons 
sur le Mouvement social (1). Mais il ne nous semble pas 
avoir modifié sensiblement sa théorie. Il appuie l'unité 
de la volonté corporative sur ce qu'il appelle Vuniié 
représentative^ c'est-à-dire la concordance des représen- 
tations mentales existant à l'intérieur de la corporation. 
« Il faut qu'à l'intérieur de la corporation et autour d'elle 
dans le milieu social, il se produise une unanimité de 
représentations mentales d'où jaillisse la conception des 
droits corporatifs. Ces représentations mentales ne peu- 
vent qu'être l'œuvre de la solidarité représentative. Les 
membres de la corporation se font une idée de l'associa- 
tion, de son but^ de ses intérêts, des droits qu'il lui faut, 
des actes nécessaires pour exercer ces droits. Sur tous 
ces points, l'unité représentative s'accomplit, non point 
en vertu de l'unité de l'organisme, mais par unanimité... 
Les droits réalisés sont ceux voulus par l'unanimité des 
volontés fondues en une représentation mentale unique. 
Dès lors je conçois qu'ils puissent être attribués à une 

(1) P. 92 et suiv., et 2* Appendice, p. 144 et suiv. 



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90 GIM^PITRfi PRBMIBR 

personne morale unique ». C'est là exprimer, en termes 
différents, IMdée de fusioû des volontés par la représen- 
tation. Seulement, dans ces tîauvelles ei^piications^ l'au- 
teur mélange, avec cette théorie de Tanammîté, la théo- 
rie organique. Quand Tunanimit^ u'est pas obtenue, la 
contrainte devient nécessaire ; elle wl fournie par l'or- 
ganisme social, dans Tinlérèt de Torg^aisme lui-même, 
c'est pour cela que, lorsque l'unanimité ne peut être 
obtenue en fait, on vole à la majorité, et que la décision 
prise par la majorité eàt censée prise pa.r tous. Mais 
n'est-ce pas là détruire le système? Si la contrainte de 
l'organisme apparaît, c'est précisément parce que la 
fusion des volontés n'existe pas ; ce n'est plus qu'artifi- 
ciellement, par fiction, que l'on peut considérer la volonté 
des personnes qui composent la majorité comme celle de 
l'être moral. M. Hauriou fait en somme ici lui-même à 
sa théorie Tobjection que nous présentions plus haut (1). 
41. 4° M. Boislel (2) a creusé la question plus profon- 
dément par cela seul qu'il est parti, dans ses spéculations, 
de la définition même de la personnalité, et qu'il a dû 
en conséquence montrer que les personnes morales cor- 
respondaient' à cette définition. Pour lui, si l'homme est 
une personne « c'est qu'il a sur ses actes un pouvoir 
suprême de direction que n'ont pas les autres êtres » (3). 
La personnalité n'est pas autre chose que la liberté eu 

(1) Gpr. dans le sens de M. Hauriou, la thèse de M. Achille 
Meslre sur les Personnes morales et le problème de leur res- 
ponsabilité pénale {^esh^ 4899, notamment p. 191 et suiv.), 

(2) Cours de philosophie du droit, t. Il, p. 23 et s,, et Concep- 
tion des personnes morales (Rapport présenté au 2e Congrès inter- 
national de philosophie tenu à Genève du 4 au 8 septembre 1904. 
Genève, Kùndig, éditeur). 

(3) Conception des personnes morales, p. 6. 



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LÀ NOTION DE PERSONNALITE MORALE 91 

prenant bien soin de ne pas entendre ce mol dans le 
sens de « liberté d'indifférence », mais dans le sens de 
faculté de se diriger soi-même suivant une lumière 
supérieure (1). C'est Vactivité volontaire de l'homme 
activité réfléchie, éclairée par la raison, activité dans 
laquelle il est lui-même le maître de la direction 
suprême de ses actes, qui constitue sa personnalité ; car 
c'est précisément par là qu'il est susceptible d'avoir des 
droits et des devoirs. Ces mots n'auraient pas de sens à 
son égard s'il n'élait qu'un être passif subissant aveu- 
glément les forces de la nature, 

La définition du moi personne étant ainsi donnée, la 
question e^t de savoir si elle ne peut pas s'appliquer à 
autre chose qu'aux individus humains. Or, dit Tauteur, 
elle s'applique également à des groupes de personnes^ 
« pourvu que comme groupe elles soient douées des 
mêmes puissances d'action et d'un pouvoir semblable 
d'imprimer à ces puissances une direction effective » (2). 
Et il essaie de démontrer que les groupes qualifiés de 
personnes morales remplissent cette condition. La plu- 
part de ces personnes en effet se ramènent au type de la 
société, c'est-à-dire de la collaboration volontaire de plu- 
sieurs personnes vers un bien commun, par des moyens 
communs. La société ainsi comprise est « une puissance 
directrice, intelligente et libre, d'un ensemble de forces 
naturelles » (3), par conséquent une personne ; et ce qui 
constitue cette personne, c'est « le faisceau de volontés 
des associés, en tant que ces volontés se dirigent d'accord 
vers le but social » (4). 

(i)/rf.,p. 9. 
(2)/rf., p. J3. 
(3)/rf.,p. 45. 

(4) Id.y p. 16. 



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y^ CHAPITRE PREMIER 

42. Nous sommes absolument d'accord avec M. Boislel 
sur le sens philosophique du mot personne. Nous consi- 
dérons comme 1res juste l'analyse si fine qu'il présente 
du dédoublement de la volonté des associés, et des 
moyens mis en œuvre pour donner à leur volonté la 
part qui lui revient dans la direction de j'àctivité com- 
mune. Mais il ne nous semble pas qu'il réussisse à dé- 
montrer l'existence de la personnalité sociale. Au con- 
traire ses prémisses auraient dû le conduire à admettre 
que dans la société, les seules véritables personnes sont 
les associés eux-mêmes ; car ce n'est pas la société qui 
a le pouvoir directeur, l'activité libre et intelligente, 
telle qu'il Ta définie, ce sont les associés. Le point où 
nous commençons à nous séparer de lui se trouve dans 
l'une des phrases que nous citions plus haut. Les 
groupes de personnes, nous dit-il, devront jouer le 
même rôle que les personnes physiques, « pourvu que 
comme groupe, elles^ (c'est-à-dire les personnes grou- 
pées) soient douées dés mêmes puissances d'action... »I1 
aurait dû dire, croyons-nous pour déntiontrer sa thèse ; 
les groupes de personnes seront eux-mêmes des per- 
sonnes, si ces groiipes'soni doués de la même puissance 
d'action. Mais cette démonstration n'est évidemment pas 
possible. Les volontés dirigeantes, ce sont toujours celles 
des associés ; et le fait qu'elles se dirigent en commun 
vers un but commun n'en change pas la nature. Fais- 
ceau de volontés, soit ! Mais npn volonté ayant une 
existence propre et distincte de celle des associés. 

Cette manière de concevoir la personnalité n'aboutit 
d'ailleurs pas plus que celle de M. Hauriou à indiquer 
d'une manière satisfaisante la limite du concept. Il y a 
faisceau de volonté dans toute société ou association 



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LA NOtlON t)E PERSONNALITE MORALE 03 

quelle qu'elle soit ; toute société ou association est donc 
personne morale. M. Boistel ne recule pas devant cette 
affirmation qu'il applique notamment à la société conju- 
gale {{). Mais il ajoute que, dans certaines sociétés, cette 
personnalité n'existe qu'entre les parties, dans les rap' 
ports des associés entre eux^ et non à l'égard des tiers ; et 
il donne pour preuve de cette personnalité partielle (en 
droit positif français), les textes du Code civil sur les 
sociétés (art. 1845-1847, 1850-1852), qui parlent de dettes 
et de créances entre la société et les associés. Or ces 
termes ne sont point démonstratifs de la pensée du légis- 
lateur, car le mot société peut fort bien y être une 
expression abrégée pour désigner les associés ; il ne 
prouve pas plus que les mots dette sociale^ obligation 
contractée pour le compte de la société^ qui se trouvent 
dans les textes relatifs aux rapports de la société avec 
les tiers (art. 1862-1864). Au' fond, il nous paraît peu 
hogique d'admettre la personnalité à l'égard de certains 
rapports juridiques seulement, et précisément pour les 
rapports internes dans lesquels elle joue assurément un 
rôle moins important que dans les rapports externes. 

43. Toutes ces théories échouent à nos yeux parce 
qu'elles veulent trop prouver. Elles ne posent pas seule- 
ment urre thèse appartenant à la technique juridique, 
elles entreprennent de démontrer que les groupements 
ont une personnalité philosophique analogue à la per- 
sonnalité humaine. Dans cette voie on ne peut aboutir. 
Il faut séparer nettement le point de vue juridique du 
point de vue philosophique, Jellinek, avec qui nous 



(1) V. C40ur8 de philosophie du droit, t. II, n»8 315 et 344 et s. 
V. aussi Cours de droit commercial, 4" éd., p. 126-127. 



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94 CttÀPtTRÈ t^REMIBti 

sommes tout à fait d'accord sur cette idée (1), n'arrive 
cependant pas^ suivant nous, à la véritable solution 
parce qu'il conserve une trop grande part à la volonté 
dans la notion qu'il se fait de la personne juridique. 
Vo}'ant en elle un élément essentiel de la personne, qui 
doit se trouver en elle-même^ il est réduit à dire qu'il 
s'y trouve non pour le philosophe mais pour le juriste, 
et cela nous paraît, malgré ses ingénieuses explications, 
insuffisant, parce que cela consiste simplement à substi- 
tuer une fiction à la réalité. Voici l'exposé que l'auteur 
nous fait de sa théorie dans l'ouvrage où, à propos de la 
personnalité de l'Etat il l'a développée le plus complète- 
ment, le System der subjectiven 6 ffent lichen Rechte (2). 
Il y a, nous dit-il, suivant le point de vue auquel on 
se place des notions différentes d'un même objet, notions 
qui ne doivent point se contredire mais qu'on ne peut 
confondre sans commettre un vice de méthode. Pour le 
physiologiste et le psychologue par exemple, une sym- 
phonie de Beethoven n'existe pas comme objet distinct; 
elle n'est qu'une succession de mouvements produisant 
une succession de sensations. Pour l'esthéticien au 
contraire, elle est une chose distincte, qui existe au 
moins dans le monde des sentiments esthétiques^ et 
qui doit être étudiée comme telle. Il en est de même des 
institutions juridiques. La question qui se pose au 
juriste n'est pas de savoir si elles existent dans le monde 
physique comme des êtres individuels; il se demande 
seulement comment on doit les concevoir dans le monde 
des relations humaines, auquel seul elles appartiennent. 

(4) V. not. Allgemeine Staatslehre, p. 460-461. 
(2) Notamment p. 43 et s., p. 28 etc. 



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• x'.»viV':» 



LÀ NÔtlÔN DE PERSONNALITE MORALE 9S 

Rieu de plus dangereux que de confoudre les deux gen- 
res de notions : « Le synchrélisme mélhodique compte 
parmi les vices scientifiques de noire époque. La jmé- 
thode des sciences naturelles, la recherche empirique, 
rinvestigation biologique entrent en scène, et nous ap- 
portent des découvertes sensationnelles. D'un côté, on 
avertit le juriste que l'Etat, n'ayant ni tête tii jambes, 
ne peut pas être une personne. De l'autro on découvre 
comme une vérité destinée à faire époque, que l'Etat 
forme avec les bacilles, les fougères, les mammifères, 
les associations et les corporations, une grande catégo- 
rie d'individus semblables dans leur essence. » Le 
monde juridique n'est pas un monde physique. C'est un 
monde d'êtres qui n'existent que dans la pensée de 
l'homme, qui toutefois ne sont pas des fictions, mais 
des abstractions, c'est-à-dire des notion^ générales déri- 
vées du monde réel à peu près comme les notions ma- 
thématiques. On n'a jamais nié l'existence du point ou 

de la ligne, ni traité \l2 comme une fiction, sous pré- 
texte que ce ne sont pas là des choses visibles et saisis- 
sables. Le juriste n'a pas à rechercher quelle est l'es- 
sence physique de l'Etat, mais seulement ce qu'il est dans 
le monde juridique. 

Or, en se plaçant à ce point de vue tout relatif, on 
trouve dans TElat (comme dans tout© personne collec- 
tive), deux caractères. En premier lieu il est une unité de 
personnes (1). L'idée d'unité est dans le monde pratique 
une idée toute subjective : la seule unité réelle serait 



(1) L'auteur qui parle ici spécialement de l'Etat, ajoute : « ayec 
un fondement territorial » . Nous supprimons ces mots pour em- 
brasser dansr la démonstration toutes les personnes collectives. 



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96 GfiAPlTRE t>RfiAllEft 

l'alôme; les unités dont nous admetlons Texistence ne 
sont telles que dans notre esprit ; elles se composent 
d'éléments distincts, soit dans le temps, soit dans Tespace, 
éléments que nous réunissons par la pensée à raison d*un 
caractère commun qui leurappartient.DansIe monde juri- 
dique, ce caractère commun, c'est le but. On le retrouve 
dans toutes les parties du domaine du droit: si le droit 
envisage une chose déterminée comme un objet distinct, 
c'est parce que, comme telle, elle peut servir à l'un des 
besoins de l'homme. Pour le physicien ou le chimiste, il 
n'y a pas des tables, des* chaises, des maisons, mais 
seulement du bois, de la pierre, ou du métal C'est le but 
qui individualise ces objets. C'est le but aussi qui indi- 
vidualise, au point de vue du droit, les actions humai- 
nes, qui fait par exemple qu'un délit ou un acte juridi- 
que sera considéré comme une chose unique, alors 
même qu'il se compose d'actes isolés par le temps. 
C'est le but enfin qui donne l'unité à des successions ou 
à des réunions d^individus: la succession des fonction- 
naires remplissant un emploi, ou des sentinelles mon- 
tant la garde à la porte du général; la réunion formée 
par une famille, une association, une corporation. Au 
point de vue absolu, il n'y a là que des hommes qui se 
succèdent, ou qui entrent en relation les uns avec les 
autres; au point de vue juridique, il y a là de véri- 
tables unités, agglomérées, maintenues, cimentées, par 
l'unité du but. 

L'État qui constitue ainsi une^unité constitue aussi 
une personnalité. C'est encore là une notion purement 
juridique (1), qui n'exprime autre chose que la capacité 

(i) Jeliinek insiste sur cette idée (du reste admise en dehors de 
lui parla plupart des auteurs), que Fidée de personnalité juridique 



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La NOTIOII de PBltSÔNNALkTB MORALE 9l 

d'être sujet de droit. Si elle existe au profit de rhomme 
individuel, ce n'est pas en vertu de la nature elle-même^ 
c'est seulement en vertu du droit, et à la suite d'un long 
développement historique. Jellinek admet, comme les 
auteurs précédents, que le sujet de droit doit avoir néces- 
sairement une volonté personnelle. Mais à ses yeux 
l'Etat comme toute personne collective, est capable d'a- 
voir une volonté qui n'a rien de fictif. Nous concevons, 
dit-il, celle volonté comme une volonté distincte, en 
vertu de la même nécessité intellectuelle qui nous fait 
admettre l'unité de la personne collective. Du moment 
que cette unité existe, nous devons lui attribuer, au 
moins au point de vue de la raison pratique, les actes de 
volonté qui la dirigent vers son but. Ces actes seront 
donc dans le monde physique des actes de volonté des 
individus (\), mais dans le monde juridique des actes de 
volonté de la collectivité. Il n'est pas besoin pour^cela 
qu'une loi le reconnaisse. Si nous les considérons 
corame tels, c'est en vertu d'une nécessité de notre 
esprit qui s^applique à toute unité d'individus organisée 
en vue d'un but, alors môme qu'il s'agirait d'une asso- 
ciation de malfaiteurs ou de tout autre groupement illi- 
cite. Mais cette personnalité de fait ne devient une per- 
sonnalité juridique qu'en vertu du Droit, qui fait, de 
l'organe de la volonté de fait, un organe juridiquement 
reconnu. 

doit rester une notion purement juridique. A ce point de vue, il 
n'existe pas de personne naturelle ; Thomme comme les êtres col- 
lectifs, ne devient une personne juridique que par l'établissement 
du règne du droit. 

(ty Jellinek est très ferme sur ce point, et combat nettement la 
théorie de la volonté de Torganisme. C'est nous qui soulignons ce 
passage particulièrement caractéristique. 

mCHQUD 7 



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d8 GH4P1Tt<E PRRMlËti 

44. Cette théorie a le mérile de poser nettement la 
question sur son véritable terrain, et de renoncera une; 
démonstration métaphysique de la personnalité. NouS) 
sommes d'accord avec elle sur cette idée essentielle quô; 
la notion qu'il s'agit de dégager est une notion pure- ; 
ment juridique. Elle a seulement le tort, à nos yeux, de 
maintenir comme indispensable, dans la notion de per- 
sonne, celle d'une volonté lui appartenant en propre. 
Elle s'oblige par là à démontrer que les personnes col-- 
lectives sont douées de volonté, et cette démonstra- 
tion, en réalité, elle ne la fait pas. Elle équivaut à dire; 
que les personnes morales n'ont point de volonté^ 
mais que, par une conception naturelle de notre esprit, 
nous lui attribuons la volonté des personnes physiques* 
Les partisans de la fiction ne disent guère autre chose,, 
et s'abstiennent seulement d'insister sur le caractère 
nécessaire de l'opération. Aussi les Germanistes repren- 
nent-ils sévèrement Jellinek, en faisant observer que ce 
n'est pas mettre de côté la fiction que de l'exprimer en 
termes différents (1). D'autre part, la théorie de Jellinek 
s'expose au reproche si souvent encouru par les juristes 
d'oublier les faits de la vie réelle pour se jeter dans le 

(1) Preuss, dans Archiv, fur ô/fentliches Recht, 1889, p. 80 ; et 
dans Gemeinde Staat., . p. 154. V. une discussion détaillée de la 
théorie de Jellinek dans V Handworterbuch dei^ Staatswtssens 
chaften de Conrad (2« éd., t. VI, p. 9t4, au mot Staat). Edgard 
Lôning, l'auteur de cet article fait observer que la théorie confond 
la notion ou représentation de la personne avec son objet Ce 
n'est pas la notion d^ personne qui est douée de personnalité, 
c'est l'être, quel qu'il soit, auquel s'applique cette notion. Il ne 
suffit donc pas de dire que le juriste se fait une notion particu- 
lière de la personne ; il faut dire quelle est cette notion et montrer 
qu'elle s'applique aux groupes dont il s'agit de démontrer la per- 
sonnalilé. Celte démonstration, en réalité Jellinek ne la donne pas. 



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LÀ KOTIO)<r DB PfeRSONNÀLITË MORALE^ Od 

monde des abstractions. Elle ne montre pas comment 
Tabslraction, qui est nécessaire, se relie a la réalité. 
Elle permet de soutenir que les faits sont, ici, non seu- 
lement interprétés, mais transformés. Par quel coup de 
baguette magique, en effet, la volonté des individus 
devient-elle la volonté du groupe? On ne nous l'expli- 
q-ue pas, sinoîi en nous disant qu'il est nécessaire prati- 
quement que le Droit la considère comme telle, et, 
étant donné le point de départ, cela ne nous satisfait pas. 



IV 



45. Si Ton tombe dans toutes ces difficultés d'où il est 
impossible de sortir, c'est, croyons-nous, qu'on- a pris un 
faux point de départ d'ans la définition du droit subjectif 
telle que nous l'avons donnée plus haut(i). Comme défi- 
nition descriptive elle n'est point inexacte, elle exprime le 
résultat tangible que produit, au profit de son titulaire^ 
le droit subjectif, résultat qui est de donner à sa volonté 
(ou à la volonté qui le représente) un certain pouvoir que 
la loi protège. Mais elle n'exprime pas le fondement et 
Tessence même tlu droit. Il est pas vrai que ce fondement 
se trouve dans la volonté. La puissance reconnue à celle- 
ci par la loi n'est qu'une conséquence, conséquence qui, 
il est vrai, se produit nécessairement, mais qui peut se 

(i) La théorie que nous développons dans les pages suivantes 
est, au moins quant au point de départ, celle qui a déjà été émise 
par certains auteurs : Beroatzik, dans Archiv. fur ôffentlichè 
Rechtj 4890 (t. V), p. 169 et suiv. ; Karlowa, dans Grûnhufs 
Zeitschrift^ t. XV (1888), p. 381 et suiv. ; Rosin, dans Anna/en 
des deutschen Reichs, 1883, p. 28tt et suiv. Nous jugeons peu utile 
de préciser les points de détail qui nous séparent de ces auteurs, 
ou qui les séparent entre eux. 



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tOO CbAPITRE PREMiEI^ 

produire au profit d'une autre volonté que celle du titu- 
laire du droit. 

46. i* Pour prouver cette assertion, on peut invo- 
quer tout d'abord, comme Ta fait Ihering (1), la situa- 
tion des êtres humains dénués ou à peu près dénués de 
volonté, tels que le fou ou Vin/ans, L'absence de volonté 
chez eux n'a jamais empêché de leur reconnaître une 
personnalité et de leur attribuer des droits. Elle à eu 
seulement pour effet d'obliger le législateur à déléguer 
l'exercice de ces droits à des représentants légaux. Par 
quoi cependant s'explique cette personnalité ? On a dit 
que la volonté de ces personnes existait au moins en 
germe, Tenfant pouvant grandir, et le fou arriver à la 
guérison (2). Mais la réponse est manifestement insuf- 
fisante, car elle mènerait à conclure que leur personna- 
lité, elle aussi, n'existe qu'en germe, et que les droits qui 
lui sont rattachés doivent disparaître rétroactivement — 
comme ceux de l'enfant conçu et non encore né — si le 
germe ne se développe pas. On a dit aussi, et l'objection 
paraît au premier abord plus sérieuse, qu'en réalité 
ces personnes ne sont nullement dénuées de volonté : 
« L'enfant et le fou, dit M. de Lapradelle (3), présentent 
dès maintenant une réflexion et une volonté, l'une nais- 
sante, l'autre malade, mais dont la faiblesse chez le pre- 
mier, et l'altération chez le second supposent l'existence, 
car on ne qualifie pas le néant. » Et l'observation est très 
exacte, mais elle ne résout pas la difficulté. Car ce 
n'est pas cette volonté naissante ou malade ^ui peut 

(i) EspHt du droit romain. Trad. Guenoux, t. IV, § 70, 
p. 319 320. 

(2) Roguin, La règle du droit, p. 395. 

(3) Théorie et pratiqve des fondations y p. 429. 



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-^fO^^ ■« •• , 



LA NOTION OB PERSONNALITÉ MORALE iOt 

être le fondement des droits qu'on leur reconnaît ; Ta 
preuve en est qu'on n'accorde à cette volonté aucun effet, 
et que lorsqu'elle vient à se manifester, la loi n'en tient 
pas compte, mais lui substitue une volonté étrangère. Si 
Ton ne cherche pas ailleurs que dans la volonté la rai- 
son d'être du droit, on est obligé logiquement de dire 
que le titulaire du droit n'est autre que celui dont la 
volonté est protégée, par conséquent le représentant, 
toutes les fois que la représentation n'est pas purement 
volontaire. Et alors le fou, Vinfans^ et d'une façon géné- 
rale tout incapable frappé d'incapacité absolue, ne peu- 
vent plus être que des personnes fictives, sur qui on 
transporte artificiellement le bénéfice de droits qui en 
réalité appartiennent à d'autres (1), 

47* Mais on peut, en quittant ce terrain un peu étroit, 
arriver à une démonstration plus complète. Même chez 
l'être juridique par excellence, chez l'homme adulte et 
maître de ses droits, ce n'est pas la volonté en elle-même 
et pour elle-même qui est protégée. Elle n'en serait pas 
toujours digne, puisqu'elle peut se déterminer soit pour 
le bien, soit pour le mal (2). Aussi tout acte de volilion 

(4) Certains auteurs n'ont pas reculé deyant cette logique. Bier- 
ling, Zur Kritik der juHstischen grundbegriffe (4883), t. Il, 
no 165. 

(2) Fouillée, Idée moderne du droit, p. 203. Tout en critiquant 
le libre arbitre, M. Fouillée démontre que ce libre arbitre, s'il 
existe, n'est pas digne d'être protégé pour lui-même :« Cette faculté 
attribuée à l'homme de vouloir une chose quand il pourrait vouloir 
l'opposé n'est qu'une force à double effet, comme la force de la 
vapeur, qui peut faire aller une locomotive aussi bien en arrière 
qu'en avant ; mais la locomotive est-elle plus sacrée et plus invio- 
lable parce qu'on y peut renvoyer la vapeur et appliquer la force 
motrice à deux fins. . . ? » 



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102 CHAPITRE PREMIER 

n'esL-il pas protégé. Le Droit distingue parmi les mani* 
feslations d'une même volonté ; il donne aux unes sa 
sanction, il la refuse aux autres. Pourquoi cela ? Parce 
que, ce que le Droit veut protéger quand il sanctionne 
une volonté, ce n^est pas Pacte de volition en lui-même, 
c'est son coutenu. On ne peut pas vouloir sans vouloir 
quelque chose (i) ; c'est ce quelque chose qui est Tobjet 
de la protection légale, non pas uniquement parce qu'il 
est voulu, mais parce qu'il est conforme à l'idéal, quel 
qu'il soit, que le législateur s^est formé de Tordre et de 
la justice. La loi protège, non la volonté, mais l'intérêt 
que cette volonté représente. 

48. Avant de répondre aux objections que cette doc- 
trine peut soulever^ il importe de bien la préciser. L'in^ 
térét est l'élément fondamental du droit ; le titulaire du 
droit est l'être collectif ou individuel, dans l'intérêt de 
qui ce droit est reconnu. Mais cela ne veut pas dire que 
la v£»Ionté ne soit pas aussi dans le droit un élément 

(1) JeUinek. System dersubj. offent. Rechte, p. 40. On arrive 
à un résultat un peu analogue, au nôtre si Ton admet, avec 
M. Boistel (Cours de philosophie du droit, no 79, et passim), 
que le droit a sa base dans l'acte de volonté protégé par la loi 
morale. Le fondement du droit n'est plus, comme dans l'école 
libérale pure, la liberté d'indifférence, mais uniquement la liberté 
tendant au bien. Au fond, dans ce système, c'est bien plus le 
contenu de la volonté que la volonté elle-même qui est élevé par 
la loi à la dignité de droit positif. Sans doute on peut dire — et 
nous l'admettons — que le législateur doit reconnaître comme 
droit toute activité libre protégée par la loi morale. Mais comme 
il est seul compétent en fait pour déterminer les idées morales 
dont il s'inspire, cela équivaut à dire qu'il protège les intérêts qui 
lui paraissent en harmonie avec l'idéal qu'il se fait de Tordre et de 
la justice. Il les protège du reste comme nous l'expliquons à la 
suite du texte, en donnant aux volontés humaines le pouvoir de les 
réaliser. 



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LA NOTION DE PERSONNALITÉ MORALE 103 

essentiel; elle est seulemenl un élément plus secondaire^ 
parce qu'elle n'est pas la cause du droit et qu'elle ne 
réside pas nécessaireo^enl dans son titulaire. Toutefois 
elle ne peut être complètement absente ; il ne serait pas 
exact de dire purement et simplement, comme Ta fait 
M. Ihering (1), que le droit est un intérêt juridiquement 
protégé. Il y a des intérêts répondant à cette définition 
qui ne sont pas pour cela élevés à la dignité de droits : 
rintérêt des fabricants et des ouvriers protégés contre la 
concurrence par un droit de douane ; l'intérêt des indi- 

(\) Esprit du droit romain^ t. IV, p. 326 et 337. Cpr. RoguiA, 
La règle du droit, p. 85. Cet auteur élimine complètement l'élé- 
ment î?o/on^e. Quant à Ihering, il fait lui-même, p. 337, l'observa- 
tion que nous signalons sur les intérêts qui, bien que protégés par 
action réflexe, ne sont pas pour cela des droits, il a seulement le 
tort de ne pas tenir compte de ces intérêts dans la définitioQ qu'il 
répète à deux reprise. — M. Hauriou a donné du droit subjectif 
une définition analogue à celle d'Ihering ; un intérêt individuel 
socialement garanti. Cette définition {Précis de droit adminis- 
tratif, p. 3n, note 3) n'est pas nod plus assez précise. — Un de 
ses élèves, M. Barthélémy (Essai d'une théorie des droits sub- 
jectifs des administrés, 4899, p. 21), a défini le droit subjectif : 
celui dont la réalisation peut être obtenue par un moyen juridique 
à la disposition du sujet. La définition est à nos yeux excellente, 
si Ton ajoute : ou de son représentant. Le moyenjnridiquequi est le 
signe de l'existence du droit subjectif, c'est, pour cet auteur comme 
pour Ihering, l'action en justice. Pour nous ce n'est point exact. 
L'action en justice est la sanction la plus habituelle du droit ; elle 
n'en est pas la seule sancliop possible. Il peuc y avoir, et il y a en 
fait dans les législations positives, d'autres moyens juridiques à la 
disposition du sujet, par exemple ceux que peut invoquer le créan- 
cier d'une obligation naturelle. V. au surplus ce que nous disons 
plus loin de l'intérêt protégé par le droit naturel. V. aussi en ce 
qui concerne les droits appartenantàTËtat vis-à-vis desos organes 
constitutionnels, droits qui ne sont pas sanctionnés par une action 
mais par des moyens spéciaux. Romano Santi : Nozione e natura, 
deg II organicostituzionali délie Stato{?SL\evme\S9S),^. 64 et suiv. 



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104 CHAPITRE PREMIER 

genls à recevoir des secours de TAssistance publique 
dans les législations qui n'admeUent pas le principe du 
droit personnel à Tassistance ; l'intérêt des particuliers 
à jouir des avantages que leur présentent certaines par- 
ties du domaine public, et autres semblables. Que man- 
que-t-il, dans ces divers cas, pour que nous nous trou- 
vions en face d^un droit subjectif ? Il manque une volonté 
à qui la puissance soit donnée de réaliser ou de ne pas 
réaliser le droit suivant son bon plaisir ; qui soit chargée 
de le défendre si on l'attaque, et de faire les actes néces- 
saires ^à son exercice ; en un mot, une volonté qui le 
représente. Tant que la loi ne reconnaît pas une volonté 
de cette nature, elle ne protège l'intérêt que d'une façon 
indirecte ; elle ne le protège pas pour lui-même, mais 
en considération d'un autre intérêt général ou particu- 
lier... On ne peut pas dire dans ce cas qu'elle voit, dans 
l'ensemble des êtres intéressés plus ou moins directe- 
ment au but qu'elle vise, une personne juridique, parce 
que ces êtres ne peuvent ni par eux-mêmes, ni par leurs 
représentants, invoquer la protection légale. Ce sont là 
dé simples intérêts garantis par V effet réflexe d'un droit 
appartenant à l'Etat ou à une autre personne ; on leur a 
donné le nom de droits-reflets (i) ; en réalité ce ne sont 

(t) Barthélémy, op. cit.^ p. 16. C'est la traduction iogénieuse, 
quoiqu'un peu libre, de Texpression allemande : Reflexrecht. Ihe- 
ring a signalé ces effets réflexes de certains droits, ou actions 
réflexes juridiques, dans son Esprit du droit romain (Trad. Meu- 
lenaère, t. IV, p. 337) ; il les a étudiés dans les Jahrbûcher t. X, 
p. 245 et suiv..., article reproduit dans ses Gesammelte Aufsàtze^ 
t. If, p. 79 et suiv.). Enfin la distinction du Reflexrecht et du droit 
subjectif .a été magistralement étudiée au point de vue du droit 
public par Jellinek [System der subjectiven ôffentl. Rechte, p. 63 
et suiv,), 



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LA NOTION DE PERSONNALITE MORALE 105 

pas de véritables droits. Pour qu'il y ait droit il faut une 
protection directe et immédiate. Nous définirons donc 
le droit subjectif : V intérêt (T un homme ou d'un groupe 
d hommes y juridiquement protégé au moyen de lapuis* 
sance reconnue à une volonté de le représenter et de le 
défendre (1). Nous ajouterons que le titulaire du droit 
est Têtre (collectif ou individuel) dont Tintérét est ainsi 
garanti, alors même que la volonté qui le représente ne 
lui appartiendrait pas en propre au sens métaphysique 
du mot. Il suffit que cette volonté puisse lui élvçi sociale- 
ment ou pratiquement attribuée pour que la loi, sans 
s'écarter de son rôle qui consiste à interpréter les faits 
sociaux, doive la considérer comme la sienne. 

48 bis. Ces explications répondent par avance à 
quelques-unes des objections qui ont été adressées à 
notre théorie depuis sa première publication. M. de Va- 
reilles-Sommières (2) a essayé d'en faire sortir des con- 
séquences compromettantes : il en résulterait, dit-il, que 
Yinfans sans père vivant et sans tuteur n'est pas une 
personne, puisqu'aucune volonté ne le représente ni 
ne protège ses intérêts ; il en résulterait, d'autre part, 
que les bêtes protégées par la loi Grammont sont des 
personnes, puisque « les agents de police judiciaire 
sont chargés de protéger l'intérêt évident qu^ont ces 
pauvres bêtes à n'être pas l'objet de sévices inutiles. » 



(i) Cpr. la définition du sujet de droit dans Bernatzik, op.cit,, 
p. 233, et celle du droit subjectif, eod. 1. p. 263. V. aussi, Santi, 
Romano, La theoria dei diritti publici subjectivi, dans Orlandoi 
Traita ta di diritto amminisirativo, t. I, p. 123. 

(2) Les personnes morales, no» 206 et s.,. où Tauteur discute les 
explications précédentes déjà présentées par nous en 1899, dans la 
Revue de droit public. 



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106 CHAPITRE PREMIER 

A cela nous répondons, sur le premier point, que VinfanSy 
même sans luleur actiiely est bien une personne, par 
cela seul que la loi contient les dispositions nécessaires 
pour lui organiser une représentation juridique dès que 
ses intérêts Texigeront. Si elle ne l'avait pas fait, et si la 
coutume ne suppléait pas à son silence, il serait très 
exact de dire que Y infans n'est pas une personne juri- 
dique. Il ne le serait pas plus que resclave des sociétés 
antiques. — Quant au second point, il nous parait évi- 
dent que les bêles protégées par la loi Grammont ne le 
sont point pour elles-mêmes^ pas plus que les fleurs 
alpestres protégées par les règlements de police. Elles le 
sont dans un intérêt humain, à la requête d'hommes qui 
se sont émus des instincts sanguinaires que les mauvais 
traitements infligés aux animaux révèlent dans le cœur 
de rhomme. Ce qui prouve bien que ce texte et les 
textes semblables ne reconnaissent aux animaux aucun 
droit, c'est qu'ils n'interdisent que les mauvais traite- 
ments inutiles et non ceux qui servent aux fins supé- 
rieures de rhumanité, tels, par exemple, que la vivi- 
section. Aussi ne dotent-ils pas les animaux d'une 
représentation attitrée, mais au contraire donnent com- 
pétence pour les protégera tout fonctionnaire compétent 
pour concourir à la répression des crimes et délits. 
L'avantage que ces « pauvres bêtes » retirent de la loi 
Grammont est l'un de ces effets réflexes du droit objec- 
tif (ou du droit de l'Etal), que nous avons distingués 
plus haut des droits proprement dits. 

Il en est de même, suivant nous, dans tous les cas où 
des droits semblent appartenir à des animaux où à des 
objets : par exemple, dans les fondations en faveur des 
animaux (ours de Berne), ou d'un objet inaninmé (Man- 



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La notion de PERSONNALITE MORALE 107 

neken Pis de Bruxelles); L^intérêt que la loi protège en 
faisant respecter ces fondations est celui du groupe 
d'hommes qui juge utile à ses propres fins leur entretien 
ou leur conservation. Permis au Mauneken Pis d'avoir 
des rentes^ une garde-robe bien fournie, et un valet de 
chambre ! Il n'a tout cela (fue parce que des hommes s'in- 
téressent à lui. Ce sont ces hommes que la loi entend 
protéger et non lui-même. L'intérêt élevé à la -dignité 
de droit est toujours un intérêt humain^ celui d'un 
homme ou d'un groupe d'hommes (1). 

49. Nous avions d'autre part, dès 1899, prévu et 
essayé de réfuter à l'avance une autre objection fonda- 
mentale, celle que l'on avait déjà opposée à la définition 
d'Ihering. Cette définition et par conséquent la nôtre 
semble au premier abord, si l'on a sur la base du droit 
individuel certaines idées, faire disparaître les droits 
de la personne humaine vis-à-vis de l'Etat, et donner à 
ceitti-ci un pouvoir illimité pour déterminer les intérêts 
qu'il juge dignes de protection. Si l'homme, a-t-on dit, 
est un sujet de droit naturel, s'il a des facultés inalié- 
nables sur lesquelles l'Etat nç peut porter la main, 
c'est qu^il est doué de raison et de volonté, que cette 
volonté est responsable, et qu'elle doit avoir les moyens 
de réaliser sa vocation divine vers le perfectionnement 
moral. « Aujourd'hui tout homme est une personne, 
dit Laurent ^(2). Pourquoi? Parce que tous les hommes 
ont pour mission de devenir parfaits, comme leur 
Père dans les cieux ; c'est la parole de Jésus-Christ, 
el c'est aussi la doctrine des philosophes. Cette œuvre 

(1) Gpr. sur les droits en apparence reconnus aux animaux. 
Roguin. La règle de droit, vl^ 218. 

(2) Avant-projet de revision du Code civil belge, t. I, p. 379. 



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108 CHAPITRE PREMIER 

de perfectionnemenl indéfini implique la jouissance 
des droits qui mettent Thomme à même de dévelop- 
per les facultés physiques, intellectuelles et morales 
dont Dieu Ta doué. Il est d'évidence que cette notion 
de la personne ne s'applique qu'à l'homme, dont la 
vie est une existence infinie, consacrée à son déve- 
loppement. Les corporations n'ont point de vie réelle; 
elles n-ont qu'une existence fictive ; donc elles ne sau- 
raient être des personnes. » Si nous voyons dans Tinté- 
rêt le fondement du droit, que deviennent ces droits de 
la personne? L'un des plu^ éminents représentants de 
l'École libérale (1) a reproché à la doctrine de l'intérêt, 
telle qu'elle était formulée par Ihering, d'aboutir à leur 
négation et de ne plus laisser au droit d'autre fonde- 
ment que la loi positive : (( Ihering conteste que les 
droits de la personne aient une réalité indépendante et 
nécessaire ; il ne les reconnaît pas en dehors d'une 
sûreté juridique acquise ou, ce qui revient au même, en 
dehors d'une concession de la loi ; ce ne sont pour lui 
que des intérêts juridiquement protégés... Quelle réalité 
le droit a-t-il s'il n'existe pas en dehors d'une sûreté 
juridique acquise, en d'autres termes d'une concession 
et de l'appui de TsCutorité? » 

50. L'objection est juste peut-être si on la dirige 
contre l'ensemble de la théorie dlhering. Elle ne l'est 
plus si on l'adresse à sa définition du droit, que nous 
avons reproduite en la complétant.. Cette définition, 
prise en elle-même, est très compatible avec la notion 
de droit naturel, quelle que soit du reste l'idée que l'on 
se fasse de ce droit. Un intérêt juridiquement protégé, 

(i) Beudant, Le droit individuel et V Etat y p. 210. 



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^WTWv 



LA NOTIOK^ DK PKRSONNiLLlté MORALE lOd 

c*esl à tios yeux un intérêt protégé par le droit objectif j 
et il n^cst nullement nécessaire d^entendre par là un 
intérêt protégé par le droit positif. Pour notre part, nous 
voyons dans l'Etat Tinterprèle et non le créateur du 
droit. Celui-ci existe en dehors de lui, tout au moins en 
tant qu'idée-force que l'Etat ne saurait méconnaître 
impunément (1 ) ; par là même il n'est pas entièrement 
dénué de sanction, bien que cette sanction soit impar- 
faite. L'intérêt que le droit naturel protège mérite donc 
déjà le nom de droit subjectif. Il va sans dire d'ailleurs 
que ce droit subjectif n'arrive à sa complète réalisation, 
et n'est revêtu d'une protection réellement efficace que 
lorsqu'il est reconnu par l'Etat. C'est l'Etat seul qui peut 
mettre à la disposition du ?ujet le moyen juridique des- 
tiné à assurer cette protection. Aucun système, aucune 
définition ne peut écarter ici la brutalité du fait. Mais il 
n'en résulte pas que l'Etat crée ou concède le droit ; il 
le reconnaît et prend sa défense. Toute la difficulté est 
de savoir quels droits il doit reconnaître ; et à ce point 
de vue la doctrine qui base le droit sur la volonté ne 
fournit pas plus de lumières que celle qui l'identifie avec 
l'intérêt digne d'être protégé. 

Et en effet, en prenant l'intérêt comme base de notre 
définition, donnons-nous plus libre jeu à son arbitraire 
qu'avec la définition courante? Nullement. Au contraire, 
nous élargissons la notion, et nous arrivons à classer 

(1) Nous réduisons ici à son minimum Tidée de droit naturel 
afin de ne pas être obligé d'entrer dans une discussion accessoire 
sur Texistence et le fondement de ce droit. Nous croyons que 
notre théorie sur la personnalité morale peut s'adapter à toutes les 
opinions possibles sur l'existence ou la non existence du droit 
naturel, attendu qu'elle n'est au fond qu'une théorie appartenant 
à la partie technique du droit. 



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HO CtoAPITRE PhBMlEtt 

parmi les droits que TEtat doit reconnaître, d'abord les 
droits de i^individa, puis d'autres encore que la thèse 
contraire laisse dans l'ombre, parce qu'elle est trop 
exclusive. 

51. D'abord les droits de l'individu : le premier intérêt 
qui puisse demander la protection légale, c'est bien en 
effet celui de la personne humaine. Le Droit est fait 
pour Fhomme ; il a pour mission de le placer dans les 
conditions extérieures les plus favorables à son bien- 
être physique et à son perfectionnement moral et intel- 
lectuel : pour cela il doit lui laisser, dans la mesure du 
possible, le libre exercice des facultés nécessaires à son. 
développement. C'est là Tintérêt primordial que le légis- 
lateur doit avoir en vue et qu'il protège par la recon-^ 
naissance de la personnalité humaine. L'homme est par 
conséquent le premier des centres d'intérêts auquel la 
personnalité doit être reconnue. Remarquez seulement 
que si par là sa volonté est protégée, elle ne Test pas en 
elle-même et pour elle-même ; elle est considérée 
comme un moyen et non comme un but; le bot, c'est 
rhomme lui-même, ITiomme tout entier et non telle ou 
telle de ses facultés. Cette idée seule peut à la fois 
expliquer la protection accordée à certaines manifesta- 
tions de sa volonté et déterminer les limites de cette pro- 
tection. Baser le droit uniquement sur la liberté que^l'on 
doit laisser à la volonté, c'est se condamner à en respecter 
toutes les manifestations du moment qu'elles ne portent 
pas atteinte à la liberté d'autrui (1) ; et nous croyons 

(1) Beudant, (op. cit., p. 14^), tout en soutenant que le droit, en 
thèse, se confond avec la liberté idéale, c'est-à-dire illimitée (ce 
•qui est Tessence môme de la théorie», ajoute : « Le droit positif^ 
qui est l'hypothc^se, c'est-à-dire la pratique, n'adaiet qu'une Jiberté 



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iUA. NOTION DÉ PEnSONNALITÉ ÂtOftALB il! 

qu'aucune société ne peut se foncier sur celle idée uni- 
que. Dans loutes les législations on trouve certaines 
dispositions qu'elle est impuissante à expli<juer. Pour- 
quoi donne t-on au père un droit de puissance sur son 
fils, et au mari une autorité sur sa femme? Pourquoi 
interdit-on certains faits immoraux, qui ne portent 
atteinte à aucune liberté, tels que l'inceste, les exhibi- 
tions scandaleuses, les outrages à la pudeur? Pourquoi 
réprime-t-on l'alcoolisme ? Pourquoi d'autre part n'ac- 
corde-t-on pas d'action en justice pour sanctionner tout 
accord de volonté? (1) Toutes ces questions, et autres 
semblables, ne trouvent aucune réponse dans la formule 
libérale pure. Pour y répondre, il faut placer plus haut 

limitée, et Hmilée doublement ; par le respect dû au droit d*autrui 
et par les nécessités socia-les reconnues par la loi ». — La première 
de ces limitations résulte implicitement de la théorie elle-même ; 
la liberté de chacun n'est respectable qu'autant qu'elle s'accorde 
avec la liberté de tous. Cette limitation figure dans tous les exposés 
du système, notamment dans Tarticle 2 de la Déclaration des 
droits de Thomme et dans la formule de Kant : « Agir extérieure- 
ment de telle sorte que Tusage de sa liberté puisse s'accorder avec 
celle des autres suivant une loi générale de liberté », formule qui 
aboutit adonner du droit objectif la définition rappelée plus haut: 
« L'ensemble des conditions dans lesquelles la liberté de chacun 
^peut coexister avec la liberté de tous d'après un principe général de 
liberté». — Mais la seconde limitation (nécessités sociales recon- 
nues parla loi) nous paraît contradictoire avec le principe posé ; 
car le principe équivaut à dire qu'il n'y a pas d'autre nécessité 
sociale que d'assurer la liberté de chaque individu dans la mesure 
où elle est compatible avec celle des autres. S'il y en a d'autres, il 
faut dire quelles elles sont ; et alors on sera amené forcément à 
une théorie différente de la pure théorie libérale ; il faudra les 
baser sur une autre idée que la liberté de la personne humaine. 

(4) Ihering {Esprit du droit romain, t. IV, p 329, note 505) 
demande fort justement pourquoi, dans ce système, on ne bâtit 
pas une action à raison d'une première valse promise et refusée. 



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lia GHAPlTkB PRË^iEtt 

le but du droit ; il faut le voir, non 'dans la volonté 
humaine, mais dans Thomme lui-même. Il est un sujet 
de droit, non parce qu'il veut, mais parce qu'il vit (l),et 
parce que le législateur, dans la période de civilisation 
où nous nous trouvons, a conscience qu'il ne peut 
arriver au complet développement de son être que par 
une large protection accordée à sa volonté. Cette pro- 
tection ne va pas jusqu'à couvrir sans distinction toutes 
les manifestations de cette volonté, à cette seule condi- 
tion qu'elle ne heurte pas la volonté d'autrui. Elle cou- 
vre seulement celles qui ont pour but un intérêt humain 
que le législateur considère comme digne d'être pro- 
tégé (2). 

52. S'il en est ainsi, l'homme envisagé en tant qu'in- 
dividu ne devra pas être la seule personne protégée par 
le droit. L'homme est un être social. Sa destinée ne 
peut être remplie que s'il associe ses efforts à ceux de 
SOS semblables. Isolé en face de la nature, il ne peut 
rien par sa seule force individuelle. Pour que l'humanité 
arrive au degré de civilisation où nous la voyons parve- 
nue, il a fallu, pendant des siècles, le travail collectif et 
suivi des générations qui se sont succédé. Si le droit 

(l) Otto Mdijer, Deutsches Verwaltungsrecht, t. II, p. 367. 

{t) On voit, par les développements précédents, que nous ne 
repoussons point la théorie du droit naturel qui considère comme 
ridée primordiale du droit celle du respect de la personnalité hu- 
maine, dans les limites de la loi morale. Cette théorie peut s'adap- 
ter, comme toute autre d'ailleurs, à notre théorie de technique juri- 
dique. Mais nous combattons l'idée que, dans chaque droit subjectif 
envisagé séparément, on doive trouver une volonté spéciale du sujet 
de droit. Le respect de la personnalité humaine, largement entendu, 
nous conduit à respecter les intérêts légitimes que les hommes 
poursuivent collectivement, alors même qu'on ne peut considérer le 
groupe qu'ils forment comme doué de volonté naturelle. 



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•^rapî^rw»:^ 



LA NOTION i)E PEftSONNALITE MORALE 113 

veut correspondre aux besoins de rhumanité, dégager 
la formule exprimant aussi exactement que possible les 
rapports existant dans la société humaine, il ne doit pas 
seulement protéger Tinlérêt de l'individu, il doit garantir 
aussi et élever à la dignité de droits subjectifs les inté- 
rêts collectifs et permanents des groupements humains, 
11 doit donc permettre à ces groupements d'être repré- 
sentés par des volontés agissant en leur nom ou, en 
d'autres termes, les traiter comme des personnes mora- 
les. Reconnaître le groupement comme licite, c'est par 
là-nlême reconnaître l'intérêt qu'il poursuit comme 
digne d'être protégé ; c'est parconséquent reconnaître 
implicitement sa personnalité juridique. 

53. 2*^ Mais pour cela deux conditions sont néces- 
saires, conditions qui correspondent aux deux éléments 
que nous avons dégagés dans le droit subjectif : un inté- 
rêt distinct des intérêts individuels; une organisation 
capable de dégager une volonté collective qui puisse 
représenter et défendre cet intérêt. 

a) Un intérêt distinct des intérêts individuels. Pour 
qu'il soit utile de reconnaître la personnalité juridique 
d'un groupe, il faut qu'il représente un de ces intérêts 
collectifs et permanents dont nous venons de parler. Ce 
sont ceux-là seulement que la personnalité individuelle, 
est impuissante à incarner parce qu'ils la dépassent soit 
dans l'espace, soit dans le temps ; ils ne peuvent être 
représentés que par un groupe embrassant un certain 
nombre d'individus, et ayant une certaine permanence. 
Le premier intérêt, qui puisse prétendre à cette protec- 
tion est celui de chaque nation indépendante groupée 
sur un territoire déterminé ; c'est cet intérêt qui est re- 
présenté par la personne morale Etat. Il est infiniment 

MIGHOUD S 



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114 G&APÏTRÉ PREMIER 

complexe, car il embrasse tous les droits qui sont desti- 
nés à assurer la vie et la prospérité de la nation. Il ne 
doit donc pas être borné arbitrairement à l'intérêt 
qu'offre pour celle-ci la conservation d\m patrimoine 
privé. Ainsi que nous Tavons déjà dit, la personnalité 
morale de l'Etat offre deux faces : personne morale de 
droit public, il exerce les droits qui -se rattachent à l'idée 
de souveraineté et dirige les services d'intérêt générai 
nécessaires à la collectivité dont il est le représentant 
juridique ; personne morale de droit privée il exerce les 
droits patrimoniaux qui ont en somme lamême destina- 
tion que les premiers, qui n'en diffèrent pas par le but 
en vue duquel ils sont reconnus, mais uniquement par 
leur mode d'exercice. Il saule aux yeux d'ailleurs que 
dans ces deux domaines l'Etat a bien des intérêts collec- 
life et permanents distincts de ceux des membres qui le 
composent. Il peut demander à ces membres des sacri- 
fices qui peuvent aller parfois jusqa^au sacrifice de leur 
vie. C'est pour donner un centre à ces intérêts, pour leur 
assurer une représentation que la personne morale prend 
naissance d'une façon habituellement toute spontanée (1 ). 
Au-dessous de l'Etal, nous trouvons d'autres intérêts 
collectifs et permanents qui ont, comme les siens, une 
base territoriale, c'est-à-dire qui ont pour objet les besoins 
d'une population occupant un territoire déterminé. Ce 
sont les intérêts locaux représentés par la commune : ils 
consistent notamment à défendre l'agglomération contre 
les dangers qui la menacent ; à y faire régner l'ordre, 
la sécurité et la salubrité ; à gérer enfin et à préserver 
contre toute atteinte le patrimoine collectif de l'agglo- 

(1) Sur la naissance de TEtat, v. infrày ch. III. 



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LÀ NOtlON DB PERSONNALITE MORALE ii^ 

mératîon. Ici encore comme pour l'Etat, la personnalité 
sera à double face, à la fois de droit public et de droit 
privé ; la personne morale qui est unique, aura en même 
temps des droits de puissance publique et des droits 
patrimoniaux. 

Ëxiste-t-il des intérêts collectifs et permanents autres 
que ceux de l'Etat et de la commune? Oui, sans aucun 
doute. Notre première condition est remplie d'une ma- 
nière évidente par les diverses associations à but idéal, 
telles que les associations religieuses, scientifiques, lit- 
téraires ou charitables. Obliger les intérêts que ces 
groupes ont en vue à s'abriter derrière la personne in- 
dividuelle de chaque associé, c'est visiblement aller con- 
tre le but de l'association. Celle-ci ne cherche pas une 
augmentation du patrimoine de ses membres; les con- 
sidérer comme tjopropriélaires des fonds consacrés à 
l'œuvre commune (ainsi que le font MM. Van den Heuvel 
et de Vareilles-Sommières), c^est véritablement dénatu- 
rer leur intention. Le fonds appartient au groupe consi- 
déré dans son unité; ce groupe poursuit la réalisation 
d'un intérêt qui survivra aux membres actuels, et qui 
probablement sera étranger aux personnes qui recueil- 
leront leurs biens. 

On peut, au contraire, éprouver plus de doute à dé- 
clarer que notre première condition est remplie par les 
sociétés civiles et commerciales, qui n'ont d'autre but 
que renrichissement pécuniaire de leurs membres ; et il 
est vraiment singulier que notre législation et notre pra- 
tique, si réfraclaires à Tidée de personnalité^ en ce qui 
concerne les associations à but idéal^ l'aient au contraire, 
pour les sociétés de gain, si facilement acceptée. Il y a, 
dans ces sociétés, non pas précisément un intérêt collec- 



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' ^^vrt^pt^ 



M 6 CHAPITHE PREMIER 

tif, mais des iatérêls individuels qui se rencontrent et 
s'associent parce que leur union les rendra plus forts* 
Chacun y a en vue non pas le même but, mais un but 
semblable, car chacun y a en vue son enrichissement 
personnel (1); aussi l'intérêt que chacun a dans la so- 
ciété fera-t-il partie de son patrimoine et sera-t-il transmis 
à ses héritiers. L'idée de personnalité collective est donc 
ici moins essentielle que dans les groupes précédents, 
et Ton sait que, sauf pour certaines sociétés importan- 
tes, les Romains ne l'avaient pas admise. Toutefois nous 
la croyons indispensable au moins pour quelques-unes 
d'entre elles. Nous traiterons cette question si débattue 
un peu plus loin, en étudiant les limites du concept de 
personnalité (2). 

Les intérêts précédents ne sont point encore les seuls 
qui soient aptes à être représentés par une personne 
morale. Dans tous les cas que nous venons de passer en 
revue, l'intérêt est celui d'un groupe qui s'organise, 
spontanément ou quasi-spontanement (3), en vue de ' 
produire la volonté collective nécessaire à l'exercice du 
droit ; la seconde condition de la personnalité morale 
que nous développerons plus loin y est remplie en même 
temps que la première, et par le groupe intéressé lui- 
même. Mais il existe des intérêts collectifs et perma- 
nents pour lesquels il n^en est pas de même, parce que 
les intéressés ne peuvent, ou ne veulent se grouper, ou 
simplement parce qu^ils négligent de le faire. Il est pos- 

(4) Gpr. Karlowa, op, cit., p. 397. 

(2) V. infrà nos 65 et s. 

(3) Nous ajoutons ce dernier mot pour comprendre dans le même 
cadre les associations dont la naissance môme est provoquée e^ 
parfois imposée par l'autorité publique. . 



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TTPt^T*^ • 



LA NOTION DE PERSONNALITE MORALE 117 

sîble que TEiat prenne lui-même en main ces intérêts, et 
reste seul à les représenter. Mais il peut aussi admettre 
qu'ils seront représentés par une personne morale dis- 
tincte, à condition qu'ils recevront l'organisation néces- 
saire. Il y a alors une personne morale provenant d'une 
fondation (1), en employant ce mot dans son sens le plus 
général (2) ; et elle peut être l'œuvre, soit de l'Etat lui- 
même, soit d'un simple particulier. Mais de quelque 
manière qu'elle s'accomplisse, elle ne diffère de la pre- 
mière catégorie de personnes morales que par son orga- 
nisation. Au point de vue de la condition primordiale 
que nous examinons en ce moment, la situation est la 
même, il s'agit de représenter sur la scène juridique 
l'injtérêt collectif et permanent d'un groupe ; et c'est 
encore ce groupe lui-même qui sera au fond le véritable 
titulaire du droit. Dans la fondation charitable, par 
exemple, le sujet de droit sera le' groupe des pauvres ou 
des malades auxquels la fondation s'adresse ; dans la 
fondation religieuse, le groupe des fidèles d'une circon- 
scription déterminée ; dans la fondation artistique, le 
groupe des personnes qui, dans un certain territoire, 
s'intéressent à telle ou telle manifestation de l'art (3). 

(1) Nous ne preDODS pas ici parti, sur la question de savoir si la 
distinction entre la corporation et la fondation a ou doit avoir un 
intérêt juridique. Nous nous bornons à analyser le processus de 
la naissance de la personne morale. 

(2) La fondation peut aussi avoir lieu sans donner naissance à 
une personne morale . 

(3) Comme on le voit, nous ramenons la personnalité juridique 
des fondations à l'idée de droits appartenant à des groupes hu- 
mains, mais non à Tidée de droits appartenant à une corporation; 
le groupe amorphe auquel on donne ainsi une représentation n'en 

test pas une ; il peut seulement s'en rapprocher plus ou moins. V. 
infrà, nos 76 et s. 



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"H'^ 



118 CHAPITRE PREMIER 

Ces groupes, par eux-mêmes, sont indéterminés ; cela 
n'empêche point qu'on ne puisse les douer de personna- 
lité ; cela fait seulement obstacle à ce que la volonté 
nécessaire pour Texercice des droits se dégage sous la 
forme d'association. Il faudra donner au groupe, pour 
qu'il puisse être personnalisé, une organisation venue 
du dehors; la volonté qui Tanimera sera, s'il est permis 
de s'exprimer ainsi, transcendante et non imma- 
nente (1). 

54. b) La seconde condition nécessaire à la naissance 
de la personnalité morale correspond au second élément 
que nous avons trouvé dans le droit subjectif: ^élément 
volonté, qui n'est pas le fondement de la personnalité, 
mais qui est essentiel pour que la personne puisse agir et 
exercer les droits qu'on lui attribue. Il faut que le groupe 
qui aspire à la personnalité ait une organisation capable 
de dégager une volonté collective qui le représentera 
dans les rapports juridiques. Cette volonté ne sera tou- 
jours métaphysiquement que la volonté d'individus iso- 
lés, mais socialement, c'est-à-dire pratiquement, elle 
devra ou pourra être regardée comme formant la volonté 
du groupe. 

La formation de cette volonté, peut d'ailleurs se pré- 
senter sous des formes très diverses. Dans l'Etat elle se 
produit spontanément ; elle est un fait dont le droit est 
obligé de tenir compte tel que le lui présente la réalité 

(1) Ces expressions sont enapruntées à Gierke. art. Juristische 
Person dans la Rechtslexikon d'Holtzendorff t. IT, p. 422 ; et 
Genossenschaftrecht, t. IF, p. 422. — V. aussi Rosin, das 
Recht der ôffentl, Genoss., p. 22, qui cite ces deux passages. 
Nous développerons plus loin ces idées. Cpr. sur les diverses ma- 
nières de concevoir la fondation. Rfeurer, Die jurist, Personen^ 
§24. 



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LA NOTION DE PERSONNALITÉ MORALE 119 

La volonté collective s'y dégage soit par le consentement 
de tous, soit par la force ; au point de vue moral, la pre- 
mière formation est assurément préférable ; au point de 
Vue juridique cela importe peu. Il suffit, pour que la 
volonté dirigeante soit considérée comme celle du 
groupe, qu'elle réussisse à s'imposer d'une manière ou 
de l'autre, par la persuasion ou par la contrainte, au 
groupe entier. C'est là le fait social qui achève la person- 
nalité de l'Etat quand les autres conditions de son exis- 
tence sont d'ailleurs réunies (1). Le droit n'a pas ici de 
pouvoir d'appréciation, il ne crée rien ; il ne peut que se 
borner à reconnaître la personnalité ainsi constituée. 
Elle s'impose à lui, s'il ne veut méconnaître les faits, 
parce qu^elle a les éléments essentiels de la personnalité 
juridique. , . 

Pour les groupements inférieurs, la volonté se forme 
également d'une manière toute spontanée dans les asso- 
ciations qui se constituent librement. Il est bien exact ici 
de parler, comme le fait M. Hauriou, de véritable unani- 
mité ; car l'unanimité existe au moins sur le point essen- 
tiel qui est la formation même de l'association ; les 
divergences de détail sur la direction à lui donner 
deviennent secondaires; chaque membre accepte impli- 
citement les décisions formées conformément à la consti- 
tution qu'il a acceptée, et qu'il continue d'accepter puis- 
qu'il ne cesse pas de faire partie de la société. Il se 

(1) De ces autres conditions. Tune est nécessaire pour qu'il naisse 
une personne morale : c'est la condition développée plus haut 
(existence d'un groupe ayant des intérêts collectifs et permanents). 
Les autres sont les conditions nécessaires pour que la personne 
ainsi créée soit un Etat et non une personne juridique d'une autre 
nature : c'est d'une part une base territoriale et d'autre part une 
certaine tndépendance du groupe vis-à-vis des groupes voisins. 



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T'-;^ 



1^ CHAPITRE PREMIER 

dégage donc encore ici une volonté qui doit être consi- 
dérée au point de vue social comme la volonté du 
groupe ; et le droit trouve toutes réunies les conditions 
de la personnalité morale. 

Si maintenant nous considérons les personnes morales 
qui ne rentrent pas dans l'un des deux groupes précé- 
dents, nous nous convaincrons de suite que la formation 
s'y produit souvent d'une manière différente. Nous ren- 
controns d'abord certaines associations qui ne sont pas 
purement volontaires ; par exemple la commune, le 
département ou la province, par exemple aussi nos 
associations syndicales de propriétaires dans lesquelles, 
en vertu d'une disposition légale, il existe, quant à la 
formation même de l'association, un droit de contrainte 
de la majorité sur la minorité. Nous trouvons ensuite les 
fondations, soit qu'elles proviennent de TEtat lui-même 
ou de la commune, soit qu'elles proviennent d'un parti- 
culier. 

Dans les associations forcées, il y a encore un groupe- 
ment visible où se trouvent réunis les véritables inté- 
ressés ; mais l'organisation et la volonté qui en dérive 
ne proviennent pas entièrement d'eux. Elle pourra être 
très artificielle. Nos communes ont longtemps été gou- 
vernées par des maires nommés par le pouvoir central, 
et même par des conseillers municipaux que désignait le 
préfet. Nos départements sont encore aujourd'hui admi- 
nistrés par le préfet. On ne peut soutenir sans doute que 
ce soient là des organisations idéales. Mais, du moment 
qu'elles existaient ou qu'elles existent encore, on devait 
ou on doit les considérer comme douées de personnalité. 
Elles en présentent les deux traits : intérêt collectif et 
permanent, volonté organisée, Seulement cette volonté 



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'7W 



LA NOTION DB PBRSONNALItB MORÀLB 121 

est ici organisée par la loi et non par les intéressés. Des 
deux éléments essentiels, la loi a trouvé le premier exis- 
tant en dehors d'elle, elle a elle-même constitué le 
second. 

II en est de même, mais avec une action de l'Etat 
encore bien plus apparente, dans les fondations créées 
par l'Etat. Nous entendons par là quelques uns (1) au 
moins des établissements que notre droit administratif 
désigne sous le nom d'établissements publics : ce sont 
des services publics doués de personnalité par une dispo- 
sition légale. Ici encore TEtat a trouvé tout prêt l'élé- 
ment premier : l'intérêt collectif et permanent d'un 
groupe. Cet intérêt était jusqu'alors représenté par lui- 
même- ou par un groupe inférieur tel que le département 
ou la commune, ou bien il n^était pas représenté du 
tout. L^Etat le dote d'une représentation spéciale et lui 
reconnaît la personnalité morale, après l'avoir pourvu 
lui-même du second élément essentiel. Ici du reste, à la 
différence du cas précédent, le groupement intéressé 
n'est plus visible ni strictement délimité. Force est bien, 
si l'on veut lui conférer la personnalité, de lui donner 
son organisation du dehors (2). 

(1) Nous disons qaeJques-ans, parce que plusieurs de nos établis- 
senients publics ont une origine différente ; ou bien, comme les 
hospices, ils proviennent historiquement dans une large mesure de 
l'initiative privée ; on bien, comme les établissements ecclésiasti- 
ques, ils sont l'œuvre de l'Eglise. L'Etat ne les a pas créés, mais 
seulement transformés en services publics en leur laissant une 
personnalité ; on peut dire qu'il les a, non point engendrés, mais 
adoptés. 

(2) On peut prendre comme exemple la personnalité morale des 
musées nationaux, créée par la loi du 16 avril 1895^ art. 52 à 56. 
Le groupe intéressé est ici extrêmement vaste et mal délimité ; 
c'est celui de toutes les personnes qui, en France, s'intéressent aux 



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122 'CHAPITRE PREMIER 

Quant aux fondations privées, elles reçoivent égale- 
ment leur organisation du dehors, mais non point de 
l'Etat; elles la reçoivent du fondateur, et TEtat se borne 
à la permettre, en réglementant les conditions dans les- 
quelles il sera possible d'user de cette psrmission. Là 
encore l'organisation e&t essentielle, et pour que l'œuvre 
soit apte à vivre comme personne morale, il faut qu'elle 
lui soit donnée par le fondateur directement, ou, d'après 
ses indications, par les exécuteurs de ses volontés (1). 

55. Dans tous les cas que nous venons de passer en 
revue (sauf pour l'Etal et pour les associations purement 
volontaires), la volonté est plus ou moins artificielle. 
Non seulement elle n'est pas la volonté du groupe au 
sens métaphysique du mot ; mais encore elle ne. lui est 
attribuée que par le dehors ; elle ne naît pas dans le 
groupe lui-même. Si on peut la lui attribuer légalement 
sans faire violence aux faits sociaux, c'est que l'on peut 
présumer que le groupe lui-même y consent (2). Mais en 
somme il nous paraît évident qu'il y a ici une volonté 
légale du groupe bien plus qu'une volonté naturelle. Il 
y a représentation du groupe par certaines personnes 
sans que cette représentation s'explique par la volonté 
manifestée des membres du groupe. Dans tous les cas du 
reste, même dans les premiers, la volonté naturelle n'est 
jamais à nos yeux que celle des personnes physiques, et 

arts. La loi lui a donoé sa représentation et sa volonté ; mais Tin- 
térêt collectif et permanent existait en dehors d'elle. Le législateur 
n'aurait pas songé à créer cette personnalité morale si personne 
en France ne s'intéressait aux arts. 

(i) Cpr. pour compléter les explications que nous donnons ici 
sur la notion de fondation, celles qu*on trouvera plus loin, n^ 77. 

(â) C'est pour cela que nous disons volontiers, même dans ce cas, 
que la volonté peut socialement être attribuée au groupe. 



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LA NOTION DE PERSONNALITE MORALE 123 

il y a un phénomène de représentation de la personne 
morale ; la seule différence, e'est que dans les premiers 
cas ce phénomène se rapproche bien davantage de la 
réalité. 

56. 3® Les deux conditions que nous venons de pas- 
ser en revue sont nécessaires et suffisantes pour donner 
naissance à un être collectif qui a en lui-même toutes 
les qualités d'un être capable d'avoir des droits et des 
obligations. Mais il est évident que cet être n'est pas par 
cela seul une personne morale pour le milieu juridique 
dans lequel il prend naissance. Il faut pour cela que ce 
milieu juridique accepte sa personnalité. Pour Tindividu 
lui-même, dont la personnalité juridique est aujour- 
d'hui reconnue comme découlant de son existence 
même par les législations de tous les peuples civilisés, 
cette condition a été nécessaire. L'esclave romain avait 
en lui toutes les qualités inhérentes à la personne, et 
cependant il n'était pas une personne juridique. Il en est 
de même aujourd'hui des groupements qui remplissent 
les deux conditions indiquées et que le drgil ne recon- 
naît pas (1). 

Pour TEtat, cette reconnaissance provient de la com- 
munauté internationale. Pour tout autre groupement, 
elle provient de l'Etat lui-même. 

En faisant celte reconnaissance pour les groupes qui 
lui sont subordonnés, l'Etat ne fait pas une opération 
d'une autre nature qu'en reconnaissant la personnalité 

(i) On a proposé d'appeler personne morale la collectivité rem- 
plissant les conditions de la personnalité, mais non reconnue ; et 
personne juridique la personnalité reconnue. V. Castelein. Droit 
naturel, 1903, p. 510, n^ 6, terminologie qui pourrait prêter à 
quelque confusion. Vr ci-dessus r\9 i. 



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124 CHAPITRE PREMIBR 

humaine. II a seulement ici, par la force des choses^ un 
plus large pouvoir ; et cela pour deux raisons qu'il est 
facile d'apercevoir. 

57. D'une part, Tètre humain est pour le droit un 
être simple, une molécule juridique indécomposable qui 
lui est fourni par la nature elle-même. Sa naissance est 
un fait dans lequel le droit n^a pas à intervenir- Au con- 
traire Têtre collectif résulte de l'existence, entre person- 
nes soumises au droite de certaines relations qui appels- 
lent une réglementation juridique. L'Etat, organe du 
droit, aura donc, préalablement à la reconnaissance de 
la personnalité collective, à régler ces relations et à 
vérifier si les règles piosées par lui ont été observées. Il 
pourra, par exemple, régir le contrat d'association fait 
en vue de la formation d'une personnalité collective par 
des dispositions sur^ la forme dans laquelle doit être 
constatée la volonté des associés, sur la capacité néces- 
saire pour faire partie de l'association, sur la protection 
des intérêts individuels des membres vis-à-vis du 
groupe, sur la publicité à faire pour avertir les tiers, etc. 
Il pourra aussi interdire la formation do groupements 
en vue de buts qu'il considère comme dangereux pour 
Tordre pnblic ou contraires à la morale- Il pourra de 
même régler les formes à employer par un fondateur 
pour affecter ses biens àperpétuité à un objet déterminé ; 
il pourra interdire la fondation comme l'association s'il 
la juge dangereuse ou immorale. Dans ces deux domsd- 
nés son pouvoir de fait va jusqu'à la possibilité d'inter- 
dire d'une façon absolue la création du groupement, et 
par conséquent jusqu^à la subordonner à la néces- 
sité d'une autorisation de sa part. La question de 
savoir s'il doit faire usage de ce droit n'est autre que la 



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LA NOTION DE PERSONNALITE MORALE 125 

question de la liberté d'association, ou de la liberté 
de fondation. Elle est en elle-même très distincte de la 
question de personnalité morale, parce qu'elle doit se 
résoudre par des motifs étrangers à la technique juridi- 
que. Pourtant elle lui est étroitement liée, parce que sa 
solution, comme nous Tavons déjà laissé pressentir (1), 
et comme nous allons essayer de le montrer, entraîne 
partiellement la solution de la question de personnalité. 
58. D'autre part, en effet, quand s'est formé, confor- 
mément au droit, le groupement apte à être personna- 
nalisé, TEtat a, vis-à-vis de lui, une plus grande liberté 
d'appréciation que vis-à-vis de l'individu humain, 
parce que nos mœurs n'ont pas encore admis à Tégard 
des groupements licites et régulièrement organisés en 
vue de la personnalité, que PEtat ait une sorte d'obliga- 
tion morale de reconnaissance (2). Il y a là une longue 
tradition, en partie due à l'influence longtemps domi- 
nante du système de la fiction, en partie due à l'usage 
excessif que l'Etat a longtemps fait de son pouvoir vis- 
à-vis des groupements d'origine privée. Veillant avec un 
soin jaloux à conserver sa toute-puissance, redoutant les 
dangers qui résulteraient pour elle du surcroît de force 
que le groupement pourrait prêter aux résistances pri- 
vées, il a été amené à interdire les groupements d'une 
manière presque absolue. Il n'a laissé subsister que ceux 
qu'il associait étroitement à sa mission; il n'a plus 



{[) €i-dessu8, n9 5. 

(2) 11 est à remarquer que le droit international tout incomplet 
qu'il soit encore, est sur ce point plus avancé que le droit interne. 
11 lie la reconnaissance d'un Etat à Fexislence de certains faits, qui 
sont ceux que nous avons reconnus comme constitutifs de sa per- 
sonnalité. 



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i26 Chapitre premier 

voulu reconnaître officiellement des groupements pri- 
vés, mais seulement des groupements d'utilité publique. 
Impuissant cependant à supprimer entièrement les pre- 
miers, parce qu'on ne supprime pas à volonté les mani- 
festations de la vie sociale, il les a tolérés et leur a 
laissé, en les surveillant de près, une existence de fait, 
sans vouloir admettre leur personnalité. Au fond, ce 
n'est là qu'un expédient ; c'est une demi-mesure, illogi- 
que et boiteuse, contra rationem juris; elle a pu être 
opportune aune époque où elle représentait tout ce que 
l'Etat pouvait supporter de liberté pour les associations. 
Mais la vraie liberté, en cette matière, consiste à donner 
aux associations dont l'existence n'est pas reconnue 
nuisible, le régime juridique qui correspond à leur cons- 
titution intime, c'ast-à-dire, pour la plupart d'entre elles, 
le régime de la personnalité morale. 

Cette idée, qui est très importante, et qui, depuis 
quelques années a fait des progrès pratiques indéniables, 
ne doit cependant pas être exagérée dans l'application. 
Nous verrons que les limites du concept de person- 
nalité juridique sont très difficiles à déterminer en 
matière d'association (en prenant ce mot dans 4e sens 
large où il embrasse même les sociétés de gains). Les 
associations à personnel variable et à longue durée ne 
peuvent guère se passer de personnalité. Mais les asso- 
ciations modestes, à personnel fixe ou presque fixe, 
peuvent trouver un régime, acceptable à tout prendre, 
dans la notion de société modifiée, avec propriété en 
main commune, telle que nous essjaierons de la dégager 
plus loin. Il en est de même des associations à personnel 
variable quand elles sont destinées, comme cela arrive 
pour beaucoup de petites associations, à n'avoir presque 



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Là notion DB l>EftSONKALITB MORALE 127 

aucun rapport avec les tiers (1) Il appartient à TEtat de 
fixer pratiquement 'la limite entre les domaines dlappli- 
cîition des divers concepts juridiques et, par conséquent, 
dans une certaine mesure, de choisir, parmi les asso- 
ciations, celles qui doivent être placées en-deçà ou au 
delà de la limite du concept de personnalité. Dans les 
transitions insensibles que nous offrent les phénomènes 
de la vie juridique, c'est à lui qu'il appartient de tracer 
le trait décisif qui doit mettre fin aux incertitudes et, 
de ce chef encore, il a vis-à-vis de la personnalité des 
groupes, plus de latitude que vis-à-vis de la personnalité 
de rindividu. 

Les réflexions précédentes s'appliquent aux fonda- 
tions privées, en ce sens que, pour elles aussi, lorsque 
TEtat a reconnu Tutilité de la fondation, le véritable 
régime qui lui est propre est bien celui de la personna- 
lité morale. Mais on peut admettre cette idée, sans être 
partisan de la liberté. Il y a, comme nous le montrerons 
plus loin, des objections beaucoup plus graves à la 
liberté des fondations qu^à la liberté des associations. 
D'autre part, les fondations, elles aussi^ peuvent vivre, 
avec une sécurité moindre et de moindres chances de 
durée, sous un régime autre que celui de la personna- 
lité. Mais celle-ci reste nécessaire pour toute fondation 
à laquelle on veut assurer un long avenir ; et nous 
croyons que, dans le domaine de la fondation aussi bien 
que dans celui de l'association, la solution normale 
consiste à reconnaître la personnalité de toutes les fon- 
dations que le fondateur a conçues comme personnes 

(i) V. sur ce point (sur lequel nous reviendrons plus loin), les 
explications de Max Schwale : Die Kôrperschaft mit und ohne 
Personlichkeit (Bâle, 1904), p. 55 et s. 



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yli^r 



1^8 CHAPITRE PREMIER 

morales distinctes, toutes les fois qu'on leur reconnaît 
le caractère licite. 

On peut donner aux explications précédentes une autre 
forme qui n'en change pas la substance en disant, avec 
Gierke (1), que le rôle de l'Etat en matière de constitu- 
tion de la personnalité morale, n'est pas de créer ^ mais 
de reconnaître (2)^ et qu'en remplissant cette tâche il est 
simplement Vorgane du droit. Aucune personne morale 
ne peut exister dans TËtat sans être reconnue conime 
telle par lui, parce qu'aucune règle de droit ne peut être 
appliquée par ses organes s'il ne Ta faite sienne. Mais 
c'est bien une règle de droit qui classe parmi les sujets 
de droit les groupements dont la constitution intime 
correspond à la notion de sujet; et en reconnaissant la 
personnalité de ces groupements TEtat ne fait q\x appli- 
quer cette règle de droit. Cette idée n'est pas absolument ' 
incompatible avec la possibilité d'exiger, dans certains 
cas au moins, une reconnaissance spéciale, portant sur 
chaque personne morale individuellement, et non sur 
toute une catégorie ; car on peut présenter cette exigence 
comme devant permettre à l'Etat de vérifier, dans cha- 
que cas particulier, si le groupe qui aspire à la person- 
nalité remplit les conditions exigées pour cela par le 
droit. Pourtant, avec cette théorie il est naturel d'abou- 
tir, dans la plupart des cas, à un régime dans lequel 
l'Etat fixera, par avance, les coaditions nécessaires pour 
être considéré comme personne morale, et attachera la 
personnalité à l'observation de ces conditions sans aucune 

(i) Genossenschaftstheorie, p. 15 et s., notamment p. 21. 

(2) Sauf la possibilité pour lui d'être, comme nous l'avons indi- 
qué plus haut, l'un des facteurs sociaux qui participent à la coéation 
de l'être moral. V. ci-dessus, n^ 15. 



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LA NOTION DE PERSONNALITE MORALE 1^9 

vérification de sa part ; ce sera le système de la régle^ 
mentation légale (Normativbestimmungen des Alle- 
mands) substitué à celui de Taulorisation préalable, 
lequel ne conservera de raison d'être que dans certains 
cas où il pourra paraître bon de vérifier, non la person- 
nalité du groupement^ mais son caractère licite (1). C/est 
bien dans ce sens, «lous le verrons, que paraissent 
s'orienter la plupart des législations actuelles, même la 
nôtre. 



59. Pour préciser le sens de notre théorie, il importe 
d'examiner avec quelque détail la situation des person- 
nes chargées d'agir au nom de la personne morale. 
L'étude de ce point délicat nous montrera d'ailleurs en 
même temps comment la conception théorique peut 
influer sur les solutions pratiques. 

Les partisans du système de la fiction ne font d'ordi- 
naire aucune différence — au moins en droit privé — 
entre le représentant d'une personne morale et le repré- 
sentant d'une personne physique. La personne morale 
étant conçue comme un être fictif, entièrement indépen- 
dant du groupe dont elle synthétise les intérêts, les rela- 
tions entre elle et son représentant ne peuvent être 
conçues que comme relations entre personnes étrangè- 
res Tune à l'autre. Le représentant de la personne 
morale sera, ou son mandataire^ ou son représentant 

(i) Ou, si ron veut, les dangers que le groupement peut présen- 
ter pour Tordre pablic. C'est pour cela que nous considérons 
comme préférable un régime d'autorisation préalable pour les fon- 
dations. 

MICHOUD 9 



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130 CHAPITRE PRËMIEit 

légal (dans le même sens que le tuteur et le représen- 
tant légal du mineur) (1). C'est d'ailleurs cette seconde 
idée qui est la plus facile à accepter. Un mandat pro- 
prement dit est bien difficilement admissible, parce que 
pour donner un mandat il faut déjà une volonté, et 
qu'en dehors du représentant lui-même la volonté de 
Têtre moral devient introuvable. Si Pon veut, par exem- 
ple, considérer comme des mandataires d^une association 
les membres de son conseil d'administration, il fau 
regarder comme un mandat leur nomination faite par 
l'assemblée générale ; mais ce mandat n'est pas donné 
par l'association personne morale, parce que l'assemblée 
générale n'est point l'association elle-même, universitas 
ipsa ; on ne pourrait la considérer comme telle que par 
une pure fiction ; en réalité elle est déjà elle-même 
quelque chose qui i^eprésente l'association, et il faudrait 
trouver un premier mandat à elle donné par cette der- 
nière ; chose manifestement impossible, puisqu'avant 
d'avoir un organe, elle ne peut faire aucun acte ayant 
une valeur juridique. On ne peut donc s'appuyer sur la 
théorie du mandat qu'à condition de se contenter d^ana- 
logies approximatives. 

Au contraire l'idée d'une représentation légale^ ana- 
logue à celle du tuteur pour le mineur est acceptable 
dans son principe pour toute personne morale autre que 
fEtat; c'est celle que les partisans du système de la 
fiction doivent le plus naturellement admettre. En auto- 
risant l'être fictif, la loi (ou le pouvoir administratif à 

(i) Nous ne parlons ici que du représentant direct ; même dans 
le système de la fiction, il est possible de distinguer ce représen- 
tant direct de Tagent, préposé, commis ou serviteur, qui'n*est lié k 
la personne morale que par un louage de services. 



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'v^*-»." 



LA NOtlON DE PERSONNALITÉ MORALE ISl 

qui elle a donné compétence pour cela), détermine les 
conditions de son fonctionnement, et par conséquent 
celles dans lesquelles seront désignés ses représentants. 
Elle pourra confier leur désignation aux intéressés eux- 
mêmes; elle pourra aussi la faire elle-même, directe- 
ment ou indirectement, peu importe. La théorie de la 
fiction, ici comme sur tous les autres points, donne à 
l'Etat pouvoir absolu. Quant au détail, la représentation 
ainsi comprise se modèle tout naturellement sur la 
représentation des incapables. On donne un représentant 
h la personne morale comme on en donne un à Vin/ans 
ou au fou, et pour une raison semblable, pour suppléer 
à Tinsuffisance de sa volonté. Le seul défaut logique de 
cette conception est qu'il est impossible de l'appliquer jà 
TEtal, à qui il faudrait déjà une volonté pour se nom- 
mer à lui-même ce représentant. 

60. En face de cette théorie, les Allemands en ont 
imaginé une autre, beaucoup plus subtile et élégante, 
plus vraie aussi, croyons-nous: la théorie de V organe (1). 

(i) Elle a son origine dans l'école germaniste et elle a été expo- 
sée magistralement par Gierke. V. Genossenscha fis théorie, p. 614 
et s., Deutsches Privatrechtj p. 472 et 497, et aussi l'article dans 
Schmoller' 8 Jahrbuch, 1883, p. 1139 et s. Elle est admise par les 
antres partisans de Técole, notamment par Preuss, Gèmeinde 
Staatyeic. p. 157 et Stàdtische Amtsrecht in Preussen (1902), p. 56 
ets.et parRegelsbergérPawû?eA;/e/iJ,p.322 ets— Mais elle est admise 
aussi par des auteurs très éloignes de la théorie de Gierke, notam. 
ment : Laband, Archiv. fur civilistische Praxis, t. LXXIII, 
p. 187 ; Bernatzik. Archiv. fur ôffentL Recht,, t. V, p. 237-238 ; 
Karlovva, ^rwwAw/'* Zeitschift, 1868. p. 420 et s. ; Dernburg, Pan- 
dectesy 4e éd., p. 157; Jellinek, Allgem. Staatslehre, p. 512 et 
System der subj. ôffentL Rechte., p. 29 et s., 136et s., 212 et s. — 
Les partisans de la théorie organlciste protestent d'ailleurs contre 
remploi du mot organe par leurs adversaires. V. Preuss, Uber 
Organpersônlichkeity dans Schmoller's Jahrbuch, t. XXVI, 



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t32 CHAPITRE PREMIER 

Entre la notion d'organe et celle de représentant légal il 
y a, dit par exemple Laband (1), une différence spéci- 
fique: la qualité de représentant peut découler soit d'un 
acte juridique, soit de la loi ; la qualité d'organe découle 
au contraire de la constitution même de la personne 
morale. Dans la représentation il y a un rapport juridi- 
que entre deux sujets de droit, dont l'un agit pour 
Tautre ; les actes du représentant sont bien ses propres 
actes, mais on leur fait produire le même effet juridique 
que s'ils étaient ceux du représenté. Quand il y a organe, 
au contraire, c'est la personne juridique qui agit elle^ 
même ; son organe n'est pas quelque chose qui soit dis- 
tinct d'elle ; il est une partie d'elle-même dont elle se 
sert comme la personne physique se sert de la bouche 
ou de la main ; car l'organisation juridique dont il est le 
produit appartient à l'essence de la personne morale ; 
elle est comme son corps juridique, sans laquelle elle 
est incapable d^existence. Lorsque le maire d'une ville 
donne mandat à un avoué de plaider pour elle en jus- 
tice, le maire est un organe, l'avoué un représentant. 
61. De cette idée générale, on a déduit diverses con- 
séquences. L^action du représentant n'embrasse jamais 
toute la vie juridique du représenté. La personnalité de 
ce dernier n'est jamais complètement supprimée et elle 
se manifeste par des actes qui, sous certains rapports, 
ont une valeur juridique, même dans les cas où la repré- 
sentation est le plus étendue. Au contraire l'organe de 

t902, p. 103 et s. Mais les deux idées n'en doivent pas moins être 
considérées comme tout à fait distinctes. 

Pour la France, v. notamment dans le sens de la théorie de l'or- 
gane, Mestre, Personnes morales, p. 211 et s. ; Saripolos, La 
démocratie et V élection proportionnelle, p. 550 et s. 

(1) Archiv. fur civilist. Praxis, t. LXXIII, p. 187, 



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LA NOTION DE PERSONNALITÉ MORALE 133 

la personne morale incarne sa vie juridique tout entière ; 
il n y a pas, en dehors de lui, un sujet de droit pouvant 
manifester une volonté différente de la sienne ni faire 
un acte ayant une valeur juridique quelconque. Son 
droit de représentation est donc nécessairement plus 
étendu que celui du représentant orditiaire. Il embrasse 
non seulement les actes juridiques mais aussi les actes 
de pur fait. Sans doute le développement considérable 
que le droit moderne a donné à la représentation a atté- 
nué la différence ; mais là même où ces deux théories 
concordent quant au résultat, elles ne concordent pas 
quant au point de départ, et il subsiste des hypothèses 
pratiques où la différence est appréciable. La personne 
morale peut par son organe prendre et exécuter des 
décisions pour lesquelles on ne conçoit pas la représen- 
tation par une volonté étrangère. Elle peut régler sa pro- 
pre existence, exercer une fonction publique, commettre 
un délit (sauf à discuter si le délit peut avoir pour elle, 
comme pour les personnes physiques, une sanction pé- 
nale). Elle peut, toujours par son organe, se trouver en 
état d^ignorance ou de connaissance entraînant des effets 
juridiques; elle peut être de bonne ou de mauvaise foi, 
être dans Terreur, recevoir une notification, prêter un 
serment, faire un aveu judiciaire. La conscience et la 
volonté de son organe sont, dans tous les cas, considérés 
comme étant sa propre conscience et sa propre volonté, 
à cette seule condition que Torgane ait agi en cette qua- 
lité et dans les limites de sa compétence (1). 

D'autre part, pour la plupart des partisans de la théo- 
rie il résulte encore de la notion ci-dessus exposée, que 

(1) V. principalement sur ces divers points Gierke, Bernatzik et 
Karlowa, op, et loc, citatis. 



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134 CHAPITRE PREMIER 

Torgane ne possède, comme tel, aucune personnalité dis- 
tincte de celle de la personne morale. « Il n'y a pas, dit 
Jellinek (1) en parlant de l'Etat, deux personnalités en 
présence, celle de TEtat et celle deTorgane, qui auraient 
entre elles des rapports de droit quelconques ; TEtat ot 
l'organe sont une unité. L'Etat ne peut exister qu'au ^ 
moyen de ses organes ; si Ton fait abstraction de ces ' 
derniers, il ne reste pas TElal support des organes, il ne 
reste qu'un néant juridique. Le représenté et le repré- 
sentant sont et restent deux personnes distinctes; la per- 
sonne juridique et l'organe sont et restent une seule 
personne ». Il va sans dire que-la personne physique 
qui exerce les fonctions d'organe conserve sa personna- 
lité, et peut avoir avec la personne morale des rapports 
juridiques ; elle peut notamment avoir des droits à la 
qualité d'organes et aux conséquences, pécuniaires ou 
autres, qui en dérivent. Mais l'organe collectif ou indivi- 
duel n'est pas en tant qu'organe une personne distincte. 
Entre plusieurs organes d''une même personne morale 
et notamment de l'Etat, il peut y avoir des difficultés de 
compétence, mais point de droits subjectifs s'opposant 
les uns aux autres. Alors même que ces difficultés pour- 
raient êtr^ résolues par une lutte prenant des formes 
judiciaires (comme dans notre conflit d'attributions), ce 
ne sont jamais que des difficultés entre les divers servi- 
ces d'une même personne^ et elles ne portent que sur 
cette partie du droit objectif qui règle l'organisation 
intérieure de cette personne (et en particulier de l'Etat, 
pour lequel la question se pose le plus souvent). C'est en 
effet pour des raisons étrangèi^es à Vintérêt de V organe 

[U Allgemeine Staatdehre, p. 512, 



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LA NOTION DE PERSONNALITÉ MORALE 435 

lui-même (par exemple pour protégerle droit des particu- 
liers à une discussion judiciaire devant le tribunal com- 
pétent), que TafiFaire est débattue en forme contradictoire 
devant une autorité constituée en tribunal ; ce n'est pas 
la compétence de Torgane que la loi entend protéger de 
cette manière, et en réalité elle ne considère pas cette 
compétence comme un droit. 

Sur ce point cependant, certains auteurs, notamment 
Gierke et Preuss, se séparent de la théorie dominante. 
Dans leur doctrine les droits de la personne morale n'ex- 
cluent pas absolument les droits de l'organe ; il y a une 
sorte de compénétration réciproque de droits, qui donne 
à l'organe une certaine personnalité, distincte de celle 
de la personne qu'il représente (1). 

62. A cette théorie il a été fait, tant en France qu'en 
Allemagne des objections qu'il est impossible de ne pas 
discuter. M. Duguit, qui la repousse d'abord parce qu'elle 
suppose comme point de départ, la personnalité, non 
admise par lui, de l'Etat et des autres êtres collectifs, 
cherche à la combattre en outre en se plaçant sur le 
terrain même où elle a pris naissance. « Si ce sont là des 
organes, dit-il (2), il faut qu'il y ait derrière eux une 
volonté dont ils soient les organes ; ils n'existent comme 
organes que par cette volonté; mais cette volonté est 
une volonté collective qui n'existe elle-même que par 
ses organes. Finalement, est-ce la volonté de l'Etat qui 
existe par les organes, ou sont-ce les organes qui exis- 
tent par la volonté de PEtat? Impasse de laquelle on ne 
peut sortir ». 

(i) V. sur ce point les explications données, infrà, n* 64 62s, 
p. 144, note 1. 
(2) UÉtati les gouvernants et les agents^ p 51. 



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136 CHAPITRB PREMIER 

Cette objection est celle-là même que nous faisions 
plus haut à ridée de mandat. Nous disions : pour donner 
le mandat il faut déjà une volonté. M. Duguit dit: pour 
créer l'organe il faut déjà une volonté. Mais ici l'objec- 
tion ne porte plus. L'organe est conçu comme faisant par- 
tie essentielle de la personne morale ; il n'est pas créé par 
elle; il est créé ^ en même temps quelle, par les forces 
sociales qui ont produit sa naissance et en même temps 
déterminé sa constitution. Il n'y a pas eu un instant de 
raison pendant lequel la personne morale, née sans orga- 
nes, s'est recueillie pour les créer. Elle n'a existé juridi- 
quement qu'au moment où elle a eu des organes. Le 
mode de nomination et les pouvoirs de ceux-ci ont été 
déterminés non par elle^ mais par les premiers statuts, 
œuvre des personnes physiques ou morales préexistan- 
tes qui ont concouru à sa formation, — ou, s'il n'y a 
pas de statuts, par les coutumes qui se sont formées à 
l'intérieur de la collectivité, el qui lui ont peu à peu 
donné l'organisation nécessaire à la vie juridique. Dans 
les deux cas, l'origine' de l'organe remonte à une cause 
plus élevée que la volonté de la personne morale. Sans 
doute^ le plus souvent ni ces statuts ni ces coutumes ne 
nomment directement l'organe ; ils se bornent à établir 
leur mode de nomination ; mais dans ce cas les person- 
nes qui participent à cette nomination (par exemple : les 
électeurs dans l'Elal ou la commune, les membres de 
l'assemblée générale dans une association) devront déjà 
être considérées comme des organes de la personne 
morale, régulièrement établis par la constitution pour 
nommer d autres organes. Sans doute aussi les statuts 
(ou la coutume) peuvent confier à un organe le soin de 
modifier les règles constitutives ; dans ce cas, ce sera 



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LA. NOTION DE PERSONNALITE MORALE 137 

bien la volonté de la personne morale elle-même qui 
créera ces règles, mais alors il n'y à plus à cela nulle 
impossibilité, puisqu'elle est déjà constituée et a des 
organes réguliers chargés d^établir ce changement (!)• 

On a présenté d'autres objections à la théorie do 
l'organe. Elle n'est pas logique, a-t-on ^dit ; elle exclut 
des conséquences qui cependant découleraient de son 
principe ; elle devrait admettre Tabsorption complète de 
la personnalité de Torgane par celle de l'être collectif, 
et, comme conséquence, l'impossibilité absolue de 
rapports juridiques entre la personne physique chargée 
du rôle d'organe et la personne morale qu'elle repré- 
sente (2). Mais la théorie, telle au moins que nous la 
comprenons, consiste précisément dans la distinction 
entre l'organe, comme tel, qui ne, peut avoir ni rapport 
juridique avec l^être moral qu'il représente, ni droit sub- 
jectif contre lui, et la personne physique investie de la 
qualité d'organe, qui peut au contraire avoir l'un et 
l'autre. Ce n'est pas lui répondre que de déclarer cette 
distinction illogique ; c'est simplement la dénaturer en la 
poussant à l'absurde. 

63. Nous croyons donc qu'en elle-même la théorie est 

(i) Ces considérations répondent aussi à la seconde objection 
présentée par M. Duguit (op. cit., p. 51-52) : pour établir la Cons- 
titution dit-il, il faut que l'Etat puisse manifester sa volonté ; il y a 
donc cercle yicieux, puisque cette volonté ne peut être exprimée 
que par l'organe créé conformément à la Constitution. En réalité 
la constitution de l'Etat n*est pas son œuvre ; elle est Tœuvre des 
forces qui, à un moment donné de son histoire, se disputent là 
direction politique. On ne doit considérer comme l'œuvre de l'Etat 
que les modifications constitutionnelles votées conformément à 
une Constitution antérieure. 

(2) Scblossmann, Organ und Stellvertreter^ dans Ihering's 
Jahrbucher, t. XUV, 1902, p. 300-301. 



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i38 CHÂPITRB PREMIER 

acceptable. Toutefois elle ne Test que sous le bénéfice 
de deux observations importantes : 

i° Le mot organe ne peut et ne doit être employé 
qu^à titre de comparaisoriy et il importe de se rendre 
compte qu'entre l'organe corporel de la personne physi- 
que et Torgane de la personne morale, il y a analogie 
mais nullement identité (1). L'analogie consiste en ce 
que Tun et Tautre font partie intégrante de la personne, 
que celle-ci ne se conçoit pas sans eux, et que leur rap- 
port avec les autres éléments de cette personne est déter- 
miné par sa constitution elle-même, La personne morale, 
comme la personne physique, est en effet im tout orga- 
nisé^ dont toutes les parties concourent à un même but ; 
l'organisation, qui lui permet d^agir et de manifester sa 
volonté, lui est essentielle. Mais à côté de cette ressem- 
blance fondamentale^ il y a des différences nombreuses, 
parmi lesquelles il en est une capitale au point de vue 
juridique : dans la personne physique, ce n'est pas 
l'organe, c'est la personne même qui a en elle la volonté 
et l'intelligence ; l'organe n'est qu'un instrument passif; 
séparé de la personne il n'est qu'une matière inerte. 
Dans la personne morale au contraire, l'organe est un 
être vivant qui possède, pour son compte, la volonté et 
l'intelligence; s'il n'est pas lui-même une personne en 
tant qu'organe^ il est une personne en tant qu individu; 
et cette qualité subsiste même lorsqu'il se sépare de la 
personne morale ; elle en est indépendante (2). De plus, 

(1) U en est de ce mot organe, comme du mot organisme dont 
il a été question plus haut. Si Ton peut dire que les personnes mora- 
les présentent des analogies avec les organismes physiologiques, on 
doit bien se rendre compte qu'il y a entre eux des différences fon- 
damentales (V. suprà, n^ 34). 

(2) Cela est vrai môme lorsque la personne morale envisagée est 



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LA NOTION DB PERSONNALITE MORALE i39 

la personne morale n'a de volonté et d'intelligence que 
par lui \ ce qu'on appelle sa volonté, ce n'est pas autre 
chose que la volonté même de Torgane, volonté pro- 
duite par le même processus psychologique et physiolo- 
gique que si l'organe voulait pour lui-même. II en 
résulte : a) que parmi les actes de l'organe, il faudra 
nécessairement distinguer deux catégories : ceux qui lui 
restent personnels et ceux qui seront attribués à l'être 
moral' qu'il représente. Le but de l'acte, la compétence 
de l'organe^ voilà des questions à examiner pour savoir 
à qui Tacte doit être attribué, questions tout à fait 
étrangères aux relations entre la personne physique et 
son organe ; b) que les relations entre la personne phy- 
sique investie du rôle d'organe et la personne morale 
doivent elles-mêmes être réglées par le droit ; car si 
l'organe en tant que tel n'est pas une personne, l'indi- 
vidu qui en joue le rôle a, vis-à-vis de la personne 
morale des droits et des obligations. Encore des ques- 
tions absolument étrangères aux organes de la personne 
physique. 

2^11 faudrait se garder de croire, comme pourraient 
le suggérer quelques-uns des développements consacrés 
à cette matière par les partisans de la théorie (1), que la 

TEtat, et même pour ceux qui admettraient que le Droit Cet par 
conséquent la personnalité juridique) sont de pures créations de 
TEtat ; car même dans cette hypothèse la personnalité de l'indi- 
vidu qui change de nationalité ne disparaît pas. 

(1) Jellinek s'est exposé au reproche que nous faisons ici, en 
disant : « derrière la volonté du représentant, il y a le représenté ; 
derrière la volonté de l'organe, il n'y a rien. » (System der subj, 
ôffentl. Rechte, p. 214). En réalité derrière la volonté de l'organe, 
il y a la personne morale elle-même, avec laquelle l'organe ne se 
confond nullement. Mais ce qui est exact, c'est que derrière la 



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140 CHAPITRE PREMIER 

personne morale soit tout entière dans ses organes. Il 
n'est pas inexact sans doute de dire^ comme Jellinek le 
fait dans le passage cité plus haut, que si Ton fait 
abstraction des organes de TËtat, celui-ci n'est plus 
qu'un néant juridique. L'organisation étant essentielle 
pour que TEtat puisse être conçu comme une personne, 
le droit ne le connaît plus s'il manque d'organisation et 
par conséquent d'organe. Mais cette organisation n'est 
pas le seul élément de TËtat pas plus que de toute autre 
personne colleclive. Le groupe organisé^ tel est, selon 
nous l'être réel que, dans le domaine du droit, nous 
appelons personne morale ; et on ne tient pas compte 
de tous les faits quand on dit que ce groupe ne peut agir 
que par ses organes ; en fait il peut agir par d'autces 
voies, et manifeste souvent son existence par des actes 
qui n^émanent pas des seuls organes. On peut même 
dire que son but est d'ordinaire atteint au moyen d'actes 
auxquels participent tous les membres du groupe : 
réunions d'une société scientifique, littéraire ou d'agré- 
ment ; distribution de secours par les membres d'une 
association de bienfaisance; exercices de course, de 
tir, etc., par les membres d'une société sportive, etc.(l). 
Ces actes de fait peuvent même avoir des conséquences 
juridiques toutes les fois que la loi attache des consé- 
quences de cet ordre à un simple fait : les faits de pos- 
session de la part des habitants de la commune, par 



volonté de l'organe il n y a pas une autre volonté^ qui puisse léga- 
lement s'exprimer ; car la personne morale ne peut vouloir que 
par son organe (Cpr. Preuss, Uber OrganpersÔnlichkeity dans la 
Jahrbuch de Schmoller, t. XXVI, (1902), p. 135. 

(1) Cpr. sur ce point, Schlossmann, article précité dans Ihering's 
Jahrbûcher, t, XLIV, p. 304 et s. 



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LA NOTION DE t»ERSONNALlTE MORALE iM 

jexemple, ne peuvent être considérés comme indifférents 
dans les cas où la prescription est invoquée pour ou con- 
tre elle (1). Mais il reste exact que l'organe seul a qua- 
lité pour faire au nom de la personne morale des actes 
juridiques. 

64. Sous le bénéfice de ces deux o^^servations nous 
admettons la théorie deTorgane. Elle est très supérieure 
à la théorie de la représentation légale, parce qu'elle 
rend un compte exact de Torigine de Torgane et de la 
véritable source de son pouvoir. Au lieu de tout rappor- 
ter à la loi, c'est-à-dire à une force étrangère, elle mon- 
tre l'organe naissant avec la personne morale elle-même, 
et ne faisant qu'un avec lui. Plus conforme par là à la 
réalité, elle devra dans la pratique mieux rendre compte 
des phénomènes juridiques qu'elle est chargée d'expri- 
mer, A ce point de vue sa supériorité consislje surtout à 
expliquer le fait, pour nous indéniable, que la représen- 
tation de la personne morale présente plus d'étendue 
que celle de la personne physique. 

La différence à ce point de vue peut, à nos yeux, se 
formuler ainsi : le représentant ne peut jamais faire,, 
pour le compte du représenté, un acte impliquant la 



(1) Notre jurisprudence n'admet pourtant pas que l'usage d'un 
chemin par les habitants suffise à amener pour la commune, l'ac- 
quisition de la propriété par prescription. Elle exige en général des 
actes de l'autorité municipale enlevant à Tusage des habitants le 
caractère de précarité et de tolérance. Mais cet usage n'en est pas 
moins l'un des éléments qui influent sur la question de propriété. 
D'autre part des faits de possession des terrains communaux par 
les habitants suffisent à en conserver la propriété à la commune 
(V. Béquet, v^ Commune, n^ 2359). Ce n'est pas d'ailleurs ici le 
lieu d'entrer dans un développement de droit positif sur ces divers 
points. 



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142 CttAt^ItRË t>REMlBtl 

conscience ou la volonté personnelle de ce dernier; l'or- 
gaae d'une personne morale peut, au contraire, accom- 
plir pour le. compte de cette personne des actes de cette 
espèce toutes les fois qu'il ne s'agit pas d'actes inconei- 
liaibles avec la nature de la personnalité morale (comme 
serait, par exemple, le mariage). Ce principe se justifie 
théoriquement par l'idée que sans lui les actes de ce 
genre seraient impossibles, la conscience et la volonté 
de l'être moral n'exislant que dans son organe, et que 
cette impossibilité conduirait à lui faire, dans le domaine 
du droit, une situation tantôt défavorable, tantôt privi- 
légiée, incompatible avec la notion d'égalité entre les 
personnes qui est une règle fondamentale du droit privé. 
Il se justifie aussi pratiquement par ce fait que les 
organes d'une personne collective faisant partie inté- 
grante de la collectivité, peuvent être considérés socia- 
lement comme exprimant la volonté prépondérante dans 
le groupe ; si on ne peut pas voir là une volonté collec- 
tive au sens métaphysique du mot, on peut y voir au 
moins une synthèse des volontés individuelles des mem- 
bres du groupe, synthèse que le droit traite comme une 
volonté collective, parce qu'elle est la seule représenta- 
tion juridique possible des intérêts collectifs qu'il entend 
proléger. 

A aucun de ces deux points de vue le représentant 
proprement dit ne peut être traité de la même manière ; 
il y a toujours derrière lui la volonté au moins possible 
du représenté; celui-ci presque toujours est capable 
d'une certaine volonté personnelle, et là même où l'on 
pourrait dire qu'il ne Test pas (comme dans le cas de 
Vinfans)^ cette incapacité absolue n'est que transitoire, en 
sorte qu'il n'y a aucun intérêt social à permettre à son 



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Là notion de PERSONNALITE MOAàLË 143 

représentant des actes exigeant conscience personnelle. 
D'aulre part, entre le représenté et le représentant qui 
sont deux personnes distinctes il n'y a pas nécessaire- 
ment union de volonté ; quand cette union n'est pas 
constatée par un mandat formel, la loi ne doit admettre 
la représentation que d'une manière limitée, dans la 
mesure où elle est rendue nécessaire par l'intérêt même 
du représenté ou par les nécessités sociales. 

L'organe, à la différence du représentant, incarne 
donc toute la volonté de Têtre collectif. Il peut, comme 
le disent les auteurs que nous citions plus haut, à condi- 
tion de rester dans la limite de ses fonctions, et de ne 
pas enfreindre les prohibitions légales, régler l'existence 
même de la personne morale, changer son but, la dis- 
soudre^ statuer sur le sort de ses biens en cas de disso-^ 
lution, fixer son domicile ou sa résidence. Les actes 
illicites qu'il accomplit dans l'exercice de sa fonction 
sont imputables à la personne morale elle-même et 
engagent sa responsabilité au moins civile (i). Sa bonne 
ou sa mauvaise foi sont considérées comme la bonne ou 
la mauvaise foi du groupe lui-même toutes les fois 
qu'elle présente de l'importance au point de vue juri- 
dique, par exemple en matière de prescription ou d'ac- 
quisition des fruits par le possesseur de bonne foi (2). Il 

(1) Ce n'est pas ici le lieu d*approfondir l'application de ces 
diverses idées, ni de rechercher si le groupe peut encourir une res- 
ponsabilité pénale. V. sur ces points notre étude sur la responsabi- 
lité de l'Etat dans Revue de droit public, t. III, p. 401 et s. 
(notamment n<^» 6 et s.) ; et la thèse de M. Mestre, Les personnes 
morales et le problème de leur responsabilité pénale, VdiVis y 1899. 
Nous retrouverons ces questions dans le second volume de cet 
ouvrage. 

(2) Il n'y a donc pas lieu de tenir compte de la bonne ou de la 



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144 CfiÀPtTtlE t>REMlSR 

peut, dans les limites de son pouvoir, prêter un serment, 
ou faire un aveu engageant la personne morale. Si la 
personne morale a des droits politiques, tels que le 
droit de vote, ce sera son organe qui les exercera. Il y 
a, sur tous ces points, une assez grande différence entre 
Torgane et le représentant pour qu'il soit nécessaire de 
les distinguer nettement l'un de Tautro, distinction 
impossible cependant aux auteurs qui nient la person- 
nalité des êtres collectifs. 

64 bis. L'organe, tel que nous venons de le définir, 
n'est pas, en tant que tel, une personne morale ayant des 
droits distincts de ceux de la personne qu'il représente 
ou des autres organes de cette même personne (1). Car 

mauvaise foi des membres des groupes alors qu*ii en serait autre- 
ment s'il s'agissait d'un groupe non personnalisé, tel qu'une société 
vivant sous le régime que nous décrirons plus loin sous le nom 
de régime de la main commune (V. Dalloz, Prescription, n^ 937). 
(1) Preuss (Uber Organpersonlichkeit, dans le Jahrbuch de 
Schmoller^i, XXVI (1902), p. 136-137), développant une théorie 
déjà admise par Gierke, dans Schmoller's Jahrbuch, 1883, p. 1143 
et Genossenschaftstheorie, p. 157, admet qu'il existe une certaine 
personnalité de l'organe, en tant que tel ; cette personnalité pos- 
sède certains droits subjectifs, consistant dans la faculté de faire 
les actes rentrant dans la compétence de l'organe. Pour lui, la 
compétence est bien un droit subjectif, mais un droit subjectif avec 
qualification particulière, de même que l'organe est une personne 
avec qualification particulière ; bref, la compétence est le droit 
subjectif de la personne-organe comme telle. Suivant lui, cette 
conception ne détruit pas l'unité de la personne morale et notam- 
ment de l'Etat ; il attribue en effet à la théorie organique dont il 
est le défenseur, le mérite d'avoir dégagé la notion de « pluralité 
réunie en unité organique )>. « De même que l'unité de la per- 
sonne collective Etat n'est pas l'opposé, mais l'ensemble, le total 
des personnes -membres qui la composent, de môme l'unité de la 
compétence totale de l'Etat n'est pas l'opposé, mais l'ensemble, le 
total des compétences partielles de ses organes ». Le sujet des 
fdroits de l'Etat, c'est assurément l'Etat ; mais on ne contredit pas 



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tÀ NOTIO!^ De t>ER80NNALITE MORALE 14$ 

il n'existe que pour cette personne, et, quand le droit . 
sanctionne un de ses actes, les intérêts qu'il a en vue de 
protéger sont les intérêts de cette personne, et non ceux 
de Torgane. Les conseils, assemblées ou collèges qui 
jouent le rôle d'organe n'ont donc aucune personnalité ; 
c^est en réalité aux individus qui les composent qu'ap- 
partient la qualité d'organes, c'est-à-dire le droit de vou- 
loir au nom de la personne morale ; seulement la volonté 
de chacun de ces individus n'est susceptible de produire 
son effet de droit que lorsqu'elle s'accorde avec la 
volonté des autres membres de l'assemblée ou de la ^ 
majorité d'entre eux. C'est ce que Ton appella l'organi- 
sation collégiale de l'organe (1). 

cette notion en déclarant que le sujet d'une partie organique des 
droits de J'Ëtat est la « personne-organe », qui elle-même est une 
partie organique de la personne-Etat. ~ Citant Bernatzik, qui, 
dans VArchiv. fur ôffentliches Recht (t. V, p. 317), avait fait re- 
marquer que le droit de punir, de tuer, de priver de la liberté, 
devait être considéré comme appartenant à TEtat et non au tribu* 
nal, Preuss lui répond qu'en réalité l'Etat a ce droit, mais que le 
tribunal Ta aussi, et que ce ne sont pas deux droits opposés Tun à 
l'autre ; car les droits du tribunal X ou du tribunal Y ne sont que 
des parties organiques du droit de l'Etat. 

Cette théorie, très ingénieuse assurément, est difficilement accep- 
table ; au fond elle ne fait guère que dissimuler la contradiction 
en l'abritant derrière le mot « organique », qui se prête admira- 
blement à exprimer les plus gros mystères. Ici le mystère consiste 
à savoir comment le même droit peut appartenir & la fois à deux 
sujets. Avec la théorie de la volonté, qui est celle de Preuss et de 
Gierke, on serait conduit à dire que le droit appartient non à l'Etat 
mais & l'organe ; car au fond rien ne peut masquer le fait que 
c'est dans Torgane que la volonté réside. Pour nous qui définissons 
le droit par l'intérêt, il n'y a aucune difficulté à voir le véritable 
sujet du droit dans la personne morale représentée ; ce sont bien 
ses intérêts qui sont protégés et non ceux de l'organe. 

(1) Y. une notion semblable de l'organe collégial dans Duguit, 
L'Etat, les gouvernants et les agents, p. i48, 

M1CH0UD 10 



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116 CHAPltRE PftEMlEft 

Une personne morale peut d'ailleurs avoir plusieurs 
organes distincts. Il y a alors entre ces divers organes 
un partage d'attributions : chacune représente la per- 
sonne morale dans un cercle d'action déterminé, et en 
dehors de ce cercle perd la qualité d'organe. Ce cercle 
d'action s'appelle la compétence. L'organe n'étant pas 
une personne, la compétence n'est pas pour lui un droit 
subjectif ; elle est d'ailleurs réglementée, au moins en 
général, non dans l'intérêt de la personne physique qui 
joue le rôle d'organe, mais dans l'intérêt de la personne 
morale elle-même. Il en résulte qu'entre deux organes 
d'une même personne morale, il ne peut d'ordinaire y 
avoir procès, lutte juridique, sur leur compétence respec- 
tive. Nous verrons toutefois qu'il peut y avoir exception 
à ce principe à raison de certains droits appartenant non 
à l'organe, mais à l'individu qui en joue le rôle. 

Enfin, entre les divers organes d^une même personne 
morale, il peut y avoir des relations de subordination et 
de hiérarchie. Il est même indispensable, en cas de plu- 
ralité d'organes, qu'il y ait un organe supérieur chargé 
de ramener à l'unité les manifestations de volonté des 
divers organes, au cas où elles seraient contradictoires. 
Dans ce cas les organes inférieurs ont bien qualité, 
comme les plus élevés, pour élaborer et manifester la 
volonté de la personne morale ; mais la décision émanée 
d'eux n'a pas un caractcre définitif tant qu'elle est sus- 
ceptible d'être annulée ou réformée par un organe supé- 
rieur. La personne morale fait ici ce que fait une per- 
sonne physique qui, après avoir pris une décision sur un 
objet peut, mieux informée, revenir sur cette décision ou 
la modifiier. Dans les deux cas il s'agit d'une révision 
de l'affaire qui se produit à l'intérieur de la pei^onne : 



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La notion bfi FBRSONNÀUTB MORALB 14? 

la seule différence,' c'est que dans Tinvidu le procassas 
de cette révision, se passant dans son intelligence, 
échappe à notre vue, au lieu que dans la personne morale 
les divers stades de la délibération mettent en rapport 
les unes avec les autres plusieurs personnes physiques, 
et peuvent être saisis par la réglementation juridique. 
Mais cette réglementation juridique sera en principe, 
comme en matière de compétence, dans l'intérêt de la 
personne morale elle-même, et ne conférera aucun 
droit subjectif à ses organes. 

L^absence de personnalité de Torgane n'empêche 
cependant pas toujours que l'individu à qui appartient la 
qualité d'organe ne puisse avoir un droit subjectif. Si en 
effet l'organe n'est pas distinct de la personne morale, 
l'individu qui enjoué le rôle en est distinct ; il a, vis-à-vis 
d'elle des droits et des obligations. Très fréquemment, il 
parait avoir, même contre elle, un droit à la qualité 
cT organe. Nommé à une fonction, dans les formes pré- 
vues par la constitution de la personne morale, il parait 
avoir, par cela même, le droit d'être reconnu comme 
investi de cette fonction, et d'en accomplir les actes. 
Cette apparence se présente par exemple, lorsqu'il a été 
nommé pour un temps déterminé, comme cela arrive, en 
droit privé, pour les administrateurs d'une société, en 
droit public pour la plupart des grands organes de TEtat : 
Président de la République, députés, sénateurs, etc. Elle 
se présente avec plus de vraisemblance encore lorsqu'il 
s'agit d'organes nommés à vie et irrévocables, ou d'or- 
ganes héréditaires, comme c'est le cas pour le roi ou 
l'empereur dans les Etats monarchiques, pour les élec- 
teurs dans tous les pays où des assemblées électives 
participent au Gouvernement. Les individus qui ont ces 



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i4k CHAPITRE PREMIER 

diverses qualités peuvent revendiquer en général, sinon 
par une action judiciaire proprement dile^ au moins par 
des voies de droit, la qualité d'organes qui leur appar- 
tient. Toutefois, nous ne pensons pas qu'en règlç géné- 
rale le droit qu'ils peuvent invoquer soit un véritable 
droit subjectif. La qualité d'organe leur est en effet accor- 
dée, non dans leur intérêt propre, mais dans l'intérêt de 
la personne morale. D'autre part, le droit à la recon- 
naissance en qualité d'organe se différencie très diffici- 
lement du droit à la compétence, qui certainement n'ap- 
partient pas à l'organe. Jellinek a, il est vrai, dans une 
théorie subtile et savante, essaye de concilier la néga- 
tion du droit à la compétence et l'affirmation du droit à 
la qualité' d'ogane (i). Il fait du droit à la qualité d'or- 
gane un étatj un Zustand^ qui peut être invoqué in abs- 
tractOy et qui, comme tel^ est intangible, mais dont le 
contenu (c'est-à-dire la compétence) est susceptible de 
varier indéfiniment sans que pour cela le status soit 
perdu. Mais cette distinction ne lève pas la difficulté ; 
car si le status peut varier indéfiniment on peut le faire 
décroître jusqu'au point où il ne contient plus aucune 
prérogative, et alors c'est lui-même qui disparaît. Il 



(1) V. dans JelJinek, System der subj. ôffentl, Recht., p. 112- 
113, la définition de VEtat ou status, (Zustand) et du droit, 
et pour Tapplication de cette doctrine à rélecteur,môme ouvrage, 
p. 129, 130 et 139, et pour son application à l'organe en général, 
id., p. 212 et suiv. Dans cette théorie tout le droit de l'organe se 
résume dans le droit à être reconnu dans cette qualité, Anspruch 
àuf Organschaft, auf Anerkannung seiner Individualitàt als 
Trœgers staatlicher Competenzen ; c'est cette reconnaissance, 
cette Anerkennung à!\iïï droit abstrait qui remplace pour l'individu 
chargé du rôle d'organe le droit d'accomplir les actes de sa fonc- 
tion. 



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LA NOTION DE PERSONNALITE MORALE 149 

n'est donc pas sérieusennient garanti si son contenu n'est 
pas garanti en même temps ; et cela devient évident lors- 
qu'on l'applique à une fonction, commecelled'électeur,qui 
ne contient qu'une seule prérogative. Jellinek est obligé 
de dire que le droit qui appartient à l'électeur n'est pas 
le droit de vote, mais le droit d'être reconnu en qualité 
d'électeur (1). Il nous paraît évident que quoi qu'il en 
dise, il ne peut y avoir là qu'un paradoxe ; comme Ta 
répondu Laband, il ne peut y avoir de droit à la recon- 
naissance d'un non-droit. Four que le droit à être reconnu 
comme organe soit autre chose qu'un mot, il faut qu'il y 
ait dans la qualité d*organe un contenu positif. 

Le droit de Torgane, dans les cas les plus fréquent?, 
n'est donc point un droit subjectif, mais un simple effet 
réflexe du droitdela personne morale elle-même (Reflex- 
recht). Il n'y a pour l'individu un droit subjectif à la 
qualité d'organe que dans les cas exceptionnels où cette 
qualité lui est reconnue dans son intérêt, et non dans 
l'intérêt de la personne morale. En droit privé, par 
exemple, un fondateur peut réserver à telle personne,^ 
aux membres de telle famille, etc., le soin d'administrer 
la fondation ; le gérant d'une société en commandité a 

(4) Jellinek, System, p. 152. « Le droit de \ oi^ (Wahlrecht), si 
paradoxal que cela puisse paraître, ne consiste donc point dans le 
droit de voter (Recht zù wàhlen) ». Laband, Le droit public de 
V Empire allemand, trad. française, t. I, p. 495-496, note 1, 
répond que c'est bien au premier chef un paradoxe. On ne peut en 
effet considérer comme un droit le droit à être reconnu en une 
qualité qui ne constitue pas elle-même un droit. — Jellinek a 
repris sa théorie dans Allgemeine Staatslehre, p. 381 et s., et 
p. 512 et s. Il a essayé, p. 382, note 1, de répondre à l'argumenta- 
tion de Laband, mais sans succès nous semble-t-il. Y. d'ailleurs 
toute cette controverse exposée dans Duguit, UEtat, les gouver- 
nants et les agentSt p. 114 et s. , 



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150 CHAPITRE PREMIER 

le droit dans son intérêt propre de gérer les affaires de la 
société ; ^administrateur statutaire d'une société ano- 
nyme, désigné par les statuts sous la condition formelle 
que sa désignation ne sera point soumise à l'assemblée 
générale (loi de 1867, art. 2n, al. 2 à 5) a un droit sem- 
blable (1). Dans les cas de ce genre, le droit à la qualité 
d*organe est incontestable. En droit public on peut admet- 
tre que TEtat reconnaît un véritable droit à certains de 
ses organes, par exemple, dans certaines monarchies, 
au monarque. On peut même admettre que, dans TEtat 
démocratique, il y a un véritable droit pour l'électeur 
à prendre part par le vote, comme organe créateur d'un 
autre organe, aux affaires de l'Etat ; car ce droit lui est 
reconnu aussi bien dans son intérêt que dans celui de 
la collectivité ; nous reviendrons sur ce point en parlant 
de l'Etat. 

En outre, même là où le droit a la qualité d'organe, ne 
peut être considéré que comme un réflexe du droit de 
la personne morale, il sera possible qu'il puisse être 
défendu, dans Fintérêt de cette personne morale^ par 
des voies juridiques dont la mise en mouvement sera 
confiée à IWgane. C'est ainsi que notre législation per- 
met aux organes du département ou de la commune 
d'attaquer les actes de l'autorité supérieure qui portent 
atteinte à l'exercice de leur mandat (2). Dans le^ cas 
de ce genre, même si en la forme l'action paraît apparte- 
nir à l'organe personnellement, il faut la considérer 
comme donnée pour garantir non le droit de Torgane, 
mais le droit de la personne morale elle-même. 

(1) Moins fort cependant, carradministrateur, même statutaire, 
est révocable. 

(2) V. infrà. 



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LA NOTION DB PERSONNALITÉ MORALE i5i 

Enfin, il est à peine besoin d'ajouter que de la qua- 
lité d'organe peuvent découler pour Tindividu qui en est 
investi, des droits de nature pécuniaire vis-à-vis de la 
• personne morale : droit au traitement, à la pension, elc. 
Il n'y a pas lieu ici d'insister sur ce point, qui à notre 
avis ne présente pas de difficulté sérieuse (1). 

VII 

65. La limite d'application du concept de personne 
morale est, en- droit privé, difficile à préciser. Tous les 
groupements organisés, poursuivant un but en commun, 
ne sont pas des personnes morales. Il est possible, en 
effet, de poursuivre un but commun, avec des efforts 
concertés, sans créer un être juridique distinct. Dans ce 
cas, ce n'est pas là collectivité qui est le sujet des droits 
constituant le patrimoine affecté au but, ce sont. ses 
membres. On dit alors qu'il n'y a pas personne morale, 
mais société ou association dénuée de personnalité. 

En droit romain, les deux types étaient séparés par un 
abîme : la personne morale {corpus, collegium, univer- 
sitas) ne pouvait nullement se confondre avec la simple 
societasy par la raison que celle-ci, simple contrat pro- 

(1) M. Duguit, UEtat, les gouvernants et les agents^ p. 559 
et s., refuse de rattacher ces droits à la situation même de 
l'organe ; pour les fonctionnaires de l'Etat il les fait découler de 
l'acte de volonté que fait le fonctionnaire à chaque échéance, en 
signant les feuilles d'émargement. Ceci se rattache chez lui à sa 
théorie sur l'origine des droits subjectifs, qui ne pourraient naître 
que d'un acte de volonté. Ce n'est pas ici le lieu de discuter cette 
théorie. Dans l'espèce, elle aboutit à un résultat inacceptable, car 
le fonctionnaire a droit acquis à son traitement alors même, par 
exemple, qu'il mourrait avant d'avoir signé les feuilles d'émarge- 
ment. * 



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152 chàpitrb premier 

diicteur d'obligations, n'avait d'efiFet qu'entre ses mem- 
bres, à t intérieur de l'association et non à l'égard des 
tiers (i). Il n'y avait donc pas, dans la societas, la forma- 
tion d'un patrimoine séparé, gage exclusif des créanciers 
sociaux, ni les iaipparences de personnalité morale qui se 
présentent dès qu'onadmet une formation de ce genre ; le 
patrimoine social restait incontestablement en état de 
copropriété entre les associés, et cette copropriété ne 
résultait même pas du contrat lui-même; il fallait (sauf 
en matière de société universeUe), pour qu'elle existât, 
que'Tapport fût réalisé par un des modes normaux de 
transfert de la propriété ; le contrat de société, comme 
tous les autres contrats, était simplement productif d'o- 
bligations (2). Cette manière de concevoir la société est 
encore, pour les sociétés civiles, celle de nos anciens 
auteurs et, croyons-nous, celle des rédacteurs du Code 
civil (sauf application des nouveaux principes sur le 
transfert de propriété). Mais vis-à-vis de cette notion de 
la société les besoins du commerce avaient, dès une épo- 
que déjà ancienne, créé d'autres types se rapprochant 
bien davantage de la personnalité morale. Du moment 
que la société a une existence externe, et que les stipula- 
tions du contrat passé entre les associés ont pour effet de 
créer à la masse des biens mis en commun un régime 
spécial dont les effets se font sentir aux tiers, on rap- 
proché la société de Vuniversitas au point qu'elle en 
devient parfois malaisée à distinguer. En France, on a 
commencé par appliquer sans discussion aux sociétés 
commerciales, qui présentent ce caractère, la qualifica- 

(1) V. Girard. Manuel de droit romain^ 2* éd., p. 564 et 5d5 
note 1. 

(2) V. Girard, op. cit., p. 565, note 2. 



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LÀ NOTION DE PERSONNALITE MORALE 153 

tien de personne morale. Leur donner cette qualification 
dans la pensée des auteurs, c'était seulement les décla- 
rer soumises à un certain régime juridique dont le prin- 
cipal élément était Vaffectation exclusive du patrimoine 
social au but social^ avec toutes les conséquences qu'elle 
entraîne (droit de préférence des créanciers sociaux sur 
le patrimoine social, impossibilité pour les créanciers 
personnels de saisir ce patrimoine, impossibilité de com- 
pensation entre créances sociales et dettes personnelles). 
A côté de cet élément principal, on rencontrait d'ailleurs, 
dans le régime des sociétés commerciales/cerlaîns autres 
traits caractéristiques qui semblaient, eux aussi, découler 
de la notion de personnalité : possibilité pour la société 
d'ester en justice en son nom personnel par l'intermé- 
diaire de son gérant ; caractère mobilier de la part d'as- 
socié, même quand le patrimoine social comprend des 
immeubles. Les auteurs étaient d'accord pour admettre 
que ce régime, pris dans son ensemble, ne pouvait 
s'expliquer que par l'idée de personnalité (1). Et quand 
ils discutaient la question de personnalité des sociétés 
civiles, c'était encore simplement l'existence de ce 
régime qui était en discussion (2). 

(i) V. Lyon-Caen el Renault, Précis de droit commercial (1884), 
t. ï, n" 280 et s., et Traité, t. Il, nos 126 et s., 2e éd., p. 101 
et s. — Paul Pont, Sociétés civiles et commerc, t. I, n® 124. — 
Aubry et Rau, 4« éd., t. I, § 54, notes 20 à 26. Pour montrer que 
ce régime s'applique aux sociétés commerciales (chose d'ailleurs 
incontestable), on se base sur une tradition déjà ancienne (elle 
remonte au moyen âge) et sur les textes qui admettent d*une 
manière formelle quelques-uns des traits du régime indiqué, 
potamment l'article 529 du Gode civil et l'article 69 6° du Gode 
de procédure. 

(2) Contre la personnalité entendue en ce sens : Thirj, Revue 
critique, t. V, p. 412 et s. Aubry et Rau, 4e éd., t. IV, § 377, 



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154 CHAPITRE PREMIER 

66. Mais voici que certains auteurs se sont avisés de 
soutenir, il y a peu d'années, que ce régime pouvait 
s'expliquer tout entier sans avoir recours à la notion de 
personnalité. M. Mongin, qui le premier en France a 
posé nettement cette thèse (i), a cherché à expliquer une 
à une toutes les règles de ce régime, en les ramenant à 
une simple interprétation de la volonté des parties ; et il 
a conclu que, sur ces divers points, les sociétés dénuées 
de personnalité pouvaient être assimilées aux sociétés 
que la tradition considérait comme des personnes mora- 
les. Depuis lors, M. SaleiUes a essayé de montrer que 
les règles de la commandite commerciale pouvaient se 
ramener, non à Tidée de personnalité morale, mais à 
ridée plus simple et plus naturelle d'un patrimoine dW- 
fectation formant une copropriété en main commune, 
c'est-à-dire continuant d'appartenir aux associés mais 
soumis à un régime d'administration unitaire (2). Enfin, 

note 16. Paul Pont, op, cit,, nos 125-126. Baudry-Lacantinerie et 
Wahl, Société, Prêt, Dépôt, n^ 11. Boistel, Droit commercial, 
n» 163. Laurent, t. XXVI, n^ 181. De nombreux arrêts anciens ont 
statué dans ce sens. — En faveur de la personnalité, Troplong, 
Sociétés, n'> 58. Dalloz, Rép., vo Sociétés, n° 182 et les auteurs qu'il 
cite. La jurisprudence paraît aujourd'hui orientée en ce dernier sens. 
Req., 23 février 1891, D., 91. 1. 337 ; S., 92. 1. 73, et la note de 
M. Meynial ; 2 mars 1892, D., 93. 1. 189 ; S., 92. 1. 497 et la 
seconde note du môme auteur. 

Les adversaires de la personnalité des sociétés civiles ont d'ail- 
leurs souvent la personnalité de celles qui avaient revêtu les for- 
mes commerciales. Aubry et Hau, § 377, note 17. 

(1) Revue critique, 1890, p. 712 et s. Avant M. Mongin, M. Van 
den Heuvel avait, en Belgique, donné des explications analogues, 
mais en en tirant des conséquences beaucoup plus radicales 
(V. suprà, n° 2i). 

(2) Etudes sur l'histoire des sociétés en commandite, n^ 54 et s« 
dans Annales de droit commercial, 1897, p. 32 et s. — Junge 



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LA NOTION DE PERSONNALITE MORALE 155 

M. Thaller, généralisant la. méthode et l'appliquant à 
toutes les sociétés commerciales, s*est efforcé de rame- 
ner toutes les particularités qu'elles présentent à cette 
idée qu'elles constituent des associations à existence 
externe^ dont les stipulations sont soumises à la publi- 
cité et s'imposent par là même aux tiers comme aux 
associés eux-mêmes (1). Les explications données par 
ces divers auteurs se rapprochent singulièrement de 
celles qui sont présentées par MM. Van den Heuvel et de 
Vareilles-Sommières (2). Elles en diffèrent en ce qu'au 
lieu d'être présentées comme applicables à toutes les 
personnes morales, elles sont données comme vse limi- 
tant aux sociétés ou même à certaines d'entre elles. 
Elles intéressent donc non plus l'existence du concept 
de personne morale, mais sa limite, et à ce litre elles 
sont des plus utiles à discuter. 

Cette question de limite a d'ailleurs fait l'objet de tra- 
vaux importants à l'étranger, principalement en Alle- 
magne et en Italie. Mais la question n'y a pas porté uni- 
quement sur la nature des sociétés commerciales. Elle a 
donné lieu à des discussions plus complexes. L'idée pre- 
mière, que sous des formes diverses on retrouve dans 
toutes ces discussions, c*est qu'entre le régime de la 
personnalité juridique, et celui de la societas romaine, 
on peut imaginer, à condition de modifier quelques- 
unes des règles de la societas, ou de recourir à des prin- 
cipes nouveaux, un ou plusieurs régimes intermédiaires^ 

Van(ienotte,i4nwato de droit commercial, 1898, p. 437 et s, Gény, 
Méthode d interprétation, n° 70. et Saleilles, Bulletin de la 
Soc. de législ. comp., 1900, p. 125 (biens communaux). 

{{) Traité élément, de droit commercial, 3e éd. nos 274 et s. 

(2) V. suprà, nos 24 et 25. 



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156 CHAPITRE PREMIER 

qui rapprocheront le groupement de la personnalité 
juridique, sans que son patrimoine cesse pour cela d'ap- 
partenir aux associés individuellement (1). 

67. Le plus impçrlant de ces régimes intermédiaires 
est celui de Ibl propriété en main commune (Gesammte 
Hand), qui est en Allemagne d'origine ancienne, qui a 
donné lieu à bien des discussions, mais qui est aujour- 
d'hui précisé par le Code civil allemand, et appliqué par 
lui à des groupes bien déterminés, notamment aux so- 
ciétés civiles (§§705 et s., particulièrement §§71 2 à 722), 
et à la communauté conjugale (§§ 1437 et s.). Aux yeux 
de la plupart des auteurs ce régime ne suffit pas d'ail- 
leurs à expliquer les règles des sociétés commerciales. 
Pour les uns ces sociétés sont toutes des personnes 
morales (2). Pour d'autres, elles appartiennent, au moins 
en partie, à un type intermédiaire entre la société avec 
Gesammte Hand e[ la personne morale du droit romain ; 
Gierke et son école y voient des Genossenschaften du 
droit allemand dans lesquelles il y a une sorte de partage 
de la propriété entre Têtre collectif et ses membres (3). 

(1) Sur les divers systèmes, si nombreux qu'il est presque impos- 
sible de les analyser complètement, cpr.,pour compléter les expli- 
cations données au n® suivant : Bourcart. De Vorganisation et 
des pouvoirs des assemblées générales dans les sociétés par 
actions (1905), n^ 40. L'auteur y analyse le.s divers systèmes en 
prenant pour guide l'oUvrage de Renaud. Das Recht der Actien- 
gesellschaften. 

(2) P. ex. Eccius, Die Stellung der offenon Hundelsgesells- 
chaft als Prosess partei dans Zeitschriftfûr das gesammte Han- 
delsrecht, t. XXXII, p. 1 et s. 

(3) La théorie de la Genossenschaft a été introduite dans la doc- 
trine allemande pour combler le vide existant entre la corporation 
et la societas (en entendant ces deux mots au sens romain). Elle 
a commencé par considérer la Genossenschaft comme uji type 



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Là KOTION DB {PERSONNALITE MORALE IS*? 

Sohm y voit aussi des Genossenschaften,ma\» en donnant 
à la notion de Genossenschaft un autre contenu que 

intermédiaire entre ces deux extrêmes. Mais dans sa dernière forme 
telle que Gierke l'a présentée, elle constitue plutôt une sorte d'élar- 
gissement de la notion de corporation, qui permet d'admettre 
Texistence d'une série de corporations à type différent, allant depuis 
la pure corporation romaine jusqu'à un type de corporation tout 
voisin de la societas. Gierke conserve bien en principe l'idée que la 
corporation est un sujet de droit et la société un simple rapport 
de droit. Mais d'une part, il admet dans la corporation une sorte 
de combinaison organique des droits de la collectivité et des droits 
de l'individu ; la collectivité est, en un certain sens, propriétaire 
du patrimoine commun, ce qui n'empôcbe pas Tindividu de Tôtre 
aussi d'ime certaine manière. Par là il donne à la notion de corpo- 
ration, comme il le dit lui-môme (Genossenschaft stheorie, p. 306) 
une extraordinaire élasticité. Il permet d'y ramener à la fois les 
groupements où lesdroitsdu groupe dominent de bien haut les droits 
de l'individu et ceux au contraire où le groupe n'a d'autre but que la 
réalisation des fins particulières de ses membres (tels que les sociétés 
commerciales ou quelques-unes d'entre elles). D'autre part, Gierke 
admet, grâce au principe de la Gesammte ffand, que la société, 
elle aus$i, peut présenter des types divers, allant depuis la societas 
romaine jusqu'aux confins de la corporation. Ainsi disparaît entière 
mentTabime que le droit romain avait creusé entre les deux notions. 
Il disparaît si bien que la ligne séparalive devient fort incertaine, et 
cette incertitude a été l'une des grosses objections opposées au sys- 
tème de Gierke. Il établit une opposition entre la société et la 
Genossenschaft sans indiquer à quel signe elles se distinguent Tune 
de l'autre (V. Laband, Zeilschrift fur Handelsrecht, t. XXX, 
p. 488 et 8.). Mais Gierke voit là un avantage, celui de serrer le 
plus près la réalité (V. sa réponse à Laband dans Genossenschafts 
théorie^ p. 308, note i). 11 est impossible pour lui de ramener à 
un seul les caractères qui distinguent la corporation (entendue avec 
son sens large de Genossenschaft). de la société (entendue au sens 
arge dans lequel on y comprend la société avec Gesammte Hand). 
C'est V ensemble des caractères du groupement qu'il faut examiner 
pour en faire le classement, et il arrivera que deux groupements, 
identiques dans leur apparence extérieure, pourront être classés, 
l'un parmi les sociétés, l'autre parmi les corporations, suivant que 
cela sera expédient au point de vue pratique. Gierke déclare tout 



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liS8 CÈLAPITRÉ PREMIER 

celui de Gierke, et en admettant que la propriété y est 
tout entière aux associés, la collectivité ne retenant pour 
elle que Y administration du patrimoine (1). D'autres 
auteurs y voient des groupements ayant une personna- 
lité juridique purement formelle^ différant de la person- 
nalité proprement dite par ce fait que les associés et 
non le groupe sont en réalité propriétaires du fonds 
social (2). D'autres enfin distinguent, accordant la per- 
sonnalité à quelques sociétés commerciales et non aux 
autres; et parmi ceux-là il y a encore des divergences, 
les uns voyant le critérium de la personnalité dans la 
consistance variable de l'association, d'autres, dans le 
fait que les associés ne sont pas tenus personnellement 
des dettes sociales, d'autres, dans la structure intime et 
l'organisation de la société (3). 

à fait arbitraire le critérium admis iiar Laband (robligation aux 
dettes pour Jes associés). En un sens analogue, v. Regelsperger, 
Pandekten, % 80> lïl. Parmi les caractères déterminants, Gierke 
paraît cependant attacher une importance particulière à l'organisa 
tion corporative (V. cod. op., p. 35 et s.). 

(i) Sohm, Die Deutsche Genossenschaft, dans Festgabe fur 
Winscheidy Leipzig, i888. — V. notamment dans cet article, 
p. 27 et s., la comparaison entre la Gesammthand et la Genos- 
senschaft, p. ^3 et s, la comparaison entre la Genossenschaft et 
la personne morale, 

(2) Gareis, Das deutsche Handelsrecht (6* éd., 1899), p. i76 
et s. — Gareis et Fuchsberger, Z>a5 A llg. Deutsche Handelsgesetz- 

' buch (1891), p. 210. — Unger. System der cestei^reichen PHva- 
trechts, % 43. — Meurer, Die jurist. Personen (1901), § 8, 
notamment p. 77 et s. — Gierke considère cette idée à' unité 
formelle, unité collective, comme équivalente, si on la distin-- 
gue de la personnalité morale, au principe de la Gesammte Hand 
(Genossenschafts théorie, p. 341, note 3). 

(3) Les divers systèmes sur ce point ont été passés en revue par 
hB.hdinA,Beitràge £Ûr Dogmatik des Handelsgesellschaften (dans 
Zeitschrift fur das gesammte Handelsrecht, UXKX, p. 469. et s.;. 



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La notion de i>ersonnàlite morale 1^9 

En Italie^ il règne parmi les auteurs une confusion 
analogue. Certains d'entre eux, fidèles au système clas- 
sique français, voient dans toutes les sociétés commer- 
ciales des personnes morales (1)* D'autres construisent 
pour elles une théorie analogue à celle de la Gesammte 
Hand du droit allemand (2). D'autres enfin admettent à 
leur égard une sorte de personnalité relative, n'existant 
qu'à V extérieur^ ce qui est l'équivalent de la personnalité 
formelle admise par les auteurs allemands (3). 

Pour s'orienter au milieu de cette foule d'opinions 
contradictoires (4), il faut chercher à résoudre les trois 

— Lui-même admet la personnalité des sociétés dans lesquelles 
les associés sont personnellement tenus des dettes sociales, non 
des autres. 

(1) C'est en Italie comme chez nous, le système classique : V. 
Giorgi, Persone giuridiche, 2e éd., 1. 1, nos 27 et s. ; t. IV, nos 153 
et s. ; Fadda et Bensa, notes sur Windscheid, t. I, p. 802 et s. ; 
Vivante, La personalita giuridica délie societa commerciali 
(Extrait de la Rivista di diritto commerciale, i^e année) ; Vighi, 
La personalita giuridica délie societa commerciali, 190Q. 

(2) Manara, Délie societa di commercio irregulari a del loro 
fallimento, 1898. 

(3) V. dans Manara, op. cit., nos 11 et 12, l'analyse de la dis- 
cussion du Code de commerce italien, où Ton voit apparaître ce 
système ; Vigliani oppose la personne juridique, qui a des droits 
propres indépendants' de ceux de ses membres à Yêtre collectif,- 
qui n'a pas de droits propres, mais seulement les droits combinés 
des associés. — Pescatore considère les associés comme coproprié- 
taires dans leurs rapports internes, en sorte que la personnalité 
n'existe qu'à l'extérieur, — Le même Pescatore (Filosofia et dot- 
trine giurid,, Turin, 1879, II, p. 140 et s.) distingue dans ses 
ouvrages les êtres juridiques en absolus et relatifs. Beaucoup 
d'auteurs, tout en voyant dans les sociétés commerciales des per- 
sonnes morales, en font une catégorie à part en opposant les 
coi^i morali, aux simples enti collectivi (Vivante Dirito com- 
merciale, 4893, 1. 1, no 287. 

(4) Les législations diverses ne sont pas assez explicites pour 



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460 CHàPITÀE PtlEMiEtt 

questions suivantes : 1° Peut-on admettre un régime 
intermédiaire entre celui de la personne morale et celui 
de la societas romaine, et en quoi peut consister ce 
régime ?2<> En quoi ce régime diflérera-t-il de celui de la 
personne morale? 3<> Quels sont, parmi les groupements 
dont la nature est douteuse, ceux qui peuvent y être 
soumis et ceux auxquels, au contraire, la notion de per- 
sonnalité est indispensable? 

68. 1® Peut-on admettre un régime intermédiaire 
entre celui de la personne morale et celui de la societas 
romaine, et eu quoi peut consister ce régime? 

En théorie pure, il ne nous paraît pas douteux que 
l'existence de ce type intermédiaire soit possible et dési- 
rable. La personnalité juridique classique est un type 
rigide, dans lequel le patrimoine apparaît comme appar- 

fournir sur ce point des indications sûres. Quelques-unes attribuent 
expressément aux sociétés commerciales la personnalité morale 
(C. de comm. espagnol de 1885, art. 116, § 2), ou une individualité 
juridique distincte de celle des associés (loi belge du 18 mai 1873, 
art. 2). Le Code suisse des obligations reconnaît expressément la 
personnalité morale aux sociétés anonymes et aux sociétés en 
commandite par actions (art. 623 et 676). Le Gode de commerce 
italien (art. 77, § 3) reconnaît aux sociétés commerciales la qualité 
d'être collectifs, distincts de la personne des associés, mais seule- 
ihent à V égard des tiers, ce qui laisse la porte ouverte aux dis- 
cussions sur la vraie nature juridiqueile ces groupements. D'autres 
législations assez nombreuses, se contentent comme la nôtre de 
donner des règles pratiques d'où l'on peut induire, avec plus ou 
moins de certitude la personnalité. Par exemple, Gode de com- 
merce allemand de 1897, art. 124, 161, 210. « La société par 
action a comme telle des droits et des devoirs ; elle peut acquérir 
des immeubles et d'autres droits réels sur des immeubles, actionner 
et être actionnée en justice. » De même le Gode suisse des obliga- 
tions pour les sociétés en nom collectif et en commandite simple 
(art. 559 et 597). Gpr. sur ces notions de droit comparé, les expli- 
cations de M. Bourcart, op. cit., n« 6. 



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LA NOTION DE PERSONNALITE MORALE 161 

tenant à Têtre moral et non à ses membres. Même en lui 
donnant, comme le fait Gierke, et comme nous le faisons 
nous-mêmes dans une certaine mesure, une interpréta- 
tion plus souple, dans laquelle on lient compte de la nature 
collective de Têtre moral, et de la situation particulière 
dans laquelle il se trouve vis-à-vis de ses mem- 
bres, il reste que ceux-ci ne sont point des coproprié- 
taires du fonds social. D'autre part, le régime de lacopro- 
priété classique, qui est celui de la pure societas, est un 
régime très imparfait, ne répondant nullement au rôle 
actif que les sociétés sont appelées à jouer dans le monde 
actuel. On conçoit très bien la possibilité de modifier ce 
régime sans renoncer pour cela à Tidée que le patri- 
moine est la copropriété des associés ; on conçoit aussi 
que, pour certains groupements, cette analyse serrera de 
plus près la réalité que celle qui cherche à y trouver un 
être juridique distinct des membres. 

Le trait principal de ce type intermédiaire, auquel on 
peut donner le nom connu de propriété en main com- 
mune, est celui que nous avons déjà dégagé : affectation 
exclusive du patrimoine commun au but social, affectation 
rendue publique et par là opposable aux tiers. Cela suffit à 
expliquer (au moins théoriquement, et en faisant abstrac- 
tion des textes ou des traditions rfes diverses législations 
positives), plusieurs des règles pour lesquelles Tancienne 
doctrine avait Thabitude de voir dans la personnalité mo- 
rale, la seule explicî^tion possible. «Elle suffit notamment, 
dit notre collègue, M. Josserand, dans un travail dont les 
conclusions se rapprochent beaucoup des nôtres sur ce 
point (1), à soustraire les biens mis en commun à toute 

(1) Essai sur la propriété collective, dans le Livre du Cente- 

MIGHOUD 11 



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162 C&APITRË PREMIER 

impulsion individuelle de la part des ayants droit, qui ne 
pourront ni les aliéner ni les hypothéquer, même pour 
partie, et qui ne pourront pas davantage, en assumant 
des obligations, les faire pénétrer dans le gage de leurs, 
créanciers personnels. Sociaux par leur destination, les 
biens placés sous la main commune ne sauraient rece- 
voir qu'une impulsion sociale et constitueront donc le 
gage exclusif des créanciers sociaux..... Pour la même 
raison, il ne faudra pas parler de compensation entre un 
rapport obligatoire personnel à un associé et un rapport 
qui figure activement^ou passivement dans le patrimoine 

collectif L'autonomie du patrimoine collectif suffit à 

assurer ces résultats et d'autres encore, sans qu'il soit 
besoin de faire appel à Tidée de personnalité ». L'exis- 
tence de cette copropriété en main commune n'est liée à 
aucun mode d'administration particulier. Théorique- 
ment, on doit admettre qu'en dehors de toute conven- 
tion contraire les actes d'administration ou de disposi- 
tion du patrimoine commun ne pourront être faits que 
parla communauté elle-même, c'est-à-dire par l'unani- 
mité des membres copropriétaires. Mais, pratiquement, 
on trouve dans beaucoup de groupements dont le patri- 
moine est en main commune des règles d^administra- 
tion conventionnelles du légales, qui donnent le droit 
exclusif d'aliéner ou d'administrer à certains représen- 
tants du groupe. Le régime de propriété en main com- 
mune yom^ à une administration centralisée donne alors 
au groupe un aspect qui se rapproche beaucoup, à pre- 
mière vue, de celui d'une corporation ou groupement 

naire du Code civil, p. 357 et s. Le passage cité est à la page 365 
(p. H du tirage à' part). 
(1) Ib.,p. 376 (p. â2 da tirage à part). 



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Là notion de PERSONNALITE MORALE l63 

personnalisé. Mais en réalité il n'y a là qu'une appa- 
rence, et la situation de radminislrateur d'une société 
de ce genre, qui n'est qu'un simple mandataire des 
autres associés, diffère notablement, nous l'avons vu, 
de la situation de l'administrateur d'une personne mo- 
rale, qui est un organe. 

L'unité d'administration peut aller théoriquement jus- 
qu'à l'unité de la représentation en justice ; et il n'y 
aura même à cela nulle difficulté dans les législations qui 
n'admettent point la règle : nul ne plaide par procureur. 
Dans celles qui maintiennent ce principe, le groupe ne 
pourra être représenté en justice par son administrateur 
qu'en vertu d'une exception à la règle générale. Cette 
exception est assurément possible ; mais elle n'aura 
d'autre eifet que de supprimer la nécessité de mentionner 
tous les membres du groupe dans les actes de la procé- 
dure. Elle ne peut avoir pour effet de rendre les mem- 
bres de ce groupe étrangers au procès ; car c'est bien 
leur droit qui est déduit en justice^ et non le droit d'une 
personne juridique distincte d'eux-mêmes. 

D'autre part, quel que soit le mode d'administration 
des biens placés en main commune, on peut admettre 
que les actes faits par les copropriétaires sur le patri- 
moine social sont entièrement nuls quand ils ne sont pas 
faits en conformité des règles d'administration admises 
par le pacte social. La vente ou la constitution d'hypo- 
thèque qu'un associé ferait au sujet d'un bien social pour 
ses besoins personnels serait donc entièrement nulle, et 
ne dépendrait pas des résultats du partage. En d'autres 
termes, on n'appliquera pas à la copropriété en main 
commune la règle de l'article 883 du Code civil, qui n'y 
aurait nulle raison d'être. 



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i64 CHAPITRE PREMIBk 

II y a plus de doute, à notre sens, sur le point de 
savoir si la société établie sous ce régime peut être 
Tobjet d'une déclaration de faillite distincte de la faillite 
de ses membres. Nous croyons pourtant qu'en Ihéorie 
pure on peut l'admettre sans.se mettre en contradiction 
avec ridée fondamentale du régime. Du moment que l'on 
introduit une séparation des patrimoines ayant pour con- 
séquence Taffectation exclusive du patrimoine social aux 
créanciers sociaux, il n'est pas illogique d'admettre une 
liquidation de ce patrimoine par des procédés semblables 
à ceux de la faillite d'une personne. Toutefois, dans 
la plupart des cas, sinon dans tous, la faillite d'une société 
de ce genre entraînera la faillite d'au moins une partie de 
ses membres ; car, puisqu'il n'y a point de personne 
morale, il faut bien que quelques-uns au moins parmi 
eux soient tenus in infinitum sur leurs biens personnels. 
Et cela montre qu'il y a quelque chose d'artificiel dans 
l'application de la faillite à une société de ce genre. 

JNous admettons aussi la possibilité théorique de faire 
au nom du groupe une inscription sur les registres 
constatant les actes translatifs de propriété ou consti- 
tutifs de droits réels. Le groupe peut apparaître là dans 
son unité, puisqu'il s'agit de constater que le bien entre 
dans le patrimoine soumis à un régime spécial, ou qu'il 
en sort. Mais là encore, des doutes sont possibles ; et on 
doit considérer cette facilité donnée au groupe, quand 
elle existe, comme une faveur qui lui est faite, une 
mesure de simplification peu logique, la vérité étant 
dans la propriété des membres. 

On peut admettre enfin, mais toujours à titre de 
mesure de simplification plus ou moins fictive, Tappli- 
cation au groupe de la règle de l'article 529 du Gode 



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LA NOTION DE PERSONNALITE MORALE 165 

civil, qu'on a si souvent regardée comme un signe 
caractéristique de la personnalité morale. Logiquement, 
les membres du groupe, n'étant que des copropriétaires, 
doivent être regardés comme ayant dans leur patrimoine 
des meubles et des immeubles dans la proportion où ils 
figurent au patrimoine social. Mais le législateur peut, 
dans un but économique, appliquer à des immeubles les 
règles juridiques des meubles et réciproquement. S'il a 
pu permettre de considérer comme immeubles les 
actions de la Banque de France, on ne voit pas pourquoi 
il lui serait interdit d'assimiler à des meubles les actions 
d'une société, même propriétaire d'immeubles. À ce 
point de vue, on peut admettre que Farticle 529 ne prouve 
rien au point de vue de la personnification des sociétés 
auxquels il s'applique. Mais il n'en est pas moins vrai 
que sa disposition n'est conforme à la logique du droit 
que pour les groupements personnifiés ; pour les autres, 
elle est une fiction admise par le législateur utilitatis 
causa. 

Cet aperçu théorique du régime des biens placés en 
main commune montre qu'il y a là une institution qui 
n'est point spéciale aux pays germaniques. Elle est réa- 
lisée suivant nous dans certaines sociétés commerciales; 
peut-être aussi (nous le verrons plus loin) (1) dans les 
associations non douées de personnalité. Pour les socié- 
tés civiles, on peut éprouver des doutes sérieux. On les 
classera sous cette étiquette si l'on admet pour elles 
l'interprétation que M. Mongina donné de l'article 1860, 
avec toutes ses conséquences (2). Elles resteront sous 

(1) V. infrà, ch. IV. 

(2) L'article 4860 déclare que Tassocié non administrateur ne 
peut aliéner ni engager les choses qui dépendent de la société. 



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i66 CHAPITRE PREMIER 

le régime de la societas romaine, peut-être avec cer- 
taÎDes modifications, si on repousse cette interprétation. 
Mais c'est là une discussion que nous ne croyons pas 
avoir à approfondir ici. 

70. 2* En quoi ce régime diffère-t-il du régime de la 
personnalité morale? 

Il est incontestable que la société dont le patrimoine 
est en main commune ressemble t)eaucoup à une personne 
morale. Elle en est cependant séparée par une différence 
fondamentale: dans la personne morale le patrimoine 
n'appartient plus aux membres, mais à l'être moral; 
dans la société en main commune il est la copropriété 
des membres (copropriété modifiée par des règles spé« 
ciales). La société reste un simple rapport de droit ne 
donnant naissance à aucun sujet de droit nouveau d'où 
résulte que les droits et obligations qui composent le 
patrimoine ont pour sujet les associés eux-mêmes. La 
personne morale est un sujet de droit qui est, là où elle 
existe, seule titulaire des droits et obligations du groupe. 

Cette règle, dit M. Mongin, ne peut pas signifier que Tassocié n'a 
pas le droit d'aliéner la totalité du bien commun ; car cela était 
évident, donc inutile à dire. Elle signifie qu'il ne peut pas même 
aliéner sa part dans le bien commun. — Cette interprétation con- 
traire à la doctrine de Pothier est déjà douteuse (V. Paul Pont, 
Sociétés^ rio 588). — M. Mongin admet en outre que la règle ainsi 
établie est opposable aux tiers, et c'est ce qui lui permet d'en tirer 
joutes les conséquences qui rapprochent ô ses yeux la société civile 
de la personnalité morale (iofpossibilité pour les créanciers per- 
sonnels de se payer sur l'avoir sociaJ) ; il crée ainsi au profit 
des associés une sorte de droit réel sur le fonds social. Mais 
cela encore ne va point sans difficulté. Si l'on admet cette thèse les 
sociétés civiles ont, comme les sociétés commerciales non douées 
d'une véritable personnalité, le régime de la main commune avec 
administration unifiée. Si on ne l'admet pas, il n'y a plus dans la 
société civile que l'indivision et la societas romaine. 



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LA NOTIQN DE PERSONNALITÉ MORALE i€)7 

Cette différence ne peut être effacée par aucune des 
modifications que Ton peut concevoir au régime de co- 
propriété. Il en résultera notamment que dans la société 
avec main commune^ la capacité de^ membres du groupe 
influera sur la validité des actes sociaux : si parmi eux 
se trouve un mineur, les biens sociaux seront, dans la 
mesure où ils sont sa propriété, soumis au régime des 
biens des mineurs; ils ne pourront être aliénés que sous 
les conditions fixées parla loi pour cette aliénation; ils 
seront protégés contre la prescription au profit d'un tiers 
parla règle de suspension de Tarticle 2252 ; ils ne pour- 
ront pas être achetés par son tuteur (article 4596), etc. Si 
une libéralité est adressée à la société, ce seront en réalité 
ses membres qui en bénéficieront et il faudra tenir compte 
de leur personne au point de vue des incapacilésde rece- 
voir, de l'obligation du rapport, etc. — Sur tous ces 
points la théorie de la personnalité morale aboutit à 
des résultats diamétralement différents (1). 

(i) On sait quelles difficultés se sont élevées sur la question de 
savoir si les sociétés de gain pouvaient recevoir des libéralités. 
M. Labbé, qui a soutenu énergiquement la négative {Sirey, 81. 2. 
249, et Revue critique, 1882, p. 345 V. dans le même sens Tis- 
sier, Dons et legs, no 87), s'est appuyé notamment sur l'idée que 
les droits de la société n'étaient pas nettement séparés, des droits 
des associés, et qu'en conséquence en gratifiant la société on gra- 
tifie en réalité les associés eux-mêmes. Il en conclut que c'est à 
ceux-ci seulement qu'une libéralité peut être adressée, parce que 
c'est dans leur personne qu'il faut apprécier les questions de capa- 
cité, de rapport, etc. L'objection atnsi faite à la capacité des socié- 
tés est exacte pour les associations auxquelles convient le régime 
de la main commune, inexacte pour les autres. Dans les sociétés 
qui forment de véritables personnes morales (telles que les sociétés 
anonymes), il n'y a pas de danger qu'en gratifiant la société on ait 
en vue de gratifier les associés personnellement. Gpr. Thaller.Note 
dans Dalloz, 1896, 4. 145. — La plupart des auteurs ainsi que la 



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166 CHAPITRE PREMIER 

De même, si la société avec main commune este en 
justice, fût-ce avec la possibilité de constituer pour cela 
un mandataire unique, il faudra admettre que les associés 
sont en réalité parties au procès, car ce sont leurs droits 
qui sont en cause, même lorsqu'ils sont défendus par un 
mandataire. De là, comme conséquence, la faculté pour 
l'adversaire de les récuser comme juges (art. 378, Proc.) 
l'impossibilité pour eux de déposer comme témoins, le 
droit de reprocher comme tels leurs parents et alliés. De 
là encore Timpossibilité pour eux de former tierce-oppo- 
sition au jugement (art. 474, Proc.) et le droit de leur 
déférer le serment sur les faits qui sont à leur connais- 
sance, même si ce n'est pas par eux que la société est 
représentée en justice (art. 1359). Sur tous ces points 
encore il faut introduire l'idée de personnalité pour arri- 
ver à d'aulres solutions (1). 

jurisprudence«admettent aujourd'hui la capacité des sociétés en 
cette matière. On doit l'admettre en précisant : que dans les socié- 
tés qui forment réellement des personnes morales c'est la société 
qui est la gratifiée réelle, tandis que dans les autres les gratifiés 
réels sont les associés. 

(1) La jurisprudence sur ces divers points ne parait pas suivre de 
principes bien arrêtés. Elle admet aujourd'hui, d'une façon for- 
melle, à déposer dans les affaires intéressant une commune les 
habitants et les conseillers municipaux de cette commune. Gass., 
1« juillet 1890, D., 90, 1. 35o ; 6 mai 1896, D., 96. l, 493 ; Alger, 
14 mars 1900, D., 1901, 2. 238. Elle admet aussi le maire et le 
curé à déposer dans un procès intéresant la fabrique. Req. 23 jan- 
vier 1877, D., 78. 1. 70. Elle ne fait exception, pour ces diverses 
personnes, que si elles ont au procès un intérêt distinct, ou si elles 
peuvent, à raison des délibérations auxquelles elles ont pris part, 
être considérées comme ayant délivré un certificat sur le fait h. éta- 
blir, ou exprimé une opinion équivalente à un certificat. Il y a au 
contraire des décisions permettant de reprocher comme témoins 
les actionnaires d'une société qui est partie en cause. Douai 28 jan- 



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Là notion de PERSONNALITE MORALE 169 

De même encore, dans une société avec main com- 
mune, les dommages causés aux tiers par les fautes des 
représentants de la société devront être appréciés d'après 
les règles qui régissent les relations entre individus. Les 
associés ne seront tenus des fautes de leurs représen- 
tants que si on peut considérer ces représentants comme 
leurs préposés au sens de Farticle 4384, C. civ., 
c'est-à-dire s'ils les. ont choisis directement ou indirec- 
tement et conservent sur eux un certain contrôle. Mais 
alors ils en seront responsables in infinitum^ même sur 
leurs biens personnels; car si l'on peut admettre la 
facullé de limiter, par un contrat dûment publié, les 
conséquences des engagements contractuels pris par un 
inandataire ou un administrateur, il paraît impossible 
d'admettre que Ton puisse s'affranchir des conséquences 
de la faule de son préposé, alors que la loi Ta établi d'une 
manière impérative en vertu d'une présomption de faute 
du commettant. — Au contraire nous croyons que la per- 
sonne morale peut être considérée comme commettant 
une faute personnelle^ quand la faute provient de son 
organe et qu'elle peut alors être poursuivie non en vertu 
de Parlicle 1384, mais en vertu de l'article 1382. Mais 
cette responsabilité n'atteindra pas les membres du 
groupe en tant que tels. Le patrimoine social sera donc 
seul affecté au paiement de Tindemnité (1). 

Nous croyons encore qu'il est impossible d'appliquer 
aux sociétés avec main commune la règle permettant de 
constituer un usit fruit diU profit d'une personne (art 619), 

vier 1853, D., 55. 5. 179 ; Cour de justice de Genève, 24 mars 1884, 
Dali., SuppL Rép., v» Enquête, n» 237. 

(1) Là encore nous renvoyons les détails au second volume de 
cet ouvrage. 



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i70 CHAPITRE PREMIER ' 

car l'usufruit suppose nécessairement un sujet sur la 
tête duquel il repose et avec lequel il s'éteint. Dans une 
société sans personnalité, il ne peut y avoir qu'un usu- 
fruit des associés, avec toutes ses conséquences. 

Enfin on pourra attribuer à une personne morale une 
nationalité et un domicile^ qui seront indépendants de 
la nationalité et du domicile des associés. Dans la société 
avec main commune on pourra trouver un domicile élu 
par les associés, pour une fin limitée ; mais il sera impos- 
sible de lui assigner un domicile général, au sens de 
l'article 102 du Code civil, et encore moins une nationa- 
lité. A tous les points de vue, il faudra avoir égard uni- 
quement à la nationalité des membres ; si une société 
de ce genre se forme enire membres de nationalité 
diverse, cela pourra constituer une complication ; mais 
les difficultés qui en résulteront devront être tranchées 
par une autre voie que la détermination d'une nationa- 
lité sociale. 

On voit que, même en faisant la part très large, 
comme nous l'avons faite au régime de la main com- 
mune, il subsiste encore entre ce régime et la personna- 
lité morale des différences importantes. Il nous reste en 
conséquence à examiner une dernière question que 
n'ont pas à trancher ceux qui confondent les deux théo- 
ries. 

71. 3® Quels sont parmi les groupes ayant des inté- 
rêts collectifs, ceux à qui peut suffire le régime de la 
main commune ? Quels sont au contraire ceux à qui la 
notion de personnalité est indispensable ? 

C'est ici le nœud de la question si délicate de limite. 

Pour avoir la solution du problème, il faut remonter 
à la théorie générale delà personnalité morale, etrecher- 



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LA NOTION DE PERSONNALITE MORALE 171 

cher si Ton trouve, dans les groupements dont la nature 
est douteuse, les deux caractères indiqués plus haut 
comme étant ceux de la personne morale : intérêt collec- 
tif et permanent, organisation d'une volonté collective. 
Mais ce n'est pas ce second caractère purement formel, 
qui peut nous fournir le critérium, car il est susceptible 
d'appartenir à tout groupement formé en vue de pour- 
suivre un but en commun. Une simple société peut 
avoir une organisation modelée sur Torganisalion 
corporative, avec des droits de décision appartenant 
à une majorité ou à un conseil, délégué de celte 
majorité. A la vérité, suivant qu'il y aura ou non per- 
sonnalité morale, la situation juridique de ce con- 
seil devra être envisagée différemment : simple man- 
dataire des associés danë la société non personnalisée, 
il prendra dans la personne morale le caractère et les 
attributions d'un organe. Il n'en est pas moins vrai 
qu'extérieurement aucun signe visible ne nous révélera 
nécessairement cette différence de situation. C'est donc 
ailleurs, dans le premier et principal caractère de la 
personne morale (intérêt collectif et permanent), qu'il 
faut chercher la base de la distinction. 

Dans tout groupement, cet intérêt collectif n'est que 
la synthèse de certains intérêts communs aux membres 
du groupe. Celui-ci en effet n'a d'autre motif d'exister 
que de permettre à ses membres d'arriver à certains buts 
qu'ils ne pourraient atteindre isolément. « Il est bien 
vrai, comme nous Pavons déjà dit ailleurs en répondant 
à une critique de M. de Vareilles-Sommières (1), qu'en 



(1) V. notre compte rendu de son livre sur les Personnes mora- 
les. Revue du droit public, t. XX, p. 348. 



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472 CHAPITRE PREMIER 

dernière analyse Tîntérêt du groupe se ramène à Tiiitérêt 
des membres ; eux seuls sont les êtres sensibles et 
vivants, capables d'éprouver la jouissance et la souf- 
france, et qui réprouveront plus ou moins à la suite 
de l'enrichissement ou de l'appauvrissement de l'être 
moral ». Mais on ne peut conclure de là que le groupe 
n'ait pas d'intérêt distinct de l'intérêt individuel de 
ses membres, ou on ne peut tirer cette conclusion 
qu'en jouant sur les mots. Si le but que poursuit l'Etat, 
par exemple, est en dernière analyse le bien de ses mem- 
bres, si ces derniers sont les seuls êtres vivants capa- 
bles de ressentir les conséquences de la bonne ou mau- 
vaise gestion des affaires communes, si, par conséquent, 
en ce qui concerne ce but final, il peut y avoir des avis 
différents parmi les membres, mais jamais opposition 
d'intérêts, il en va tout différemment lorsqu'il s'agit de 
l'acquisition et de la défense des droits destinés à attein- 
dre ce but. Ici il y a divergence et il peut y avoir oppo- 
sition d'intérêt entre l'Etat et ses membres, parce que 
ceux-ci, en dehors du but étatique en vue duquel est 
formé le groupement, poursuivent individuellement 
d'autres fins qui sont étrangères à l'Etat, et qu'ils ne 
peuvent les atteindre qu'au moyen détroits distincts de 
ceux de l'Etat ; Tintérêt collectif du groupe se réalise 
au moyen des droits (de propriété, de créance, de puis- 
sance publique) qui lui appartiennent ; l'intérêt indivi- 
duel au moyen de droits semblables, qui peuvent être 
en opposition avec ceux de l'Etat. C'est pour cela qu'il 
est nécessaire, et conforme à une saine technique du 
droit, de considérer le groupe comme un sujet de droit 
distinct de ses membres. 
72. 11 semble à première vue que dans tout groupe- 



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LÀ NOTION DE PERSONNALITE MORALE 173 

ment poursuivant un but commun, ou doive admettre 
celte construction ; car dans tout groupement de ce 
genre, il peut y avoir certaine opposition entre l'intérêt 
coUectifetTintérêt individuel. Pourtant il n^en est rien. 
Considérons un groupement très simple : l'association 
de deux personnes en vue d'un gain à réaliser, aucune 
de ces deux personnes ne pouvant disparaître sans faire 
tomber l'association et celle-ci n'admettant pas l'adjonc- 
tion de nouveaux membres. 11 saute aux yeux que daas 
ce cas, l'opposition d'intérêt entre l'association et un de 
ses membres se ramène à une opposition d'intérêt entre 
les deux associés. Pourquoi ? Parce qu'ici tout droit 
acquis par l'association profitera directement aux deux 
associés, et à eux seulement ; on pourra pour la commo- 
dité du langage, opposer la société aux associés ; mais 
au fond, il n'y aura jamais opposition d'intérêt qu'entre 
l'un des associés et son coassocié. El la situation reste 
la même, quel que soit le nombre des associés^ à condi- 
tion que nous laissions subsister deux des termes du 
problème : gain à réaliser, fixité du personnel de la 
société. Dans une société de dix personnes remplissant 
ces conditions, celui qui plaide contre la société plaide ' 
en réalité contre ses neuf coassociés. 

Mais il en est autrement dès que nous changeons l'un 
de ces deux termes : dans une association même à per- 
sonnel fixe, poursuivant un but idéal, on doit admettre, 
nous semble-t-il, l'idée de personnalité morale, parce 
que dans une association de ce genre les associés ont 
en quelque sorte extériorisé celle de leurs fins qu'ils 
poursuivent par le moyen de Tassociation. Ils ont eu la 
volonté de lui consacrer un patrimoine spécial qu'il ont 
entièrement séparé du leur et sur lequel ils ont renoncé 



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474 CHAPITRE PRBMIBR 

à jamais prétendre un avantage personnel (sauf peut- 
être un droit de succession à la dissolution). Il y a donc 
opposition réelle d'intérêts entre ce patrimoine et le 
leur. Toutefois cela n'est vrai que lorsqu'il s'agit d'uQ 
but entièrement désintéressé (par exemple un but reli- 
gieux, charitable ou scientifique). Les associations qui, 
sans avoir en vue un gain proprement dit, ont pour objet 
rintérêt économique, ou l'agrément de leurs membres, 
ne doivent pas être considérées comme des personnes 
morales si elles sont à personnel invariable ; car leur 
patrimoine, bien que concentré en vue du but à atteindre, 
n'en continue pas moins à servir l'intérêt personnel des 
membres. 

73. On doit admettre aussi l'idée de personnalité 
morale dans toute association à personnel variable. 
quel que soit le but poursuivi. Ici en effet, même si le 
groupement a pour objet l'enrichissement des membres, 
il n'est point certain pour chacun de ceux-ci qu'il profi- 
tera ou qu'il souffrira personnellement de l'enrichisse- 
ment ou de Tappauvrissemenl du groupe. Un acte 
accompli pendant que je fais partie de la société pourra 
produire ses effels à une époque où j'en serai sorti ; je 
n'en supporterai donc pas nécessairement les consé- 
quences ; elles pèseront sur ceux, quels qu'ils soient, 
qui feront partie du groupe à ce moment ; ce qui revient 
à dire qu'ils se produisent vis-à-vis du groupe, et non 
pas vis-à-vis des associés individuellement. L'idée de 
personnalité morale est donc indispensable, alors que 
dans le cas de société de gain à personnel fixe la per- 
sonne des associés suffisait à tout expliquer (i). 

(1) Cette distinction paraît être ù peu près celle de M. Vareilles- 
Sommières. Ce que cet auteur appelle « le régime personnifiant », 



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Là notion DB t»BRSONNAUT^ MORALE i7$ 

Laband (1) considère le critérium précédent comme 
insuffisant, parce que, dit-il, si la différence est en géné- 
ral exacte, elle n'est pas constante. La société par actions 
reste en effet une personne juridique alors même que 
les actions sont déclarées inaliénables, et à Tin- 
versé la société en nom collectif ne devient pas une 
personne juridique par cela seul qu'elle admet Tadjonc- 
tion de nouveaux membres. Mais nous ne croyons pas 
l'objection irréfutable. Il faut voir en effet daHs chaque 
société le type à laquelle elle appartient, et la classer 
dans ce type alors même qu'elle s'en écarterait par des 
clauses isolées, à moins que ces clauses n'arrivent 
à la dénaturer entièrement. La société anonyme en 
général est une personne morale parce qu'elle est 
normalement indifférente à la personnalité de ses 
membres ; si, par une clause, on déclare les actions 
inaliénables, on n'en change cependant pas absolument 
la nature, parce qu'on lui conserve toute sa structure 

est Décessaire, d'après lui, au fonctionDement de certaines associa- 
tions seulement : < Toutes les associations très nombreuses ou sus- 
ceptibles de le devenir, toutes celles qui pratiquent largement l'ad- 
jonction de nouveaux membres, les associations ouvertes où Ton 
entre et d'où l'on sort facilement ; l'Ëtat, la province, la commune, 
les associations professionnelles, etc., doivent rationnellement, à 
à peine de ne pouvoir fonctionner, adopter pour leurs biens un 
régime spécial... le régime personnifiant » (op. cit., n^ 333).Mais 
il faut remarquer que dans la pensée de l'auteur, ce régime per- 
sonnifiant est en réalité celui que nous appelons régime de la main 
commune, la personnalité morale proprement dite n'existant pas 
pour lui. Au contraire, pour nous, les associations dont il s'agit 
sont précisément celles pour lesquelles le régime de la main com- 
mune est insuffisant, et la personnalité morale proprement dite, 
seule conforme à la réalité des rapports de droit. 

(1) Beitràge sûr Dogmatik des Uandelsgesellschafteriy dans 
ZexUchrift fur das Bandelsrechty t. XXX, p. 476 et s. 



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176 GÛAPItRE PRBIÉIEA 

intime. Inaliénabilité d'ailleurs ne signifie pas ici intrans- 
missibilité ; Tactionnaire mort sera de plein droit rem- 
placé par ses héritiers ; s'il en était autrement on ne 
serait plus en présence d'une véritable société anonyme ; 
et cela suffit pour qu'on ne puisse considérer la société 
comme un lien n'existant qu'entre personnes détermi- 
nées. A l'inverse, une société en nom collectif peut bien 
exceptionnellement admettre l'adjonction de nouveaux 
membres ; mais ce sera là un fait exceptionnel, accompli 
pour des motifs spéciaux au membre nouvellement 
admis ; il n'en résulte pas qu'elle devienne par là une 
collectivité susceptible de changements indéfinis dans le 
personnel. 

74. Le même auteur, à la place de ce critérium, en 
propose un autre qui compte un assez grand nombre de 
partisans, mais que nous ne croyons pas toujours 
juste (1). 11 part de l'idée très exacte qu'une personne 
morale a un patrimoine lui appartenant alors qu'une 
société sans personnalité n'en a pas. C'est là, dit-il, le 
seul point décisif ; mais il ne suffit pas à fournir un cri- 
térium, parce que les associés peuvent par convention, 
tout en restant copropriétaires du patrimoine social, 
afïecter ce patrimoine au but social de telle sorte qu'il 
leur paraisse désormais étranger. Mais ils ne peuvent 
faire cela que pour la partie active de ce patrimoine, et 
non pour la partie passive. S'il y a société et non per- 
sonne juridique, les dettes sociales sont nécessairement 
des dettes des associés^ et ils ne peuvent pas échapper 
personnellement aux poursuites des créanciers. D'où 
cette conséquence que tout groupement dont les membres 

(1) Op. cit., p. 496 et s. 



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LA KOTION i)B PERSONNALITE MORALE 17? 

ne sont pas ienus personnellement des dettes communes 
est une personne juindique. A l'inverse, tout groupement 
dont les membres sont tenus des dettes communes est une 
simple société ; car le Droit ne multiplie pas arbitraire- 
ment les sujets ; là où la personnalité individuelle suffit 
à tout expliquer, on ne doit pas faire intervenir la per* 
sonnalité morale. 

Ce critérium n'est, à nos yeux exact qu'en partie : tout 
groupement dont les membres ne sont pas tenus person- 
nellement des dettes communes est une personne juridi- 
que ; cela est vrai si cet affranchissement des associés 
s'applique même aux dettes provenant des délits ou 
quasi-délits, car ce sont des dettes dont qn ne peut s'af- 
franchir par convention antérieure au fait délictueux où 
à la faute (1) ; mais cela est moins sûr lorsque les asso- 
ciés ne sont affranchis à Tavànce que des dettes contrac- 
tuelles ; car par une convention de société dûment 
publiée ils ont pu à l'avance limiter l'effet de ces contrats 
aux biens sociaux. D'autre part, la seconde partie du 
critérium est inacceptable : il peut y avoir obligation des 
associés aux dettes même quand la société est une per- 
sonne juridique ; sans doute dans ce cas la société sera 
elle-même obligée ; mais on conçoit fort bien qu'à côté 
d'elle les associés le soient aussi, en vertu d'une obliga* 
tion de garantie qu^ils contractent par le fait même de 
leur entrée dans l'association. Les sociétés coopératives 
à personnel variable admettent souvent que leurs mem- 

(1) Il serait aisé de montrer que toutes les sociétés dans lesquel- 
les existe cet entier affranchissement sont des personnes morales 
en vertu du critérium même que nous indiquions plus haut. La 
clause d'affranchissement absolu des dettes sociales n'est compré- 
hensible que dans des sociétés à personnel variable. ■\ 

MICHOUD 12 



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i7d CHAPITRE PRBMIEk 

bres sont obligés personnellement aux dettes, et cela ne 
détruit en rien à nos yeux leur personnalité (1). 

En somme, nous admettons la personnalité morale de 
toute association à but idéal ; et parmi les associations 
à but égoïste (sociétés de gain et associations qui, sans 
avoir un but de gain, ne visent que l'intérêt de leurs 
membres)^ nous admettons la personnalité de toutes 
celles qui ont un personnel variable ; nous considérons 
donc comme personnes morales la société anonyme et la 
société en commandite par actions ; au contraire nous 
croyons que la société en nom collectif et la société en 

(4) Dans les Erwerbs und Wirthschaftsgenossenschaften du 
droit allemand (association Schuize-Delitsch et RaifFeisen) succes- 
sivement réglées par la loi du 4 juillet 1868 et i"r mai 1889, le 
législateur admet aujourd'hui la possibilité de trois systèmes diffé- 
rents concernant l'obligation aux dettes des associés : responsa- 
bilité directe illimitée ; responsabilité indirecte illimitée (obligation, 
vis-à-vis de la société, de versements supplémentaires pour le 
paiement des dettes) ; responsabilité limitée. La grande majorité 
des auteurs allemands admet Iji personnalité de ces associations 
(V. Stobbe Deutsches Privatrechti t. I, § 60.— Gierke^ Deutsches 
Privatrecht, § 76, note 10). Il doit en être de même des associa- 
tions de- crédit mutuel qui, à leur imitation, se sont fondées chez 
nous : caisses Raiffeisen, créées sur l'initiative de M. Louis Durand 
(V. thèse de doctorat, Georges, Essai sur la condition juridique 
des caisses Raiffeisen, Grenoble 1898, p. 87 et s.) ; autres sociétés 
de crédit agricole créées en vertu de la loi du 5 novembre 1894. 
D'après cette dernière loi, art. 2, § 3, les statuts règlent l'étendue 
et les conditions de la responsabilité qui incombera à chacun des 
sociétaires dans les engagements pris par la société. La personna- 
lité morale doit, suivant nous, être reconnue aux sociétés formées 
en exécution de cette loi, quelle que soit la solution adoptée par les 
statuts concernant la question de responsabilité des sociétaires (La 
personnalité est admise notamment par MM. Lyon-Gaen et 
Renault, Traité, t. II, n^ 1049 S®). Ce qui est vrai en Allemagne 
et en France est vrai aussi des sociétés de ce genre créées dans beau- 
coup d'autres pays, notamment des caisses WoUemborg en Italie. 



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^K^iT' 



tA N0Tt0i« Dk PERSONNALITE MORALE 170 

commandite simple sont de simples sociétés sans per- 
sonnalité juridique, mais placées sous un régime que l'on 
peut appeler régime de la main commune avec adminis- 
tration unifiée. 



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CHAPITRE II 



LA CLASSIFICATION DES PERSONNES MORALES 



Sommaire : 75. Indication des deux principales classifications (Corpora- 
tions et fondations. Personnes morales de droit public et personnes 
morales de droit privé). 

I. — 76. Notion générale de la fondation. — I. 77. Distinction de 
la corporation et de la fondation en droit privé ; son importance plus 
ou moins grande suivant la conception théorique qu'on se fait de 
l'une et de l'autre ; notion de la fondation personnalisée. — 78. Inté* 
rôt de la distinction au point de vue législatif. — 79. Son intérêt au 
point de vue du droit positif. — 80. Critérium de la distinction. -^ 
IL 81. En droit public la distinction s'efface presque, et ne peut ser- 
vir de base à une classification. , 

II. — 82. Origine et importance de la distinction entre personnes 
morales de droit public et personnes morales de droit privé. — 83. La 
limite entre les deux groupes se trouve entre les établissements 
publics et les établissements d'utilité publique. — 84. Intérêts prati- 
ques nombreux de la distinction en droit positif français. — 85. Inté- 
rêts de la distinction au point de vue législatif. — 86. Divers cri- 
tériums proposés pour distinguer entre les deux groupes. Il faut 
chercher le critérium dans la situation d'ensemble de la personne 
morale, et non dans un ou deux caractères précis. — 87. Discussion 
du critérium proposé par M. Hauriou. — 88. Application du critérium. 
Congrégations religieuses. — 89. Associations syndicales. — 90.. Cais- 
ses de secours des ouvriers mineurs. — 91. Comités d'habitation à 
bon marché. — 92. Monts-de-piété. — 93. Caisses des écoles. — 
94. Caisses d'épargne. — 95. Ordres d'avocats et corporations d'of- 
ficiers ministériels. On doit les considérer comme personnes morales 
de droit public, mais sans les soumettre à toutes les règles des éta- 
blissements publics stricto sensu. 

III. — 96. Subdivisions des personnes morales de droit public. Dis- 
tinction de l'Etat et des autres communautés territoriales. — 97. Il 
ne faut pas chercher le critérium dans l'idée de souveraineté. Indi- 



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LA CLASSIFICATION DBS PERSONNES MORALES^ 181 

cation du critérium véritable, — 98. Distinction des communautés 
territoriales et des établissements publics. 

IV. — 99. Subdivisions des personnes morales de droit privé. — 
I. Distinction des associations à bût intéressé et des associations à 
but désintéressé. Son importance au point de vue législatif. — 
100. Distinction dans notre droit positif, des sociétés et des associa- 
tions. Gomment elle est comprise par la plupart des auteurs : il faut 
pour qu'il y ait société, des bénéfices pécuftiaire^ à réaliser. — 
. 101. Critique du système. Il faut ranger parmi les sociétés tous les 
groupements ayant pour objet l'intérêt patrimonial de leurs mem- 
bres. — 102. Situation intermédiaire des associations h but égoïste 
sans intérêt patrimonial. — II. 103. Les associations à but reli- 
gieux. — 104. Distinction des associations et des congrégations. 
Silence du législateur. — 105. Divers systèmes soutenus. — 
106. Les trois caractères essentiels de la congrégation sont : les 
vœux, la règle canonique, la vie en commun. 



75. Une bonne classification des personnes morales 
est essentielle, non seulement pour fixer Tordre à suivre 
dans leur étude, mais aussi et surtout pour fournir la 
base des différences à établir entre elles. Elle ne peut se 
faire qu'en remontant à la nature de chacune des per- 
sonnes morales qu'il s'agit de classer, pour rechercher si 
la conception même que nous nous en faisons doit 
entraîner entre elles des différences fondamentales. C'est 
donc une tâche des plus délicates, bien facilitée cepen- 
dant aujourd'hui par \es nombreux travaux déjà publiés 
sur la matière (1). 

Des deux distinctions principales admises par les 

(i) Tous les ouvrages spéciaux sur les personnes morales con- ' 
tiennent au moins des aperçus, et parfois de longs développements, 
sur la classification. Nous indiquerons les références les plus im- 
portantes à propos de chacune des deux distinctions successivement 
étudiées au texte. Gomme étude particulière sur la classification, 
on doit signaler surtout : Ruffini. La classiûcazionne délie persone 
giuridiche (dans les Studii giuridici dedicati a Francesco 
Schupfer, ToviuoyiSQS, p. 315 à 393). 



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i82 CHAPITRE II 

auteurs, Tune se rapporte à la construction, à la struc^ 
ture intime de la personne morale : c'est la distinction 
en corporations et fondations. L'autre se rapporte au 
mode d'activité qu'elle est appelée à déployer : c'est la 
distinction en personnes morales publiques et personnes 
morales privées. Dans une bonne classification, ces deux 
distinctions doivent trouver place. Étudions-les succès^ 
sivement. 



76. Le mot fondation^ dans son sens général, désigne 
raffeclation perpétuelle d'un fonds à un bt^t déter- 
miné (1). Entendue en ce sens, la fondation n'entraîne 
pas nécessairement la création d'une personne morale 
distincte. Elle peut s'accomplir sous la forme d*un don 
ou legjs adressé à personne préexistante, à charge par 
elle d'employer .à perpétuité au but voulu les valeurs 
données ou léguées. Quand l'intermédiaire- choisi est 
unç personne physique, ce procédé soulève des difficul- 
tés graves (2) ; mais quand c'est une personne morale^ 
telle que TÉtat, la commune, une corporation reconnue, 
ces difficultés sont en grande partie supprimées, et le 
procédé devient recommandable. M. de Lapradelle estime 
même qu^il suffit à tous les besoins de la pratique^ que la 
création de fondations douées de personnalité distincte 
es.t en somme peu désirable, et qu^en outre elle se con- 
cilie mal avec la notion générale de personnalité 
nïorale (3). Pourtant la fondation personne morale, est 

(i) De Lapradelle, Théorie et pratique des fondations, p. 1 . 

(2) Id., op, cit., p. 112 etsuiv. 

(3) Id., op. cit., p. 251 et suiv., p. 308 et suiv., p. 410-411. 



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*:^B^Figr' 



LA CLASSIFICATION DES PERSONNES MORALES 183 

née en quelqae sorte spontanément un peu partout, 
sans être aucunement encouragée par la théorie ; le fait 
qu'elle a pu se développer, en France même, malgré les 
mille obstacles que dressaient devant elle la législation 
et la doctrine des juristes, montre qu'elle répond en pra- 
tique à un besoin réel. Le secret en est-il uniquement 
dans cet instinct, inné à Tâme humaine, qui porte 
l'homme à se survivre ? Le procédé de la personnifica- 
tion ne trouve-t-il faveur que parce qu'il donne à cet 
instinct satisfaction plus cjntiëre que le procédé du legs 
sub modo? Môme s'il en était ainsi, il serait bon que le 
législateur tînt compte de ce sentiment, qui peut contri- 
buer puissamment au bien public. Mais en réalité il y a 
autre chose encore : la fondation personne morale appa- 
raît comme plus solide, plus sûrement affectée au but 
voulu par le fondateur, que la fondation par legs sub 
modo. Elle aura en effet toujours ses représentants 
légaux exclusifs, au lieu que le bien donné ou légué sub 
modo se trouve lié au patrimoine de la personne morale 
légataire, qu'il n'a pas d'autre représentant que ceux de 
cette personne, et qu'il est exposé par là à être un jour 
détourné plus ou moins ouvertement de sa destination 
pour être employé à d'autres buts poursuivis par elle. 
Si ce danger est minime dans les premières années de la 
fondation, à raison de l'action en révocation qui appar- 
tient au fondateur ou à ses héritiers en cas d'inexécution 
des conditions, il peut devenir sérieux quand la fonda- 
tion est ancienne et qu'aucun héritier ne se soucie plus 
d'en faire respecter l'esprit. 

Aussi la plupart des législations admettent-elles en 
fait la possibilité de constituer des fondations douées de 
personnalité morale. Ainsi comprise, la notion de fon- 



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184 CHAPITRE II 

dation reste d'ailleurs une pure notion de droit privé. 
77. 1. — ' C'est en constatant l'existence des fondations 
de cette sorte que Savigny a été conduit à distinguer 
parmi les personnes morales deux catégories : les corpo' 
rations^ dans lesquelles la personne juridique est consti- 
tuée par la réunion d'un certain nombre d'individus; et 
les fondations^ dans lesquelles « la personne juridique 
n'a pas cette apparence visible, son existence est plus 
idéale et repose sur une fin générale qui lui est assi- 
gnée » (1). Cette distinction avait été introduite avant 
lui dans la science par Heise (2), mais c'est l'autorité de 
Savigny qui lui a donné droit de cité définitif. Ainsi 
entendue, elle ne se rapporte qu'au droit privé, la notion 
de personnalité morale étant, dans le système de Savi- 
gny, une notion de pur droit privé, et elle comprend 
toutes les personnes morales de droit privé. Les deux 
catégories ainsi admises ont d*ailleurs un fondement 
juridique unique, la fiction ; mais le sens de la fiction 
n'est pas le même dans les deux cas. Dans la corpora- 
tion, la fiction consiste à faire reposer le droit non sur 
les membres individuellement ni même sur tous les 
membres réunis, mais sur un ensemble idéal. Dans la 
fondation, elle le fait reposer sur « une abstraction per- 
sonnifiée, une œuvre d'humanité qui doit s'accomplir 
dans un certain lieu, d'après un certain mode et par des 
moyens déterminés » (3). Savigny remarque d'ailleurs 



(1) Savigny, Traité de droit romain, trad. Guénoux, t. Il, 
p. 240. 

(2) Heise, Grundriss eines Systems des gem, Civilrechts, 1807, 
§ 98 et 106. V. sur cet historique de la notion, Rufûni, op. cit,, 
p. 330 et suiv., et Gierke, Deutsches Privatrecht, § 78, II. 

(3) Savigny, op, et loc, cit, y p. 242, note 1. 



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LA GLASSlFIGATiaN DBS PERSONNES MORALES 185 

qu'entre les deux classes il n'y a pas de ligne de démar- 
cation très nette et que souvent la même institution (par 
exemple les universités) a, suivant les temps, appartenu 
à Tune ou à l'autre. 

Cette distinction, devenue classique en Allemagne, n'a 
été exposée par les auteurs français qu'à une époque 
toute récente, et plusieurs d'entre eux contestent soit sa 
base même, soit au moins son utilité (1). 

Elle a en effet une importance plus ou moins grande 
suivant la base que Von assigne à la personnalité morale 
soit des corporations, soit des fondations. Sans entrer 
ici dans le détail des théories (2) et de l'influence qu^elles 
ont exercée sur la distinction, nous devons marquer en . 
quoi consiste pour nous la différence. A nos yeux, la 
fondation, comme la corporation, a pour substratum réel 
un groupement humain : pour elle, ce groupement est 
celui des destinataires, c'est-à-dire de ceux aux besoins 
desquels la fondation est destinée à pourvoir (3). C'est 
en eux que réside le premier et le principal caractère du • 



(i) Elle est exposée dans Vauthier, Etudes sur les pei^sonnes 
morales, p. 277 et suiv., 381 et suiv ; Baudry-Lacantinerie et Hue- 
Fourcade, />(?« personnes, I,nos 295 et 306. Ces auteurs lui attribuent 
des conséquences juridiques. V.* aussi Gapitant, Introduction à 
V étude du droit civile %* éd., p. 151. 

(2) V. pour ce détail Ruffîni, op, cit., p. 335 et suiv. V. aussi 
ci-dessus, les explications données dans le ch. I, et ci-dessous le 
ch.lV, §4. 

(3) Il ne faut pas exprimer cette théorie en disant que les desti- 
nataires sont les propriétaires du patrimoine de la fondation, pas 
plus d'ailleurs que Ton ne doit considérer les associés comme les 
propriétaires du patrimoine de l'association. C'est seulement l'en 
semble des destinataires, envisagé comme unité juridique indépen- 
dante de la personne individuelle de chacun d'eux, que Ton doit 
considérer comme tel. C'est par là que notre conception de la fon- 



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186 CHAPITRE II 

droit subjectif, qui est Tinlérèt protégé par le droit. 
Quand au second élément, c^est-à-dire la volonté néces- 
saire à Texercice du droit, il ne réside plus ici dans le 
groupe des intéressés, mais dans rorganisine créé à 
Teffet d^administrér la fondation ; et cette voloaté n^est 
pas absolument libre, elle est dirigée dans un sens déter- 
miné par la volonté du fondateur. La diflférence entre la 
corporation et la fondation est donc la suivante : dans la 
corporation, l'élément intérêt et l'élément volonté se 
trouvent réunis ; c'est le groupe même des intéressés qui 
forme l'organisation destinée à dégager la volonté col- 
lective du groupe ; dans la fondation, au contraire, les 
deux éléments sont séparés ; ils sont reliés l'un à l'autre 
par une volonté extérieure au groupe lui-même, celle du 
fondateur. On peut donc dire, avec Gierke, que la 
volonté est ici transcendante et non immanente ; elle est 
donnée du dehors et non du dedans (1). 

dation se distingue de celle de M. de Vareilles-Sommières, Les per- 
sonnes morales^ n<^ 144 et s. 

À. cette conception on a objecté que certaines fondations ont un 
objet si large qu'elles s'adressent en réalité à tout le monde; p. ex. 
un musée peut être visité partons (v. Stobbe, Handb, desdeutsch. 
PrivatrechteSy 3® éd., 1. 1,§ 6t, n^ 10 »). Il est certain que le groupe 
est souvent très indéterminé ; il comprend tous ceux qui en fait 
ont le désir et la possibilité de tirer parti de la fondation. Cela ne 
nous paraît pas démontrer que ce groupe soit insusceptible d'être 
considéré comme propriétaire. 

(1) V. Gierke, Rechtslexikon d'Holtzendorff, vo Juristische Per- 
spn; Genossenschaftstheorie. p. 12 et 13 ; Genossenschaftsrecht, 
t. II, p. 962 et s. Cf. Regelsberger, Pandekten, § 75, p. 293. Ces au- 
teurs, conformément à leur théorie générale, voient la personnalité 
de la fondation uniquement dans la volonté organisée, ce qui relè- 
gue tout à fait à Tarrière-plan le groupe des intéressés. C'est à 
notre sens une vue incomplète ; mais l'analyse qu'ils donnent de la 
volonté dans la fondation est très exacte. Il faut remarquer d'ail- 



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LA CLASSIFICATION DES PERSONNES MORALES 167 

Dans cette eonception, le groupe des intéressés, sub- 
stratum de la fondation, en formé sans doute l'élément 
principal, mais non l'élément unique (1). L'organisme, 
tel qu'il a été voulu par le fondateur, constitue lui aussi 
un élément essentiel ; car il est destiné à représenter le 
groupe des intéressés non d'une manière quelconque, 
mais conformément aux vues du fondateur. On ne doit 
pas dire, par exemple, que les pauvres forment une seule 
et unique personne morale, et que leur représentation 
par tel organisme plutôt que par tel autre est chose 
indifférente (2) ; car en réalité le fondateur, dans une 
fondation charitable, n'a pas voulu seulement gratifier 
les pauvres; il a voulu les gratifier dans un certain 
esprit, manifesté précisément par l'organisation qu'il a 
créée ; et sa volonté est aussi respectable sur ce point 
que sur la désignation du groupe destinataire. Nous 
aurons à tirer les conséquences de cette notion en étu- 
diant la suppression des personnes morales. 

Cette théorie s'écarte radicalement de toutes celles qui 
refusent de voir dans la fondation un groupement humain 
ou qui n'attachent à ce groupement aucune importance : 
théorie de la fiction, soit que cette fiction ait pour objet 

leurs que le fondateur peut confier le gouvernement de la fondation 
aux intéressés eux-mêmes ; dans ce cas, le groupement par son 
organisation se rapprochera d'une corporation. Mais au fond il n'en 
restera pas moins une fondation ; car c'est une volonté étrangère, 
et non celle des intéressés, qui aura réglé cette organisation et lui 
aura assigné son but. 

(1) Comme parait le croire par exemple Ihering, dans le passage 
cité plus haut, no27. 

(2) La personnalité morale des pauvres admise dans notre droit 
signifie seulement qu'il existe'toujours une personne morale toute 
prête à recevoir les libéralités adressées aux pauvres sans autre 
désignation, ou à telle ou telle catégorie de pauvres. 



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*>. -.-F 



188 CHAPITRE II 

de personnaliser le but (i), soit qu'elle préfère person- 
naliser le patrimoine lui-même (2)'; théorie du patri- 
moine sans sujet ou Zweckvermoegen (3); théorie qui 
personnifie la volonté cristallisée du fondateur (4) ; théo- 
ries anciennes qui altribiiaient la propriété à un être 
surnaturel (Dieu ou un saint) (5). 

Elle s'éloigne également des théories qui, tout en 
admettant l'idée d'un groupement, le comprennent 
autrement que nous : théories qui ne voient d'autre 
groupement que celui des volontés réunies pour admi- 
nistrer la fondation (6) ; théories qui cherchent le groupe 
personnalisé dans les groupements généraux de l'État 
ou de la commune (7) ; théories qui le cherchent non 

(1) Savigny, op, et loc. cit. Puchta, Pandekten, § 27. 

(2) Unger, Munch. Krit, OberschaUy VI, p. 159 (cité par Regels- 
berger, p. Ç93, no 10), 

(3) Brinz, Pandekteriy t. ï, § 60 et suiv., t. lïl, § 432 et suiv. 

(4) Zitelmann, Begriff und Wesen der jur. Personen, Leipzig, 
1873, p. 72 et suiv. 

(5) V. Stobbe, § 52, n» 10 S Meurêr, Begriff' und Eigenth, der 
heiliger Sacherty I, p. 89. 

(6) Regelsberger, Pand., p. 293, partant de la théorie qui voit 
dans la volonté le fondenient du droit subjectif, est amené à trou- 
ver le sujet de la fondation dans Y organisme qui est appelé à vou- 
loir pour elle. Id. Gierke, Genossenscha fis théorie, p. 12. 

(7) Théories fort répandues. V. notamment Giorgi, t. I, nos 35 et 
suiv. Epinay, thèse, p. 154 et suiv. M. Berthélemy, Droit adminis- 
tratifs p. 519, admet aussi cette thèse, mais ne l'applique qu'aux 
établissements publics, c'est-à-dire aux fondations de droit public. 
y. aussi les auteurs belges cités par de Lapradelle. op, cit., p.442. 
Cette théorie est une de celles qui ont été invoquées pour justifier 
les confiscations révolutionnaires (v. infrà le chapitre IV). On la. 
retrouve à toutes les époques. Nous la trouvons notamment appli- 
quée aux fabriques par Portails : « Les fabriques sont des établis- 
serpents publics à qui Ton n'a donné que pour un objet d'utilité 
publique : elles ne sont point à proprement parler, propriétaires 



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LA GLASSIFICÀTIQN DBS PERSONNES MORALES 189 

dans rënsemble des destinataires, mais dans Tensemble 
dés personnes qui fournissent des ressources à la fon- 
dation (1). 

78. Notre conception, tout en ramenant les deux caté* 
gories à un groupement humain, montre cependant qu'il 
y a entre les deux une différence essentielle. Dans la 
corporation, lés deux éléments du droit subjectif sont 
entre les mains du même, groupe, celui des membres ; 
dans la fondation, ils sont séparés, et le lien qui les unit 
est l'œuvre d'une volonté unique, celle du fondateur. 
Cette volonté a été manifestée au début, lors de la créa- 
tion de la personne morale, une fois pour toutes, et tant 
(jue la fondation subsiste, elle produit des effets juridi- 
ques, elle lie les administrateurs successifs de la fonda- 
tion ; elle détermine, pour un temps beaucoup plus long 
que la vie du fondateur, et pratiquement pour un temps 
indéfini, la destination que ses biens doivent recevoir. 
Elle engage donc les générations futures. De là résulte, 
suivant nous, que le législateur ne doit pas traiter les 

des biens qui leur ont été restitués ; elles n'en ont donc que l'ad- 
ministration, l'emploi, S0U9 lu surveillance du magistrat ; elles 
gèrent pour l'Etat et à sa charge, puisque les revenus qu'elles 
administrent servent à acquitter une dette de l'Etat, car on ne 
niera pas que la religion et les temples «ans lesquels elle ne pour- 
rait être exercée, sont des institutions intimement liées à la con- 
servation des bonnes mœurs et au maintien de Tordre public. » 
[Rapport du 10 février 1807, dans les discours, rapports sur le 
Concordat de 1801 publiés en 1845, p. 429). La fin de ce passage 
montre que cette conception se rattache à l'idée que le monopole 
du bien public appartient à l'Etat, idée avec laquelle il est tout 
naturel d'admettre en effet que l'Etat est l'universel propriétaire 
des biens de fondation. Sur cette idée, v. ci-dessous le ch. IV. 

(1) Otto M&yer, Deutsches Werwaltungsî^echt, t. Il, p. 377 et 
suiv. Cf. les développements que nous donnerons plus loin sur la 
création des établissements publics. 



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19Ô ' CttAPltRB il 

fondations de la même manière que les associations. 
Poqr les unes comme pour les autres, il devra, le plus 
souvent, reconnaître la personnalité lorsqu'il les consi- 
dérera comme licites. Mais il pourra fort bien ne pas 
admettre aussi facilement le caractère licite de la fonda- 
tion que celui de l'association. Celle-ci est une force qui 
ne subsiste qu'à la condition de rester vivante; elle dis- 
paraîtra d'elle-même, ou elle, se transformera, dès que, 
sous sa forme première, elle ne correspondra plus à un 
besoin réel ; rien dans son organisation ne l'empêchera 
d'ailleurs d'évoluer avec la société q«i Tentoure. Au con- 
traire, la fondation, créée par une volonté unique, sub- 
siste quand celte volonté est morte^ et prétend lui assurer 
l'éternité. Il est clair cependant que si l'état social change 
autour d'elle, si les idées se modifient, si les besoins 
auxquels elle doit faire face disparaissent, elle peut 
devenir inutile ou même nuisible. C'est contre les fonda- 
tions seulement, et non contre les associations person- 
nalisées, que portent la plupart des objections souvent 
répétées contre la mainmorte et la multiplication des 
œuvres privées à but idéal, not^amment celles que Turgot 
a invoquées dans son célèbre article de l'encyclopédie 

sur les Fondations (1). L'État ne doit point les proscrire 

• 

(1) Voici un rapide résumé des arguments de Turgot contre les 
fondations : i<^ Elles sont souvent inutiles, dictées par la seule 
vanité des fondateurs. Parfois même elles vont contre le but que 
ceux-ci se proposent ; ainsi les fondations en faveur des pauvres 
ont pour résultat d'en multiplier le nombre : « Je ne craijidrai 
point de dire que si on comparait les avantages et les inconvénients 
de* toutes les fondations qui existent aujourd'hui en Europe, il n'y 
en aurait peut-être pas une qui soutînt l'examen d'une politique 
éclairée. » 2^ Alors même qu elles sont utiles au moment de leur 
création cette utilité s'affaiblit souvent dans l'exécution; — d'abord 



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Là classification dès personnes Morales 191 

parce qu'elles permettent de faire face, par Tinitiative 
individuelle, à des besoins sociaux auxquels il est 
impuissant à pourvoir lui-même ; mais on comprend 
qu'il les soumette à son autorisation, parce que la survi- 
vance de volonté qu'elles impliquent a quelque choèe 
d'anormal, et parce qu'elles peuvent devenir dange- 
reuses*. Une fois créées, il doit les conserver sous sa 
surveillance, plus étroitement que les corporations, et se 
réserver le droit de les faire disparaître ou de les trans- 
former lorsqu'elles ne répondent plus à aucun besoin 
ou sont hostiles au milieu social qui s'est constitué 
autour d'elles (1). 

parce que la paresse et la négligence s'y glissent toujours à la lon- 
gue : « les fondateurs s'abusent bien grossièrement s'ils s'imagi- 
nent que leur zèle se communique de siècle en siècle aux personnes 
chargées d'en perpétuer les effets », — ensuite parce que. les fon- 
dations sont atteintes par la baisse de la valeur de l'argent : «Il n'y 
aurait pas grand inconvénient si ces fondations étaient entièrement 
anéanties ; mais le corps de -la fondation n'en subsiste pas moins : 
p. ex. si les revenus d'un hôpital souffrent cette diminution, on 
supprimera les lits des malades et Ton se contentera de pour- 
voir à l'entretien des chapelains. » 3** Parfois l'utilité disparait 
entièrement sans qu'on se détermine à supprimer la fondation ; 
ex. : maladreries encore subsistantes au xviii' s. ; 4^ Luxe et faste 
inutile des grandes fondations ; S" Pour certains besoins elles sont 
inutiles, chaque homme devant y pourvoir par soi-même (nourri- 
ture, éducation) ; pour d'autres elles sont avantageusement rem- 
placées par des associations de particuliers, qui se forment en vue 
d'un besoin déterminé, et disparaissent quand ce besoin ne se fait 
plus sentir. 

Turgot conclut qu'il faut approuver les restrictions mises à la 
liberté des fondations parl'Ëdit de 1749.11 ajoute qu'il n'y a aucun 
doute « sur le droit incontestable qu'ont le Gouvernement dans 
Tordre civil, le Gouvernement et l'Eglise dans Tordre de la reli- 
gion, de disposer des fondations anciennes, d'en diriger les fonds à 
de nouveaux objets, ou mieux encore de les supprimer tout à 
fait ». 

(1) Cf. pour ces idées l'exposé de M. de Lapradelle, op. a<., 



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i92 C^klÀPlTkE tt 

'79. La distinction présente donc, au point de vue 
législatif, des intérêts pratiques indéniables. Elle en pré- 
sente aussi dans les diverses législations positives. En 
France, avant la loi du l®"* juillet 1901, les deux catégo- 
ries étaient cependant en principe assimilées au point de 
vue de leur création, de leur capacité juridique et de 
leur suppression ; car les ujies comme les autres n^arri- 
vaient à la personnalité morale que par une reconnais- 
sance d'utilité publique ; une fois constituées, elles 
étaient toutes soumises aux mêmes règles générales de 
capacité (art. 910 et 937, C. civ., et théorie de la spécia- 
lité) ; enfin les unes et les autres pouvaient être suppri- 
mées par un décret leur retirant la reconnaissance. 



p. 367etsuiv. L'auteur passe en r^vue les diverses législations 
pour démontrer que le principe de la liberté des fondations n'est 
point dans les tendances actuelles ; il conclut que le droit de sup- 
primer les fondations ne suffit point à TEtat et qu'il importe de 
loi réserver le droit d'autoriser. 

Gierke, qui est cependant un ardent partisan de la liberté cor- 
porative, a lui aussi combattu le principe de la liberté des fonda- 
tionsj qui se trouvait dans le premier projet de Gode civil allemand 
(v. son article dans le Jahrbuch de Schmoller, 1888, p. 171 et s.). 
Dans ses divers ouvrages, il expose des idées analogues à celles 
que nous défendons au texte. V. notamment : Genossenschafts- 
recht, t. n, p.. 967-968 : « La volonté originaire du fondateur se 
fixe ainsi pour tous les temps dans le corps de la fondation ; elle 
lie pour un avenir fndéterminë un nombre indéfini de volontés 
étrangères,dont elle fait de simples organes d'exécution... Visible- 
ment il y a dans une institution qui donne à une simple volonté 
privée uue valeur immortelle, une extension artificielle et en un 
certain sens anormale du pouvoir individuel de vouloir, extension 
qui l'entraîne au delà de ses limites naturelles. » — Cpr.- aussi 
Kohler. Recht des Stiftungen (dans Archiv, fûrburgerL Recht, 
1889, t. 111, p. 228 et s., notamment p. 234). 11 donne pour réser- 
ver à l'Etat le droit d'autoriser les fondations, des arguments 
analogues à ceux de l'Encyclopédie. 



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LÀ CLASSIFICATION DÈS t>BRSONNES MORALES 193 

Même sous ce régime cependant, la plupart des auteurs 
indiquaient entre les deux catégories une différence 
essentielle, concernant le sort' des biens en cas de sup- 
pression ; les biens de la corporation, suivant eux, 
devaient en principe se partager entre ses membres ; les 
biens de la fondation devenaient des biens vacants et 
sans maître, qui étaient dévolus à l'Etat. Cette différence 
était d'ailleurs contestée. 

Depuis la loi du 1®^ juillet 1901, il y a, entre les deux 
catégories, une différence de principe. L'association 
déclarée, reconnue par cette loi, est une véritable corpo- 
ration qui n'a, il est vrai, qu'une capacité limitée, mais 
qui, dans la limite où cette capacité est admise par la loi, 
acquiert la personnalité sans autorisation^ et ne peut la 
perdre que dans certains cas spécifiés à Tavance. Dès 
avant cette loi le même principe avait été admis poxxv 
certaines catégories d^âssociations (syndicats profession- 
nels, sociétés de secours mutuels, associations syndi- 
cales). Au contraire les fondations restent toujours sou- 
mises, lorsqu'on veut les constituer à l'étal de personnes 
morales, au régime de l'autorisation préalable. Notre 
législation établit donc aujourd'hui, entre les deux clas- 
ses, la différence que nous indiquions plus haut comme 
recommandable. Il en est de même du Gode civil alle- 
mand, qui subordonne à l'autorisation de l'État la nais- 
sance des fondations (§ 80) et non celle des corporations 
à but idéal (§ 21) (1). Le projet de Code civil suisse 

(i) Le système admis pour les' fondations n'a pas passé sans dis- 
cussion. Le premier projet n'introduisait pas le système de l'auto- 
risation dans la législation d'Empire, et la réservait seulement 
lorsqu'elle était exigée par les lois d'Ëtat. Le système du paragra- 
phe 80 fut introduit seulement par la seconde commission. Dans 

MICHOUD 13 



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194 CHAPITilE It 

(art. 90 et s.) admet au contraire pour les fondations le 
principe de la réglementation légale (inscription de l'acte 
de fondation au registre du commerce) et les soumet 
seulement à une certaine surveillance (1). 

Quant à la différence concernant le sort du patrimoine 
en cas de dissolution, elle n'a jamais eu, suivant nous, 
la précision que lui accordent certains auteurs, et elle Ta 
moins encore depuis la loi de 1901. Le caractère de fon- 
dation ou d'association influera bien dans une certaine 
mesure sur le sort des biens ; mais il est loin de former 
dans tous les cas le critérium décisif. La question étant 
trop complexe pour être traitée ici, nous ne pouvons que 
renvoyer à la partie de notre travail qui concerne la dis- 
solution des personnes morales. 

80. Quoi qu'il en soil, la distinction présente aujour- 
d'hui des intérêts pratiques dans la plupart des législa- 
tions. En fait, les deux catégories sont en général^ quand 
on ne sort pas du droit privé, faciles à distinguer Tune 

la commission du Reichstag, on proposa d'admettre la capacité 
juridique de toute fondation réalisée par acte fondalif régulier et 
inscrite sur le registre des corporations. C'était appliquer aux fon- 
dations comme aux corporations le système des Normativbestim' 
mungen. La proposition fut repoassée. En deuxième lecture on 
repoussa également une proposition admettant le système de Tau- 
torisation, mais déclarant que l'autorisation ne pourrait être refu- 
sée quand la fondation aurait un but d'intérêt général ou de bien- 
faisance, si d'ailleurs sa constitution était conforme aux dispositions 
légales, et si le fonds affecté était suffisant (V. sur ces points Meu- 
rer, Die jurist, Personennach deutschem Reichsreckt, Stuttgart, 
4901, p. 265 et suiv. — Suleilles, Les personnes juind. dans le 
Code civil allemand^ p. 96). 

(1) La législation hollandaise, en sens inverse de la nôtre, sou- 
met à autorisation la personnification des associations et non 
celle des fondations, v. Biebuyck. Le régime légal de la personni- 
fication civile en Hollande (i^Çi^), p. 24 et s. — V. d'ailleurs sur 
Ja législation comparée en cette matière le ch. IV, infrà. 



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'•^: 



Là GLASSIFICàTIOK DfiS PERSONNES MOtlALfiS 495 

de Pautre. Pourtant il n'y a pas entre elles d'opposition 
absolue. Entre la corporation pure, se gouvernant uni- 
quement par la volonté de ses membres^ et la fondation 
pure, entièrement dirigée, quant à son but, par la 
volonté du fondateur, il y a une foule de degrés inter- 
médiaires possibles. La corporation se rapproche de la 
fondation dès qu'elle n'est pas purement volontaire ; 
elle s'en rapproche aussi lorsqu'elle vise un but entière- 
ment désintéressé. Dans le premier cas, en eiïet, la cor- 
poration est au moins partiellement gouvernée par une 
volonté supérieure; dans le second, les membres de la 
corporation entendent presque toujours obliger leurs 
successeurs à ne pas s'écarter du but qu'ils se sout assi- 
gné, et par là ils font de l'association quelque chose qui 
se rapproche plus ou moins d'une fondation collective. 
A l'inverse une fondation, même provenant d'un simple 
particulier, peut avoir quelques traits présentant le 
caractère corporatif; elle peut, par exemple, être consti- 
tuée de telle sorte que les intéressés en aient eux-mêmes 
pluiS ou moinsrcomplètement l'administration. Il pourra 
donc y avoir hésitation sur la classification à adopter à 
regard de certains groupements. En droit privé, ce sera, 
nous le répétons, assez rare (i). Quand cela se présen- 



(i) On a discuté la question de sav o'ir si la. société par actions 
était une corporation ou une fondation. On a signalé, comme devant 
la faire rentrer dans cette dernière catégorie, son caractère d'as- 
sociation réelle^ qui ne peut exister sans un patrimoine et dans 
laquelle la qualité de membre est nécessairement liée à la posses- 
sion d'une ou plusieurs actions. Le critérium que nous avons indi- 
qué comme distinguant les deux catégories ne permet pas, si on la 
considère comme une personne morale, de la ranger ailleurs que 
parmi les corporations. V. une discussion détaillée de la question 
dansLehmann, Dus Recht der Aktiengeseltêchaften^ t. L § 18. 



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•^.T 



i96 CHAPITRE l! 

lera, il faudra chercher à délerminer le caractère prin- 
cipal du groupe, et le traiter d'après ce caractère (1). 
Suivant nous on devra traiter comme corporation tout 
groupe dont le but est déterminé par la volonté des 
membres mêmes du groupe et comme fondation tout 



(1) V. sur tous ces points Gierke, Genossenschaftsrecht, t. Il, 
p. 970 et suiv. — Gierke fait remarquer, p. 974, que le caractère 
un peu incertain de ce critérium est un inconvénient insëparabJe 
de toute construction juridique. Il y a nécessairement des groupe- 
ments qui sont proches de la ligne séparative. Mais quand une fois 
on aura reconnu leur caractère principal, il faudra les traiter 
d'après ce caractère ; il y aura des fondations à organisation corpo- 
rative (Anstalten mit Korporativen Verfassung), qu'on traitera 
comme des fondations ; et des corporations à couronnement fon- 
datif (Koerperschaften mit anstaltlicher Spitze), qu'on traitera 
comme des corporations. — Cette observation nous paraît devoir 
en effet s'imposer à l'interprète. Mais il est évident que le législa- 
teur, dans les règles qu'il édicté, doit se modeler d'aussi près que 
possible sur la vie, et par conséquent tenir compte des éléments 
fondatifs qui se trouvent dans la corporation ou réciproquement. 
Nous verrons notamment des applications de cette idée dans la 
théorie de la dévolution des biens de la personne morale. 

Stintzing, étudiant la question au point de vue du Gode civil alle^ 
mand, l'a serrée de plus près {Archiv. fur die civilist. Praxis^ 
t. LXXXVIll (1898), p. 401). Le critérium de la distinction ne peut 
se trouver dans le but, car corporations et fondations poursuivent 
des buts tout à fait semblables. Le caractère essentiel de la corpo- 
ration est de comporter des membres ayant droit, par des assem- 
blées générales, de participer à la direction. La fondation s'en rap- 
proche lorsque sa charte donne ce droit aux destinataires ; et la 
corporation se rapproche de la fondation lorsque les statuts dimi- 
nuent les pouvoirs de l'assemblée générale. Mais on peut fixer une 
1 mite : les statuts de la corporation ne peuvent enlever à l'assem- 
blée générale le droit de dissoudre l'association (Gode civil alle- 
mand, § 41). Si ce droit manque,* il n.y a plus corporation, mais 
fondation. — De son côté la fondation se tra^isformeaait en véri- 
table association si l'assemblée générale des destinataires avait le 
droit de la dissoudre ou d'en changer le but. 



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LA CLASSIFICATION DES PERSONNES MORALES 197 

groupe dont le but est déterminé par une volonlé étran- 
gère. Ce critérium est le seul sûr, parce que, corlnme 
nous l'avons vu, une corporation peut avoir une organi- 
sation presque entièrement corporative et inversement, 
en sorte que tout critérium tiré du mode d'organisation 
est nécessairement inexact (i). 

81. II. — Les explications que nous venons de donner 
se rapportent exclusivement aux personnes morales de 
drpit privé (en prenant le mot dans le sens que nous 
déterminerons plus bas). Mais nous devons nous placer 
sur un terrain beaucoup plus large que celui de Savigny, 
puisque nous voyons dans la notion de personnalité 
morale une notion commune au droit public et au droit 
privé. Il faut donc nous demander si la distinction en 
corporations et fondations s^applique aux personnes 
morales de droit public, telles que l'État, les communes, 
les établissements publics, etc. 

Qu'on puisse trouver dans ces personnes soit des élé- 
ments corporatifs, soit des éléments fondatifs, ce n^est 
point douteux- L'Étal souverain organisé démocratique- 
ment présente tous les éléments d'une corporation ; c'est 
un groupe humain qui détermine lui-même son but ou 
ses buts, et qui s'administre librement. 11 en est de même 
de la commune douée d'autonomie. A l'inverse nos éta- 
blissements publics présentent les caractères d'une fon- 
dation faite par TÉlat ou la commune. Ils sont destinés, 
comme les fondations de droit privé, à subvenir aux 
besoins d^un groupe qui ne participe pas ou qui participe 
peu à leur direction. Il serait donc possible de classer les 

(1) En ce sens Bernatzik, Archiv fur ô/fentliches Recht, t. V 
(1890), p. 250-25.3. 



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i98 CHAPITRE II 

personnes morales de droit public d'après ce critérium. 
Mais on peut douter qu'il présente ici une réelle utilité. 
On doit remarquer tout d'abord qu'il serait beaucoup 
plus incertain et flottant qu'en droit privé. C'est surtout 
à propos des personnes morales de droit public qu'il est 
vrai de dire que beaucoup d'entre elles réunissent des 
traits appartenant à l'un et à l'autre type. En ce qui con- 
cerne rÉlat, on peut trouver des éléments fondatifs dans 
tout État où la collectivité des citoyens n'a pas, par 
elle-même ou par ses mandataires, la direction complète 
des affaires- Gierke a cru pouvoir qualifier à^ Anstallstaat 
(État fondation^ État établissement) l'État soumis au 
régime du pouvoir absolu [rein obrigkeitlicher Staat) 
dans lequel le souverain apparaît comme incarnant l'État 
dans sa personne (1) ; et il l'a opposé à l'État moderne, 
qui est au contraire la plus haute manifestation de l'idée 
de corporation. D'autres auteurs ont vu les traits de 
V Anstaltstaat dans l'État non-souverain, alors qu'à leurs 
yeux l'État souverain présente le caractère corporatif (2). 
11 est clair que, quel que soit le point de vue adopté (et 
ils ne sont ni l'un ni l'autre entièrement- inexacts), il y 
aura entre le pur Anstaltstaat et le pur Koerperschaftstaat 
mille degrés intermédiaires possibles. Il est clair aussi 
que, pour la commune, on pourrait faire la même con- 
statation; elle n'est modelée entièrement sur le moule 
corporatif que lorsque, dans le cercle d'action qui lui 
appartient, elle jouit du droit de s'administrer et de se 
diriger elle-même; et elle se rapproche plus ou moins 
d'un établissement d'État dès que celui-ci intervient dans 

(i) Genossenschaftsrecht, t. II, p,S60-S6\. — Deutsches Privat- 
recAM 60, p. 474 475. 
(2) Rehm. Staatslehre (dans Marquardsen, t. I), p. 161 et suiv. 



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LA CLASSIFICATION DES PERSONNES MORALES 199 

ses affaires, ce qu'il fait, mais à des degrés très varia- 
bles, dans tous les pays civilisés, A un degré inférieur, 
les personnes morales que nous désignons sous le nom 
d'établissements publics nous apparaissent bien tout 
d'abord comme des fondations publiques provenant de 
TEtat ou de la commune; mais plusieurs, telles, par 
exemple, que les associations syndicales autorisées, sont 
organisées en corporations plus ou moins contrôlées et 
dirigées par l'État (i). Ainsi, à tous les degrés, nous 
trouverions, si nous voulions étendre au droit public la 
distinction du droit privé, une grande inéertitude dans 
son application. 

D'autre part, on peut douter que la distinction puisse, 
dans ce nouveau domaine, présenter des intérêts prati- 
ques. Il ne semble pas que Ton puisse construire des 
théories différentes de TÉlat ou de la commune, unique- 
ment en se basant sur leur classification dans la catégo- 
rie établissement ou dans la catégorie corporation. Pour 
cela les degrés intermédiaires entre les deux types 
extrêmes sont trop nombreux et il y a trop d'autres 
idées importantes qui entrent en jeu (2). Pour les éta- 
blissements publics ce seront toujours des statuts, sou- 
mis à l'approbation de l'État, qui détermineront dans 
quelle mesure les intéressés participeront à l'administra- 

(1) V. encore, sur ce mélange des caractères de la corporation 
et de la fondation dans un grand nombre de personnes morales du 
droit public, Gierke, Genossenschaftsrecht, t. Il, p. 971-973. — 
Stobbe, Deutsches Privatrecht (3e éd., 1893), t. ï. p. 430. — En- 
demann, Lehrbuch des bûrgerlichen Rechts, 8* éd., t. I, § 49, n. 3. 
L'art. 89 du Code civil allemand nomme séparément les corpora- 
tions, fondations et institutions du droit public, mais pour les sou- 
mettre à une même règle. 

(2) Cf. Jellinek, Allg, Staatslehre, p. 147, n. 2. 



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r^i 



200 GHAPlTnE II 

lion ; et le fait qu'ils y participent plus ou moins ne 
change pas grand'chose à l'idée générale que Ton peut 
se faire de ces sortes d'établissement. 

On peut donc conclure en somme que la distinction 
n'a d'importance réelle qu'en droit privé; elle formera 
une subdivision importante des personnes niorales de 
droit privé. Mais pour trouver une classification com- 
plète des personnes morales, il faut remonter à une idée 
plus générale. Nous avons cru cependant devoir étudier 
en premier lieu la distinction précédente, parce qu'elle 
est pour beaucoup d'auteurs une distinction d'ordre 
général, et parce que d'ailleurs, si en droit public elle 
ne peut fournir la base d'une classification, on ne doit 
point cependant Vy perdre de vue, les éléments fondatifs 
et les éléments corporatifs se retrouvant en droit public, 
et y produisant au moins certains effets partiels. 



II 



82. Même dans Topinion qui restreint au droit privé 
la notion de personnalité morale^ on peut, dans une cer- 
taine mesure, distinguer les personnes morales de droit 
privé des personnes morales de droit public. Ces der- 
nières sont celles qui en deho?'s de leur qualité de per- 
sonnes morales (laquelle reste purement patrimoniale) 
sont en même temps des institutions de droit public^ 
telles que TÉtat et les communes. Dans ce système par 
exemple l'État n'est considéré comme personne morale 
que lorsqu'on l'envisage comme fisc; mais on peut le 
qualifier de personne morale de droit public, parce qu'en 
dehors de cette qualité, il en a d'autres qui appartiennent 



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LA CLASSIFICATION DES PERSONNES MORALES 201 

au droit public. Aussi les auteurs même qui soutiennent 
ce système font la distinction dont il s'agit. 

Mais la distinction prend une bien plus grande impor- 
tance et devient tout à fait capitale, lorsqu'on admet 
avec nous que la personnalité morale est une notion 
commune au droit public et au droit privé. Elle devient 
alors, presque forcément, la distinction fondamentale, 
d*abord parce qu'à la différence de la précédente elle 
embrasse toutes les personnes morales, ensuite parce 
que les personnes morales de droit public se distingue- 
ront profondément des autres : elles auront des privi- 
lèges et des moyens d'action plus étendus ; elles seront 
aussi moins libres, par cela même qu'elles appartiennent 
au droit public, c'est-à-dire à un domaine dont l'État 
garde jalousement la surveillance. 

La distinction remonte au moyen âge. M. Ruffini, 
dans l'article que nous avons cité, la fait remonter aux 
canonistes, et notanxpaent à Innocent IV, à qui les post- 
glossateurs, et particulièrement Bartole, l'ont empruntée 
en la précisant (1). Les jurisconsultes de la première 
partie du xix® siècle, suivant les traces de Savigny, lui 
ont substitué la distinction en corporations et fonda- 
tions. Mais peu à peu on est revenu, presque incon- 
sciemment, à la distinction ancienne, et aujourd'hui elle 
a pris dans la littérature juridique une place importante. 
Les Allemands, notamment, ici comme partout, ont 
apporté leur méthode de minutieuse généralisation, et 
ont proposé pour préciser le critérium de nombreuses 
solutions pratiques (2). 

(^) Ruffini, op, cit. y p. 319 et suiv. 

(2) V, principalement Rosin, Bas Recht der ôffeni lichen Genos- 
senschaft, p. 1 et s. — Gierke, Deutsches Privatrecht, § 75, et 



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202 CHAPITRE II 

83. En France la question ne s'est pas posée dès le 
début dans ses termes généraux. Dans l'état du droit tel 
qu'il existait au commencement du siècle dernier, la 
distinction se présentait avec une telle simplicité qu^il 
n'était nul besoin d'y insister. Comme nous le démon- 
trerons plus loin (1), il n'y avait alors d'autres person- 
nes morales de droit privé que les sociétés civiles et 
, commerciales. Toutes les autres appartenaient incon- 
testablement au droit public ; car, même lorsqu'elles 
avaient une origine privée, elles étaient englobées dans 
les cadres de l'administration. La personnalité morale 
ne leur était reconnue qu'à ce prix. L'habitude se prit 
dès lors d'appeler personnes morales (ïintérêt public, ou 
plus souvent encore personnes morales adrhinistratives^ 
toutes les personnes morales autres que les sociétés de 
gain ; c'est-à-dire non seulement l'État, la commune et 
les établissements publics, mais aussi, quand ils commen- 
cèrent à paraître, les établissements d'utilité publique, 
e*est-à-dire les groupements d'origine privée, ayant un 
but désintéressé, à qui la personnalité était reconnue 
par acte individuel de l'Élat. Cetle terminologie se 
retrouve encore dans beaucoup d'auteurs récents (2). 

Gf^nossenschaftstheorie, p. 646. — Regel sberger, Pandekten, 
g 80. — Endemann, Lehrbuch desburg, Rechts, % 49. — Jellinek, 
System der subj, ôfféntL Recht, p. 250 et suiv. , 

(1) V. ci-après, ch. IV. 

(2) M. Berthélemy, p. ex. dans son Traité de droit administratif, 
«lésigne toutes ces personnes morales sous le nom de personnes 
morales d'intérêt public (v. ire éd., p. 39-40 ; 3« éd., p. 37 : V. 
iLussi l'article de M. Sauzet, sur la Nature de la personnalité 
civile des syndicats professionnels, Revue critique, 1888, p. 296 et 
3iM. — Le terme de personnes morales administi^atives peut à la 
rigueur se justifier, même pour les établissements d'utilité publi- 
que, parce qu'ils sont placés sou9 un contrôle administratif asse^ 



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LA CLASSIFICATION DES PERSONNES MORALES 203 

Elle est pourtant injustifiée; elle ne s'explique que 
par une survivance des idées que nous venons de rap- 
peler. Aujourd'hui il est inexact de considérer les éta- 
blissements d'utilité, publique comme des personnes 
morales de droit public. Sans doute elles sont soumises 
à certaines règles de droit public ; mais elles ont cela de 
commun avec toute personne, même physique. Elles 
sont soumises à la surveillance de l'État, plus étroite- 
ment, il est vrai, que les individus ou les sociétés de 
gain, mais c'est une surveillance extérieure, que TÉlat 
exerce comme pouvoir de police et qui n'a pas pour con- 
séquence d'en faire des 'organismes de droit public. Au 
fond ce sont des groupements privés^ agissant conformé- 
ment au droit privé, placés vis-à-vis des particuliers dans 
une situation d'égalité absolue, libres d'ailleurs de ne 
pas se former, une fois formés, libres de ne pas agir (1), 



étroit, et qu*à raison de ce fait le droit administratif doit s'occuper 
d'eux. Mais cela n'établit pas entre eux et les autres personnes 
morales de droit privé (par exemple aujourd'hui les syndicats pro- 
fessionnels) de différence fondamentale. Depuis la loi du {"juil- 
let 1901, la classification est encore devenue plus évidente. Il n'y a 
pas un abîme entre l'association rf«c/ar^g et l'association reconnue 
(Tutilitè publique ; celle-ci a seulement une capacité un peu plus 
large. Les premiers commentateurs de la loi nouvelle, MM. Trouillot 
et Chapsal (Du Contrat d'assoc, p. 103), classent les établisse- 
ments d'utilité publique parmi les personnes morales privées. 

(1) On devrait pouvoir ajouter : libres de se dissoudre. Cela 
cadrerait avec la conception générale de l'établissement d'utilité 
publique telle qu'elle résulte actuellement de l'ensemble delà légis- 
lation. Cependant les articles 16 et 18 des statuts-modèles de 1893 
(Revue des établis», de bienf,^ 1895, p. 331 et suiv.) soumettent 
la délibération de l'assemblée générale prononçant la dissolution à 
l'approbation du gouvernement. Cette anomalie ne suffit pas à 
détruire, à elle seule, la notion de groupement privé que nous déve. 
loppons au texte. Elle est d'ailleurs plus nominale que réelle, car 



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204 CHAPITRE II 

n'ayant ni les privilèges ni les chargés des services 
publics. Le véritable passage entre le droit privé et le 
droit public se trouve non entre les sociétés de gain et 
les établissements d'utilité publique, mais entre ces der- 
niers et les établissements publics. 

Aussi la distinction entre ces deux classes, pénible- 
ment introduite par la jurisprudence et par la doc- 
trine (l), a-t-elle fini par prendre dans tous les traités 
de droit administratif une place importante. Elle corres- 
pond entièrement à la distinction, classique en Alle- 
magne et en Italie, en personnes morales de droit public 
et personnes morales de droit privée avec cette seule dif- 
férence que les établissements publics ne comprenaent 
pas toutes les personnes morales de droit public et que 
les établissements d'utilité publique ne comprennent 
pas toutes les personnes morales de droit privé. En 
d'autres termes^ la doctrine française a étudié la dis- 
tinction, en se plaçant simplement au point de vue pra- 

évidemment le Gouvernement serait tout à fait impuissant à main- 
tenir l'existence de fait d'une association reconnue d'utilité publique 
dont tous les membres se refuseraient à continuer l'existence. Son 
intervention ne peut maintenir l'association que lorsqu'il trouve 
une minorité d'accord avec lui dans ce but ; et môme sans cette 
intervention cette minorité (si la législation ne lui opposait pas 
d'obstacle artificiel) pourrait aussi bien continuer Tœuvre entre- 
prise. 

La classification des établissements d'utilité publique parmi les 
personnes morales de droit privé est admise aujourd'hui par beau- 
coup d'auteurs. V. p. ex., Capitant, Introd. à V étude du droit 
civil, 2» éd., p. 176. — Hauriou, Droit adm., 5© éd., p. 93-94. — 
Trouillotet Chapsal, Du contrat d^assoc, p. 103. — Gpr. les con- 
clusions de M. Romieu, commissaire du gouvernement dans l'af- 
faire de la Caisse des écoles du Vie arrondissement, tranchée par 
Gons. d'Et. 22 mai 1903 (D. 1904. 3,1). 

(1) V. infrà le chapitre IV. 



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LA CLASSIFICATION DES t^BRSONNBS MottALES ^Ô^ 

lique, c'est-à-dire en considérant^ dans chacun des deux 
domainesi, uniquement le groupe l<e plus rapproché de la 
limite. Elle a posé la question d'une manière moins 
générale >que la doctrine allemande, mais au^fond c'est 
la même question, caria limite qu'il s'agit de déterminer 
est la même. 

84. Cette limite est très importante, comme le prou- 
vent les nombreuses différences de détail, aujourd'hui 
classiques, que Ton peut relever enlre les deux groupes. 
Bien qu'elles soient très connues, il est nécessaire de les 
résumer ici (1). Elles s'expliquent toutes par cette idée 
que rélablis.soment d'utilité publique a le caractère privé, 
alors que l'établissement public gère un véritable service 
public. De là pour ce dernier : 

i" Certains privilèges qui n'appartiennent qu'aux ser- 
vices publics : 

~ a) Soumission aux règles de la comptabilité publique, 
d'où résultent pour lui la compétence spéciale du juge 
des comptes dans ses rapports avec son comptable, le 
droit d'hypothèque légale de l'article 2121 sur les 
immeubles de ce comptable, l'impossibilité de faire un 
paiement autrement quu sur mandat délivré sur un 
crédit régulièrement ouvert et par conséquent l'impossi- 
bilité pour les créanciers de poursuivre l'établissement 
par les voies ordinaires d'exécution (2); 

(1) Sur ces différences v. notamment Ducrocq, Droit administ. ^ 
6" édit., t. Il, nos 4338-1339. — Aucoc, Gonfèi^ences, t. I, no 210. 
— Hauriou, Droit admiiiistr.^ S^éd,, p. 94. — Berthélemy, Droit 
administ., 2© éd., p./ 52-53. — Dalioz, Lois administratives 
annotées, t. II, p. 1233-1234. 

(2) Il y a sur ces divers points quelques exceptions : les chambres 
de commerce ne sont pas soumises aux règles ordinaires de la 
comptabilité publique, mais à des règles spéciales d'administration 



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2Ô6 CâAPITRE tl 

b) Travaux de l'élablissement considérés comme Ira- 
vaux, publics quand ils sont entrepris dans l^intérèt du 
service public qui lui est confié : d« là de nombreuses 
conséquences sur les règles à suivre soit vis-à-vis de 
Tenlrepreneur des travaux, soit vis-à-vis des tiers qui 
souffrent de dommages par suite de leur exécution ; 
compétence du conseil de préfecture sur les contesta- 
tions; possibilité d'exproprier, sinon directement, au 
moins par Tinlermédiaire de TÉlat ou de la commune; 

c) Soumission de leurs bois et forêts au régime fores- 
tier (art. i, C. for.); 

d) Diverses mesures de faveur ; plus grandes facilités 
pour emprunter au Crédit Foncier (loi du 26 février 1862); 
certaines faveurs fiscales (p. ex. leurs immeubles affec- 
tés à un service public sont exempts de la contribution 
foncière, exemption qui ne s'étend pas aux immeubles 
des établissements d'utilité publique (V. C. d*État, 
22 mai 1895; D. 96, 3, 17); règles spéciales sur le 
droit de timbre (loi du 23 août 1871, art. 20, § 3, etc.) ; 

e) Dispositions de procédure ayant pour objet de les 
protéger dans les procès : communication de leurs procès 
au ministère public (art. 83 du Code de proc. civ.); dis- 
pense du préliminaire de conciliation (art. 49) ; possibi- 

fîaancière indiquées dans la loi du 9 avril 1898, art. 21 et suiv. 
(V. l'article de M. Guillaumot, dans Rev. génér. (Tadministr,, 
1898, t. I, p. 290 et s., et \e Dictionn. génér. d* administra de 
Blanche, réédité par M. de Moiiy, p. 241 242). — Les établisse- 
ments ecclésiastiques ne sont soumis aux règles de la comptabilité 
publique que depuis les décrets du 27 mars i893, et leurs tréso- 
riers ne sont soumis à l'hypothèque légale de Tart. 2121 que dans 
des conditions un peu spéciales. — Les corporations d'officiers 
ministériels, les ordres d'avocats, sont également en dehors de la 
règle générale. V. infràt n° 95. 



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LA (ÎLASStFICATION DES PERSONNES MORALBS âOÎ 

lité de se pourvoir par voie de requête civile, dans les 
mêmes conditions que l'État, les communes, les mineurs 
(art. i8i). 

2^ Certaines incapacités qui sont la contre-partie des 
privilèges précédents, et qui s'expliquent comme ces 
privilèges eux-mêmes, avec qui ils sont intimement 
liés, par le fait qu'il s'agit d'un service public dont 
la bonne, gestion n'est pas indifférente à l'intérêt général : 
nécessité d'une autorisation pour faire des baux à long 
terme (art. 1712 C. c), pour transiger (art. 2045, 3°) 
pour acquérir ou aliéner certains biens (loi du 2 jan- 
vier 4847, art. 2 et 3); loi du 7 août 4854, art. 9 
et 10, etc.); contrôle de l'administration supérieure sur 
les budgets ; obligation de communiquer aux agents de 
l'enregistrement les registres et pièces de comptabilité 
(décret du 4 messidor an XIII, art. 4); règles spéciales 
sur l'enregistrement de leurs actes, les uns étant 
exempts, les autres soumis à la formalité dans les 
vingt jours (1. 45 mai 4848, art, 78 et 80), alors que les 
établissements d'utilité publique sont soumis sur ce point 
à la même règle que les particuliers, c^est-èi,-dire que 
leurs actes ne sont sujets à l'enregistrement qu'au 
moment où il en est fait usage, et, dans certains cas 
exceptionnels, dans les trois mois de leur date (1. 22 fri- 
maire an VII, art. 22 et 23). 

Jusqu'à la loi du 8 janvier 4905, ces incapacités com- 
prenaient en outre la nécessité d'obtenir une autorisation 
pour ester en justice (art. 1032, C. Proc.) ; mais l'article 3 
de cette loi ne laisse plus subsister cette règle qu'à titre 
tout exceptionnel. 

3^ Au contraire, surveillance relative aux dons et 
legs moindre que celle qui concerne les établissements 



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208 CHAPITRE II 

d'utilité publique, parce que l'État a moins à se méfier 
de la mainmorte officielle que de la mainmorte libre (loi 
du 4 février 1901, art. 4, qui permet aux établissements 
publics d'accepter sans autorisation les dons et legs qui 
leur sont faits sans charge, condition ni afl*ectation 
immobilière). 

4® Qualité de fonctionnaires reconnue, au moins à 
certains points de vue, à leurs administrateurs ou 
agents, alors que jamais cette qualité n'appartient, 
comme telle, aux administrateurs des établissements 
d'utilité publique. Sur ce dernier point,, la jurisprudence 
et la doctrine ont encore de nombreuses hésitations; 
mais il est dans la logique des choses que les admi- 
nistrateurs des établissements publics soient de plus en 
plus considérés comme investis de véritables fonctions 
publiques et qu'on en tire peu à peu toutes Iqs consé- 
quences (1). 

(4) ËD ce sens Ghante-Grellet, dans le Répertoire de Béquet, 
\^ Fonctionnaires, nos 72 et suiv. -^ M. Ducrocq, au contraire 
{Droit administr., 6« éd., n^ 1333, n" 4), conteste la qualité de 
fonctionnaires aux administrateurs des établissements publics, 
notamment auxadministrateurs des fabriques, parce qu'ils peuvent 
être élus ou désignés par Tévêque, et que « ni l'élection des fabri- 
ciens, ni la nomination de Tévêque, ne peuvent faire des fonction- 
naires publics ». il la conteste aussi aux membres des commissions 
administratives des hôpitaux, des hospices et des bureaux de bien- 
faisance, parce qu'ils remplissent une « mission gratuite de dévoue- 
ment et de charité ». Mais ces arguments sont bien loin d'être déci- 
sifs : ni la nomination directe par le Gouvernement, ni le caractère 
rétribué de la fonction ne sont de l'essence de la notion de fonc- 
tionnaire public (V. sur les divers systèmes proposés pour préciser 
cette notion, la thèse de M. Nézard, Théorie juridique de la fonc- 
tion publique. Paris, 4904, p. 26 et suiv.). 

La jurisprudence a de nombreuses hésitations, tenant d'ailleurs 
en général à ce que la question, au point de vue des textes, ne se 



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LA CLASSIFICATION DES PERSONNES MORALES "ZXflf 

5^ Les élablissemenls publics étant des administra- 
tions publiques, leurs décisions sont des actes admi- 

présentepas toujours de la même manière. Ainsi la jurisprudence 
a eu à se demander : lo avant 1870, si on devait considérer les admi- 
nistrateurs des hospices comme agents du gouvernement au sens 
dé l'art. 75 de la Gonstit. de l'an VIII ; elle avait hésité (Heq. 5 nov. 
1850,D., 50.1. 329, aff. (motifs) ; Gass. crim. 14nov. 1850, D. 50. 5. 
235 nég.) ; 2° si on doit les considérer comme citoyens chargés 
d'un se7*vice ou mandat public, au sens de l'art. 31 de la loi £ur 
la presse du 19 juillet 1881. La Gour de cassation paraît fixée dans 
le sens de la négative (Gass., 27 février 1885, D., 85, 1, 379 ; 
20 juillet 1893, D., 97, 1, 341 ; 21 mai 1898, D. 99. 1. 428) ; mais, 
outre que beaucoup d'auteurs contestent ceite solution (p. ex. 
Béquet, v<* Assist, publique, nos 611 et 612, et Ghante-Grellet, 
loc. cit., n^ 73), elle est contestée par des arrêts de Gour d*appel 
(Toulouse, 5 juia 1883, eod. 1.) ; d'autre part, la Gour de cassation 
admet elle-même, que l'article est applicable au maire diffamé en 
qualité de président de ladite commission (Gass. 10 nov. 1892, 
D., 93. 1. 21) ; et des décisions judiciaires ont admis que l'art. 30 
de la même loi sur la presse s'applique aux commissions envisagées 
collectivement (Tribunal de Meaux, 13 février 1884. Dali. Suppl. 
v<> Presse-outrage, n° 933). Enfin un jugement récent (Tribunal des 
Sables-d'Olonne, 31 décembre 1903, D., 1904. 2. 371) a traité 
comme des citoyens chargés d'un service ou mandat public les 
membres d'un bureau de bienfaisance, en se basant sur l'attribu- 
tion de droit public qui leur appartient (distribution des secours^ 
Ge jugement admet d'ailleurs que les membres des commissions 
administratives des hospices n'ont aucune attribution du même 
ordre, ce qui nous paraît tout à fait inexact ; 3<^ si on doit leur 
appliquer Tarticle 197 du Gode pénal qui prononce une pénalité 
contre tout fonctionnaire révoqué qui continue ses fonctions, et ici 
elle a admis l'affirmative (Gass. 30 octobre 1886, D., 87. 1. 507, la 
solution* s'applique à un fabricien, mais il ne semble pas douteux 
qu'elle ne doive s'étendre à un administrateur d'hospice) ; 4o si 
on doit leur appliquer l'art. 177 sur la corruption de fonctionnai- 
res ; ici encore elle paraît bien pencher vers l'affirmative, si l'on 
en juge par les considérants d'un arrêt de la G. de cass. du 
24 février 1893, D. 93. \ . 393, qui applique l'article aux députés et 
sénateurs. 
Nous croyons qu'il serait préférable de déclarer la plupart de ces 

MICHOUD 14 



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210 CHAPITRE II 

nistratifs, ayant le caractère exécutoire, et soumis aux 
voies de recours qui frappent d'ordinaire les actes admi- 
nistratifs, notamment, lorsqu'elles contiennent acte d'au- 
torité, au recours pour excès de pouvoir (i). 

Les différences précédentes n'ont pas d^ailleurs une 
constance absolue. On peut admettre qu'il y a un 
régime général dos établissements publics, mais que 
quelques-uns d'entre eux, tout en étant des personnes 
morales publiques, comme les établissements publics 
ordinaires, sont, par des dispositions expresses ou 
implicites de la loi, soustraits sur certains points à ce 
régime commun (2). Ces établissements peuvent-ils 
encore être qualifiés d'établissements publics? Oui, au 
sens large du mot. Mais peut-être vaudrait-il mieux 
réserver ce terme aux établissements publics stricto 
sensuy soumis à toutes les règles administratives de la 
matière, et dire purement et simplement de ces person- 
nes morales que ce sont des personnes morales de droit 

articles applicables aux représeataùts des établissements publics, 
et nous donnerions la môme solution pour tous les articles du Code 
pénal qui prévoient des crimes ou délits spéciaux aux fonction- 
naires (p. ex: Fart. 174 sur la concussion). Il faut toutefois faire 
exception pour ceux qui ne peuvent viser que des fonctionnaires 
compétents pour faire des actes de puissance publique, tels que les 
art. 184 et suiv. (et aussi l'art. 224 du G. pénal, comme Ta décidé 
la Cour de Paris en en refusant d*appliquer cet article'aux dames 
télégraphistes, arrêt du 25 octobre 1904, afî. Sjlviac et Belloche). 
D'autre part la qualité de fonctionnaire a encore d'autres consé- 
quences au point de vue des relations avec rétablissement lui- 
même. Il faut appliquer, croyons-nous, aux agents des établisse- 
ments publics les mêmes règles qu'aux fonctionnaires communaux 
en ce qui concerne le contentieux des nominations et révocations. 

(1) Hauriou, 5« éd., p. 480, n. 1 in fine, 

(2) Nous verrons qu'on peut en dire autant des établissements 
d'utilité publique. 



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LA CLASSIFICATION DES PERSONNES MORALES 211 

public. On peut appliquer celle observation, notamment, 
aux établissements ecclésiastiques, aux ordres d'avocats 
et aux corporations d*officiers ministériels. 

85. Quoi qu'il en soit, les différences précédentes, 
toutes empruntées à la législation positive, montrent 
bien l'importance de la distinction. Mais si nous ces- 
sons de limiter la question à la comparaison des deux 
groupes voisins, et si nous l'élargissons en comparant 
l'une à l'autre les deux catégories plus larges formées 
par les personnes morales de droit public, d'une part, 
les personnes morales de droit privé, d'autre part, si en 
même temps, nous transportons la question sur le ter- 
rain législatif, — nous serons bien vite convaincus que 
rimportance de cette classification devient tout à fait 
capitale. Nous relèverons notamment les deux points 
suivants : ^ 

1® Les personnes morales de droit public n'ont pas 
seulement des droits patrimoniaux, mais aussi des 
droits appartenant au domaine du droit public : droits 
de police, droit de lever les impôts, droit d'expro- 
prier, etc.; droits qu'elles ont dans une mesure, très 
inégale, mais que toutes possèdent plus ou moins. 
Leur étude est donc bien plus complexe que celle des 
personnes morales de droit privé. Leurs rapports avec 
leurs agents, avec leurs membres, avec les personnes 
dont elles ont à s'occuper, sont aussi de nature diffé- 
rente (1). 

2** En général le législateur ne peut, ni pour leur créa- 

(1) L'Institut de droit interDational (session de Copenhague, 
1897) a admis que les personnes morajes publiques reconnues dans 
leur Etat d'origine sont reconnues de plein droit dans tous les 
autres Etats. 



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212 CHAPITRE II 

tion ni pour leur suppression, adopter les mêmes règles 
que pour les personnes morales de droit privé. Même 
quand ces dernières se réduisaient, en dehors des socié- 
tés civiles et commerciales, aux établisements d'utililé 
publique^ leur création ne se faisait pas d*après les 
mêmes principes que ceux des personnes morales de 
droit public. Elles étaient, en effet, autorisées par 
décret rendu en Conseil d'Etat, au lieu que la créalion 
des personnes morales de droit public a toujours en 
principe nécessité une loi. Aujourd'hui que la plupart 
des groupements désintéressés peuvent parvenir à un 
certain degré de personnalité sans intervention de l'au- 
torité publique, la distinction est encore bien plus tran- 
chée ; car jamais les personnes morales de droit public, 
dans l'Etat moderne une fois constitué, n'arrivent à la 
vie sans Tintervention active de ce dernier. Les grou- 
pements privés peuvent, d'autre part, se dissoudre en 
principe sans autorisation, alors que les personnes 
morales de droit public ne le peuvent pas. Enfin, le 
plus souvent aujourd'hui leur suppression par les pou- 
voirs publics, et les conséquences de cette suppression 
sont soumises à des règles autres que celles qui s'appli- 
quent aux personnes morales de droit public (1). 

(1) V. pour le développement de ces différences, les divers cha- 
pitres suivants. Dans cet ordre d'idées, M. Homieu, commissaire du 
Gouvernement dans l'affaire de la Caisse des écoles du VI« arron- 
dissement, a fait ressortir une différence pratique entre les deux 
catégories ; les lois administratives, qui posent les bases de l'orga- 
nisation des services publics (telles que les lois de 1882 à 1886 sur 
renseignement) régissent de plein droit la situation des établisse- 
ments publics même créés antérieurement à elles ; carces établis- 
sements ne sont que des services publics. Au contraire elles ne 
peuvent être considérées, à moins de disposition expresse de leur 



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LA CLASSIFICATION DES PERSONNES MORALES 213 

86. Ceci suffit à montrer que cette classification est 
bien celle que nous ne devrons jamais perdre de vue 
quand nous traiterons des personnesjuridiques.il serait 
désirable que nous eussions, pour Topérer, un critérium 
très précis. Mais il nous manque. Ici comme ailleurs les 
formes de la vie sont tellement complexes que, tout en 
pouvant indiquer les caractères principaux de chaque 
classe, nous avons peine à tracer la ligne de démarca- 
tion, parce qu'il y a des formes intermédiaires, qui 
réunissent en eux des caractères empruntés aux deux 
types, et parce que les personnes de droit public n'ont 
de droits publics que dans une mesure très inégale. Il 
est remarquable que la doctrine allemande et la doc- 
trine française se sont trouvées ici dans le même embar- 
ras (1). La première après avoir passé en revue les 
divers critériums proposés (2), paraît aujourd'hui con- 

part, comme régissant les établissements d'utilité publique déjà 
existants ; ceux-ci restent régis par leurs statuts, qui sont pour eux 
la source de droits acquis. V. Dali. 1904-3-1 et s. 

(1) La doctrine italienne s*est trouvée aux prises avec la même 
difûculté, et l'on y trouve les mêmes incertitudes dans la solution. 
V. G'iovgi, Persone giurid. y I, n® 185, p. 433 ; Brondi, La publiche 
amminisir, et la gestione di affari, p. 53 et suiv. ; Fadda et 
Bensa, notes sur Windscheid, t. I, p. 792 ; Ruffîni, op, cit., 
p. 384 et suiv. — Ce dernier auleur est l'un de ceux qui ont le 
mieux mis en lumière l'importance de la distinction (p. 344 et 
suiv.). 

(2) Les divers critériums proposés ont été analysés avec beau- 
coup de soin par Rosin, Das Recht der Ôffentlichen Genossen- 
schaft, p. 1-39. Ses explications sur ce point ont été résumées par 
M. Avril. Thèse citée, p. 25, n. 4. — L'analyse de Rosin est 
d'ailleurs uniquement applicable à la comparaison des corpora- 
tions de l'un ou de l'autre domaine. La distinction entre les fon- 
dations de droit privé et les fondations de droit public paraît 
avoir soulevé, en Allemagne, beaucoup moins de difficulté. Les 



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214 CHAPITRE II 

dure qu'il n'existe pas de signe distinctif infaillible, 
permettant à lui seul de séparer les deux classes, et 
qu'on ne peut opérer la classification qu'après avoir exa- 
miné Y ensemble des règles juridiques à appliquer à la 
personne morale dont il s'agit (i). En France, M. Du- 
crocq, après avoir passé en revue divers systèmes pro- 
posés, arrive à une conclusion tout à fait analogue : 
« Il faut donc se borner à dire, en raison de la diversité 
même des établissements publics, et pour se tenir dans 
les termes d'une définition exacte et commune à tous, 
au risque d'être plus large, que ce sont des établisse- 
ments doués d'une vie propre, qui font partie intégrante 
de l'organisation administrative du pays, ou qui lui sont 
étroitement rattachés (2). » Termes auxquels on ne peut 
certes reprocher un excès de précision. 

Il est certain en effet qu'il faut, en cette question, se 
montrer prudent, d'autant mieux que la loi positive ne 
nous fournit pas d'indication sûre (3), et qu'il ne faut 

procès-verbaux de la seconde commissioa de préparation du Code 
civil indiquent sur ce point le critérium généralement adopté ; la 
fondation privée est celle qui est érigée par acte privé, la fonda- 
tion publique celle qui est érigée par un acte de la puissance 
publique {Protokole, p. 585-586, et Saleilles, Les personnes jurid, 
dans le C» c. allemand, p. 131-132). 

(1) C'est notamment la conclusion de Gierke (Deutsches Privât- 
rechty% 75,p.621, n. 19); de Regeisberger (Panrf., §80p.319,n. 4); 
d'Endemann, op. cit., % 49, n. 2 ; de Jellinek {System, p. 251). 
Ce dernier auteur va jusqu'à dire ceci : « C'est souvent chose d'ap- 
préciation individuelle, comme partout où la vie montre des 
transitions insensibles, que de déterminer la ligne, qui, dans le 
flot de ce qui vient à l'existence, sépare le groupe du droit privé du 
groupe de droit public ». 

(2) Op. cit., n» 1333, note 1, in fine. 

(3) Le législateur français a longtemps employé les deux termes 
d'établissements /?m6/ic5 et à'utilité publique d'une manière tout 



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LA CLASSIFICATION DES PERSONNES MORALES 215 

pas cliercher i}n signe unique, formant critérium infail- 
lible. Les signes proposés comme tels dans la doctrine 
laissent tous à désirer. On ne peut pas ranger dans le 
droit public tous les groupements ayant des privilèges 
de droit public, parce que de semblables privilèges 
peuvent être accordés même à des personnes privées et 
que d'ailleurs les personnes publiques ne les ont que 
dans une mesure très inégale (i). On ne peut pas non 
plus se baser sur le caractère forcé des groupements 
publics en Topposant au caractère volontaire des grou- 
pements privés; car ni les premiers ne sont toujours 
forcés^ ni les seconds toujours volontaires (2). Il faut 



à fait indifférente. A cette incertitude il y a d'ailleurs une raison 
profonde, c'est que la distinction dont il s'agit ne peut pas et ne 
doit pas empêcher la collaboration entre l'administration et Tini- 
tiative privée. De là résulte l'existence d'établissements mixtes, 
dont on ne sait plus bien s'ils sont publics ou privés ; V. sur ces 
établissements mixtes^ et sur les avantages qu'ils présentent, les 
excellentes considérations de M. Hauriou dans Sirey, i90o. 3. 33. 
Mais cela n'enlève rien, quoiqu'en dise notre émirient collègue, à 
l'importance juridique de notre distinction. 

(1) Les privilèges tels que : exemption d'impôts, facilités d'admi- 
nistration, garanties contre les administrateurs ou les compta- 
bles, etc., peuvent varier à l'infini et être accordés à des personnes 
morales privées comme aux autres. Par exemple les sociétés d'ha 
bitations à bon marché, qui sont des sociétés de gain (encore 
qu'inspirés par un but philanthropique) et qui appartiennent cer- 
tainement au droit privé, jouissent de diverses faveurs de ce 
genre. 

(2) Par exemple les églises et les divers groupements qui en 
dépendent, bien qu'appartenant au droit public dans la plupart 
des législations ne peuvent employer le « compelle intrare » . En 
sens inverse on conçoit qu'un groupement, qui reste de nature 
privée, puisse englober de force certaines personnes, ou être indé- 
pendant de leur volonté. C'est ce qui existe pour la famille^ par- 
tout où elle est considérée comme une personne mox^ale. 



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216 CHAPITRE II 

écarter aussi l'idée, formulée par Ihering, que le carac- 
lère des groupements publics est le droit pour tous d'en 
faire partie, car cela est loin d'être constant, et d'autre 
part des groupements privés peuvent èlre largement 
ouverts (i). On ne peut admettre davantage un critérium 
tiré du but de l'association, parce que, la plupart du 
temps le but poursuivi n'est pas le monopole exclusif 
des services publics, Qt qu'il peut être visé aussi bien 
par un groupement privé que par un groupement 
public (2). Enfin il faut considérer comme insuffisant le 
critérium que Rosin indique après avoir passé en revue 
tous les autres, critérium qui consisterait à considérer 
comme appartenant au droit public les groupements que 
l'Elat regarde comme obligés vis-à-vis de lui à accomplir 
leur mission. Car les Eglises et les groupements qui en 
dépendent ne sont pas dans ce cas ; et d'autre part cer- 
tains groupements privés peuvent avoir des obligations 
de ce genre (3). D'ailleurs tous les groupements ont des 

(t) Aussi les développements d'Ihering (Zweck im Recht, t. I, 
p. 296 et suiv. — Trad. Meulenaere, p. 201, n» 138) sont-ils uni- 
quement des développements d'ordre philosophique, qui n'ont pas 
la prétention de trancher la question en droit positif. 11 insiste sur 
le caractère public de toute association désintéressée, dans laquelle 
on cherche à faire de la propagande, et l'oppose au caractère privé 
des sociétésde gain; il conclut que V association appartient au droit 
public, et que c'est chose arbitraire de restreindre la notion de 
droit public à l'Etat et à l'Eglise. — Cela implique une conception 
de droit public que nous ne pouvons discuter ici. 

(2) Le critérium du but ramènerait à l'idée que TEtat a le mono- 
pole du bien public, idée qui n'est plus celle de l'Etat moderne. — 
On doit ajouter qu'il serait le plus souvent fort incertain si on le 
considère en lui-même, abstraction faite de l'appréciation positive 
de TErat. C'est bien la considération du but qui détermine l'Etat a 
englober rétablissement dans les services publics ; mais lui seul 
est compétent pour fixer les buts qu'il se propose. 

(3) Par exemple les sociétés anonymes chargées d'un service 



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LA CLASSIFICATION DBS PI^RSONNES MORALES 217 

obligations vis-à-vis de TEtat ; l'élendue plus ou moins 
grande de ces obligations n'est qu'une différence de 
quantité, qui n'influe pas directement sur les rapports 
juridiques de l'association avec ses membres ou avec les 
tiers (I). 

Il est plus exact sans doute de dire que les personnes 
morales de droit public ont essentiellement des droits de 
puissance publique, qu'elles ont vis-à-vis de leurs mem- 
bres ou vis-à-vis des tiers des prérogatives de droit 
public, au lieu d'être, comme les personnes privées, 
placées vis-à-vis d'eux sur un pied d'égalité. C'est par 
là, en effel, qu'elles appartiennent au droit public, 
qu'elles cessent d'être, au point de vue juridique, des 
organismes purement patrimoniaux (2). Ces droits de 
puissance publique sont d'ailleurs très inégalement dé- 
veloppés. Dans l'Etat, -ils vont jusqu'à la souveraineté: 
Dans les communautés territoriales inférieures (commu- 
nes, groupes de communes, départements, provinces) 
ils comprennent encore, ou peuvent comprendre, des 
droits de police assez étendus, le droit de lever des 
impôts (au moins dans certaines limites), le droit d!ex- 
proprier, etc. Dans nos établissements publics, ces droits 
ne se retrouvent pas tous ; ils ont cependant, assez fré- 
quemment, le droit de lever des impôts et celui d'expro- 
prier indirectement. Ils jouissent, dans les contesta- 
tions, assez souvent, An privilège du préalable, tel que 



public, comme la Banque de France, et les innombrables sociétés 
concessionnaires de services d'intérêt général. 

(1) Cf. Jellinek, op. ct't,, p. 252. 

(2} Au fond, c'est le système développé par Jellinek. op. cit., 
p. 253 et suiv. — C'est aussi l'opinion de G. Meyer, Deutsches 
Verwaltungsrecht (1883», t. I, p. 19. 



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218 CHAPITRE II 

M. Hauriou Ta décrit (1), privilège qui est un véritable 
droit de puissance publique. Enfin ils ont aussi, le plus 
souvent, comme juges, les tribunaux administratifs et 
non les tribunaux judiciaires. Quand tous ces traits se 
trouvent réunis, on doit admettre qu'il y a personne 
morale publique; et cette seule règle suffira à classer 
d'assez nombreux établissements. Mais^ pris séparé- 
ment, chacun de ces droits ne suffit pas à caractériser la 
personne publique, et de Texistence de Tun on ne peut 
conclure sûrement à Texistence des autres. Quelques- 
uns d'entre eux, en effets peuvent appartenir exception- 
nellement à des personnes privées : par exemple les 
concessionnaires de mines ont un certain droit d'expro- 
priation, la Banque de France exerce un monopole, etc. 
— C'est donc un critérium qui ne peut se suffire à lui- 
même, pas plus que les précédents. On ne pourra classer 
sûrement une personne morale dans le droit public que 
lorsqu'elle réunira plusieurs des caractères passés en 
^ revue : Y ensemble de ces traits démontrera alors que le 
législateur a bien entendu le classer dans une région 
supérieure à celle du droit privé. 

D'autres circonstances pourront aider à cette classifi- 
cation délicate : c'est d'abord la part prédominante prise 
par une personne publique déjà existante (notamment 
l'Etal, et parfois la commune) à la création de l'être 
moral qu'il s'agit de caractériser. Nos établissements 
publics se présentent le plus souvent comme des fonda- 
tions faites par l'Etat ou la commune; en fondant lui- 

(1) Droit administratif, 5e éd.. p. 225 et s. M. Hauriou aoalyse 
ce privilège, et y trouve les deux prérogatives suivantes : privi- 
lège de TexécutioD préalable ; privilège de la création du conten- 
tieux par des actes préalables. 



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LÀ CLASSIFICATION DES PERSONNES MORALES 219 

même, TEtat montre qu'il considère le service comme 
Tun de ceux auxquels il doit pourvoir, et la fondation 
qu'il crée comme un véritable service public personna- 
lisé; et il en est de même de la commune. \j origine de 
l'établissement sera donc souvent le signe le moins 
équivoque. Mais il est loin^ lui aussi, d'être à lui seul 
un signe suffisant, parce que la création est due fré- 
quemment à une collaboration de l'action administra- 
tive et de rinitiative privée et qu'il est alors malaisé de 
déterminer laquelle est prépondérante. Enfin, un der- 
nier signe pourra venir confirmer les autres : ce sera 
^ingérence que l'Etat se réserve dans la vie intérieure 
de la personne morale, soit en désignant lui-même ses 
administrateurs, soit en surveillant de près son budget 
et ses comptes, soit en soumettant à son autorisation les 
actes les plus importants de sa vie civile. Là encore il 
n'y a rien d'absolu : des personnes morales privées 
peuvent' être soumises à une tutelle administrative 
étroite à raison de la méfiance que TÈtat éprouve vis-à- 
vis d'elles ; c'est le cas notamment pour les congréga- 
tions religieuses. Mais lorsque l'intervention de l'Etat 
est poussée jusqu'à un certain degré,* elle trahit d'ordi- 
naire la pensée que l'Etat considère l'établissement 
comme un véritable service public et qu'il veut, à 
raison de ce fait, en assurer le bon fonctionnement. 

87. Les explications précédentes fourniront le plus 
souvent la possibilité de classer les personnes morales 
dont la situation peut paraître douteuse. M. Hauriou a 
essayé, en étudiant la distinction des établissements 
publics et des établissements d'utilité publique (4), de 

(4) Droit administratifs 4e éd., p. 507 ; 5» p. 481. 



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220 CHAPITRE II 

préciser un peu plus. Suivant lui, on ne doit considérer 
comme établissements publics que ceux qui sont ^n^re- 
^ew2/^ par TAdministration, celle-ci prenant à sa charge 
les trois éléments dont se compose nécessairement tout 
service public : personnel, matériel, moyens financiers. 
Dans le doute, il faut se prononcer pour le caractère 
privé, parce qu'au fond ce sont les personnes morales 
privées qui représentent la liberté corporative (1). 

Cette dernière règle nous paraît restreindre outre 
mesure la notion d'établissement public. La liberté cor- 
porative n'est point, nous semble-t-il, intéressée dans 
la question, parce que les cas douteux portent exclusi- 
vement sur des établissements que leur organisation 
positive rattache déjà de très près à l'Administration, 
qui ne peuvent en fait prétendre à une réelle liberté, et 
îpour lesquels il y a plutôt intérêt à être franchement 
considérés comme des services publics, parce que cela 
leur assure en fait certains avantages. On peut même 
dire, depuis la loi du 4 février 1901, qu'en un certain 
sens le classement comme établissements publics leur 
procurera plus de liberté, puisque cette loi permet aux 
établissements de cet ordre d'accepter sans autorisation 
les dons et legs, quand il nV a ni charge, ni condition, 
ni affectation immobilière, ni réclamation de la famille, 
alors que les établissements d'utilité publique ont dans 



(4) Cf. sur ce dernier point Taudière, dans Revue catholique des 
institutions et du droit, t. XXIV, p. 412. — M Hauriou est 
amené par là à exclure de la catégorie des établissements publics, 
à tort selon nous, les comités d'habitation à bon marché, les 
monts de-piété, les associations syndicales autorisées (pour les- 
quelles cependant il déclare s'incliner aujourd'hui devant la solu- 
tion donnée par le Tribunal des conflits). 



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LÀ CLASSIFICATION DES PERSONNES MORALES 221 

tous les cas besoin d'une autorisation pour acquérir à 
titre gratuit. 

Quant à la première règle donnée par M. Hauriou, 
elle est trop étroite aussi. II n'est nullement nécessaire 
qn'un établissement soit pourvu directement par l'Ad- 
ministration de ses moyens d'action pour qu'on puisse 
le classer comme service public ; beaucoup d'entre eux 
(tels, par exemple, que les bureaux de bienfaisance) ne 
reçoivent des pouvoirs publics que des subventions 
purement facultatives ; d'autres n'ont jamais rien reçu ; 
alors que des subventions peuvent être données, parfois 
très largement, à de simples établissements privés. 
L'existence d'une dotation provenant de l'Etat peut être 
seulement l'un des signes à ajouter à ceux que nous 
énumérions plus baut; mais ce n'est ni le plus constant, 
ni le plus caractéristique. - 

Cherchons maintenant à appliquer les explications 
théoriques que nous venons de donner aux cas qui ont 
fait difficulté dans notre droit (1). 

88. I. Congrégations religieuses, — Les auteurs du 
milieu du xix® siècle ont souvent qualifié les congréga- 
tions religieuses d'établissements publics (2), et le 
Conseil d'Etat avait, en 1841, conclu de cette classifi- 
cation qu'une autorisation leur était nécessaire pour 

(1) Nous devons nous borner aux cas douteux, Ténumération des 
établissements publics et des établissements d'utilité publique ne 
pouvant trouver place ici (v. sur cette énumération, Hauriou, op. 
cit., 5e éd., p. 483 et suiv.). 

(2) V. notamment : de Gérando, Institutes de droit administr., 
2° éd., 1842, t. II, p. 18. Dufour, Traité de droit administr.y 
2e éd., 1868, t. II, no 124. Revercbqn, Des autorisations de plai- 
der, no 148. Laisné-Deshayes, Du régime légal des congrég. reli- 
gieuses, 1868, p. 49. 



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222 CHAPITRE II 

ester en justice (1). Celte solution découlait aiâsez natu- 
rellement de la manière dont on avait envisagé les con- 
grégations lors de leur reconstitution sous le l®** Empire 
et la Restauration (2) : elle était en outre favorisée par 
ce fait que la distinction entre les deux catégories d'éta- 
blissements était alors incomplètement dégagée. Plus 
récemment, dans les difficultés pendantes entre le fisc et 
les congrégations, on a vu tantôt l'une, tantôt Tautre des 
parties en cause soutenir que les congrégations recon- 
nues constituaient de véritables établissements publics. 
Les congrégations ont invoqué cette qualité, à côté 
d'autres arguments, pour démontrer que le fisc ne pou- 
vait faire vendre leurs immeubles sans une autorisation 
du chef de l'Etat (3). En sens inverse, le fisc avait anté- 
rieurement émis la prétention d'assujettir les congréga- 
tions au droit de communication en vertu du décret du 
4 messidor an XIII, qui Tirapose aux administrateurs 
des établissements publics (4). Mais il est permis de 
penser qu'il n'y avait guère là, de part et d'autre, 
qu'un argument ad utilitatenis car la classification des 
congrégations religieuses parmi les groupes privés ne 
peut guère aujourd'hui faire l'objet d'un doute sérieux. 



(1) Avis du comité de législ. du 21 mai 1841, reproduit par 
Dufour, op. etloc. cit. 

(2) V. m/ràles explications données sur ce point dans ch. IV. 

(3) V. notre note sous Gass., 21 mars 1899. S. 99. 1. 449. 

(4) V. la décision du Ministre des Finances du 22 aoûtl882, ap- 
prouvant une note de l'Administration de l'Enregistrement, et 
l'instruction de cette même administration du 25 septembre 1882, 
D. 84. 3. 55. Le législateur est depuis lors intervenu, par la loi du 
29 décembre 1884, art. 9, § 3, pour soumettre directement les 
congrégations (abstraction faite de toute idée de classification) au 
droit de communication . 



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LA CLASSIFICATION DES PERSONNES MORALES 2^3 

Elle a déjà élé affirmée par le Conseil d'Etat dans un 
avis'du 13 janvier 4835 (1) ; un autre avis, en date du 6 
juillet 1864, revenant sur la solution donnée en 1841, 
Ta encore affirmée implicitement en dispensant les con- 
grégations religieuses d'aulorisation pour ester en jus- 
tice (2), et tous les auteurs récents sont dans ce sens (3). 
C'est qu'en effet nous ne trouvons ici aucun des traits 
de rétablissement public : ni l'origine, qui est purement 
privée ; ni les droits de puissance publique, qui n'exis- 
tent en aucun cas ; ni même, si l'on comprend bieri les 
choses, ringérence gouvernementale caractéristique de 
rétablissement public. Sans doute la congrégation reli- 
gieuse est soumise à une tutelle administrative plus 
étroite que les établissements d'utilité publique ordi- 
naires (lois du 2 janvier 1817, du 24 mai 1825). Il lui 
faut des autorisations non seulement pour accepter des 
dons et legs, maiis aussi pour un certain nombre d'ac- 
tes à titre onéreux. Elle doit au Gouvernement certaines 
communications (loi du 29 décembre 1884, article 9, 
I 3, loi du l®" juillet 1901, article 15). Mais on ne peut 
douter à l'heure actuelle qu'il y ait là, de la part de 
TEtat, de simples mesures de précaution dictées par une 
idée de méfiance et non des mesures de protection. 

(4) Dubief et Gottofrey, dans Béquet, v« Cultes, no 2106. 

(2) Op. et loc. cit. y no 2107. 

(3) Batbie, Droit administra, t. V, n<> 245. Ducrocq, 6« éd., 
nos i333 et 4537. Hauriou, 4e éd., p. 421. Dubief et Gottofrey, op. 
et loc. cit., nos 2406 et 2111. Drouin et Worms, Traité des auto- 
ris, de plaider, p. 26. Block, v^ Etablissement public, n® 2. Tis- 
sier, Dons et legs, n® 90. La question de savoir si on peut les 
qualifier à* établissements d'utilité publique, ou s'il faut en faire 
une catégorie distincte, est d'ailleurs toute différente de celle que 
nous examinons ici, et elle est de faible importance. 



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224 CHAPITRE II 

L'Etat considère les» congrégations comme étrangères à 
son organisme administratif. L'autorisation qu'il leur 
donne les laisse dans le droit privé. 

89. IL Associations syndicales. . — Les associations 
syndicales autorisées des lois du 21 juin 1865 et du 
22 décembre 1884 doivent au contraire être considérées 
comme de véritables établissements publics. La question 
a été très vivement discutée ; et si la jurisprudence 
paraît fixée en notre sens par une décision du Tribunal 
des conflits, les auteurs sont encore divisés (1). Ce qui 
est décisif à noire avis, c'est d'abord Tensemble des 

(1) Conflits 19 décembre 1899. D., 1901. 3. 42. Auparavant le 
Conseil d'Etat avait déjà admis pour ces associations la qualité 
d'établissements publics(17 janvier 1890. D.,9i. 3. 26 ; 22 décem- 
bre 1899. D., 1901. 3. 22). Mais la Cour de cassation les considérait 
comme de simples établissements d'utilité publique (1er décembre 
1886, D., 87. 1. 183). Parmi les auteurs, cette dernière opinion 
était soutenue par MM. Ducrocq {Droit administ7\ , 6" éd., t. II, 
n^ 1574), Hauriou {Droit administr., 3e éd., p. 788), Berth^lemy 
(Droit administr . , i'e éd., p. 611). Ce dernier auteur maintient 
son opinion même après la décision du Tribunal des contlits (2e éd., 
p. 611. 3» éd., p. 614ets.); M. Hauriou, au contraire (4« éd.. 
p. 724 ; 5» éd., p. 698), a vu un fait nouveau dans Tarticle 58 du 
décret du 9' mars 1894, et il considère ce texte comme formant 
une base sufGsante à la doctrine du Tribunal des conflits. A 
notre avis, ce serait là une base bien fragile, car le droit d'inscrip- 
tion d'office que consacre ce texte ne peut, à lui seul, suffire à 
classer un établissement ; il est seulement l'un des traits qui 
donnent aux associations syndicales le caractère d'établissements 
publics ; et, s'il a pu légalement être introduit dans le décret de 
1894, c'est que ces associations avaient déjà par ailleurs ce caaac- 
tère. 

Les auteurs qui soutenaient, dès avant 1899, la solution qui 
paraît avoir triomphé, étaient notamment : Aucoc, Conférences, 
t. I, no 206. Picard, Traité des eauœ, t. IV, p. lui et suiv. Mar- 
ques di Braga et Lyon, Comptât, de fait, n^ 131 . Tissier, Dons et 
legs, n» 178. 



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LA CLASSIFICATION DES PERSONNES MORALES 225 

droits de puissance publique accordé à ces associations 
par le législateur : droit de contrainte de la majorité sur 
la minorité pour la formation de l'association ; droit 
d'expropriation ; travaux envisagés comme travaux 
publics; contributions des membres envisagées comme 
contributions publiques. Il ne s'agit pas seulement de 
certains privilèges de droit privé, mais bien de droits 
publics qui ne peuvent appartenir qu'aux personnes 
morales publiques. Le contrôle étroit auqutîl TAdminis- 
Iration soumet l'association (obligation d'exécuter les 
travaux, intervention dans la nomination des syndics, 
autorisation à donner pour les actes les plus importants, 
droit d'inscription d'office des dépenses accordé au 
préfel) n'est que la conséquence de sa situation de per- 
sonne publique et ne peut que la confirmer. Les auteurs 
qui soutiennent l'opinion contraire paraissent en cela se 
rattacher à l'idée que la classification doit s'opérer 
d'après le but que poursuit l'association. L'argument de 
M. Ducrocq, c'est que ces associations ne représentent 
que des intérêts privés collectifs, et non un véritable in- 
térêt général (4). Mais nous avons ici un exemple qui 
montre combien le critérium du but, envisagé en lui- 
même, est inacceptable. L'intérêt général dirige assuré- 
ment l'Etat quand il fait aux associations syndicales la 
situation privilégiée que nous venons de décrire. Il 
estime que, quel que soit le motif qui inspire les asso- 
ciés, leur entreprise est intimement liée à la prospérité 
générale. Il manifeste son appréciation sur ce point par 



(1) M. Hauriou insiste aussi sur Tidée que les bénéfices privés à 
retirer de Topération sont la considération déterminante dans la 
formation de ces associations (5eéd., p. 698-699, n. 2). 

MiCHOUD iâ 



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3S6 CHAPITRE II 

rensemble des règles auxquelles il la soumet. Pour 
savoir si le groupement appartient au droit public, Tiii- 
terprète n'a donc pas à se demander si en lui-même le 
but est d'intérêt général; cette appréoiation purement 
subjective serait des plus incertaines ;, il a seulement à 
se demander si TEtat Ta considéré comme tel, ce qui 
équivaut à dire que c'est dans Torganisation donnée aux 
groupes, dans Tensemble des règles que FEtat a jugé à 
propos de lui appliquer, que le critérium doit être re- 
cherché. 

Au reste, le même but peut être poursuivi à la fois 
par des groupements privés et par des groupements 
publics. Nous en avons un exemple ici : d'une part, aux 
yeux de tous Tassociation syndicale libre est une asso- 
ciation privée (1), bien que son objet soit identiquement 
le même que celui de Tassociation autorisée ; d'autre 
part, le même objet peut encore être poursuivi, au moins 
dans certains casj par Tassocialion syndicale forcée, et 
même directemetit par l'Etat, c'est-à-diré par des grou- 
pes dont la qualité de personnes de droit public n'e&t pas 
douteuse. L'Etat, en poursuivant lui-même certains 
objets, ou en les assignant à l'activité des personnes de 
droit public qu'il crée, n'en prend pas pour cela le mo- 
nopole, et peut fort bien permettre à des groupements 
privés de s'en occuper toutes les fois qu'ils réussissent 
à se constituer pour cela. Gë qui se produit ici est iden- 
tique au fond à ce qui se produit à l'égard des buts 
purement désintéressés tels que l'enseignement ou l'as- 
sistance. 

(1) Nous réservons pour le moment la question de savoir ^i on 
doit la considérer comme établissement d'utilité publique, ou la 
classer dans une autre catégorie de personnes privées. 



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k.. 



LA CLASSIFICATION DES PERSONNES MORALES 227 

90. III. — Nous classons également parmi les per- 
sonnes de droit public les caisses de secours des ouvriers 
mineurs (loi du 29 juin 1894, art. 6 el suiv.). La question 
est cependant ioi bien plus douteuse, parce que ces 
caisses n'ont pas besoin des mêmes droits publics que 
les associations syndicales. Mais leur organisation pré- 
sente tous les traits des personnes de droit public créées 
par TEtat lui-même, et dotées par lui d'une organisation 
officielle : caractère obligatoire du groupement (art, 1) 
et des versements à y effectuer (arl. 6) ; circonscription 
fixée par décret en Conseil d'Etat (art. 9) ; conseil d'ad- 
ministration élu sous la direction de TEtat dans toutes 
les formes des élections de conseils publics (art. 10 et 
suiv.) ; contentieux spécial organisé pour ces élections 
(art. 43) ; contrôle étroit de la gestion administrative et 
financière (art^ 14, 15, 16) ; droit du Gouvernement de 
dissoudre le conseil d'administration (art. 17). II est 
superflu en présence de Tensemble de ces règles de 
parler de liberté corporative ; et si l'article 20 assimile 
dans une certaine mesure les sociétés de ce genre aux 
sociétés de secours mutuels, cela ne permet pas de les 
classer par cela seul dans le droit privé ; car ce sont des 
sociétés de secours mutuels obligatoires et soumises à 
un contrôle et à une ingérence de TEtat que les sociétés 
de secours mutuels ordinaires n'ont pas à supporter (1). 



(1) M. Hauriou (5e éd., p. 481, n. 3) invoque l'art. 20 pour 
démontrer que les caisses de ce genre ne sont point des établisse- 
ments publics. Il est bon de noter ici que la doctrine allemande 
n'hésite pas à classer dans le droit public les groupements analo- 
gues créés par la législation d*Empire pour réaliser les assurances 
ouvrières contre les maladies, les accidents, l'invalidité ou la vieil- 
lesse. V. Rosin, op. ciL, p. SS et suiv. Laband, Ùroit public, éd. 



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228 CHAPITRE II 

Au contraire, nous n'admettons pas la qualité de per- 
sonnes morales de droit public pour les caisses syndi- 
cales ou patronales de retraite que les exploitants de 
mines peuvent être autorisés à établir en vertu de l'arti- 
cle 4 de la même loi. Il n'y a plus là, en effet, qu'une 
institution purement volontaire et privée. Le contrôle 
auquel elle est soumise (emploi obligatoire des fonds, 
vérification de l'inspection des finances et du receveur 
particulier) n^est qu un contrôle extérieur qui ne change 
point le caractère de l'institution. 

91. IV. — Il faut classer comme établissements 
publics les comités d'habitation à bon marché de la loi 
du 30 novembre 1894. Ils constituent évidemment des 
fondations administratives, puisque l'Administration 
les institue d'office, par décret, partout oii elle le juge 
utile après avis du conseil général et du conseil supé- 
rieur des habitations à bon marché. Leur gestion reste 
d'ailleurs aussi purement officielle, puisqu'ils se compo- 
sent de membres nommés en partie par le préfet, en 
partie par le conseil général. M. Hauriou (1) a invoqué 
contre cette solution le texte de l'article 2 de la loi qui 
paraît les assimiler aux établissements d'utilité publique, 
et la dévolution de leurs biens, en cas de dissolution, à 
des sociétés d'habitations à bon marché, c'est-à-dire à 
des sociétés ayant un incontestable caractère privé 
(art. 2 in fine). Mais l'argument de texte est sans valeur, 
les mots établissements d^utilité publique ne se trouvant 
dans l'article 2 que sous la forme d'un renvoi à Tarti- 

Franç.,t. IV, §82 et suiv. Gierke, Deutsches Privatrecht, p. 623 
{§ 75-4). 

(1) Droit administr.y 4e éd., p. 507, n. 4. M, Hauriou n'a pas 
tuaintenu ce passage dans sa cinquième édition. 



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LÀ CLASSIFICATION DES PERSONNES MORALES 229 

cle 9i0, lequel, comme on le sait, applique une règle 
commune aux deux catégories d'établissements. Quant 
à la dévolution possible des biens à une société de gains, 
elle s'explique par celle idée que cette société poursuit 
à titre privé le même but que le comité dont il s'agit de 
distribuer les biens; elle est d'ailleurs faite non par le 
comité lui-même, mais par TEtat, et n'a pour objet que 
de conserver au patrimoine son affectation ; elle ne 
prouve donc rien contre le caraclère public de l'établis- 
sement (i), 

92. V. — Même solution pour les monts-de-piété, 
qui ont, en vertu de la loi du 24 juin 1851, le caractère 
de véritables fondations administratives. Ils sont en 
effet institués avec l'assentiment des conseils munici- 
►paux, par des décrets du Président de la République^ et 
la collaboration de l'initiative privée n'y est point néces- 
saire. Leur organisation est toute administrative, puis- 
que leurs conseils, présidés par le maire, sont composés 
de membres nommés par le préfet. Enfin ils sont sou- 
mis à toutes les règles de la comptabilité publique 
(décret du 31 mai 1862, art. 570), ce qui équivaut à 
leur assurer une gestion financière non soumise aux 
règles du droit privé. L'article 1 de la loi de 1831 qui 
leur donne la qualification d'établissements d'utilité 
publique n'est pas suffisant pour faire interpréter la 
pensée du législateur dans un sens contraire à notre opi- 
nion, car il appartient à une époque où la terminologie 
n'était pas fixée (2). 

(1) En notre sens, lissier, op. cit,, no i66. Avril, op. cit,, 
p. 317. 

(2) Comme le prouve le décret du 3 septembre 1851, art. 19, qui 
qualifie d'établissements d'utilité publique les chambres de com- 



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230 CHAPITRE n 

98. VI. — Les caisses des écoles sont encore des 
élablissemenls publics comme l'a fort bien décidé le 
Conseil d'Etat dans un avis du IT mai 1900 (1). Ce sont 
en effet des fondations administratives ; la caisse est 
créée par délibération du conseil municipal approuvée 
par le préfet; elle est gérée gratuitement par le per- 
cepteur, et, depuis la loi du 28 mars 1882 (art. 47), elle 

merce dont la qualité d'établissements publics (même à cette da^te) 
est incontestable. ' 

La Cour de cassation a traité les monts-de-piété comme établis- 
sements d'utilité publique au point de vue des autorisations de 
plaider (Cass., 18 décembre 1866, D., 67. 1. 122). Elle a déclaré 
plus tard, à propos d'une question fiscale, que le mont-de-piété de 
Paris était un établissement public, et que, par sa destination, il 
constituait en même temps il) un établissement d'utilité publique 
(3 avril 1878, D., 78. 1. 178). Le Conseil d'Etat paraît les considé- 
rer comme des établissements publics (section de l'Int. et des 
Finances, avis du 27 juin 1880. Revue générale d'administration, 
1893, t. II, p. 398) et il en est de même de la Cour des comptes 
(arrêt du 17 décembre 1902, Revue des établiss, de bienf,, 1904, 
p. 82). Les auteurs sont divisés : en notre sens Simonnet, Droit 
administr., n^ 1531. Avril, op. cit., p. 314. En sens contraire, 
Hauriou, 5" éd., p. 100. Tissier, op. cit., n" 202. M. Hauriou invo- 
que Torigine privée de leurs deniers, et M. Tissier le caractère privé 
de l'opération qu'ils ont mission d'accomplir (le prêt sur nantisse- 
ment). C'est encore là le critérium tiré du but, et nous avons 
montré combien il était fallacieux. 

Certains auteurs contestent la personnalité même du mont-de- 
piété de Paris et de quelques autres (v. Avril, op. cit., p. 310 et 
suiv,). 

(\) Revue générale d' administr . , 1901, I, 301. Trois arrêts au 
contentieux en date du 22 mai <903 (D., 1904, 3. 1. conclusion 
de M. Romieu) ont statué dans le même sens. Mais le Conseil d'Etat 
a, croyons-nous, tiré de la qualité d'établissement public des con- 
séquences exagérées quand il en a conclu que les souscripteurs 
n'avaient aucun droit à surveiller le fonctionnement de ces caisses. 
Nous reviendrons sur ce point dans notre second vo[ume. V. Hau- 
riou. S. 1905. 3. 33. 



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LA CLASSIFICATION DBS PERSONNES MORALES 231 

existe, à titre obligatoire, dans toutes les communes. 
Ces motifs suffisent. Le Conseil d'État les résume en 
disant que la caisse des écoles est un <^ organisme 
administratif ». Il insiste en outre sur ce fait que cet 
organisme est substitué à la commune, « dans Taccom- 
plissement d'une mission qui, par sa nature même, 
incombait à celle-ci », ce qui paraît revenir au criteriuïn 
tiré du but. Il est évident pourtant que le même but 
(récompenser les élèves assidus et secourir les élèves 
indigents) peut être poursuivi par une société privée, La 
commune n'en a point le monopole. Tout ce qu'on peut 
dire, c'est que l'utilité générale de ce but a paru au 
législateur de nature à justifier la création d'un orgeir 
nisme administratif propre à l'atteindre ; mais ce qui 
nous prouve la qualité d'établissement public, c'pst l'or- 
ganisation qui lui est donnée, et non le but en lui- 
même. 

94. VIL — Au contraire, les caisses d'épargne ont 
depuis longtemps été classées par la jurisprudence 
parmi les simples établissements d'utilité publique (4), 
et nous croyons qu'elle a raison. Leur création paraît 
cependant les rapprocher des fondations administrati- 
ves, car non seulement elles doivent être autorisées 
par décret, mais le décret ne peut être sollicité que par 
le conseil municipal, et, depuis 1893, il ne peut pas y 
avoir plusieurs caisses d'épargne dans une commune. Il 
n'en est gas moins vrai que, même en fait, c'est l'initia- 



(i) (Vest k propos des caisses d'épargne que la jurisprudence 
a établi la distinction (V. infrà, ch. IV, nos 139 et 140, et les arrêts 
qui j' sont cités, notamment Caen, 18 mai 1854. D. 54,2.264. 
Cass. 5 mars et 8 juillet 1856. D* 56. 1. 121 et 278). 



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:232 CHAPITIŒ II 

tive privée qui d'ordinaire donne le branle, ce sont les 
fondateurs qui rédigent les statuts, sans être astreints à 
à l'uniformité, et qui les proposent à Tapprobation ; en 
général les administrateurs ne sont pas nommés par 
l'autorité administrative et ne peuvent être révoqués 
par elle. Ce sont là des traits caractéristiques de l'entre- 
prise privée. Le contrôle étroit auquel est soumise la 
gestion financière ne suffit pas pour infirmer cette con- 
clusion. 

95. VIII. — La nature juridique des ordres d'avocats 
donne lieu aux plus grandes incertitudes (1). Un certain 
nombre d^auteurs sont disposés, en se plaçant au point 
de vue du droit strict et au moins pour quelques-uns 
d'entre eux, à nier leur personnalité juridique (2). Mais 
la jurisprudence, soit administrative, soit judiciaire, a 
admis pratiquement cette personnalité à bien des repri- 
ses diverses, sans distinguer entre les divers bar- 



(1) Les difficultés qui concernent leur classification à titre de 
personnes morales ont été examinées avec beaucoup de soin par 
M. Avril. La personnalité morale de V ordre des avocats (dans 
Annales de V Université de Grenoble, 1902, t. XIV, p. 347 et 617). 

(2) M. T\%siQv {Traité des dons et legs, no 203) n'accorde de per- 
sonnalité qu'à ceux qui, en vertu du décret du 3 octobre 1811, ont 
la faculté de percevoir un droit sur chaque prestation de serment : 
« On peut, dit-il, à la rigueur, se fonder sur la disposition dudit 
décret. . . pour soutenir que les ordres d'avocats auxquels elles sont 
applicables sont des personnes morales ». Mais il hésite à admettre 
que cette personnalité aille jusqu'à leur permettre de recevoir des 
libéralités, et il nie entièrement la personnalité de ceux à qui ce 
décret n'a pas été étendu. M. Avril {op. cit., p. 651) paraît con- 
clure que la personnalité de Tordre des avocats est l'œuvre d'une 
jurisprudence bienveillante bien plus que de la loi. Aubry et 
Rau niaient la personnalité dans leur 3e éd. (§ 54, n. 17) ; mais 

^ils l'admettent dans la 4e (§ 54, n. 14), 



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LÀ- CLASSIFICATION DES PËKSONXBS MORALES 233 

reaux (1), et la plupart des auteurs font de même (2). 
Nous serions disposé à l'admettre en disant qu'elle 
résulte implicitement de l'organisation corporative don- 
née aux ordres, et de Tinterprétation donnée, dès le 
début, par les pouvoirs publics, aux textes qui établis- 
sent cette organisation (3). Mais, ce point acquis, la 
classification de la personne morale ainsi reconnue 
reste difficile. Les uns y voient un établissement 
public, les autres un établissement d'utilité publique, 
d'autres enfin une personne morale n'appartenant à 
aucune des catégories précédentes (4). Nous croyons 
qu'il faut y voir une personne morale de droit public 
(ou si Ton veut adopter la terminologie la plus usuelle, 



(1) Les ordres d'avocats ont été très souvent autorisés à recevoir 
des dons et legs (v. les nombreux exemples cités par M. Avril, op, 
cit., p. 632), et ces autorisations se sont parfois appliquées à des 
barreaux auxquels ne s'appliquait pas le décret du 3 octobre 1811 
(v. le projet de décret du 28 décembre 1893, en faveur de l'ordre 
des avocats de Tours, cité par Tissier, op, etloc. cit.). D'autre 
part, diverses décisions judiciaires ont admis les ordres d'avocats 
à ester en justice par leurs bâtonniers (Ghambéry, 20 juillet 1872, 
S. 74. 2. 89. Trib. de Bourges, 15 décembre 1887. Pandectes fran- 
çaises, 88. 2. 175). 

(2) V. les nombreux auteurs cités par M. Avril, op, cit. y p. 623, 
n. 3. 

(3) Nous reviendrons sur ces idées à propos de la création des 
personnes morales. 

(4) Etablissement public : Béquet, vo avocat, p. 30. 
Etablissement d'utilité publique : Cresson, Profession d'avocat, 

t. II, p. 221. Avril, op. cit., p. 648. 

Personne morale .^ui generis : Beudant, Revue pratique, 1881, 
t. II, p. 4030. On peut rattacher à cette dernière opinion Bouchené- 
Lefer, Principes et notions élémentaires du droit public et admi- 
nistr., p 27 et 28. M. Tissier déclare (op. et loc. cit.) que s'il en 
reconnaissait la personnalité morale, il classerait les ordres d'avo- 
cats parmi les établissements d'utilité publique. 



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234 CHAPITRE II 

un établissement public lato sensu). Il est inexact en 
effet (Je considérer les ordres d'avocats, ainsi que le 
font les partisans du caractère privé, comme chargés 
uniquement de gérer les intérêts particuliers de leurs 
membres. Cela serait vrai s'ils n'avaient que des attri- 
butions d'ordre patrimonial; mais précisément ces attri- 
butions, loin d'être les seules, sont de beaucoup les 
moins importantes, et nous avons vu qu'on en conteste 
même l'existence. Un ordre d'avocats est avant tout une 
corporation associée à un service public, celui de la jus- 
tice. Il a son origine dans des actes d'Etat. Il a sur ses 
membres une jucidiction disciplinaire qui appartient 
incontestablement au domaine du droit public. Il a 
d'ailleurs un monopole, c'est-à-dire un droit de puis- 
sance publique. La corporation qui a ces droits est bien 
la même que celle qui peut percevoir des cotisations ou 
accepter des dons et legs ; et l'habitude prise de n'envi- 
sager les personnes morales que par leur côté patrimo- 
nial peut seule expliquer que beaucoup d'auteurs aient 
cédé au désir de les considérer comme des personnes de 
droit privé. Ce désir, qui a exercé sur la question une 
grande influence, provenait de la crainte que Ja classifi- 
cation parmi les personnes morales publiques n'entraînât 
quelque danger pour l'indépendance de la profession 
d'avocat. Mais on peut admettre que l'ordre est une 
personne morale publique sans lui appliquer pour cela 
l'ensemble des règles restrictives qui s'appliquent aux 
établissements publics stricto sensu. A la différence de 
ces derniers^ en effet, il n'est pas une personne morale 
♦publique englobée dans les services administratifs \ il 
est placée par la loi de son institution, sous le contrôle, 
non de l'autorité administrative, mais de l'autorité judi- 



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LA CLASSIFICATION DES PERSONNES MORALES 235 

ciaire. Cela suffit à écarter les dispositions qui imposent 
aux établissements publics ordinaires une autorisation 
administrative à obtenir (par exemple pour ester en jus- 
tice) (1) ou un contrôle financier provenant de TAdmi- 
nistration. Il ne sera soumis qu'aux contrôles légaux 
qui résulteront des lois spéciales qui lui sont applica- 
bles. 

Nous admettons une classification analogue pour les 
diverses corporations d'officiers ministériels : chambres 
d'avoués, de notaires, etc. (2). 



m 



96. Après avoir éludié les deux distinctions les plus 
célèbres, nous sommes arrivés à ce résultat que la clas- 
sification la plus importante à retenir était la classifica- 
tion en personnes morales de droit public et personnes 
morales de droit privé, el nous avons essayé de préciser 
le critérium de cette classification. Il nous reste main- 
tenant à indiquer quelles seront dans chacune des deux 
branches les distinctions qui présentent une importance 
réelle. 

I. — Parmi les personnes morales de droit public, la 
classification nous paraît devoir être établie comme il 
suit : Etat, communautés territoriales (départements, 

(1) Il faut toutefois appliquer l'article 910, qui s'étend à toutes 
les personnes morales publiques (en outre aux établissements 
d'utilité publique), parce que son but principal (celui d'empêcher 
l'accroissement de la mainmorte) est d'un caractère beaucoup plus . 
général que le but des art. 1032, Proc, ou 2045, Cod. civ. 

(2) V. pour les Chambres d'avoués, Pand. franc, Rép,, yo 
Avoués, no 1494. 



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^^ iNT'. 



236 CHAPITRE II 

communes, provinces, etc.), établissements publics. — 
Que TEtat doive occuper dans cette classification une 
place à part, c'est ee qu'il n'y a pas lieu d'établir longue- 
ment. Mais il est plus difficile d'établir le critérium qui 
permet de le distinguer des autres communautés terri- 
toriales. L'Etat n'est, en effet, que la plus haute de ces 
communautés. Celles-ci se distinguent de toutes Jes 
autres personnes morales en deux points : 1° Elles ont 
un double substratum, Pun personnel, l'autre réel. Elles 
se composent d'une population fixée sur un territoire 
déterminé, et ces deux éléments leur sont aussi essen- 
tiels l'un que l'autre ; 2^ Elles ont pour mission de gérer 
Vensemble des intérêts collectifs de la population fixée 
sur ce territoire, et leur mission à ce point de vue n'est 
limitée que par les droits des communautés territoriales 
supérieures dont elles peuvent elles-mêmes faire partie, 
et les droits des communautés territoriales inférieures 
ou autres personnes morales de droit publie, qui sont 
reconnues sur leur territoire en verlu de l'ordre juridi- 
que existant. Ces diverses communautés territoriales se 
sont pour la plupart formées historiquement d'une ma- 
nière toute spontanée, et ce n'est que peu à peu que 
TEtat s'est nettement distingué des autres commu- 
nautés de même espèce. Aujourd'hui encore la dis- 
tinction ne va pas sans difficulté. 

97. Beaucoup d'auteurs trouvent le critérium dans 
ridée de souveraineté, en entendant le mot souverai- 
neté dans son sens traditionnel, comme exprimant le 
fait de n'être soumis à aucune puissance humaine supé- 
rieure (l). Cette théorie, qui diminue singulièrement 

(1) C'est l'idée classique qui remonte à Bodia et qui a été accep- 



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LA CLASSIFICATION DES PERSONNES MORALES 237 

le nombre des commanaulés territoriales auxquelles la 
qualité d'Etat doit être reconnue, est celle de FEtat uni- 
taire^ jaloux de sa toute-puissance, n'admettant dans son 
sein l'existence d'aucune communauté politique a)'ant des 
droits de puissance publique indépendants des siens. 
Au point do vue du droit interne, en effet, nous verrons 
que les communautés territoriales auxquelles la qualité 
d'Etat n'est pas reconnue, ne peuvent se prévaloir, vis- 
à-vis de l'Etat auquel elles appartiennent, d'aucun droit 
intangible dans le domaine du droit public (i). C'est 
l'Elat qui règle à son gré la part de puissance publique 
dont il leur abandonne l'exercice. La doctrine en ques- 
tion est donc une doctrine d'absolutisme, et comme nous 
avons cherché à le montrer ailleurs (2), elle a son ori- 
gine dans une situation politique déterminée, celle de 
la tendance centralisatrice qui a caractérisé presque tous 

tée, au moins en ce qui concerne la définition de la souveraineté 
par la plupart des auteurs des xvii" et xviii* siècles. P. ex. Loyseau, 
Traité des seigneuries t ch. II, n^ 4 et s. — V. pour son histoire: 
Michoud et Lapradelle,. La question finlandaise dans Revue du 
droit public, t. XV, 1901, p. 38 et s. ; Rehm, Allgemeine Staat- 
slehi^e, % 10 et s. Polier et de Marans, Esquisse d'une théorie des 
Etats composés (Bulletin de V Univei^sité de Toulouse^ 1902, p. 15 
et s.). — Parmi les auteurs modernes, le critérium de la souve- 
raineté, entendue au sens indiqué ici, est souvent admis : Pra- 
dier-Fodéré, Droit intern., §1, 87. Piédelièvre, Droit intern,, 
p. 66-67. Despagnet, Droit international public, 3e éd., nos 79 
et s. Bornhak. Allgem. Staatslehre, p. 10, Zorn, Das Staat- 
srechtdès deutschen Reiches., §4. Gierke, Zeitschrift fiir die 
gesammte Staat swissenschaft, 1874, t. XXX, p. 304. Seydel, 
même revue, 1873, t. XVÏII, p. 188-189. Hœnel, Staatsrecht, 
p. 113. 

(1) V. infrà, n« 118. 

(2) Dans notre article précité, publié en collaboration avec M. de 
Lapradelle sur la Question finlandaise, p. 41-42. 



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238 CHAPITRE II 

les grands Etats modernes au moment où ils ont 
achevé de s'unifier. « L'influence qu'elle peut avoir 
sur la marche de l'humanité, avons-nous dit, ne peut 
conduire qu'à sacrifier^ les petits aux grands et les 
faibles aux forts. Elle aboutit à ce résultat que, dès 
dès qu'un pays aura été obligé par suite de sa faiblesse 
relativBj à se soumettre d'une manière permanente sur 
certains points déterminés, à un voisin puissant, il devra 
être considéré en droit comme entièrement asservi ; 
qu'il ne pourra conserver aucune parcelle de son indé- 
pendance s'il ne la conserve pas tout entière On 

arriverait ainsi peu à peu, si on n'y prenait garde, à 
rayer de la liste des Etats toutes les puissances de 
second ordre : car, depuis les pays protégés jusqu'aux 
pays neutralisés ou à ceux qui se sont vus imposer une 
servitude internationale, il en est peu à qui on puisse 
reconnaître la souveraineté absolue et entière, qufî la 
théorie exige ». Cette théorie a d'ailleurs une extrême 
difficulté à expliquer la théorie de l'Etat fédéral (1), car 
elle aboutit à dénier la qualité d'Etat soit à l'Etat com- 
posé, soit aux Etats composants, et aucune de ces deux 
solutions ne concorde avec le sentiment; juridique géné- 
ral, ni avec l'usage dé la langue. 

Nous approuvons donc entièreihent les tentatives qui 
ont été faites pour chercher le critérium juridique qui 
distingue l'Etat des autres communautés territoriales 
ailleurs que dans la notion de souveraineté. Sans passer 
en revue ici les diverses opinions émises à ce sujet (2), 
nous ferons remarquer seulement que toutes partent 



(1) V. dans l'article précité les explications données p. 44-45. 

(2) V. encore l'article précité, p. 45 et s. 



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LA CLASSIFICATION DES PERSONNES MORALES 5Bdy 

nécessairement de l'idée que l'Etat est caractérisé, non 
par la souveraineté-indépendance, qualité toute négative - 
et par là même indivisible, mais par un ensemble de 
ptêTogdiiiy e& posiiives^ dont l'indépendance n'est que la 
manifestation et la garantie extérieure. L'Etal exerce 
des droits de puissance publique qui ont pour objet de 
lui permettre de veiller aux intérêts collectifs et perma- 
nents de la population établie sur son territoire. S'il 
exerce tous cefe droits librement^ il est un Etat souve- 
rain. Mais alors même qu'il est limité, à l'égard de 
quelques-uns d'entre eux par une puissance étrangère 
ou supérieure, il n'en résulte pas qu'il perde la qualité 
d'Etat. Il ne la perd, pour être ramené au rang de pro- 
vince, département, ou autre communauté territoriale, 
que lorsque les droits de puissance publique exercés 
par lui peuvent être considérés comme délégués par la 
puissance étrangère ou supérieure dont il dépend ; et 
cela se reconnaîtra à ce signe que cette puissance a un 
droit reconnu à les modifier ou à les restreindre. Le 
pouvoir de cette dernière est dans ce csls juridiquement 
illimité, et les communautés soumises à ce pouvoir ne 
peuvent plus prétendre au titre d'Etats. Le critérium 
de la distinction est donc à nos yeux le suivant : le 
•pouvoir qui domine l'Etat non souverain est juridique- 
ment limité, il ne peut détruire entièrement les^droits 
de puissance publique qui appartiennent à cet Etat que 
par la force brutale. Au Contraire le pouvoir qui domine 
la commune ou la province peut, sans violer le droit, 
diminuer ou même supprimer les droits de puissance 
qui appartiennent à ces personnes (1). Elles sont en 

(1) Gpr. pour ces idées que nous ne voulons pas ici développer 
ni discuter l'article précité, p. 47 et s. Le critérium que noUs adop- 



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240 CHAPITRE II 

effet, dans Texercice de ces droits de puissance les délé- 
guées de TEtat ; et si la législation positive peut garantir 
par des moyens juridiques les droits de puissance publi- 
que dont elle leur allribue Texercice, elle ne se lie 
cependant pas vis-i-vis d'elles, et TEtat peut leur 
reprendre la compétence qu'il leur avait accordée. Ce 
sera du reste uniquement par Texamen particulier des 
faits que l'on pourra ranger telle ou telle communauté 
territoriale dans un groupe plutôt que dans un autre; 
et il ne rentre pas dans notre plan d'étudier l'application 
de ces idées (1). 

98. IL — En dehors des Etats, se divisant en sou- 
verains, et non souverains^ les personnes morales de 
droit public comprennent les communautés territoriales 
et les établissements publics. Les premières (communes^ 
départements, provinces, etc.), se caractérisent par ce 
fait qu'elles comprennent comme l'Etat lui-même, toute 
la population groupée sur un territoire déterminé, et 

tons est celui qui a été indiqué par Georg. UeyeVyDeutsches Staats- 
rechtf § 1, note il, 5« éd. C'est aussi au fond celui de M. Duguit 
quand il dit : t Ily a fédéralisme lorsqu'il y a obligation juridique 
pour les gouvernants de respecter la décentralisation ». (L'État, 
les gouvernants et les agents, p. 758). 

(1) y. notamment pour l'application Texposé de JcUinek dans 
Allg. Staatslehre, p. 585 à 605. L'idée d'un type intermédiaire 
entre TEtat et la communauté territoriale décentralisée, type 
auquel Jellinek donne le nom de Land ou Staats fragment, et 
dans lequel on trouve seulement certains éléments de TElat, mais 
non tous, nous parait compliquer inutilement la classification. Sans 
doute, là comme partout les types extrêmes de chacun des deux 
groupes se touchent ; certains Etats sont bien près de n'être que 
des provinces (telles par exemple là Finlande que nous croyons être 
un Etat), certaines provinces bien près d'être des Etats (tels les 
Lander autrichiens). Mais il appartient au droit de tirer des lignes 
de démarcation à travers les phénomènes complexes de la vie. 



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LA CLASSIFICATION DBS PERSONNES MOIULES 24t 

représentent les intérêts collectifs de toute celle popu- 
lation. Il en résulte tout d'abord que la qualité de mem- 
bre de ces collectivilés dépend, comme pour TElat, de 
la résidence sur un cerlain lerriloire. Il en résulte en- 
suite que, dans l'intérêt de la collectivité ainsi repré- 
sentée, ces communautés ont des droits de puissance 
publique même sur des individus étrangers, lorsqu'ils se 
trouvent temporairement sur leur territoire. Le territoire 
est ainsi tout à la fois une limite à leur action et un 
caractère qui sert à déterminer la qualité de membre de 
ces communautés. Par là ces personnes morales soot 
semblables à l'Etat. Elles se rapprochent encore de lui 
par la généralité de leur mission; elles sont chargées, 
en effet, de représenter Vensemble des intérêts collectifs 
de la population établie sur le lerriloire, en tant que ces 
intérêts collectifs ne sont pas déjà représentés par une 
collectivité plus haute. Les développements sur ce point 
seront donnés plus loin (1). 

Au contraire les établissements publics^ qui forment 
dans notre droit une catégorie bien déterminée, ne sont 
pas nécessairement liés à un territoire et ne sont chargés 
que de fonctions de droit public d'ordre spécial : assis- 
tance, enseignement, etc. L'établissement. public se pré- 
sente d'ordinaire sous la forme d'une fondation prove- 
nant de l'Etat, du déparlement ou de la commune. Mais 
il pçut aussi prendre la forme d'une association, comme 
c'est le cas pour les associations syndicales autorisées. 
Il n'y a pas là, comme nous l'avons vu, de différence 
essentielle, la distinction en corporation et fondation 
n'ayant de véritable valeur qu'en droit privé* 

(1) Aa tome II de cet ouvrage dans le chapitre relatif aux droits 
des personnes morales. 

MICHOUD 16 



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342 GHAPITtlE 11 



IV 



99. Parmi les personnes nfioralea de droit privé, la 
distinclion fondamentale est précisément cette distinc- 
tion des associations et de^ fondât ions y que nous avons 
mise en lumière plus haut, et sur laquelle il n'y a pas 
lieu de revanir ici. 

Mais à Tintérieur même de Tun de ces deux groupes, 
celui des associations, il y a une classification à établir. 
.1. Il faut en effet distinguer nettement les associa- 
tions ayant un hut intéressé, et les associations ayant 
un but désintéressé. Il faut les distinguer d*abord parce 
que même dans les relations entre les associés^ elles ne 
peuvent être soumises à un régime identique, et que néces- 
sairement Torganisalion des premières comportera pour 
les associés des droits sur le patrimoine social qui seront 
inconnus dans les associations à but idéal, ou qui n'y 
apparaîtront que subsidiairemenl quand la poursuite, du 
but idéal sera devenue impossible. Il faut les distinguer 
aussi parce que la politiqiie de UElat vis-à-vis des pre-. 
mîères ne doit pas être la même que vis-à-vis des secon- 
des, et en fait n'a jamais été la même. Vis-à-vis des asso- 
ciations à but de gain TEtat n'a jamais eu de méfiance ; 
il ne craint pas qu'elles accumulent outre mesure leurs 
richesses, car ces richesses sont destinées, non à se per- 
pétuer comme biens de mainmorte, mais à se fondre 
périodiquement ou incessamment dans les patrimoines 
privés! Les seules précautions à prendre contre elles 
sont celles qui sont exigés par l'intérêt des associés eux- 
mêmes ou par l'intérêt des tiers, — exposés Tun et 
l'autre à être compromis par la trop grande habileté des 



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LA CLASSIFICATION PE8 PBflSONNËS MORALES %\% 

lanceurs d'affaires. — C'est par là que s'expliquent toutes 
les mesures prises en fait dans les diverses légis- 
ialions pour le règlement des sociétés de gain : me- 
sures dé publicité, dispositions sur l'obligation des 
associés aux dettes, sur le fractionnement du patri- 
moine social^ etc., parfois autorisation de l'Etat, Pour 
' les associations à tendance idéale, au contraire, il y ft 
quelque chose de plus : TEtat a toujours cru nécessaire 
de les soumettre à une certaine surveillance par prainte 
de Taccumulation des biens de mainmorte, et de la trop 
grande influence qu'elles pourraient acquérir sur l'esprit 
public. Notre législation, comme on Je sait, a beaucoup 
exagéré ces méfiances, mais elles se retrouvent dans la 
plupart des législations étrangères. Presque partout, 1^ 
distinction fondamentale que nous trouvons, parmi les 
corporations, est celle qui consiste à mettre à part les 
corporations à but idéal ou corporations désintérés^ 
sées (J). 

100. Notre loi n'a cependant pas tout à fait procédé 
de cette manière, Notre distinction classique est celle 
dps sociétés et des associations ; cette distinction corres- 

(1) G*est notamment le système du Gode civil allemand et du 
Code suisse projeté. Le premier réglemente séparément, art. 21 
et s., l'association qui n'a pas pour but une entreprise de carao- 
tére économique, c'est-à-dire, suivant Topinion qui paraît devoir 
l'emporter, l'association qui n'a pqs pour but de procurer à ses 
membres des avantages d'ordre pécuniaire ou économique, ou, en 
d'autres termes, les associations ayant un but désintéressé (V. Sa- 
leilles, Les personnes jurid. dans le G, civil allemand sur 
l'art. 21, in fine). Quant au projet de Gode civil suisse, ce qu'il 
réglemente séparément, art. 70 et s., ce sont les < sociétés poli- 
tiques, religieuses, scientifiques, artistiques, de bienfaisance, de 
récréations ou autres semblables, qui ne poursuivent ni directe- 
ment ni indirectement un but économique. » 



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â44 CHAPITRE II 

pond bien à peu près à celle que nous venons d^indi 
quer, mais à peu près seulement ; el elle présente eu 
outre des incertitudes sur lesquelles quelques mots sont 
nécessaires. 

Dans Tassocialion comme dans la société, deux ou 
plusieurs personnes se réunissent pour mettre quelque 
chose en commun ; dans Tune et l'autre aussi, le grou- 
pement a un objet autre que cette mise en commun; elle 
a un bift actif y ce. qui les distingue de la simple commu- 
nauté ou indivision (1). D'après J'article 4832 du Code 
civil, le trait caractéristique de la société se trouve dans 
le fait qu'elle a pour but un partage de bénéfices ; et 
Topinion générale (2) entend ces mots dans le sens de^ 
distribution de dividendes ou bénéfices pécuniaii^es. On 
ne<;onsidère donc pas comme sociétés les groupements 
qui ont un but d'intérêt patrimonial^ sans qu'il y ait 
cependant à prévoir entre leurs membres une distribution 
de bénéfices pécuniaires ; et on exclut en conséquence 
du régime des sociétés : les associations, faites entre 
plusieurs personnes en vue d'effectuer certains travaux 
d'entretien ou d'amélioration de leurs immeubles à frais 
communs (p. ex. l'association formée en vue d'élever un 
mur mitoyen, pu les associations libres de propriétaires 
en vue de l'irrigation ou du drainage) ; les associations 
formées en vue de défendre des intérêts communs me- 
nacés (p. ex. le contrat formé entre porteurs d'obliga- 
tions d'une même société pour défendre leurs intérêts, 
ou, dans un autre ordre d'idées, le syndicat profession- 

(1) Baudry-Lacantinerie etWahl, Traité de droit civil. Sociétét 
prêt, dépôt, n^ 9. 

(2) Opinion combattue cependant par quelques auteurs, notam- 
ment par M. Planiol, Tî^aité de droit civil, t. II, n® 1990 (Ir^ éd.). 



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LA CLASSIFICATION DES PERSONNES MORALES 245 

nel et le trust formé entre producteurs dans le but d'em- 
pêcher ravilissemenl des prix); les associations formées 
dans un but de prévoyance pour leurs membres (p. ex. 
les sociétés de secours mutuels, les sociétés d'assurance 
mutuelle); les associations dans lesquelles la mise en 
commun a*simplement pour objet la dévolution aux 
survivants de la part des prémourants (les tonti- 
nes), etc. (i). 

Il semble résulter de celte définition étroite de la 
société (civile ou commerciale) que tous les groupe- 
ments qui viennent d'êtrç énumérés rentrent, malgré le 
but intéressé qu'ils poursuivent, dans la catégorie asso- 
dations, et qu'en conséquence, ils tombaient tous, avant 
la loi de 1901, sous le coup de l'article 291 du Code 
pénal, qui établissait une pénalité contre toute associa- 
tion de plus de vingt personnes, non autorisée par le 
Gouvernement, dont le but serait de se réunir tous les 
jours ou à certains jours marqués pour s'occuper d'objets 
religieux, politiques, littéraires^ on autres. Il n'y aurait 
eu d'exception à faire que pour celles qui exceptionnel- 
le/nent avaient été prévues et régularisées par des lois 
spéciales : associations syndicales de propriétaires, 
sociétés de secours mutuels, sociétés en vue de rensei- 
gnement supérieur, syndicats professionnels (2) : ou 
encore pour les associations n'ayant pas pour but de 
se réunir à certains jours, et par là échappant aux ter- 
mes de l'art. 291. 

(1) V. LyonCaen et Renault, Traité de droit comm., t. II, n® 34 
et s. 

(2) Les assurances mutuelles et les tontines étaient également 
prévues par une loi spéciale, mais cette loi les laissait soumises à 
l'autorisation du gouvernement (loi du 27 juillet 1867, art. 66). 



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. 246 CHAPITRE If 

Il ne semble pas cependant qu'avant 1901 la juris- 
prudence ait jamais appliqué sérieusement ce principe. 
Notamment, elle avait considéré comme valables, dès 
avant la loi du 21 juin 1865, et sans les qualifier pour 
cela de sociétés, les associations syndicale^ libres de 
propriétaires (1); elle avait pris la même situation vis- 
à-vis des associations d'obligataires pour la défense de 
leurs intérêts communs (2) ; vis-à-vis des caisses de 
secours établies entre ouvriers d'une même entreprise 
industrielle (3) ; vis-à-vis des associations ayant pour 
objet de faire des travaux pour protéger les proprié- 
tés (4) ; et de quelques autres associations analogues. 
Elle n'a pourtant pas appliqué cette jurisprudence bien- 
veillante aux syndicats professionnels antérieurs à la loi 
de 1888 ; elle les a considérés comme tombant sous le 
coup de l'article 291 du Code pénal (o) ; et, si elle a sous- 

(i) V. Gass. 6 juillet 1864. D., 64. i. 424. Aucoc, Conférences, 
t. Il, n«872. L'exposé des motifs de la loi de 1865 (D., 65. 4. 77) 
les qualifie de sociétés civiles^ Mais la plupart au moins des arrêts, 
qui les concernent (nous ne pouvons affirmer qu'il n'y a à cela 
nulle exception) ne leur donnent pas ce titre. V. l'arrêt du 6 juillet 
1864 ci-dessus cité, et larrôt du 26 mai 1841. S., 41. 1. 483. Les 
auteurs les ont souvent considérés comme sociétés civiles (Dall.- 
Rép.fY^ Travaux publics, n^ 1026 et s. Ghristophle et Auger, 
T7\ publics, no 210) . 

(2) Gass. 26 mars 1878. D., 78. 1. 303 ; 3 décembre 1889, D.,90 
1. 105. Ges derniers arrêts expriment que le contrat fait entre les 
obligataires est valable « sans avoir à rechercher si cette associa- 
tion présente tous les caractères d'une société civile proprement 
dite ». 

(3) Gass. 18 juin 1872. D., 72. 1. 172. 

(4) Gass. 27 juillet 1880. D., 81. 1. 165. Sans doute dans quel- 
ques-uns des cas cités ci-dessus, la validité peut s'expliquer par le 
fait qu'il s'agit d'associations où on ne se réunit pas, mais non 
dans tous. 

(5) Gour de Lyon, 28 mai 1874. D. 75. 2. 65 (Cercle des ouvriers 



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LA CLASSIFICATION DBS PERSONNES MORALES 247 

trait aux rigueurs de cet article les sociétés de secours 
mutuels libres, c'est en s'appuyant sur une loi spéciale, 
celle du 15 juillet 1850 (1). D'autre part, elle a hésité 
sur la nature des sociétés d^assurances niutuelles) et 
tantôt leur a appliqué, tantôt leur a refusé le titre de 
sociétés (â). Il y avait donc en somme dans ses iendan-* 
ces une certaine incertitude. Quant à la doctrine, elle 
admettait généralement que les associations do ce 
genre ne présentaient pas le caractère de sociétés ; mais 
d'autre part, elle ne les considérait pas comme tomban t 
sous le coup de l'article 291.(3). 

L'intérêt pratique de la question est moindre assuré* 
ment depuis que la loi de 1901 a supprimé ce dernier 
texte. Il est cependant très important encore, notam- 
ment au point de Vue de la question de personnalité 
morale, de savoir si les groupements, dont nous par- 
lons sont, au cas oh aucune loi spéciale ne les régit, 
soumis aux règles de la société civile, ou aux règles de 
l'association de la loi de 1901, ou «'ils ne rentrent dans 
aucune de ces deux catégories. L'article 1 de la loi nou- 
velle définit l'association : m La convention par laquelle 



sur métaux). On sait d'ailleurs qu'en fait, bien longtemps avant 
la loi de 1884, l'Administration faisait bénéftcier les syndicats 
professionnels d'une large tolérance de fait. V. Pic, LégUL in- 
dust., 2e édit., n»» 344 et s. 

(1) Cour de Paris, 7 décembre 1882. D., 83. 2. 55. 

(2) Dans le premier sens, Gass. 28 février 1886. D., 87. 1. 311. 
Dans le second, Paris 25 mars 1873. D., 75. 2. 17. Pour les socié- 
tés de chasse, la jurisprudence les considérait comme des sociétés 
civiles. Gass. 18 novembre 1865. D., 66. 1. 455. 

(3) V. Lyon-Gaenet Renault, t. Il, n» 34. Tlialler, jre éd., nM53. 
Baudry-Lacantinerie et Wahl, n<*558. Garraud, Droit pénal, t. IV, 
no 1511. 



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248 CHAPlTItE II 

deux ou plusieurs personnes mettent en commun d'une 
façon permanente leurs connaissances ou leur activité 
dans un but autre que de partager des bénéfices ». En 
rapprochant cette définition de Tarticle 1832, il semble 
bien, au moins à première vue, qu^elle en est exacte- 
ment la contre- partie, et que tous les groupements vo- 
lontaires doivent désormais se diviser, uniquement 
d'après leur buty en sociétés, ayant pour but un partage 
de bénéfices, et associations^ ayant un but autre que le 
partage de bénéfices. La loi nouvelle aurait donc im- 
plicitement tranché les doutes anciens en classant parmi 
les associations au moins la plupart des groupements 
énumérés ci-dessus, et elle pouvait le faire d'autant plus 
aisément que, faisant aux associations un régime relati- 
vement libéral, sa classification n^avait plus pour les 
groupements de cette sorte, les inconvénients qu'elle 
aurait entraîmés sous l'empire de l'article 291. Cette 
classification laisserait du reste la porte ouverte à des 
divergences sur le sens qu'il faut donner au mot partagée 
de bénéfices^ et permettrait encore de soutenir^ avec 
M. Planiol, que ce mol n'a pas le sens étroit qu'on 
hii donne d'habitude, et qu'en conséquence quelques- 
.uus des groupements dont il s'agit sont de véritables 
sociétés. Mais du moins on aurait supprimé ce groupe 
hybride, pour lequel aucune règle ne serait formulée, 
cl dont la situation ne peut en somme se régler qu'en 
puisant ou dans les textes sur les associations, ou dans 
les textes sur les sociétés ; il est plusfranc et plus simple 
dV puiser directement que de commencer par déclarer 
que ces textes sont inapplicables, pour arriver ensuite à 
les appliquer par analogie. 

Telle n'est pas cependant Pinterprétation qui a été 



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tA CLASSIFICATION DES PERSONNES MORALES 249 

admise par les premiers commentateurs de la loi de 
1901 (1). Ils insistent sur celte circonstance qu'entre 
l'article 1832 et Tarticle 1 de la loi de 1901, il y a une 
autre différence que celle du but; dans l'article 1832, on 
met quelque chose en commun, et ce quelque chose dési- 
gne nécessairement des biens (2) ; dans la loi de 1901, 
les associés mettent en commun non des biens, mais 
uniquement leurs connaissances et leur activité^ et le texte 
a été accentué en ce sens par le rejet de Tamendement 
Lemire (31 janvier 1901), lequel demandait qu'on ajoutât 
à ces deux mots les mots « ou leurs ressources » Pour qu'un 
contrat rentre dans les prévisions de la loi de 1901, il 
faut donc que la mise en commun porte uniquement sur 
les connaissances et l'activité, non sur les biens ; les 
groupements comportant mise en commun des biens 
constituent, ou des sociétés, ou s'ils ne peuvent ren- 
trer dans le cadre sociétés, des contrats innommés. Oh 
est bien cependant obligé d'ajouter que les associations 
peuvent, elles aussi, comporter la misé en commun de 
certains biens, puisque l'article 6 permet expressément 
aux associations déclarées de posséder et d'administrer 
certaines ressources; mais ce droit de posséder n'est 
accordé aux associations que d'une façon limitée et 
exceptionnelle ; i! n'est jamais chez elles que l'acces- 
soire ; sinon il n'y a plus association. 

(l)'Trouillot et Chapsal, p. 3Ç-39. — Pandectes françaises, v. 
Association (Append. du mot Société), no 72 et s. 

(2) V, Trouillot et Cliapsal, p. 36 : « Pour la formation de ce der- 
nier contrat chaque partie doit nécessairennent fournir un apport, 
qui est fait aux dépens du patrimoine de Tassocié, et passe de ce 
patrimoine dans celui de la société. » — Déjà par ce côté, l'oppo- 
sition établie entre les deux termes boîte, car la loi admet l'apport 
en industrie, 



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250 GHAPirnE ii 

101. Le système nous parait peu admissible pour plu- 
sieurs motifs : V II laisse subsister entre Vassociation et 
\si société un terrain vague dont la condition juridique 
devient fort incertaine. La doctrine presque tout entière 
avait avant 1901, combattu la théorie de M. de Vareil-^ 
les-Sommières qui avait admis la validité du contrat 
d'association, bien qu^l ne fût pas prévu par nos lois, et 
déclaré qu'on devait y voir un contrat innomme, régi 
par les règles du contrat nommé le plus voisin, la 
société. On avait répondu que les lois, en, réglementan t 
la société seule, avaient implicitement condamné Tasso- 
ciation à n'être pas un contrat valable, et que celle-ci ne 
pouvait plus être autre chose, quant aux bien^, qu'une 
convention d'indivision, soumise à la règle de l'arti- 
cle 815 du Code civil. Il en résulterait qu'aujourd'hui les 
groupements ne rentrant ni dans le cadre sociétés^ ni 
dans le cadre associations^ devraient encore être consi- 
dérés comme n'étant que de simples conventions d'indi- 
vision ; et cela né répond nullement aux besoins de la 
pratique ; 2° Le criétrium qui distinguerait des associa- 
tions ces groupements amphibies manquerait de netteté. 
Les uns et les autres peuvent comporter la mise en com- 
mun de certains biens; dans quel cas faudrait-il considé- 
rer cette mise en commun comme chose accessoire ? Ce 
serait une question bien délicate à résoudre, et on arri- 
verait par Jà h des résultats contraires aux idées géné- 
ralement reçues : les sociétés de secours mutuels par 
exemple, que l'opinion commune range dans la catégo- 
rie associations, ne seraient-elles pas par là rejetées dans 
le terrain vague ? Leur objet principal esl bien de 
mettre en commun certains biens pour parer à certains 
événement futurs ; 3^ On peut même dire plus : la mise 



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LA CLASSIFICATION DES PERSONNES MORALES 251 

en commun des biens nécessaires au but de Tassocia- 
tion n'est jamais une parlie accessoire du contrat; le 
contrat ne se comprendrait pas sans elle, puisqu'on ne 
peut concevoir la poursuite en commun d'un but sans la 
mise en commun des moyens matériels nécessaires. Seu- 
lement ces moyens pourront se réduire à peu de chose 
ou devront être considérables suivant le but qu'on pour- 
suit; ils devront lui être proportionnés. C'est donc dans 
le but seulement que Ton peut trouver la base d'un 
critérium rationnel ; et c'est seulement en fait que les 
sociétés auront d'ordinaire des biens plus considérables 
que les associations^ uniquement parce que leur but en 
exige davantage; 4® Le rejet de l'amendement Lemire 
ne peut fournir un argument sérieux : car il n'a pas 
eu pour cause une opinion quelconque sur cette ques- 
tion de classification : le rapporteur l'a combattu en 
remarquant seulement qu'il était inutile si l'on voulait 
simplement donner à l'asso'ciation le droit de posséder 
des cotisations, ce droit lui étant reconnu par l'article 
6 (i) ; et qu^il était dangereux si on pouvait en conclure 
à un droit de posséder plus étendu. 

Nous croyons donc qu'il est préférable de s'en tenir 
à la simple division bipartite : 5oaV/<? quand il y a par- 
tage de bénéfices ; association dans le cas contraire. 

Nous sommes du reste très disposés à croire, avec 
M. Planiol que, dans l'interprétation de ces mots par- 
tage de bénéfices on a adopté en pratique un point de 
vue trop étroit, et qu'on pourrait comprendre parmi les 

(1) L'amendement avait bien cependant sa raison d'être ; car 
son rejet rend incomplète la définition légale de l'art. l°r, mais 
sans qu'il puisse d'ailleurs en résulter un doute quelconque sur le 
droit de posséder des associations. • 



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25:2 CHAPITRE 11 

sociétés toul groupement doat les associés attendent en 
commun un profit patrimonial^ quel qu'il soit. Cela ne 
nous paraîtrait pas contraire aux termes de Tarti- 
cle 1832 et de Tarticle i de la loi do 190i, interprétés par 
la tradition ; et cela aurait Tavanlage de rendre la distinc- 
tion plus rationnelle. S'il y a en effet une différence de 
situation qui doive entraîner des différences importantes 
dansle traitement juridique à appliquer aux divers grou- 
pements, c'est celle qui résulte des avantages pécuniaires 
ou patrimoniaux que les associés se proposent de reti- 
rer pour eux-mêmes de leur réunion ; peu importe 
d'ailleurs, au point de vue rationnel, que ces avantages 
résultent de bénéBces à distribuer, ou se produisent de 
toute autre manière, par exemple sous forme d'écono- 
mies à réaliser. Dans les dçux cas oh n'a n^is quelque 
chose en commun que pour grossir son patrimoine ou, 
(ce qui revient au même), Tempôcher de diminuer. Les 
biens ne sont pas soustraits à la circulation comme dans 
les associations à tendance idéale ou même dans les 
associations de pur agrément ; d'une façon ou d'une 
autre ils sont destinés dès le début, dans la pensée même 
des associés, à ne sortir de leur patrimoine (si vrai- 
ment ils en sortent) que pour y rentrer sous une forme 
ou sous une autre ; il est impossible de parler sérieuse- 
ment de mainmorte. En somme, si l'on donnait au mot 
socie'te' son sens élargi, dans lequel on ferait rentrer tout 
groupement dans lequel les associés recherchent un 
proKt patrimonial, on introduirait dans notre droit la 
distinction rationnelle généralement admise à l'étranger 
et ce serait là un réel progrès. 

102. Toutefois, même avec ce système, il reste quel- 
que incertitude sur la situation des associations qui. 



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LA CLASSIFICATION DES PERSONNES MORALES 253 

sans rechercher rintérêt palrimonial de leurs membres, 
poursuivent cependant simplement un but égoïste, et 
n'ont aucunement en vue Tintérêt général, notamment 
les cercles et les associations de pur agrément. Elles se 
rapprochent des associations à but idéal par le fait que 
l'intérêt pécuniaire n'y esl aucunement recherché ; mais 
d^autrc part, elles ont cela de commun avec les asso- 
ciations à but patrimonial qu'elles recherchent l'intérêt 
exclusif de leurs membres. Nous croyons, étant donnée 
la prédominance de l'intérêt pécuniaire dans les sociétés, 
qu'elles doivent en général être assimilées aux associa- 
tions à but idéal; mais certaines règles des sociétés 
pourront leur être appliquées, notamment les règles 
sur le partage des biens en cas de dissolution. 

103. II. — Dans la discussion de la loi de 1901, la 
Chambre des députés avait adopté un amendement 
faisant entrer dans une catégorie à part les associations 
à but religieux^ alors môme qu'elles ne constituaient pas 
des congrégations (1). Cette idée a été, à très juste titre, 
écartée ; mais elle avait été introduite, peu d'années 
auparavant dans la loi fiscale. Les lois du 28 décem- 
bre 1880, article 3 et 4, du 29 décembre 1884, article 9, 
et du 16 avril 1895, article 3, soumettent à la taxe d'ac- 
croissement et à l'impôt sur le revenu toutes les congré- 
gations^ communautés et associations religieuses. On a 
soutenu que par là il fallait entendre seulement les 
« sociétés quelconques dissimulant des congréga- 



(1) SoQs-amendement Foarnière voté à Ja séance du 4 février 
4901, ajoutant à l'amendement Groussier (qui est devenu le texte 
de Tart. 2 de la loi) les mots : « autres que les associations reli- 
gieuses. » Ces mots ont été supprimés au Sénat, 



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â54 CHAPITRE II 

lions » (1). Mais la Cour de cassation s'est prononcée 
en sens contraire, et a appliqué les taxes à toutes les 
associations ayant un but religieux^ à condition toute- 
fois que ce but soit prédominant et non pas simple- 
ment accidentel. Elle a en conséquence déclaré soumises 
à ces taxes des sociétés tonlinières formées entre pas- 
teurs et autres personnes appartenant à Tune des églises 
protestantes, sociétés dont le but était l'exercice du 
culte ou rinstruction des enfants appartenant à ce 
culte (2). Il y a donc intérêt à distinguer dans notre 
droit les associations ayant un but religieux de toutes 
autres: mais cet intérêt n'existe, qu'au point de vue 
fiscal. 

104. Au contraire, dans ce même groupe des associa- 
tions désintéressées, il y a un intérêt pratique d'ordre 
général à distinguer des autres les congrégations reli- 
gieuses^ auxquelles notre législation a toujours fait une 
place à part. 

Les motifs du régime spécial qu'on leur a fait ont été 
indiqués à bien des reprises diverses dans la discussion 
de la loi du l^*" juillet 1901. Ils se résument dans cette 
idée que l'association ordinaire est un groupement 
d'hommes s'associant dans un but déterminé, et gardant 
par ailleurs leur entière indépendance, alors que la con- 
grégation, par les vœux qu'elle implique, et par la règle 
de vie à laquelle se soumet le religieux, l'absorbe tout 
entier, et fait de lui un instrument au service d^une 

(1) V. les concIusioDs de M. l'avocat-général Sarrut dans Dali., 
1904, 1. 500 et s. 

(2) Cass. Trois arrêts du 4 février 1903. D., 4904, 1. 497. Cette 
jurisprudence est d'ailleurs très contestable. V. les GonclusioDs 
précitées de M. Sarrut. 



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LA CLASSIFICATION HES PERSONNES MORALES 

idée (i). Ce n'est p^sici le lieu de discuter cette thèse, 
qui sans doute n'aurait pas suffi à elle seule à motiver 
le régime, d'une rigueur excessive, que la loi de 1901 
applique aux congrégations religieuses, s'il ne s'y' était 
joint un motif d'ordre tout politique, le désir de dé- 
truire une influence jugée dangereuse par le parti au 
pouvoir. Mais [^énorme différence établie par la loi nou« 
velle entre la congrégation et l'association ordinaire 
nous oblige à indiquer avec autant de précision que 
possible les caractères qui distinguent l'une de l'autre 
ces deux espèces dégroupements. 

La définition de la congrégation n'a point été donnée 
par le législateur. Ce n^'est point par oubli ; à plusieurs 
reprises dans la discussion de la loi, des définitions lui 
ont été proposées. A la Chambre, MM. Zévaès (séance 
du 7 mars 1901), et Renault-Morlière (séance du 12 
mars 1901), au Sénat, MM. Goarju et Bérenger (séance 
du 19 juin 1901), ont successivement essayé de faire 
adopter la leur. M. Bérenger, notamment, a vivement 
insisté sur l'utilité d'une définition. Mais le rapporteur 
a répondu en faisant valoir les difficultés que présente- 
rait une définition abstraile et en déclarant que les tri^ 
bunaux avaient depuis longtemps sur ce point une juris- 
prudence, et qu'ils n^avaient jamais été embarrassés 



(1) V. le résumé des idées sqrce point dçtos Trouillotet Chapaal, 
p. 192 et s. V., aussi les conclusions de l'avocat-général Sarrut,dan8 
Dali., 1904; I, 500-501. Eu sens inverse les orateurs catholiques ei 
les libéraux n'ont cessé de demander pour les congrégations l'appli- 
cation du droit commun des sociétés. Ch. des députés, amende^ 
ment Piou, séance du 14 mars 1901. — Sénat, amendement de 
Marcère, séance du 18 juin 1901, et amendement de Lamarzelle, 
séance du 19 juin 1901 . 



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256 CHAPITRE If 

en fait pour distinguer une congrégation d'une simple 
association. La question cependant a déjà donné lieu, 
depuis la loi de 1901^ à d'assez nombreuses discussions 
et Ton peut prévoir que ces discussions ne sont point 
terminées. 

105. Parmi les auteurs qui se sont occupés de la 
question on peut distinguer deux tendances : les uns 
donnent une définition loule psychologique, les autres 
cherchent à préciser limitativement les caractères exté- 
rieurs qui distinguent la congrégation. 

A la première catégorie appartient notamment la dé- 
finition de M. Hauriou (1) : ce L'association n'entraîne 
pas pour ses membres un genre de vie particulier, elle 
ne les enlève pas au monde, elle les laisse à leur famille 
et à leurs affaires ; la congrégation, au contraire, enlève 
ses membres à la vie mondaine, elle leur impose un 
genre de vie spécial^ elle les marque dans toutes leurs 
actions d'un sceau particulier ». L'auteur se demande 
lui-même si cette définition sera assez précise. Plusieurs 
autres auteurs cependant arrivent à un résultat analo- 
gue, en commençant par énumërcr un certain nombre 
de caractères, et en ajoutant qu'aucun de ces caractères 
n'est à lui seul ni nécessaire^ ni suffisant, et qu'il faut 
avoir égard à l'ensemble des circonstances (2), d'où 

(1) Droit administratif, 5e éd., p. 123. 

(2) li en est ainsi notamment de M. le procureur-général Beau- 
doaîn, dans les conclusions qui ont précédé Tarrél de Cass. i^' mai 
1903 (D., 1903, 1. 389; : « Il n'est point de critérium, point d'élé- 
ment essentiel, ni le nombre, ni les vœux, ni la vie en commun. . . 
Ce que les tribunaux, juges du fait, auront à rechercher, ce sont 
toutes ces circonstances que de tout temps ils ont prises en consi- 
dération, et dont il est possible d'induire l'agrégation concertée 
dans un but religieux, la«permanence de Keffort sous une direction 



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LA CLASSIFICATION DES PERSONNES MORALES 257 

Ton peut induire Tabsorption de l'individu par la col- 
lectivité. La jurisprudence, de son côté,, paraît incliner 
dans le même sens (1). 

Il nous senible que la crainte exprimée par M. Hau- 
riou est des plus fondées, et que tout cela n'est pas assez 
précis pour une définition qui entraîne des conséquen- 
ces pénales. Parmi les traits généralement indiqués, il 

commune, le renoncement au monde, l'abandon de rindividualîté, 
et l'absorption dans la collectivité par la soumission à une hiérar- 
chie spéciale, par Tasservissement à une règle particulière ». Même 
tendance dans le commentaire de MM. Trouillot et Chapsal (p.202 
et s,), qui énumèrent les traits suivants : les vœviœ, la règle, le 
costume, \a. perpétuité', la vie en commun , mais ajoutent que ces 
traits ne sont pas limitatifs, et que leur réunion n'est d'ailleurs pas 
nécessaire pour qu'il y ait congrégation. 

(i) La plupart xles décisions judiciaires énumèrent certains 
traits, d'ailleurs variables suivaùt les espèces, pour en conclure au 
caractère de congrégation, sans affirmer que ces traits soient néces- 
saires, et sans indiquer si parmi eux il en est de plus particulière- 
ment décisif. C'est notamment le cas dans le premier arrêt de la 
Cour de cassation qui ait statué sur la question de la nécessité des 
vœux autrement que pour écarter des sécularisations (Cass. 8 juil- 
let 1904. D., 1905. 1. 59). L'arrêt retient : la vie commune sous 
une dénomination spéciale, la soumission à la direction d'un 
supérieur, V obéissance à une même règle, les mêmes exercices 
pieux, la poursuite dans un but 7*eligieux de V accomplissement 
d*une même œuvre ; il ne considère pas les vœux comme néces- 
saires. Cpr. dans un sens analogue, les divers jugements et arrêts 
rendus en matière de liquidation et publiés dans le Recueil de 
M. Ménage (Liquidation des biens des congrégations dissou- 
tes), — Tribunaux de Valence, 16 mars 1903 (t. I, p. 447) ; de 
Saint-Etienne, 30 juin 1903 (t. II, p. 140) ; de Marseille, 1er avril 
19&3 (t. I, p. 461) ; de Valogne, 12 août 1903 (t. Il, p. 273); de 
la Seine, 12 novembre 1903 (t. III, p. 7;; de Lyon, 9 janvier 1904 
(t. m, p. 122); Cour de Caen, 2 mars 1904 (t. III, p. 207) et 1er juin 
1904 (t. III, p. 373) ; Cour de Lyon, 12 juillet 1904 (t. III, p. 130). 
Plusieurs de ces décisions insistent sur V absorption de V indivi- 
dualité, 

MICHOUD 17 



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258 CHAPITRE II 

en est qui, de l'aveu de tous, n'ont qu'un caractère 
accessoire : tel est le costume ou le nom pris par la con- 
grégation (1). D'autï^es tels que la perpétuité, n*ont 
absolument rien de spécial à la congrégation, et d'ail- 
leurs ne lui sont pas non plus essentiels. 

Les auteurs qui, suivant ladeuxième tendance signalée 
plus haut, cherchent à préciser limitativement les carac- 
tères de la congrégation se sont en général tenus à deux 
conditions qui leur paraissent à la fois nécessaires et 
suffisantes : les vœux^ et la règle canonique (2) ; con- 
ditions qui, bien entendu, impliquent le but religieux. 
Ce sont en effet les deux conditions principales qui ser- 
vaient autrefois (et qui servent encore aujourd'hui au 
point de vue canonique), à caraclériser les ordres reli- 
gieux ou communautés régulières. Nous croyons cepen- 
dant que pour les définir complètement, il faut ajouter 
un troisième caractère : la vie en commun. Sans doute 
ce caractère est moins essentiel parce qu'il n'est pas 
absolument permanent : dans une congrégation régu- 
lière une fois formée, il peut ne pas y avoir de vie en 

(i) A la séance de la Chambre du 13 mars .1903, M. Grousseau 
ayant allégué que quelques unes des congrégations qui deman- 
daient Tautorisation n'étaient pas en réalité des congrégations (elles 
n*avaient formé qu'une demande subsidiaire), le rapporteur 
M. Rabier se borna à répondre qu'elles étaient qualifiées de con- 
grégations dans V Annuaire du clergé. — Mais peut-on vraiment 
attacher une importance juridique, et surtout pénale, à un pareil 
fait? ' ^ . 

(2) Ce sont les deux traits indiqués par M. Pillet, dans une note 
au Dalloz, 1902. 2. 257 ; « Ce qui caractérise la congrégation, c'est 
l'autorité de la règle assurée par. l'émission des vœux ». M. Chave- 
grin {Journal des Sociétés^ 1902, p. 482) s'est rallié à cette for- 
mule. Beudant en 1879, avait déjà indiqué une formule analogue 
(D., 79.2. 225). 



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LA CLASSIFICATION DES t>E^SONN£S MORALES ^59 

commun actuelle^ sans que pour cela la congrégation 
disparaisse (1). Mais il serait contraire à la tradition de 
noire droit d'atteindre comme congrégation une asso- 
ciation ne comportant aucune communauté d'existence 
même éventelle ; les textes innombrables qui, soit dans 
l'ancien régime, soit à l'époque révolutionnaire, ont 
réglementé la situation des congrégations, n'ont jamais 
eu en vue que les couvents ou communautés, c'est-à-dire 
des associations où la vie en commun était essen- 
tielle ; et il est à remarquer que dans toutes les défini- 
tions soumises aux Chambres en 1901, la vie en com- 
mum figure comme l'un des éléments de la congréga- 
tion ; sans doute, ces définitions ont été rejetées, parce 
qu'on n'a voulu en donner aucune, mais cette unanimité 
montre quelle idée se faisaient de la congrégation les 
auteurs de la loi. 

106. Trois caractères sont donc à la fois nécessaires 
et suffisants pour qu'il y ait communauté régulière. 
Mais on doit se demander si la loi n'est pas également 
applicable aux congrégations séculières j qui ne pro- 
noncent point de vœux, et dans lesquelles existent seule- 



(1) On sait que les auteurs de là loi de 1901 ont cherché tout 
d'abord à désigner les congrégations par une simple périphrase 
sans les nommer. L'une de ces- périphrases fut celle-ci r « Associa- 
tion dont les membres vivent en commun ». La commission 
Técarta, pour employer directement le mot congrégation^ À la 
suite d'un discours de M. Viviani faisant ressortir que la périphrase 
donnerait aux congrégations un moyen trop facile d'échapper k la 
loi. M résulte évidemment de cet incident que la dispersion momen- 
tanée d'une congrégation, d'ailleurs créée pour la vie commune, ne 
suffit pas pour lui enlever son caractère ; il n'en résulte pas qu'on 
puisse traiter comme congrégation une association où la vie com- 
mune n'a jamais existé. 



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260 GHAPITitE II 

ment les deux autres éléments de la défiaition (règle et 
vie en commun). La jurisprudence paraît hésiter encore 
sur ce point (1). En faveur de l'affirmative on peut 
invoquer, outre le nom même que portent ces associa- 
tions, le fait qu'elles ont été, comme les communautés 
régulières, bien que plus tardivement, atteintes par les 
proscriptions de la période révolutionnaire (2), et 
qu'elles semblent ainsi avoir été englobées dans l'en- 
semble de la législation relative aux congrégations (3). 
En sens contraire, on peut alléguer qu'il y a toujours 
eu en droit canonique une différence profonde entre les 

(4) Eq faveur de Tapplication de la loi aux congrégations sécu- 
lières, on peut citer certains arrêts de la Cour de cassation qui, en 
présence de congréganistes réguliers, se prétendant séculari- 
sés parce qu'ils étaient déliés de leurs vœux, déclarent que ce n'est 
pas là une preuve suffisante de sécularisation : notamment Cass. 
l'f mai 1903, D., 1903. 1. 397, Mais ces arrêts ne sont pas décisifs, 
parce qu'ils sont inspirés en grande partie par la crainte d'une 
fraude à la loi. Plus décisif est l'arrêt de Cass., du 8 juillet 1904. 
D., 1905. 1. 59. qui déclare directement la loi applicable à une 
congrégation séculière (les missionnaires d'Hasparren) ; toutefois il 
y avait encore là dans la cause certains éléments Spéciaux qui 
empêchent cet arrêt d*ôtre un arrôl de principe (v. la note de l'ar- 
rêtiste). Quelques cours d'appel paraissent admettre que la loi n'est 
pas applicable aux congrégations séculières : C. de Rennes, 20 juin 
1888. D., 89. 1. 25 (Oratoire de Rennes). G. de Riom, 7 novem- 
bre 1903, Revue cT administration, 1904. 2. 72 (Assoc. de S. Via- 
teur). Mais d'autres cours leur ont au contraire déclaré la loi 
applicable. G. de Lyon, 12 juin ('902 (petites sœurs de l'Assomp- 
tion). D., 1903. 1. 308. 

(2) Epargnées par la loi des 13-19 février 1790, et par celle 
du 4 août 1792, elles ont été atteintes par celle du 18 août 1792. 

(3) On peut remarquer aussi que la Ghambre les a traitées 
comme de véritables congrégations, en rejetant les demandes sub- 
sidiaires formées par plusieurs d'entre elles au lieu de déclarer 
qu'il n'y avait lieu à statuer. Mais juridiquement cette procédure 
ue peut influer sur la solution de la question. 



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LA CLASSIFICATION DES PERSONNES MORALES 261 

associations dont il s'agit et les véritables communau- 
tés; que les vœux seuls entraînent l'absorption de 
l'individu dans la collectivité, l'impossibilité de possé- 
der personnellement, la renonciation définitive à la vie 
ordipaire, c'est-à-dire précisément les circonstances 
qui ont été invoquées pour justifier la rigueur du régime 
juridique imposé aux congrégations (1) ; qu'enfin les 
vœux, aussi bien que la vie en commun, sont indiq'ués 
comme un trait caractéristique dans les diverses défini- 
tions de la congrégation qui ont été proposées aux Cham- 
bres (2). C4es dernières considérations nous paraissent 
décisives et nous croyons que les congrégations séculiè- 
res doivejit être considérées comme de simples associa- 
tions (3). 

(i) On sait que le projet du Gouvernement entendait d'abord 
atteindre les associations « emportant renonciation aux droits qui 
ne sont point dans le commerce ». C'est cette renonciation qui a 
paru ne devoir être autorisée qu'à titre tout à fait exceptionnel ; 
or dans les congrégations séculières il n'y a aucune renonciation 
de ce genre. La même conclusion découle aassi du discours pro- 
noncé par M. Waldeck-Rousseau à la Chambre dans la discussion 
générale (séance du 29 janvier 1901) : « Parmi les droits attachés 
à la personne figurent le droit d'acquérir, de faire le commerce, 
de se marier ; on ne peut s'engager à ne pas exercer un de ces 
droits. Or toute congrégation suppose le vœu d'obéissance, le vœu 
de pauvreté et le vœu de chasteté. . . ». 

(2) M. Zévaès, en proposant d'interdire d'une manière absolue 
les congrégations (séance du 7 mars 1901), en donnait la définition 
suivante : « Sont réputées congrégations toutes les associations dont 
les membres vivent en communauté dans un but religieux, liés par 
des vœux perpétuels ou temporaires d'obéissance, de pauvreté ou 
de célibat ». 

(3) Il resterait pour terminer cette théorie de la classification à 
établir la distinctibn entre les établissements d'utilité publique, 
et les autres personnes morales à^ droit privé. — Nous renvoyons 
cette partie du sujet au ch. IV. (V, ci-dessous, nos 439^ 140 et 143). 



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CHAPITRE m 

/ 

LA CRtiATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC 



SoMMAiRB : I. — 107. Création de l'Etat. — 108. îl doit être considéré 
comme une personne morale par cela même que les conditions de 
fait nécessaires k son existence se trouvent réunies. — 109. Lui- 
même, en droit interne, doit reconnaître sa propre personnalité, et 
Tunité de cette -personnalité. — 110. Système de MM. ilarqués di 
Braga.et Lyon, déconj posant la personnalité de l'Etat en autant de 
personnes distinctes qu'il y a de services publics, ses dangers. — 
111. Système qui voit dans les trois pouvoirs de l'Etat des êtres 
moraux distincts ; ils sont seulement les organes d'une même 
personne morale. — 112. Les organes de l'Etat n'ont pas des droits 
subjectifs, mais des compfétences. — 11% bis. Cependant les électeurs, 
organes de l'Etat, ont un droit individuel à la qualité d'organes.* — 
113. La théorie de la personnalité de l'Etat, en droit public comme 
en droit privé, explique seule le droit de commander. — 114. Elle 
en donne en même temps les limites, et n'aboutit pas à accroître la 
puissance de TEtat. 

II. — IIB. Services publics personnalisés. L'Etat peut personnali- 
ser un service public en lui donnant une organisation suffisante pour 
le représenter toutes les fois que ce service correspond à. un groupe 
d'intérêts collectifs et permanents, distincts de ceux de l'Etat lui- 
même. — 116. Il le fait pour les groupes territoriaux,- départe- 
ments, communes, colonies, etc. — 117. La personnalité de ces 
groupes existe, non seulement en droit privé, mais aussi en droit 
public. — 118. Mais TEtut législateur, qui reconnaît cette personna- 
lité de droit public, reste maître de la modifier ou de la supprimer. 
— 119. La personnalité de droit public pourrait théoriquement être 
séparée de la personnalité de droit privé : motifs pour lesquels elles 
sont en fait toujours réunies; l'arrondissement et le canton; la sec- 
tion de commune. — 120. Critique de la théorie de la décentrali- 
sation faite par M. Duguit. — 121. Démonstration de l'existence de 
droits de puissance publique appartenant à la commune. 

III. — 122. Les établissements pnblics. I. Leur définition. Leur 



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LA CRÉATION DBS PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC 263 

personnalité en droit public et en droit privé. Leur rattachement aux 
groupes territoriaux. — 123. Critique des autres conceptions de l'éta- 
blissement public. Théorie d'Otto Mayer. Théorie de M. Berthélemy. 

— 124. II. Avantages et inconvénients de la personnification des 
services publics spéciaux. — 125. III. La création d'un établisse- 
ment public ne peut résulter que de la loi ; - 126. Formes diverses 
de rintervention du législateur. ^ 127. Moment à partir duque 1 
l'établissement public est considéré comme existant; il n'est pas 
toujours nécessaire pour cela qu'il ait un patrimoine, ni môme que 
son organisation soit matériellement réalisée ; il suffit qu'elle 
puisse se réaliser dès qu'elle deviendra nécessaire. — 128. IV. 
Incertitude sur l'existence de la personnalité morale résultant fré-' 
quemment des procédés employés par le législateur. — 129. Inté- 
rêts pratiques de la question de personnalité morale ; dififérences 
juridiques entre le service personnalisé et le service non personna- 
lisé. — 130. La personnalité morale ne se confond pas avec l'indi- 
vidualité financière. — 131. On ne doit pas considérer comme per- 
sonnes morales les services publics qui ne correspondent pas à un 
groupement distinct ; ce ne sont que des organes ; non personnalité 
de l'organe. — 132. Quand le service est susceptible d'être person- 
nalisé, H faut, pour savoir s'il l'est, examiner sa situation dans son 
ensemble. Quelques exemples : caisse des dépôts et consignations, 
caisse d'épargne postale, asiles d'ahénés, etc.— 133. Situation à cet 
égard des établissements publics du culte. Personnalité du diocèse. 

— 134. V. Personnalité des Eglises et des établissements ecclésias- 
tiques ; sa nature. 



107. L^Etatest.la première personnejuridique que nous 
rencontrons dans le monde actuel. Son existence est un 
fait naturel, que le Droit n'a qu'à interpréter, et dont il 
doit tirer les conséquences juridiques. L'Etal naît quand 
certaines conditions de fait se trouvent réunies : exis- 
tence d'un groupe humain ayant vis-à-vis des groupes 
voisins une certaine indépendance, possesseur d'un cer- 
tain territoire, et doté d'une organisation suffisante pour 
qu'une volonté réussisse à s'imposer, à l'intérieur et à 
l'extérieur, comme la volonté du groupe (i). La réunion 

(i) Liszt, Das Vôlkerrecht, 1902, § 5, p. 35, ramène à trois les 
éléments constitutifs de l'Etat : la puissance de commander (5^aa^- 



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264 cuAPiTMË m 

de ces conditions. peut résulter de faits très-divers : les 
uns contraires au droit existant (rébellion d'une pro- 
vince ou d*une colonie aboutissante la conquête de son 
indépendance ; révolution amenant la dissolution d'un 
Etat et la constitution de plusieurs Etats indépen- 
dants, etc.) ; les autres en harmonie avec le droit exis- 
tant (contrats ayant ^pour objet la fusion de plusieurs 
Etats en un seul, actes conformes au droit public interne 
d'un pays et ayant pour objet la séparation d'un terri- 
toire et son érection en Etat distinct). Mais cette dis- 
tinction est sans influence sur la formation même de 
TEtat : son existence est aussi incontestable lorsqu'il 
s'est constitué à la suite d'actes violents et répréhensi- 
bles que lorsque ses fondateurs ont montré un scrupu- 
leux respect du droit. Les actes juridiques qui, dans ce 
dernier cas, ont été accomplis par eux ne sont jamais, à 
eux seuls, suffisants pour créer un Etat, si ses éléments 
constitutifs n'existent pas; mais ils rendront en général 
plus facile la reconnaissance du nouvel Etat par les 
autres, reconnaissance qui lui est nécessaire pour ac- 
quérir la personnalité de droit international (4). A ce 

gewalt) ; le territoire (Staatsgebiet) ; le peuple (Staatsvolk).Cet{e 
analyse ne contredit pas la nôtre, sauf à s*entendre sur la défini- 
tion de la puissance de commander (v. infrà). Nous avons voulu 
seulement rattacher noire analyse à la théorie générale de la per- 
sonnalité morale et poui* cela nous avons dû indiquer d'une 
manière plus précise dans notre définition, Voryanisation de 
volonté collective, nécessaire à TEtat comme à toute autre cçllec- 
tivité aspirant à la personnalité morale. La plupart des autres 
définitions de l'Etat que Ton trouve dans les divers auteurs exigent, 
explicitement ou implicitement, ces mêmes conditions. 

(i) Jellinek, Allgem, Staatslehre. p. 245 et s., a insisté avec 
beaucoup de raison sur ces idées, et montré d'une manière 
péremptoire que la naissance de l'Etat était un simple fait, qu'une 



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LA CRÉATION DES PE«SONi\eS MORALES DE DROIT PUBLIC 265 

point de vue lu naissance de l'Elal ne diffère pas d'ail- 
leurs de la naissance d'une corporation quelconque; la 
seule différence, c'est que les faits qui donnent nais- 
sance à pne corporation ordinaire se produisent à l'inté- 
rieur d'un Etat, et sont soumiî? au droit de cet Etat, 
droit qui d'ordinaire les réglemente avec soin et indi- 
que avec précision les conditions auxquelles est subor- 
donnée la reconnaissance de la personnalité juridique, 
au lieu que le droit international ne règle que d'une 
manière très incomplète les faits qui peuvent concourir 
à la naissance d'un nouvel Etat (i), et d'ailleurs ne pos- 
sède pas de sanction suffisante pour empêcher des Etats 
de se créer par la force contrairement à ses prescrip- 
tions. 

108. L'Etat existe donc dès que certaines conditions 
de fait se trouvent réunies. Mais cela suffit-il, pour que 
nous le considérions comme une personne morale ? 

Dans la théorie de la fiction il est tout naturel de 
répondre négativement : <f II n'est pas douteux, dit 
M. Ducrocq en parlant de la personnalité de l'Etat (2), 
que c'est une fiction légale, puisque l'Etat est ainsi assi- 
milé à une personne physique douée de la vie naturelle. 
Une personne civile est précisément ainsi nommée par 

volonté extérieure ne peut pas créer ce fait, mais seulement le facili- 
ter, et qu'un Etat en conséquence ne peut jamais être considéré 
comme créant un autre Etat. 

(1) Il nous paraît exagéré dédire avec Jellinek {op. cit., p. 236, 
n. i) que le droit international ne contient aucune règle régissant 
la création des Etats ; car il a des règles pour apprécier si les actes 
qui ont pour objet dette création sont ou non conformes au droit. 

(2) De la personnalité civile de l'Etat d'après les lois civiles et 
administratives de la France {Revue générale du droit, t. XVIII, 
1894, p. 101). 



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266 CUAPITIIH III 

antilhèso, parce qu'elle est ea dehors des conditions de 
la nature humaine, non soumise aux lois naturelles de 
la vie et de la mort. C'est précisément pourquoi il n'est 
pas exact d'admettre des personnes civiles naturelles^ 
^pas plus TElat qu'aucune autre... Cette assimilation 
entre les personnes physiques et les personnes civiles, 
nécessairement partielle, restreinte dans ses effets juri- 
diques, ne peut être Tœuvre que du législateur et, dans 
ces limites, ne dépasse en rien ses pouvoirs. L'Etat est 
investi, dans notre pays, de la personnalité civile, par 
Un nombre considérable de dispositions do nos Codes 
et de nos lois non codifiées ». Et M. Ducrocq cite, 
comme étaçit le fondement de la personnalité de TElat, 
tous les textes dans lesquels cette personnalité se trouve 
mentionnée ou impliquée, textes innombrables et dont 
la liste pourrait indéfiniment s'allonger (t). Il repousse 
en conséquence la qualification de personne civile 
nécessaire que Savigny a appliquée à l'Etat et que 
Laurent a acceptée ; il conclut en déclarant que l'Etat 
ne jouit nullement de plein droit de la personnalité 

(1) « La vérité est que la personnalité civile de l'Etat est consa- 
crée en termes fornrjels par les art. 541, 560, 2121, 2227 du Gode 
civil, 49, 69, 83, 398, 481 du Code de procédure civile, i et 8 à 25. 
413 à 116 du Gode forestier, et par un nombre très considérable de 
dispositions législatives en dehors de nos Godes : loi domaniale des 
22 novembre-!" décembre 1790, art. 8 et 18 ; loi du 16 septem- 
bre 1807, art. 41 à 53 ; loi du 29 janvier 1831, art. 9 ; loi du 
24 mai 1842, art. 2 et 4 ; loi du 3 mai 1841, art. 13, § 5, 26, 60, 61; 
loi du 18 juin 1843, art. 6 ; loi du l«r juin 1864, art. 1 ; loi du 
30 mars 1887, art. 2, 8, 10, 12, 14 ; le décret du 31 mai 1862, dans 
ses art. 1, 5, 36, 39, 63, 68, 70, 84, 136, 146, 147, 158, 193, 240, 
254, etc., et toutes nos lois portant fixation du budget de TEtat, et 
toutes nos lois des comptes et toutes nos lois d'emprunts. » [Loc. 
cit,, p. 102). 



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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC 267 

civile et que, ppur lui comme pour les autres personnes 
morales^ la loi est bien la dispensatrice souveraine de 
toute existence juridique. 

Nous avons déjà montré combien cette notion, tout à 
fait logique quand on part de la théorie de la fiction^ est 
incompatible avec l'idée que nous nous faisons de la 
personnalité morale (1). Les lexles cités par M. Ducrocq 
ne peuvent pan êîre la base de la personnalité de TEtat, 
et cela pour une raison décisive : c'est qu'ils émanent 
de l'Etat lui-même, et que l'Elat devait déjà être consti- 
t4ié comme personne morale quand il les a édictés; en 
légiférant en ce sens, il exerce un des attributs inhérents 
à sa personnalité, il ne crée donc pas cette personnalité, 
il la reconnaît et la réglemente. Il suffit de jeter un coup 
d'œil sur les textes allégués pour se rendra compte 
qu'ils ne font pas aulre chose. Ils n'ont pas la préten- 
tion de créer la personnalité de l'Etat; ils la supposent 
existante et se bornent, soit à attribuer à l'Etat certains 
biens ou certains droits (articles 541,360, 713, 2121, 
C. c), soit à indiquer les règles particulières applica- 
bles à l'administration de son patrimoine ou à l'exer- 
cice des droits qui lui appartiennent (art. 49, 69, etc. 
du Code de procédure, textes du Code forestier et textes 
spéciaux). Quelques-uns d'entre eux, tels que les lois 
des comptes ou les lois d'emprunts, n'ont pas même 
cette portée juridique ; ils ne sont pas la réglementation 
de la personnalité de l'Etal, ils en sont seulement Texer- 
cice ; ils ne sont, en d'autres termes, que des actes 
d'administration faits en forme de lois, et plus que tous 
autres, par conséquent, ils supposent l'existence de la 
personnalité dont ils sont la manifestation. 

(4) Suprà, no« 9 à 12. 



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268 CHAPITRE III 

M. Ducrocq a, il est vrai, essayé de réfuter Targu- 
menl présenté avant nous par M. Van den Heuvel et 
par beaucoup d'autres auteurs, qu'on ne peut se donner 
l'être à soi-même. Cet argument, dit-il, n'a aucune 
application sérieuse au législateur : t Ce n'est pas sur 
lui-même qu'il opère. De même que rien ne s'oppose à 
ce que les lois constitutionnelles, ou autres, constituent 
l'Etat comme puissance politique, rien ne s'oppose non 
plus à ce que l'Etat soit constitué par la loi comme per- 
sonne civile ». La réponse suppose que le législateur 
n'est pas l'organe de l'Etat. Il n'est pas douteux cepen- 
dant qu'il ne le soit, au moins en ce qui concerne les 
lois alléguées, qui sont des lois émanées de l'organe 
législatif régulier dont tout Etat moderne est pourvu. 
Toutes sont des lois émanées d'un Etat déjà constitué, 
et ayant depuis longtemps commencé à exercer les 
droits qui dérivaient pour lui de sa personnalité publi- 
que et privée. Nous avouons du reste ne pas compren- 
dre l'argument que M. Ducrocq cherche à tirer de la 
comparaison entre les lois qui constituent l'Etat per- 
sonne civile et les lois constitutionnelles qui le consti- 
tuent comme puissance politique. Cette comparaison 
est pour nous la meilleure preuve de notre thèse : est- 
ce que vraiment ce sont les lois constitutionnejles, — 
ou autres, — qui donnent à l'Etat son existence en tant 
que puissance politique? Dans l'immense majorité des 
cas (i), elles se bornent à organiser un Etat préexis- 

(1) Il n'y a exception que pour certains Etats de création récente 
formés d'une manière absolument consciente par un accord entre 
des Etats ou groupes préexistants: Tempire d'Allemagne, le Congo. 
Ce n'est même pas le cas pour la Belgique qui n'a été organisée 
constitutionnellement que lorsque sa personnalité existait déjà en 



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•'if^î'v*^"' 



LA CREATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC 269 

tant, qui n'a pas attendu, pour vivre et pour exercer ses 
droits de puissance publique, de trouver sa personna- 
lité affirmée et réglementée par un texte. 

La vérilé est que, dès que TEtat existe en fait, sa per- 
sonnalité doit être reconnue par le Droit, si l'on veut que 
celui-ci reste en harmonie avec la vie réelle (i). Assu- 
rément cette reconnaissance n'a pas toujours eu lieu 
d'une manière complète (2). Les interprètes du Droit 
ont pu, tantôt se borner à étudier les droits de l'Etat, 
sans dégager l'idée de personnalité qui peut seule leur 
servir de support, tantOt confondre plus ou moins l'Etat 
avec la personne du souverain. Mais, dès que l'Etat vit, 
et que cette dernière cause de confusion est écartée, 

fait et était déjà recoDDue par plusieurs puissances. À plus forte 
raison ce n'est pas le cas pour les Etats dont l'origine historique 
est ancienne. D'ailleurs niênDe pour les Etats récents dont nous par- 
lons,- ce n'est pas le statut ou la loi constitutionnelle qui leur a 
donné l'existence ; celte existence résulte des conditions dont nous 
avons parlé plus haut ; les lois dont il s'agit sont simplement con- 
comitantes à la naissance de l'Etat^ et sont impuissantes à le faire 
vivre comme tel si ces conditions ne sont pas remplies (comme 
le prouve fort bien l'exemple du Congo). 

. (l) Cpr. Gareis, Allgem, Siaatslehre, % 10. Même dans la mo- 
narchie absolue, le sujet de la souveraineté, ce n'est pas le Monar- 
que, c'est la communauté : « L'Etat c'est moi », n'a juridiquement 
aucun sens ; la mort du Monarque, n'est pas celle de l'Etat. . . La 
personnification de la communauté est logiquement inévitable et 
aussi ancienne que la communauté elle-même, bien qu'elle ne soit 
pas reconnue à tous les degrés de civilisation. 

(2) La théorie de l'Etat patrimonial avait pour conséquence la 
confusion de la personnalité de l'Etat avec celle du souverain. 
V. l'analyse et la genèse de cette théorie, dans Duguit, L'Etat, le 
droit objectif et la loi positive, p. 328 et s. Elle est encore à la 
base de l'organisation de quelques grands Etats actuels. Y. Hebm, 
Staatslehrè, § 37. Mais elle ne répond ni aux besoins de la 
société moderne, ni à la réalité des rapports juridiques. 



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270 CHAPITRE III 

— comme elle Test dans les nalions modernes, — il est 
impossible de ne pas s'apercevoir que certains droits ^ 
lui appartiennent et que certaines obligations lui incom- 
bent. C'est dans le domaine du droit international que 
celte vérité a commencé d'apparaître avec netteté. Les 
auteurs qui s'occupaient des relations respectives des 
Etats, et qui essayaient de les soumettre à une règle de 
droit, étaient bien obligés de partir de la notion de per- 
sonnalité. Cette force agissante qui a su faire recon- 
naître son indépendance, qui fait la paix et la guerre, 
conclut des traités, contracte des engagements, ne peut 
entrer dans le domaine du Droit que si on la considère 
. comme un sujet de droit, c'est-à-dire comme un être 
capable d'avoir des droits et des obligations. Ces droits 
et ces obligations existent principalement dans le do- 
maine du droit public; mais il est logique d'admettre, 
suivant nous, que la personnalité de droit public, une 
fois reconnue, entraîne avec elle, même au point de vue * 
international, la personnalité de droit privé. Aucun 
Etat ne peut remplir sa mission politique, en effet, s'il 
n'a pour cela les moyens matériels nécessaires, et ces 
moyens ne peuvent lui appartemr que s'il est admis 
comme sujet de droit civil, capable de posséder et de 
contracter. La reconnaissance d'un Etat à lilre de per- 
sonne politique internationale entraîne donc, comme 
corollaire indispensable, sa reconnaissance à tilre de 
personne civile (i). 

109. Mais lui-même, dans son droit interne, doit re- 



(4) Ce point paraît aujourd'hui assez généralement admis. Voir 
notre article sur La capacité en France des personnes morales 
étrangères et en particulier du Saint-Siège dans Revue générale 



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LA CREATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC ^71 

connaître sa propre personnalité. Il doit reconnaître, non 
seulement qu'il a des droits et des obligations, — ce 
que l'Etat le plus autoritaire ne* peut se dispenser de 
faire, — mais que ces droits et ces obligations se ramè- 
nent à une personne unique, personne qui est l'incarna- 
tion juridique de la Nation, c'est-à-dire du groupe 
humain établi sur le territoire. L'Etat puissance pu- 
blique, et l'Etat personne morale de droit privé, cons- 
tituent en effet un seul et même sujet de droit (1). 
Si on les sépare arbitrairement, soit en Fractionnant 
l'Etat en deux personnalités, soit^ ce qui revient au 
même, en limitant l'idée de personnalité à une seule de 
ses manifestations, celle du droit privé, on sera conduit 
à des conséquences inadmissibles : il faudra dire, par 
exemple, que l'Etat puissance publique n'est pas respon- 
sable des actes accomplis par TEtat personne privée, et 
^réciproquement; que le contrat passé par l'un est pour 

de Droit international public, t. I, p. 193 et suiv. Voir principa- 
lement les pages 203 et suivantes et les auteurs indiqués à la 
note 4 de la page 203. /Mn^e : Despagnet. Droit international 
public, 3«éd., n^ 186. 

(1) M.Ducrocq fait lui-même l'aveu suivant: « Ces deux caractères 
sont tellement liésTunà l'autre qu'ils se confondent le plussouvent 
dans l'individualité de rËtat,etqu'il serait dangereux d'établir entre 
eux une démarcation absolue {loc. cit,, p. 97) ». Nous nous bor- 
nons à effacer le plus souvent et à remplacer le mot individua- 
lité par le mot personnalité. Cette personnalité est du reste la 
même que celle qui agit dans le domaine du droit international. 
On doit en conséquence repousser tout système qui fait du fiscwxie 
personne morale distincte de TËtat, une fondation créée par lui, 
ce qui est la notion imposée par le système de la fiction (V. ci- 
dessus n<* 11). V. sur les divers auteurs qui ont exposé plus ou moins 
nettement ce système. Gieike, Genossenschaftsrecht, III, 60, 359, 
441, Genossenschaftstheorie, p. 605 et Deutsches Privatrecht, 
§61, notes 2 à 4. 



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^lisca^* 



272 CHAPITRE III 

Taulre res inter altos acta; que la chose jugée vis-à-vis 
de Tun ne Test pas vis-à-vis de Tautre. Il suffit d'une 
courte réflexion pour se rendre compte des difficultés 
inextricables el des injustices auxquelles mènerait un 
semblable système, que la pratique et Tinslinct juridi- 
que repoussent également. 

En matière de contrats, il est inadmissible que TElat 
puissance publique puisse violer sans indemnité le 
contrat passé par l'Etat personne privée : les deux actes, 
contrat et acte d'autorité, sont faits en vue du même 
intérêt collectif, et par conséquent pour le compte de 
la même personne. La jurisprudence n'en a jamais 
douté (1), et nous ne voyons pas qu'on ait pu donner 
aucune explication satisfaisante de cette règle en dehors 
de l'unité de la personnalité de TElat (2). 

En matière de responsabilité, la jurisprudence a tou- 
jours admis que l'Etat est pécuniairement cesponsable 
(bien que d'après des règles antres que les règles du Code 
civil) des faules commises par ses organes ou agents 
dans la gestion des services publics (3). Celte solution 
elle aussi, n'est explicable que par l'unité de la person- 

(1) V. p. ex. Cass., Ch. Req., 23 juin 1887. D., 89. 1. 72. L'Etat 
bailleur est responsable du trouble apporté à son locataire par les 
ordres donnés dans rintérôt de Tun des services publics de l'Etat 
(dans Tespèce, par des exercices et des tirs prescrits par l'autorité 
militaire). Cpr. Gierke, Deutsches Privatrecht, t. I, p. 476, n. o. 

(2) M. Vauthier, Etudes sw les personnes morales, p. 321 et s., 
méconnaît entièrement ce lien entre le droit public et le droit 
privé. 11 arrive à dire (p. 383) que lorsque l'Etat puissance publique 
souscrit un engagement il devient par là même personne morale. 
Ce ne serait plus la personne morale qui ferait le contrat, mais le 
contrat qui créerait la personne morale ! L'étrangeté de celte idée 
dispense, nous semble-t-il, de toute réfutation. 

(3) Les applications sont innombrables. V. notre Responsabilité 



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^^'^^s?^-!^:- 



LA CREATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC 273 

nalité de l'Etat ; car dans la gestion des services publics 
l'Etat n'est pas une simple personne morale de droit 
privé; il est le représentant de l'intérêt général, et a 
comme tel des prérogatives éminentes qui découlent de 
la puissance publique (telles, par exemple, que le privi- 
lège du préalable). — Pour les fautes commises par les 
agents de TElal dans l'accomplissement de leurs fonc- 
tions, de puissance publique, la jurisprudence, il est vrai, 
a longtemps admis le principe général de l'irresponsa- 
bilité de TEtat. Cependant, même à Tépoque où elle 
acceptait le plus largement celle thèse, elle y apportait 
elle-même certaines exceptions (1); et d'autres déroga- 
tions se trouvaient dans des lois spéciales. Le système 
admis par la jurisprudence n'était donc pas basé sur une 
prétendue dualité de personnes, ou sur l'absence de per- 
sonnalité de l'Etat puissance publique, car alors il n'aurait 
dû comporter aucune exception. Il était basé tantôt sur 
rimpossibilité de fait d'examiner la question de respon- 
sabilité, à raison de l'absence de tout tribunal compé- 



de VEtat dans Reviœ du droit public, année 1895, n® 23. Depuis 
cette date, de très nombreux arrêts ont continué d'appliquer cette 
responsabilité. Ex. : G. d'Kt., 49 février 1897. D. 98. 3. 68, 
16 mars 1900. D. 1901. 3. 57, etc. 

(i) V. notre Responsabilité de l'Etat, n^ 44 : indemnité lors- 
que l'acte d'autorité viole un contrat ; indemnité quand il dégénère 
en acte de gestion à raison du but d'intérêt pécuniaire dans 
lequel il est fait. En outre textes spéciaux : loi surles erreurs judi- 
ciaires, lois sur l'administration des contributions indirectes et des 
douanes, indemnités d'expropriation, de réquisition, de dommages 
pour travaux, etc. — La loi du 14 mars 1904, art. Il, apporte un 
nouvel exemple d'indemnité due pour acte d'autorité, en imposant 
à la commune le paiement d'aune indemnité à la suite de la sup- 
pression d'un bureau de placement par délibération du conseil 
municipal. 

MICHOUD 18 



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^74 CHAPITRE III 

tent (actes législatifs, actes de gouvernement), tantôt 
sur labsence de règles précises d'où Ton puisse déduire 
la responsabilité d^Etat, ou sur le fait que sa responsa- 
bilité pouvait paraître présenter certains dangers pour 
rinlérêt général (actes de puissance publique ordinaires, 
actes de police, etc.). Les actes législatifs et les actes de 
gouvernement restent encore aujourd'hui soumis à la 
règle, mais ils prévoient très souvent eux-mêmes. une 
indemnité pour réparer le dommage qu'ils causent (4), 
et s'ils mettent celte indemnité à la charge de TEtat, 
c'est bien parce qu'ils considèrent l'Etat comme le véri- 
table auteur du dommage. — Quant aux actes de puis- 
sance publique ordinaires (pour lesquels n'existe pas la 
fin de non- recevoir tirée de Tabsence d'un tribunal com- 
pétent), la jurisprudence abandonne de plus en plus le 
système de l'irresponsabililé, et par là reconnaît de plus 
en plus l'unité de la personnalité de TEtat dans les deux' 
domaines du droit public et du droit privé; et il est 
permis de prévoir que cette opinion triomphera un jour 
d'une manière complète (2). 

(\) Kx. loi du iftr mai 1822, supprimant des distilleries à Paris ; 
loi du 48 juillet 4860, supprimant le monopole des courtiers de 
marchandises ; loi du 2 août 1872 supprimant les fabriques d'allu- 
mettes. 

(2) L'arrêt du C. d'Et. du 43 mars 4899 (Lépreux) (Lebon, p. 48) 
admettait encore le principe de l'irresponsabilité de l'Etat en 
matière d'actes de puissance publique; mais, depuis lors, plusieurs 
arrêts ont admis implicitement ou explicitement le système con- 
traire. V. notamment l'arrêt du 27 février 1903 (Zimmermann),dans 
Sirey, 4905. 3. 17. et la remarquable note de M. Hauriou. L'arrêt 
présente bien, ainsi que le fait remarquer M. Hauriou, Tacte de 
puissance publique comme l'exercice d'un droit appartenant à une 
personne administrative. Le Conseil d'Ëlat a continué depuis lors 
son évolution ; 29 mai 4904, affaire Le Berre (Lebon, p. 4i4, con- 



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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC ^75 

M. Hauriou, qui a contribué plus que tout autre à 
répandre la notion de personnalité de l'Etat puissance 
publique, et qui a fourni sur ce point les explications les 
plus nettes et les plus probantes (1), apporte cependant 
à la doctrine une restriction qui nous paraît injustifi- 
ble quand il explique (2) que les actes de puissance 
publique sont accomplis >7i partie seulement au nom de 
la personne administrative, en partie au nom d'une 
puissance publique impersonnelle • et irresponsable. 
Sans doute, lorsque ces actes sont attaqués pour excès 
de pouvoir, le procès n'est pas considéré comme dirigé 
contre la personne administrative, ce n'est pas un 
procès inter partes^ on attaque Tacte en lui-même, et 
non son auteur. Mais cette forme donnée au procès pro- 
* vient de ce que le recours pour excès de pouvoir est dans 
son origine un recours hiérarchique, supposant seulement 
la violation du droit objectif par un fonctionnaire et non 
la lésion d^un droit subjectif. Cela ne prouve nullement 
que l'acte n'a pas été accompli au nom de la personne 
morale, qui, nous le verrons^ est de plus en plus faci- 
lement admise à intervenir dans l'instance. — D'ail- 
leurs l'observation de M. Hauriou divise ce qui ne peut 
êlre divisé ; Pacte est ou n'est pas un acte de l'Etat, il 
ne peut l'être à moitié ; la seule chose possible c'est que 

clusions de M. Tessier) ; 10 janvier 1903, Grecco ; 47 février 1905, 
Auxerre, Revue génér, d'administration, 1905, I, p.' 289. Dans 
l'aff. Grecco, il s'agit d'uQ accident attribué à l'insuffisance de 
mesures de police. Le Conseil d'Etal n'admet pas la responsabilité 
de l'Etat, mais il l'écarté uniquement en déclarant qu'il ne résulte 
pas de l'instruction (^que l'accident puisse être imputé à une faute 
du service public dont l'Administration serait responsable ». 

(1) Traité de droit administratif, 5" éd., p. 192 et s. 

(2) Eod. toc, p. 203. 



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276 CHAPITRE III 

dans certains cas on examine l'acte isolément sans tenir 
compte de son origine, mais cela ne fera pas qu'il ces- 
sera d'être un acte de l'Etat. 

Sans doute il peut être utile, à certains points de vue, 
de distinguer dans l'Etat les deux faces de sa person- 
nalité, et nous essaierons nous-mëme de le faire plus 
tard ; mais on n'arrivera jamais à une théorie juridique 
satisfaisante, si l'on ne maintient pas le principe que 
tous les actes de l'Etat doivent être considérés comme 
ceux d'une personne unique, qui a seulement des orga- 
nes diffépents et des manifestations diverses (i). 

110. Si nous repoussons la division de l'Etat en deux 
personnalités distinctes, à plus forte raison ne pouvons- 
nous admettre (et ici nous avons la satisfaction d'être 
pleinement d'accord avec notre éminent maître^ M. Du- 
crocq) les divers autres fractionnements de la person- 
nalité de TEtat qui ont été imaginés par quelques 
auteurs. L'un des plus curieux est celui dont l'idée pre- 
mière a été développée par MM. Marques di Braga et 
Camille Lyon (2). Envisageant uniquement la person- 

(i) La nécessité de cette théorie apparaît avec plus d'évidence 
encore quand il s'agit d'un Etat fédéral . Dans un Ëtat de ce genre 
il y a un fisc fédéral, et autant de fiscs locaux qu'il y a d'Etats par- 
ticuliers. Pour connaître les droits et les obligations de ces divers 
fiscs, il est de toute nécessité de ne pas les séparer de l'Etat auquel 
ils appartiennent. Chacun deux est destiné à faire face aux 
services de cet Etat, et à nul autre ; le fisc fédéral est destiné à 
faire face aux services communs de TEtat fédéral ; il est cet Etat 
vu par son côté' patrimonial. V. pour TAllemagne la théorie du 
fisc d'Empire dans Laband, Le droit public de Vempire allemand^ 
Ed. française, t. Vi, p. 1 et suiv. 

(2) Traité des obligations et de la responsabilité des compta- 
bles publics. De la comptabilité de fait, no 172. t. II, p. 40, et dans 
le Répertoire de Béquet, v® Comptabilité de fait. 



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:-Bîrpr. 



LA CRÉATION DES PEHSONNBS MORALES D^ DROIT PUBLIC 277 

nalité de droit privé, ces ailleurs se déclarent peu satis- 
faits de la formule banale qui consiste à dire que TEtat 
a la personnalité civile; suivant eux, cette formule est 
trop simple pour correspondre exactement à la situation 
juridique qu'elle a la prétention de caractériser ; si on 
entre dans Texamen détaillé des services publics, on 
constate, non pas seulement que cette personnalité 
affecte des formes diverses, mais qu'elle disparaît, oxx 
qu'elle se démembi^e au profit des divers services publics 
dont l'ensemble constitue l'Etat. Au lieu de s'en tenir 
à ridée d'une personnalité unique, on doit donc admet- 
tre Texistence d'autant de personnalités diverses qu'il y 
a de services distincts; chaque département ministériel 
sera doué de personnalité; il en sera de même du 
Trésor, du domaine national, et enfin de chacune des 
grandes régies financières chargées de faire rentrer les 
revenus publics. A l'appui de cette opinion, MM. Mar- 
ques di Braga et Lyon invoquent toutes les dispositions 
des lois et solutions de jurisprudence dans lesquelles on 
voit ces services fonctionner, quant à Tadministration 
du patrimoine qui leur est affecté, lavec une certaine 
autonomie. Ils font remarquer que chacune de ces ad- 
ministrations a en justice sa représentation distincte ; 
que chacune peut recevoir des libéralités et posséder 
des valeurs immatriculées au nom du service; qu'enfin 
ces valeurs peuvent être des litres de rente sur l'Etat 
français, sans que pour cela la dette de l'Etat se trouve 
éteinte par confusion. 

Les faits ainsi allégués sont loin d'être décisifs en 
faveur d'une pei'sonnalité distincte pour chacune des 
administrations indiquées. L'Etat peut avoir, à raison 
de la complexité de ses services, plusieurs fonction- 



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278 CHAPITRE III 

naires différents pour le représenter en justice; cela ne 
prouve nullement que chacun de ces Fonctionnaires 
représente une personne différente (i) ; il n'en serait 
ainsi que si Ton devait admettre que la chose jugée à 
regard de l'une de ces administrations ne Test pas à 
regard des autres, et nous croyons fermement que cette 
doctrine est inadmissible. Quant aux libéralités, M. Du- 
crocq (2) a fort bien montré que si les diverses adminis- 
trations citées peuvent recevoir des dons et legs, elles 
ne le peuvent, d'après les décisions mêmes de la juris- 
prudence alléguée, qu au nom de TEtat, et qu'il y a là 
seulement l'application d'une règle bien connue, d*après 
laquelle une libéralité faite au profit d'un service public 
non pourvu de personnalité civile est considérée comme 
faite à l'Etat, et acceptée par le ministre dans le dépar- 
tement duquel rentre ce service (3). Enfin, le fait que 



(i) Ce n'est pas seulement l'Etat qui peut être représente en jus- 
tice par des fonctionnaires différents suivant les cas. P. ex. le 
département de la Seine, représenté d'ordinaire par le préfet de la 
Seine, Test, dans certains cas, par le directeur du service de l'As- 
sistance publique (Gass. 6 décembre i899. D., 1900. i. 158). Cela 
ne prouve nullement que l'Assistance publique ait la personnalité 
morale ; mais cela fait pressentir que le système ici combattu 
aboutirait à dissoudre d'autres personnalités encore que celle de 
l'Etat. 

(2) Op. cit., p. 414. Voir, par exemple, le projet de décret éla- 
boré par le Conseil d'Etat, le 6 décembre 1884 : « Les ministres de 
la guerre et de la marine et des colonies sont autorisés à accepter, 
au nom de VEtaty chacun en ce qui le concerne, le legs fait aux 
armées de terre et de mer par le sieur Larmée. Les rentes prove- 
nant de cette libéralité seront immatriculées, au nom de VEtat 
(département de la guerre et de la marine et des colonies), avec 
mention, sur l'inscription, de la destination des arrérages ». 

(3) Voir les nombreuses applications de cette règle dans les Notes 
de jurisprudence (section de l'Intérieur, des Cultes, de rînstruction 



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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALIÎS DE DROIT PUBLIC. 279 

\ 

ces administrations peuvent posséder des titres de rente 
sur TEtat français n'est pas non plus décisif : sans 
doute, puisque c'est TEtat qui est propriétaire, il pour- 
rait considérer sa dette comme éteinte pat confusion et 
rayer ces titres de rente du grand-livre de la Dette 
publique; niais dans ce cas il serait obligé, pour res- 
pecter raflfectalion indiquée par le disposant, d'inscrire 
chaque année au budget, en faveur du service gratifié, 
un crédit équivalent au revenu de ces titres (1). S'il 
juge plus simple de laisser subsister ces titres eux- 
mêmes, ce n'est là qu'une mesure d'ordre qui ne touche, 
point à la question de personnalité. 

publique et des Beaux-Arts), publiées par MM. Reynaud et Lagrange 
(Melun, 1899), p. 25â et s. On y trouvera l'indication de diverses 
notes du Conseil d'Etat portant qu'il y a lieu de faire accepter par 
le ministre compétent des libéralités faites aux Cours d'appels, à 
l'Administration des monnaies et médailles, à TEeoIe des Beaux- 
Arts, aux Musées nationaux (avant la loi qui leur a conféré la per- 
sonnalité civile), à l'Ecole française de Rome, à la caisse des pom- 
piers de Paris, etc.. Diverses notes du Conseil d'Etat ont môme net- 
tement, affirmé l'unité de la personnalité de l'Etat, en modifiant les 
termes des projets de décret soumis au Conseil et en substituant 
l'acceptation aSi nom de VEtat à l'acceptation au nom du dépar- - 
tement minis- tériel qui était proposée (voir les notes du 13 mars 
1889 et 13 avril 1892. citées par lissier, Dons et legs, n» 92). 

(1) La pluralité des caisses de l'Ëtat n'entraîne pas non plus une 
division de sa personnalité (v. ce que nous disons infrà, xa^ 130, de 
l'individualité financière sans existence juridique propre), et cela 
alors mêrhe qu'entre ces diverses caisses il y a une séparation assez 
entière pour que le débiteur de l'une ne puisse opposer la compen- 
sation tirée de ce fait qu'il est créancier d'une autre caisse. C'est 
déjà la solution donnée parles commentateurs à propos des sta- 
tiones fisci iy . Gierke, Deutsches Privatrecht, t. 1, p. 477, n. 12, 
et les auteurs qu'il cite). Le fait que l'Etat exclut ici la compensa- 
tion n'entraîne pas plus une division de sa personnalité que le fait 
d'exclure la confusion des rentes qui lui sont léguées avec affecta- 
tion spéciale. 



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280 . CHAPITRE III 

Il résulle seulement des argumenls présentés par 
MM. Marques di Braga et Lyon qu'il est' fort difficile 
d'indiquer un critérium permettant de discerner avec 
sûreté la personnalité d'un service public, et que les 
signes d'ordinaire indiqués comme décisifs en ce sens 
• peuvent être trompeurs. Nous essaierons 'plus loin de 
dégager les règles à suivre sur ce point. Ici, il y a une 
considération qui domine toutes les difficultés de détail, 
L'Etal peut bien démembrer quelques-uns de ses servi- 
ces et leur attribuer une personnalité distincte de la 
sienne, mais cela ne peut aller jusqu'à faire disparaître 
sa propre personnalité, qu'il affirme, au contraire, par 
ces créatfons mêmes. Or, dans le système proposé, cette 
personnalité centrale disparait : la personne qui con- 
tracte avec un service public quelconque ne contracte 
plus avec l'Etat,^ — il n'y a plus d'Etat personne mo- 
rale, — mais seulement avec le service, et alors son 
contrat est pour tous les autres services res inter alios 
acta. L'impossibilité d'admettre cette conséquence, la 
répulsion qu'elle soulèverait dans la conscience juridi- 
que, montrent combien est nécessaire aux besoins de la' 
vie sociale l'unité de la personnalité de l'Etat. La juris-r 
prudence ne paraît pas en douter du reste, et admet sans 
hésiter que la violation d'un contrat passé par un dé- 
partement ministériel engage la responsabilité de l'Etat 
même lorsqu'elle émane d'un autre déparlement minis- 
tériel (1). On doit ajouter que la thèse du démembre- 

(t) Voir l'arrêt de la Gh. des req., cité plus haut, du 23 juin 4887, 
D., 89. 1. 72. Un arrêt du Conseil d'Etat du 9 avril 4898, D.,99. 
3. 89 peut paraître à première vue contraire à ce principe; Le Con- 
seil d'Etat refuse une indemnité à un entrepreneur de travaux 
militaires à qui le ministre de Vlnlèrieur, par mesure de police, 



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LA CnÉATION DKS PERSONXKS MOKALES DE DROIT PUBLIC 281 

ment de la personnalité de TEtat est condamnée par 
tous les textes qui organisent cette personnalité. Comme 
le dit fort bien M. Ducrocq (I), c'est l'Etat, et non les 
départements ministériels, dont on ne voit jamais l'in- 
dication dans nos Codes, que les divers textes ci-dessus 
cités qualifient de propriétaire, de possesseur, de créan- 
cier ou de débiteur, et le législateur ne parait point avoir 
soupçonné qu'on puisse attribuer ces divers droits à 
d'autres qu'à TEtat lui-même. 

111. Le système que nous venons de combattre n'est 
pas la seule tentative qui ait été faite pour démembrer 
la personnalité de l'Etat. Le principe de la séparation des 
pouvoirs, par exemple, a parfois été présenté comme* 
impliquant une personnalité distincte pour chacun des 
grands pouvoirs de l'Etat (2). Mais c'est le moyen de le 
rendre inacceptable, et -c'est, semble-t-il, parce que les 

avait interdit remploi d'ouvriers étrangers. L'arrêtiste du recueil de 
Dalloz paraît attribuer la solution au fait que la mesure avait été 
prise par un autre département ministériel que celui qui avait passé 
le contrat. Il suffît de lire l'arrêt pour voir que telle n'est pas la 
pensée du Conseil d'Etat : il constate seulement que la main- 
d'œuvre étrangère n'était pas garantie à l'entrepreneur par son 
contrat. Si cette garantie avait été donnée, l'Etat eût été respon- 
sable, malgré la dualité des services impliqués dans l'affaire. 

{i)Loc, cit. y p. il4. 

(2) Kant (Metaphysische Anfangsgrûnde der Rechtslehre^Œa- 
vres, Leipzig, i868, t. VII) : « Chaque Etat renferme en soi trois 
pouvoirs, c'est-à-flire la volonté universelle réunie en une triple 
ipevsonne (trias poli tica), § 45»; « Les trois pouvoirs de l'Etat 
sont donc d'abord coordonnés les uns aux autres comme autant de 
personnes morales, § 48 ». D'après Kant la volonté de ces trois per- 
sonnes se combine dans un raisonnement pratique unique, dont là 
loi forme la majeure, le précepte donné conformément à la loi la 
mineure, et la sentence judiciaire la conclusion. Cpr. Fichte. 
Grundlage des Naturrechts ((ouvres, Berlin, i845, t. III, p. 159 



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2o2 * CHAPITRE III 

Allemands ont une cerlaine tendance à la concevoir 
sous cette forme que la plupart d'entre eux repoussent, 
parfois avec une sorte de dédain, celte théorie célèbre 
comme une erreur qui a fait son temps (i). Ils n'ont 
pas de peine à démontrer, en parlant de ce point de vue, 

et suiv.). L'idée de personnalité de chacun des trois pouvoirs 
découle naturellement de la théorie qui voit dans la volonté le fon- 
dement du droit subjectif,- théorie qui est celle de Kant. Si on 
introduit dans ta définition de la personnalité la notion de Vinté- 
rêt, on arrive nécessairement à une autre conclusion (v. infrà, 
n^ 112). Il va sans dire que les philosophes que nous citons ici 
n'ont en vue qu'une sorte de personnalité de^droit ppblic qui, dans 
leur pensée ne détruit même pas l'unité de l'Etat; ils n'en con- 
cluent nullement que chacun des trois pouvoirs doit posséder un 
patrimoine distinct. 

(I) Laband {Staatsrecht des deutschen Reiches, 2e édition, t. I, 
p. 517, note 3, et trad. franc., t. II, p. 268-269) combat, par 
exemple, le principe de la séparation des pouvoirs comme rame- 
nant l'acte de volonté de l'Etat, dans la confection de la loi, à 
un accord entre deux contractants, le monarque et les Chambres. 
Suivant nous, là où le monarque participe à la confection des 
lois, il fait lui-même partie de l'organe législatif, et il n'y a pas 
lieu de parler de contrat entre deux personnes distinctes. Gpr., 
parmi les Allemands qui repoussent le principe de la séparation 
des pouvoirs : Gerber, Grundsûge, § 7 in fine \ Meyer, StaalS" 
recht, I ^. in fine ; Gareis, Allgemeines Staatsrecht, p. 34 ; 
Bornhak, Allgemeines Staatsrechty p. 140 et suiv. — M. Otto 
Mayer (Deutsches Venoaltungsrecht, % 6), qui est en Allemagne 
un des rares défenseurs de ce principe, cite un mot de M. Aucoc à 
TAcadéraie des Sciences morales et politiques à propos du concours 
de 1877 ; M. Aucoc avait dit que les critiques dont le principe est 
l'objet reposent souvent sur des malentendus. « A ces malentendus, 
dit M. Mayer, nous livrons une large contribution ; ce que la science 
allemande repousse avec une telle unanimité, ce n'est pas le prin- 
cipe de la séparation des pouvoirs, mais l'épouvantail que l'on en 
a fait (nicht die wirkliche Trennung der Gewaltenf sondent der 
Popanz, den man daj^aus gemacht hat, p. 68, note 2) ». V. dans 
la traduction française de l'ouvrage d'Otto Mayer (Le droit qdmi- 
nistratif allemand y 1903, t. !, p. 84), le complément que l'auteur 



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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC 283 

qu'un seul Etat en trois personnes implique contradic- 
tion, qu'essentiellement l'Etat est un et doit être conçu 
comme tel. Mais il nous semble qu'en France le prin- 
cipe de la séparation des pouvoirs a été rarement conçu 
dans le sens qu'ils combattent. Nos publicistes ont bien 
plutôt tendance à y voir, comme les Allemands eux* 
mêmes, une simple distribution des fonctions de TEtat 
entre des organes divers.. L'idée d'une personnalité dis- 
tincte de chacun des pouvoirs, Tidée de la réunion de 
ces trois personnes en une seule, la triade ou trinité 
politique de Kant, ce sont là des conceptions purement 
métaphysiques, très étrangères aux préoccupations et à 
la tournure d'esprit de ceux qui ont formulé chez nous 
le principe de la séparation des pouvoirs. La pensée de 
Montesquieu et de ceux qui l'ont suivi est toute prati- 
que : les pouvoirs doivent être divisés, parce que la 
concentration de tous les pouvoirs entre les mains d'un 
seul homme ou d'un seul corps conduit directement 
au despotisme. Mais cela n'empêche pas de considérer 

a ajoute à cette conslatalion : « Depuis que ce passage a été écrit, 
nous dit-il, un revirement paraît s'opérer dans notre doctrine ». Il 
cite, coronfie se rattachant aux idées qu'il avait exprimées en 1803 : 
Auschûtz, Die gegenwàriigen Theorien ûber den Begriff der 
gesetzgebenden Gewalt (1901) et Arndt, dans Archiv. fàroffentl. 
RerhU t. XV, p. 346, lequel réclame pour lui la priorité de ces 
idées. Nous constatons avec plaisir ce revirement de la doctrine 
allemande vers une théorie française, que plusieurs chez nous sont 
trop portés à abandonner, et qu'il s'agit seulement de bien en- 
tendre. M. Duguit, qui a beaucoup médit du principe delà sépara- 
tion des pouvoirs, y revient par un détour en admettant la distinc- 
tion des gouvernants et des agents (VEtat, les gouvetmants el les 
agents^ p. 362 et s.) : il voit dans cette distinction une garantie 
considérable accordée à l'individu. C'est précisément cette môme 
^ garantie que la doctrine classique française trouve dans la sépara- 
tion du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. 



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284 CHAPITIŒ III 

tous ces pouvoirs comme appartenant, en dernière 
analyse, à une personne unique qui est l'Etat (1), et 
c'est pour cela que les défenseurs les plus* éclairés du 
principe en France ont insisté sur Pidée que les pou- 
voirs ne pouvaient être entièrement séparés, qu'on 
devait admettre entre eux une collaboration perma- 
nente^ afin d'arriver à dégager de ces pouvoirs distincts 
une volonté unique (2), et que d'ailleurs en cas de 
conflit l'un des pouvoirs devait nécessairement avoir la 
prépondérance (3). 

112. On n'a pu s'y tromper d'ailleurs que parce qu'on 
est parti d'une fausse idée sur la nature de la personna- 
lité morale. Si au lieu de voir dans la volonté l'élément 
essentiel et exclusif du droit subjectif, on Tavait vu dans 
l'intérêt de l'homme ou du groupe humain auquel le 
droit profite, on aurait bien vite reconnu qu'aucun des 
trois pouvoirs ne peut, dans le droit moderne^ consti- 
tuer une personne juridique. Tous représentent l'inté- 
rêt collectif du même groupe humain, la Nation, ils 
sont donc les organes d'une seule personne. Le fait que 
ce sujet de droit a des représentants plus ou moins 
nombreux et plus ou moins indépendants les uns des 
autres ne détruit pas l'unité de sa personnalité. Ces 
divers représentants nous apparaissent comme autant 

(i) Montesqureu dit lui-môme, en parlant du pouvoir législatif et 
du pouvoir exécutif, que Tun est la volonté générale de l'Etat et 
l'autre l'exécution de cette volonté générale {Esprit des lois, liv.XI, 
chap. VI). 

(2) Voir Saint-Girons, Essai sur la séparation des pouvoirs, 
p. 142, et les auteurs qu'il cite, notamment le passage de Mou- 
nier : « Pour que les pouvoirs soient à jamais divisés, il ne faut pas 
qu'ils soient entièrement séparés » 

(3) Voir Esmcin, Droit constitutionnel, l^e éd., p. 291. 



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^îwg^»??^' 



LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC 285 

d'organes de TEtat ; si leurs altributions sont . stricte- 
menl définies, de manière que chacun d'eux ne puisse 
empiéter sur les autres, ce n'est pas dans leur propre 
intérêl^ mais dans Tinlérêt. de TEtat lui-même. On ne 
peut donc les considérer comme ayant un droit subjec- 
tif à la compétence qui leur appartient (1). Aussi, le 
plus souvent, ne peuvent-ils défendre en justice leur 
compétence contre les autres organes de TEtat. Là 
même où il y a les apparenc,es d'une action en justice de 
celte nature, on doit l'expliquer, non par un droit appar- 
tenant à Torgane, mais par Tutilité que présente pour 
l'intérêt général, c'est-à-dire pour TEtat, un débat con- 
tradictoire sur la question de compétence. 

Parmi nos institutions actuelles, celle qui ressemble 
le plus à un débat judiciaire entre deux pouvoirs est 
celle du conflit positif d'attribution. On voit Taulorité 
administrative, représentée par le préfet, revendiquer 
pour l'administration la décision d'une affaire pendante 
devant un tribunal judiciaire et faire juger la question 
de compétence par le tribunal des conflits, c'est-à-dire 
par un véritable tribunal statuant avec toutes les formes 
de la justice. Il serait inexact cependant de considérer 
le conflit comme un véritable procès entre l'autorité 
administrative et l'autorité judiciaire. A l'époque où la 
solution du conflit appartenait au chef du pouvoir exé- 
cutif, le Conseil d'Etat déclarait nettement que la déci- 
sion n'avait pas le caractère d'un jugement, mais celui 
d'un acte de haute administration (2). Si Ton a créé 

(i) V. plus haut, nos 59 et s. l'esquisse générale de la théorie de 
de l'organe. Nous Ja développerons, en ce qui concerne l'Etat, 
dans le second volume de cet ouvrage. V. cependant infrà^ 
le n» 412 bis. 

(2) V. l'avis du Conseil d'Etat du i8 janvier i821, cité par 



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286 CHAPITRB m 

depuis lors, pour juger le conflit, un 'tribunal spécial, 
c'est dansTintérèt d'une bonne administration de la jus- 
tice, afin que les parties en cause soient sûres de trouver 
le juge indiqué par la loi. Mais on ne considère point, 
devant ce tribunal, les deux autorités en conflit comme 
deux plaideurs débattant leurs droits en justice : si on 
le faisait, on devrait permettre à chacune d'elles de 
poser des conclusions (1); on devrait aussi donner à 
chacune d'elles, et non pas au préfet seulement, le droit 
d'élever le conflit. La vérité est que le préfet, quand il ' 
soulève ce débat, représente moins l'administration que 
rinlérêt général de TEtat, et que le tribunal des conflits, 
quand il le juge, statue sur une pure question de droit 
objectif, celle de savoir, entre deux autorités représen- 
tant Tune et l'autre TEtat, quelle est celle qui est compé- 
tente d'après la constitution et les lois. La décision a 
bien aujourd'hui certains caractères d'un jugement, mais 
seulement ceux qui sont compatibles avec l'idée d'un, 
jugement rendu sur le droit objectif, et non ceux qui 
sont propres aux jugements rendus, comme c'est le fait 
ordinaire,, entre deux personnes en cause (2). 

M. Reverchon, dans le Dictionnaire de V Admiîiisîration fran- 
çaise, de Block, \o Conflit, n» 136. 

(1) Le minisire peut présenter des observations, mais ces obser- 
vations, qui ne sont pas des conclusions, ne suffisent pas & faire con- 
sidérer l'autorité administrative comme partio en cause Quant à 
l'autorité judiciaire, elle n'a devant le tribunal aucun représentant 
chargé de défendre ses droits. C'est seulement dans la composition 
même du Tribunal qu'on a cherché à la représenter, de manière à 
arriver à la meilleure solution objective du litige. — Cpr. sur le 
caractère de la lutte de compétence qui se produit devant le tri- 
bunal des conflits. Duguit, VEtat, les gouvernants et les agents, 
p. 515 et suiv. V. aussi Jellinek, System der subject, offenil. 
Lehre, p. 221 et s., et Allgem, Staatslehre, p. 512-513. 

(2) Cpr. Reverchon, loc. oit, y n^ 159. — On sait d'ailleurs que 



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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC 287 

112 bis. Toutefois la théorie qui nie la personnalité 
de Torgane considéré en lui-même n'est point incom- 
patible, nous l'avojis vu (i), avec l'existence d'un droit 
à la qualité d'oraane existant dans la personne de l'indi- 
vidu qui est investi de ce rôle. Cela existe toutes les fois 
que la qualité d'organe est reconnue à cet individu, non 
dans rintérèt de la collectivité qu'il est appelé à repré- 
senter, mais dans son propre intérêt. A nos yeux, 'cela 
existe à Tégard d'organes qui jouent dans TEtatmoderne 
un rôle très important, nous voulons parler des élec- 
teurs (2). " • 

Notre régime politique actuel est basé sur l'idée de 
souveraineté nationale, et de représentation du peuple 
pa(r un parlement qui a dans l'Etat un pouvoir prépondé- 
raut. Cette notion, d'ordre tout politique, ne doit pas êlre 
traduite juridiquement, comme on a longtemps cherché 
à le faire, par l'idée d'une nation-personne, qui serait 
distincte de la personne Etat, et qui donnerait mandat à 
ses représentants pour gouverner en son nom (3). La 



si les deux autorités ne sont pas parties en cause, on ne doit pas 
non plus considérer comme telles les personnes qui étaient en 
cause dans le procès à l'occasion duquel Je conflit a été soulevé. 
Ces personnes peuvent présenter des observations mais non poser 
des conclusions ; elles n'ont aucune voie de recours contre Ja déci- 
sion, qui n'est jamais considérée comme rendue par défaut ; elles 
ne peuvent pas récuser un membre du tribunal, etc. Nous n'avons 
pas à insister ici sur cet ordre d'idées. 
(i) Ci-dessus n^' 64 bis, 

(2) Cela existe aussi, au profit du Monarque, dans certains régi- 
mes monarchiques. 

(3) Cette théorie de la nation-personne donnant mandat au gou- 
vernement, ou lui déléguant la souveraineté est pourtant une théorie 
classique. C'est en la prenant comme point de départ qu'on a discuté 
sur le caractère de cette délégation, tantôt la considérant comme 



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288 CHAPITRE III 

nation n*a en effet aucune existence juridique distincte; 
l'Etat n'est que la nation elle-même (la collectivité), 
juridiquement organisée ; et il est impossible de com- 
prendre comment celle-ci pourrait être conçue comme 
un sujet de droit distinct de TElat. Ce serait également 
une erreur de voir dans la nation un organe de l'Etat; 
n'étant pas distincte de la collectivité, elle ne peut pas plus 
être un organe de celte cullectivilé qu'elle ne peut être 
une personne (1). En réalité ce sont les électeurs^ orga- 



une simple corn mission, tantôt déclarant la souveraineté alié- 
nable en sorte que le roi, délégué par la nation est investi d^un 
pouyoir propre qui peut s'opposer à celui de la nation. V. sur 
ces diverses théories, de Vareilles-Sommières, Les pinncipes fon- 
damentaux du droite p. 274 et s. Rousseau, qui est le partisan 
le plus convaincu de la souveraineté inaliénable de Itf nation, 
admet nettement la dualité de la nation et du gouvernement : 
« Nous avons ici, dit-il, deui personnes morales bien distinctes, 
savoir : le gouvernement et le souverain, et deux volontés géné- 
rales très distinctes, Tune par rapport à tous les citoyens, l'autre 
seulement pour les membres de l'AdminisIration [Contrat social, 
L. m, ch. V) ». Mv Duguit, UEtaty les gouvernants et les agents^ 
p. 57 et s.,- montre bien la genèse de ces doctrines dualistes. Elles 
ont pour objet de traduire juridiquement le fait de la souveraineté 
nationale, c'est-à-dire le fait que l'ensemble des citoyens parti- 
cipent à la direction du pays. Mais elles n'ont pas la précision 
nécessaire à une doctrine juridique. 

(4) Jellinek (Allgem. Staatslehre, p. 533 et s.), tout en admet- 
tant avec l'opinion générale (v. la note suivante), que l'élection 
est un choix, un procédé de sélection, et non un mandat, a une con- 
ception particulière du rôle que iouale peuple (das Fo /A:), dans 
les constitutions où existent des élections populaires. Pour lui le 
peuple est dans ces constitutions, un organe primaire de TEtat 
qui nomme un organe secondaire, lequel est en réalité chargé 
d'exprimer dans le gouvernement la volonté de l'organe primaire 
dont il émane.- Il se flatte par là d'exprimer juridiquement le lien 
qui existe entre l'organe créateur et l'organe créé, lien qu'il repro- 
che à la théorie dominante de négliger entièrement : il est impos- 



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LA CREATION DES PERSONNES MOttALES DE DROIT PUBLIC ^89 

nîsés en collèges électoraux, qui sont les organes de 
TElat. Ils forment un organe collégial^ c'est-à-dire 
constitué de telle sorte que leur volonté individuelle n'a 
de valeur que lorsqu'elle est combinée, suivant certai- 
nes règles, avec la volonté individuelle des autres per- 
sonnes formant avec eux le collège électoral. 

Il résulte de cette conception que l'élection n'est pas 
un mandat donné par les électeurs. Elle est seulement 
un choix, un procédé de sélection (i), imaginé pour 

sible d'après lui, de donner la môme expression juridique à, la situa- 
tion de membre d'une chambre haute, désigné par sa naissance ou 
par le chef de l'Etat, et à la situation de membre d'une chambre 
populaire. Le premier n'est pas chargé, comme le second, de faire 
prévaloir dans le gouvernement les vues du peuple ; et, cette diffé- 
rence, il faut que la théorie juridique l'exprime sous peine de n'être 
qu'une théorie purement formelle, vide de toute signification 
sérieuse. Mais, répondons -nous, si la théorie juridique n'exprime 
pas cette différence, c'est parce qu'elle n'existe pas au point de 
vue juridique ; c'est une simple différence de fait, qui n'amène 
pas de conséquences de droit ; le membre de la Chambre des 
députés, une fois nommé est aussi indépendant de ses électeurs, 
au point de vue juridique, que s'il avait été nommé par le chef 
de l'Ëtat ou désigné par sa naissance ; ses électeurs n'ont sur 
lui qu'une influence indirecte, résultant principalement du droit 
qu'ils ont de ne pas le renommer ; mais cette influence ne touche 
en rien aux rapports juridiques qui résultent de l'élection ; elle 
ne modifie pas la situation de l'élu, tant que cette situation sub- 
siste. La théorie juridique n'a donc pas à en tenir compte. La 
conception de Jellinek se heurte d'ailleurs à cette difficulté que le 
peuple, masse amorphe et indéterminée, ne peut pas plus être un 
organe qu'il ne peut être une personne morale distincte de l'Ëtat. 
L'organe est l'être chargé de vouloir et d'agir pour la personne 
morale ; ce ne peut être qu'une personne physique ou une personne 
morale qui, dans ce cas, voudra pour la personne morale dont elle 
est l'organe, comme elle veut pour elle-même, c'est-à-dire par 
l'intermédiaire d'une personne physique. 

(1) Cette notion de l'élection autrefois très méconnue en France 
est devenue courante dans la littérature juridique. Y. notamment 

MICHOUD 19 



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2dO cfiAPitRB ni 

donner à TEtat une représentation capable de pourvoir 
aux besoins auxquels il doit satisfaire. Elle est déjà un 
acte de volonté de TEtal, qui, au moyen d'organes pri- 
maires (les électeurs réunis en collège), se crée, con- 
formément à sa Constitution, un organe secondaire (la 
Chambre ou assemblée quelconque provenant de l'élec- 
tion). L'organe primaire n'a d'ailleurs pas d'autre com- 
pétence que celle de voter ; il ne représente l'Etat que 
dans cet acte, et dans nul autre. 

Il résulte encore de cette théorie que le député ne 
représente pas seulement sa circonscription électorale, 
mais qu'il est Torgane de la collectivité nationale tout 
entière. Cette règle, qui est certaine en droit positif (1), 
est inexplicable avec la théorie de la représentation 
ou du mandat, à moins de recourir à la fiction ; elle est 
au contraire toute simple avec la théorie de l'organe. 

Mais il ne résulte pas de cette théorie que le droit 
électoral ne puisse pas être regardé comme un droit 
pour Télecleur et qu'il soit pour lui un simple effet 
réflexe du droit objectif (ou, ce qui est la même chose, 
du droit subjectif de la collectivité). Les procédés 
admis dans une constitution donnée pour organiser les 

les remarquables articles d'Orlando, dans la Revue du droit 
public, t. 111, 189o, p. i et s. ; et les Principes du droit public et 
const, du môme auteur, trad. française, p. 99 et s. V. aussi Jelli- 
nek, Allg . Staatslehre, p. 53i. Gierke, dans Schmoller Jahr- 
buch, 1883, p. U42. Laband, Le dr^oit public de V empire alle- 
mand, trad. franc., t. I, p. 442 et s. Pour la France, Saripolos, 
La démocratie et Vélection pi^opor lionne lie, p. 547 et s. 

(i) V. Esmein, Droit constitutionnel, l^e éd.,- p. i84 et s. 
Duguit, VEtat, les gouvernçL7its et les agents, p. 172 et s. Const. 
de 1791, titre 111, section 3, ch. I, art. 7. De la môme théorie 
découle aussi la prohibition du mandat impératif qui se trouve 
dans la plupart de nos constitutions. 



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LA CRÉATION DÉS PERSONNES MORALES DE DROtT l>UBLIC 201 

pouvoirs publics ont en effet pour objet de faire préva»- 
loir, dans le Gouvernement les influences que les 
auteurs (conscients ou inconscients) de celle Constitu- 
lion ont voulu rendre prépondérantes. Si ces auteurs 
sont imbus de la théorie politique de la souveraineté 
du peuple, ils auront combiné les procédés do manière 
à assurer l'influence à la masse des citoyens, et non à 
une catégorie d'entre eux, à un individu ou à une 
famille. C'est ici que la Ihéorie juridique rejoint la 
théorie politique. Uorganisalion du suffrage universel a 
pour objet de faire pénétrer dans le domaine juridique 
(autant que cela est possible) le principe politique de la 
souveraineté du peuple. Le droit reconnu aux électeurs 
leur est donc reconnu dans leur propre intérêt^ pour 
qu'ils puissent faire triompher dans le Gouvernement, 
leurs idées et leurs désirs. Au fond cet intérêt bien 
compris, ne se distingue pas d'ailleurs de celui de la 
collectivité elle-même, là oii les électeurs sont choisis 
de telle sorte qu'ils forment la collectivité tout entière, 
ou que du moins ils s'inspirent nécessairement des 
besoins de cette collectivité. Mais il est logique, à ce 
point de vue, de considérer le droit de vote comme un 
véritable droit pour eux, puisqu'il est un pouvoir qui 
leur est accordé pour défendre leurs intérêts ; et c'est en 
effet comme un véritable droit personnel qu'il est sanc- 
tionné par toutes les législations modernes. Cela ne 
tranche d'ailleurs pas la question de savoir dans quelle 
mesure ce droit doit être placé hors de l'atteinte TE tat- 
législateur, question que nojjs ne pourrons examiner 
qu'en étudiant le droit de souveraineté de TEtat. 

113. Dans la conception de l'Etat, telle qu'elle est expo- 
sée ci-dessus, la puissance publique est considérée comme 



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i9î CHAPITRE Ht 

appartenanl à uq sujel de droit qui est i'Ëlat, c'est-à- 
dire la collectivité nationale organisée. Si cet Etat est 
souverain, c'est-à-dire s'il exerce avec une entière liberté 
ses droits de puissance publique, on peut désigner Ten- 
semble de ces droits du nom de souveraineté. Mais, 
même dans ce cas, ces droits ne doivent pas être conçus 
comme illimités. Ils sont limités par la nature même de 
la personnalité de l'Etat, qui n'est que la représentation 
des intérêts collectifs de la nation, intérêts collectifs qui 
sont à la fois la base et la limite de son pouvoir. 

Le droit de commander en effet ne peut se justifier 
que de ce point de vue. L'homme ne peut être obligé de 
plier sa volonté sous celle d'un homme comme lui, 
dont les intérêts n'ont rien de supérieur aux siens. 11 
peut au contraire être obligé de s'incliner devant les 
intérêts supérieurs de la collectivité à laquelle il appar- 
tient, parce que cette collectivité, voulue de Dieu, a 
besoin pour remplir sa fin, c'est-à-dire pour pourvoir au 
bien commun, d'avoir le droit de commander. Mais aussi 
ne peut-elle commander qu'en vue de l'intérêt collectif 
dont elle a la garde, en vue du bien comnaun; au delà 
de cette limite, elle n*a plus de droit, et ses commande- 
ments n'ont plus qu'une valeur de fait(l). 



(1) Cette théorie du droit de commander dépasse le champ de la 
science expérimentale pour faire appel à une idée transcendante. 
Cela est nécessaire à nos yeux pour faire du pouvoir quelque chose 
de plus qu'un simple fait de plus grande force. Toutes les écoles 
spiritualistes sont d'accord sur ce point. La théorie ici indiquée est 
notamment celle de saint Thomas-d'Aquin. Somme théoL, U, 1, 
quest. &6, art. 4. V. Chénon, Théorie catholique de la souverai- 
neté nationale^ 1898, p. 7. En traitant des droits des personnes 
morales, nous serons obligés de revenir sur cette théorie que nous 
ne faisons ici qu'indiquer. 



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LA CREATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC 293 

Sans doute, l'Etat souverain est sur le territoire qui 
lui appartient, la plus haute autorité^ et par conséquent 
a tous les pouvoirs, non seulement en ce sens que per- 
sonne n'a la force matérielle pour lui résister, mais 
aussi en ce sens que les règles de droit par lui acceptées 
s'imposent à toutes les autorités qui fonctionnent comme 
ses organes. Celles-ci ne peuvent prétendre à le repré- 
senter lorsqu'elles se mettent en contradiction avec lui. 
Mais la conscience individuelle conserve le droit de ré- 
sistance à tout ordre dépassant le droit de conimander 
tel qu'il e,st déterminé par la fin de l'Etat; et, même eti 
fait, I^Etat ne peut impunément violer trop fréquemment 
ou trop scandaleusement les droits de l'individu sans 
s'exposer à n'être plus obéi. 

Quels sont les intérêts collectifs dont la satisfaction 
est à la fois le fondement et la limite des droits de 
J'Etat? C'est là une question à laquelle on ne peut ré- 
pondre qu'en traitant à fond la théorie des fins de l'Etat, 
c'est-à-dire une théorie qui sortirait de notre cadre, et 
qui est trop complexe pour que nous puissions le traiter 
incidemment. Historiquement la réponse a varié avec 
les divers degrés de culture et le caractère des peuples. 
Philosophiquement elle doit varier avec les divers sys- 
tèmes philosophiques sur la destinée de l'homme. Mais 
dans tout Etat la limite théorique des droits de l'Etat 
coïncide avec la limite des sacrifices que l'intérêt collec- 
tif peut demander à l'intérêt privé, telle qu'elle est dé- 
terminée par l'opinion générale de la nation. 

114. Les idées qui viennent d'être esquissées répon- 
dent d'elles-mêmes a une objection que l'on a faite 
parfois à la théorie de la personnalité de l'Etat. Qn l'a 
'présentée comme conduisant à l'idée de souveraineté 



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^"^re^^ 



204 CHAPITRE llf 

illimitée, et amenant par là, soit la négation du droit 
de rindividu, soit tout au moins l'aggravation du con- 
flit inévitable entre les droits de Tindividu et les droits 
de la collectivité : « Gardons-nous, dit par exemple 
M. Berthélemy (1), d'assimiler à une personne TEtat qui 
commande, car nous construirions par celte nouvelle 
fiction un être formidable, nullement pareil aux êtres 
qui nous entourent, un monstre dont nous ne pourrions 
ni limiter les prétentions ni modérer Tomnipotence ». 
Ces lignes^ qui évoquent à nos yeux la redoutable figure 
du Léviathan de Hobbes, ne sont que Pexpressionla plus 
précise d^une crainte que Ton trouve exprimée plus ou 
moins nettement dans beaucoup d'autres auteurs (2). 

Celte crainlene serait vraiment fondée que si nous fai- 
sions de l'Etat un êire mystique, une personnalité indé- 
pendante des individus qui la composent, et ayant ses fins 
propres autres que les intérêts collectifs de ses membres. 
Conçue comme la simple représenlalion juridique du 
droit collectif, l'idée de personnalité de TEtat ne contient 
en elle-même le germed'aucun développement exagéré de 
la puissance publique. Elle aide au contraire à la limiter 
en montrant quelle est sa vraie raison d'être, et aussi en 
la soumettant aux procédés habituels de la méthode juri- 
dique. L'idée que la puissance publique est un droit ap- 
partenant à un sujet et que ce sujet n'est autre que la 

(1) liecue du droit public, t. 21, p. 213. 
V (2) V. p. ex. Menger, L'Etat socialiste, trad. Adler, p. 227. 
« Prôler à l'Etat une sorte de vie personnelle propre, c'est opérer 
une coupure entre l'Elat d'une part, et de l'autre les individus dont 
il est composé et les fins de ces individus, et c'est faire de lui une 
entité particulière ayant ses fins à elle et ses aspirations propres ». 
Menger explique par là le fait qu'on ait fait servir TEtatà l'intérêt 
des groupes sociaux les plus puissants et non à l'intérêt de tousr. 



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LA CRÉATION DBS PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC 295 

collectivité nationale, ne répond pas seulement aux exi- 
gences logiques de notre esprit ; elle nous permet d^ap- 
pliquer à ce sujet de droit des règles analogues à celles 
qui régissent les autres sujets de droit, en tenant compte 
seulement de ce fait qu'il a des droits plus étendus à 
raison de la mission qui lui est propre. C'est la seule 
manière d'établir un lien entre le droit public et le droit 
privé, et de faire participer le premier des progrès ac- 
complis par le second. 

M. Duguit a donné à l'objection que nous venons de 
signaler une tournure particulière en considérant l'idée 
de souveraineté comme liée intimement à Tidéc de per- 
sonnalité, et en essayant de démontrer que la souverai- 
neté ne peut se concevoir que comme un droit absolu, 
sans restriction et sans limites. Pour lui l'Etat^ si on le 
qualifie de souverain, ne peut être soumis à aucune rè- 
gle, et il lui est même impossible de s'y soumettre vo- 
lontairement, car il ne peut abdiquer sa souveraineté : 
«Si TEiat a la souveraineté, nous dit-il (^), il est une 
puissance commandante créatrice du droit, une personne 
investie de YHerrschaft, il garde toujours ce caractère. Il 
a ou il n'a pas ce caractère ; s'il le possède il le con- 
serve toujours; le rapport qui naît entre TEtat et une 
autre personnalité ne peut jamais être un rapport de deux 
contractants, et sera toujours un rapport de supérieur 
à subordonné. I! en résulte logiquement que les conven- 
tions internationales ne sont pas obligatoires, qu'il n'y 
a pas de droit international, que dans les rapports entre 
nations tout doit être laissé à la force; et que, en droit 
public interne, les contrats d'Etat sont obligatoires 

(l) UEtatt le droit objectif et la loi positive, p. 383 et s. 



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296 ciiAPiTHR m 

pour le particulier qui les consent, mais non pour 
TEtat ». 

Celte conception de la souveraineté de TEtat est tout 
à fait exagérée ; on peut admettre un Etat souverain 
soumis au droite cela résulte déjà de la notion que nous 
avons donnée plus haut du droit de commander, et nous 
essaierons de le démontrer plus complètement en étu- 
diant l'étendue des droits des personnes morales. Mais 
co n'est pas le dieu d'insister sur ce point. Ce que nous 
devons faire observer seulement, c'est que l'objection 
est sans valeur en tant qu'elle s'adresse à la théorie de 
la personnalité ; car personnalité de l'Etat et souverai- 
neté de l'Etat sont deux idées très distinctes, comme 
suffit à le démontrer la possibilité d'Etats non souve- 
rains. 

115. Les services publics personnalisés, — Les expli- 
cations précédentes nous paraissent suffisantes pour 
mettre en relief l'unité de la personnalité de l'Etat. 
Mais cette unité ne fait point obstacle à ce que l'Etat 
détache lui-même certains services publics, et les dote 
d'une personnalité propre. Les services publics person- 
nalisés abondent dans notre législation et ne sont incon- 
nus d'aucune législation actuelle. Ils se ramènent facile- 
ment, comme on va le voir, aux principes généraux sur 
la personnalité morale, et par conséquent leur création 
n'est pas un acte purement arbitraire, bien que l'Etat y 
ait un large pouvoir d'appréciation. 

Pour qu'un service public puisse être considéré comme 
une personne morale distincte de l'Etat, il lui faut, 
comme à toute personne morale, une organisation suf- 
fisante pour dégager une volonté capable de le repré- 
senter sur la scène du droit. C'est la condition de forme 



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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC ^97 

à laquelle est subordonnée la création de toute personne 
morale. Théoriquement TEtat peut doter n'importe lequel 
dé ses services de l'organisation nécessaire pour que 
cette condition soit remplie. Il n*est pas besoin pour 
cela que cette organisation soit rationnelle, ni même 
congue de façon à correspondre exactement aux besoins 
du service. Il suffit qu'elle existe, et que le service puisse, 
toutes les fois qu'il le faudra, avoir un représentant. En 
fait, certaines personnes morales n'ont qu'une organisa- 
tion tout à fait rudimentaire : la personne morale des 
pauvres, qui est traditionnellement reconnue dans notre 
droit, n'a point d'organe qui lui soit propre ; elle em- 
prunte, suivant les cas, les représentants de diverses 
autres personnes morales (1); on la considère cepen- 
dant comme suffisamment organisée, parce que, dans 
tous les cas où cela est utile, la loi lui désigne directement 
ou indirectement, un représentant. De même la section 
de commune n'a pas, en règle générale, d'autres organes 
que ceux de la commune elle-même (2), et cependant sa 
personnalité morale n'est pas douteuse. C'est que la con- 
dition dont il s'agit est une condition de pure forme, qui 
ne touche pas au fondement intime du droit. Elle existe 
toutes les fois que l'on a assuré à la personne morale 
une représentation par un procédé quelconque. 

Mais pour qu'un service public constitue véritable- 
ment une personne juridique distincte de l'Etal, une 
autre condition est nécessaire, condition qui résulte de 
la notion même de personne, telle que nous avons essayé 

(t) On peut, il est vrai, contester, avec raison suivant nous, qu'il 
s'agisse Jà d'une véritable personne morale. V. suprà, p. 487, n.2. 

(2) Sauf dans divers cas spéciaux, indiqués notamment aux arti- 
cles 111 et 128 de la loi municipale. 



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CHAPITRE m 

de la dégager (1). C'est qu'il corresponde à un groupe 
d'intérêts collectifs et permanents, distincts de ceux de 
l'Etat lui-même. 

Sans doute, en fait, l'Etat pourrait déclarer que n'im- 
porte lequel de ses services — celui de la police géné- 
rale, par exemple, ou celui de l'armée, ou celui de la 
gestion de ses domaines — sera érigé en personne mo- 
rale distincte. Il lui attribuerait un patrimoine, un bud- 
get, une reprf^sentaliou spéciale. Il lui donnerait ainsi 
toutes les apparences de la personnalité, non la person- 
nalité elle-même ; ce serait une pure fiction, l'organisa- 
tion d'un mécanisme administratif, que TEtat pourrait 
supprimer dès qu'il le voudrait sans violer aucun droit 
acquis. La fiction disparaîtrait d'elle-même si le service 
se trouvait en déficit, ou au contraire faisait des béné- 
fices périodiques et durables : \lans le premier cas, TEtat 
serait obligé de lui venir en aide ; dans le second, il se 
déciderait bien vile à lui ordonner de verser ses excé- 
dents au budget général. Tant qu'elle*dnrerait, la fiction 
pourrait produire certains effets juridiques, par exemple 
empêcher qu'on n'oppose à l'Etat la chose jugée contre 
ce service, ou une cause de compensation résultant dk 
la dette née de ce service; elle pourrait assurer à ce 
dernier une représentation distincte en justice; mais il 
serait étrange qu'elle pût aller jusqu'à lui permettre de 
plaider contre l'Etat lui-même et d'invoquer contre lui 
un droit au sens propre du mot. Enfin, si l'Etat se déci- 
dait à reprendre lui-même la gestion confiée à cette pré- 
tendue personne morale, il y consacrerait les crédits 
qu'il jugerait nécessaires et ne serait nullement obligé de 

(1) Suprà, nos 53 et s. 



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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC 299 

respecter l'afTectation des biens qu'il lui avaitjitlribués. 
Les services de ce genre, malgré toute déclaration con- 
traire, sont (oujours au fond TEtat lui-même ; ils inté- 
ressent au même degré le groupe national tout entier, et 
c'est ce groupe qui reste, en ce qui les concerne, le 
véritable sujet de droit, quelle que soit l'organisation 
adoptée. 

Il en est autrement lorsqu'il s'agit de services qui, tout 
en présentant' un intérêt général justifiant leur classe- 
ment comme services publics, intéressent d'une manière 
spéciale un groupe plus restreint que la Nation elle- 
même. Il y a dans ce cas un groupe humain ayant des 
intérêts collectifs et permanents qui sont distincts de 
ceux de l'Etat et peuvent parfois lui être opposés. Cela 
peut se produire de deux manières : ou bien il s'agit de 
groupes territoriaux^ c'est-à-dire de la population pré- 
sente et future établie sur certaines fractions du terri- 
toire de l'Etat, ou bien il s'agit de groupes spéciaux^ 
c'est-à-dire de l'ensemble des personnes présentes et 
futures intéressées à un service dont le reste de la po- 
pulation ne bénéficie pas d'une manière directe (par 
exemple les pauvres pour un service d'assistance, les 
membres d'une confession religieuse pour un servipe du 
culte, etc.). Dans le premier cas, on a ce que l'on peut 
appeler une personne territoriale ; dans le second, ce 
que la doctrine française s'accorde aujourd'hui à dési- 
gner du nom A' établissement public. Nous allons étudier 
successivement la création de ces deux catégories de 
services publics personnalisés. 

116. A. Les personnes territoriales. — Les groupes 
territoriaux doués de personnalité sont, dans notre orga- 
nisation française actuelle, les communes, les départe- 



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300 CHAPITRE III 

ments et les colonies. Les premières ne doivent pas/ 
histojiquement, leur formation à l'Etat; ce sont des 
groupes qui se sont organisés spontanément, bien avant 
la constitution des grands Etats actuels, par suite des 
besoins communs nés du rapprochement des habitations. 
Mais TEtat moderne ne les a pas considérés comme de 
simples associations privées et ne s'est pas borné à les 
réglementer, il les a fait entrer dans les cadres de son 
administration et a considéré leurs services comme de 
véritables services publics. — Quant aux départements 
et aux colonies, ils doivent leur origine à TEtat, qui y 
a vu d'abord des circonscriptions de son territoire, mais 
qui, en outre, a, par des dispositions expresses ou im- 
plicites, reconnu leur personnalité. Il est clair qu'en 
faisant cela il a fait un acte en partie arbitraire : c'est 
par de simples considérations d'opportunité et de bonne 
administration, et non par des considérations d'ordre 
juridique, que le législateur de 1838, par exemple, a été 
conduit à conférer la personnalité juridique au départe- 
ment et à la refuser à rarroiidissèmenl (1). C'est par des 

(t) On sait que le département n'avait pas été considéré comme 
personne civile Jors de sa création en 1790. En l'an VIÏl, on pou- 
vait encore le considérer comme une pure circonscription admi- 
nistrative lie l'Etat ; le Code civil le passe entièrement sous. silence, 
aloi's qu'il nomme dans plusieurs articles, l'Etat, les communes et 
les établissements publics. Le germe de sa personnalité doit être 
cherché, d*après l'opinion générale, dans les deux décrets diî 9 avril 
1811 et du 16 décembre l811;qui,dans le butde décharger le budget 
de l'Etat des dépenses d'entretien, transfèrent au département la 
propriété de certains édifices publics et de certaines routes. Une loi 
du 16 juin 4824, art. 7, reconnaissait aussi implicitement au dépar- 
tement la faculté de recevoir des dons et legs. Mais ces textes 
étaient ambigus pour les mêmes raisons que les textes qui donnent 
à certains services publics spéciaux des avantages analogues ; on 



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LA CREATION DES PERSONNES MORALES JOE DROtt PUBLIG 301 

considérations politiques qu'en 1790 il a détruit la pro- 
vince et créé le déparlement. Mais quelle que soit la part 
de Tarbilraire dans lès créations de ce genre, elles cor- 
respondent toujours à un groupement effectif et sérieux, 
celui de la population établie sur un territoire déterminé. 
Le législateur doit chercher, autant que possible, à 
établir ce groupement en tenant compte des traditions, 
et aussi des ariinités historiques, géographiques , ou 
ethnographiques des populations dont Tensemble cons- 
titue la nation; c'est là une condition de vitalité pour 
les personnes auxquelles il donne le jour ; c'est aussi une • 
condition de bonne 'organisation pour l'Etat lui-même. 
Mais alors même que son œuvre à ce point de vue serait 
imparfaite, sa création juridique serait pourtant dotée 
de tous les éléments essentiels ; elle remplirait les con- 
ditions nécessaires pour qu'il existe une véritable per- 
sonnalité morale. 

La reconnaissance de la personnalité de ces groupes 
n^est faite qu'implicitement par la loi ; elle résulte des 
dispositions diverses qui leur permettent de gérer direc- 
tement leurs propres intérêts collectifs et de posséder 
un patrimoine (l). Les intérêts collectifs de ces groupes 

pouvait se demander si le département n'était pas, dans tout cela, 
un simple organe de l'Etat. Aussi la personnalité du département 
resta controversée jusqu'en 4838. C'est seulement la loi du 10 mai 
4838 qui la rendit incontestable, en organisant la gestion de ses 
biens d'une manière autonome et en rendant certain pour tous son 
droit de propriété. Le législateur, au contraire, se refusa à cette 
époque à reconnaître la personnalité de l'arrondissement, qui était, 
elle aussi, contestée, et qu'on pouvait soutenir presque par les 
mômes arguments que celle du département ; car le décret du 
9 avril 4814 lui avait aussi concédé la propriété de certains édi- 
fices, 
(i) Les doutes prolongés auxquels a donné lieu la personnalité 



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r'*y!W* . 



30â cttAPiTtiB m 

territoriaux, bien que distincts de ceux de l'Etat ne peu 
vent en être entièrement séparés; c'est de ces group4*s, 
en effet, que l'Etat est composé, et il ne peut lui être in- 
différent qu'ils soient dans une situation prospère ou dans 
une situation mauvaise. De là Tintime union entre leurs 
intérêts et ceux du groupe national, union qui a pour 
conséquence de faire élever au rang de services publics 
les services organisés par eux. Il résulte de là que leur 
personnalité n'appartient pas uniquement au droit privé ; 
elle a, comme celle de l'Etat, une double face. Ils ont 
des droits de puissance publique : droit d'imposer à 
leurs membres des contributions aj'ant tous les caractères 
de l'impôt, droit de gérer leurs fitiances dans les condi- 
tions propres aux finances publiques, droit d'exécuter 
leurs travaux d'après les règles des travaux publics, 
droit d'exercer sur leur territoire un pouvoir de po- 
lice (1). Ils ont aussi, des droits patrimoniaux, ana- 
logues à ceux des particuliers ; ils peuvent être proprié- 

du département montrent que ce procédé n'est pas sans inconvé- 
nient. Le législateur arriverait plus sûrement au but en déclarant 
expressément que le groupe a la personnalité morale. Nous ver- 
rons, à propos des établissements publics, le même inconvénient 
devenir plus visible. — Les textes qui renferment la concession 
implicite de personnalité sont aujourd'hui, pour le département, 
la loi du 40 août 1871, et pour la commune, la loi du 5 avril 1884. 
Pour les colonies, voir les divers textes cités par Tissier. Dons et legs, 
nog 123 et suiv. ; ce sont des textes établissant les conseils généraux 
des colonies ou les conseils coloniaux et leur donnant le droit 
d'administrer les biens de la colonie. En outre, pour l'Algérie, la 
loi du 19 décembre 1900 a reconnu expressément la personnalité 
civile. — Une loi est d'ailleurs en principe nécessaire pour créer 
une personnalité de droit public ; un acte du pouvoir administratif 
n'y suffirait pas. V. in/ra, n» 125. 

(1) Ce dernier droit parait n'être accordé chez nous qu'à la com- . 
aiuue. 



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T^-'^ÇTVf 



LA CREATION DES PERSONNES MORALES DÉ DROIT PtJBLIC 303 

taires^ créanciers, débiteurs, etc. Pour eux, comme 
pour TElat, ces divers droits sont inséparables les uns 
des autres et doivent être considérés comme appartenant 
à une personne morale unique. C'est pour cela, par 
exemple, que la commune, comme TEtat, peut être, au 
moins dans certains cas, rendue responsable sur son 
patrimoine des actes qu'elle accomplit dans l'exercice de 
son pouvoir de police. 

117. La personnalité ainsi créée n'est pas une pure 
fiction. Elle a un substratum solide, le groupe humain 
établi sur le territoire, groupe qui a des intérêts collectifs 
et permanents, distincts de ceux de l'Etat. Aussi pourra- 
t-elle produire des effets sérieux. Ce groupe aura un patri- 
moine réellement distinct de celui de l'Etat, et non pas 
seulement séparé de lui par un artifice juridique. S'il 
s'appauvrit, l'Etat ne sera pas obligé de lui venir en 
aide ; s'il s'enrichit, il n'aura pas le droit de mettre la 
main sur ses excédents de recette ; il ne sera pas indiffé- 
rent à sa prospérité ou à sa ruine, mais il n'en sera pas 
nécessairement solidaire, et les créanciers du service 
local devront savoir qu'ils n'ont pour gage que les res- 
sources du groupe territorial et non les ressources iné- 
puisables de l'Etat. D'autre part ce même groupe pourra, 
par ses représentants légaux, défendre ses intérêts en 
justice non seulement contre les tiers, mais contre 
l'Etat lui-même. Dans le domaine du droit privé, c'est 
chose courante et sur laquelle il est inutile d'insister. 
Mais même dans le domaine du droit public le phéno- 
mène se produit, et nous voyons tantôt ces collectivités 
locales elles-mêmes, tantôt leurs représentants, défendre 
contre la puissance publique de TEtat, par des voies 
contentieuses, la portion de puissance publique et 



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304 C&APltRB lit 

de gestion pablique qui leur appartient. Ainsi tout 
d*abord la commune peut attaquer par la voie dq 
recours pour excès de pouvoir le décret qui la sup- 
prime (1), quoique ce décret de suppression ne porte 
pas atteinte à la propriété du groupe sur les biens palri- 
nioniau&y et ne concerne en réalité que la commune 
administrative. Ainsi encore la commune peut intro- 
duire des recours pour excès de pouvoirs contre divers 
actes de Tautorité administrative dans lesquels elle a, 
non un intérêt p^'cuniaire, mais un simple intérêt de 
bonne/ organisation ou de bonne gestion de ses servi- 
ces : sectionnement électoral irrégulier (2), décret nom- 
mant un fonctionnaire d'ordre communal, tel qu'un 
officier de sapeurs-pompiers (3), arrêté ou décret sus- 
pendant ou révoquant le maire (4). Ain^i encore elle 
peut intervenir dans des retours pour excès de pouvoirs 
dirigés contre des actes de police de son maire, non seu- 
lement lorsque le maintien de ces actes a pour elle un 

(1) Conseil d'Etat, 18 mai 1888, D. 89. 3. 83. -Le Conseil d'Etat 
a jugé cette solution si nécessaire qu'il a passé pour l'admettre par- 
dessus un argument qui, au point de vue de l'interprétation stricte 
du texte, n'est point sans valeur ; celui qu'on peut tirer, contre l'ac- 
tion de la commune, de l'article 9 de la loi de 1884, qui réputé 
le conseil municipal dissous de plein droit ^bv suite de l'acte qui 
supprime la commune, et qui paraît ainsi rendre impossible toute 
délibération ultérieure de ce conseil. 

(2) Conseil d'État, 24 juillet 1903, S. 1904, 3, 1. D. 1904. 3. 112. 

(3) Conseil d'État, 14 février 1902, D. 1903, 3, 62 (commune de 
Briare). (Dans l'espèce le recours est déclaré non recevable à rai- 
son de l'expiration du délai). 

(4) Conseil d'État, 6 avril 1900 (Commune de Jârgeau) D. 1901. 
3. 74. (Dans l'espèce, le recours est rejeté par le motif que la 
suspension du maire était régulière et que l'appréciation des 
motifs de cette suspension n'était pas susceptible d'être susceptible 
d'être soumise au Conseil d'Etat par la voie contentieuse). 



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La CREATION DÈS PERSONNES MORALES DE DROlT PUBLIC 308 

intérêt pécuniaire, mais souvent aussi lorsqu'il intéresse 
seulement les services publics dont elle a la charge (1). 
Dans tous ces cas, c'esl la collectivité qui est admise à 
agir ou à intervenir pour défendre le pouvoir de ses 
organes. 

Dans d'autres cas, ce sont ces organes eux-mêmes qui 
agissent, mais, croyons-nous, dans Tintérêt de la collec- 
tivité qu'ils représentent et non dans leur intérêt propre. 

Le conseil municipal, par exemple, par l'inlermé- 

(1) Sur ce point la jurisprudence du Conseil d'État présente 
encore beaucoup d'incertitude, le Conseil d'État cherchant, conome 
le dit M. Hauriou (Droit adm., 5»éd., p. 204), « à élaborer une dis- 
tinction entre les intérêts qui justifient Tintervention de la personne 
administrative et ceux qui ne la justifient pas » (Y. aussi les obser- 
vations de M. Jèze, dans Revue du Droit public, t. XXI, p. 266). 
Toujours est-if qu'il a déjà admis souvent l'intervention de la com- 
mune dans des cas où elle avait au maintien de l'acte un simple inté- 
rêt de service public, et non un intérêt pécuniaire. Ex. 13 mai 4898 
(D.99. 3. 74) : ville admise à intervenir dans un recours pour excès 
de pouvoir contre un arrêt de son maire réglant les conditions dans 
lesquelles les propriétaires doivent conduire dans les égouts les 
eaux pluviales et ménagères, ainsi que les matières provenant des 
cabinets d'aisance ; 27 janvier 1899 (Lebon, p. 54) : ville admise à 
intervenir dans un recours dirigé contre un arrêté de son maire or- 
donnant la démolition d'un édifice menaçant ruine; 24 février 1899 
/Lebon, p. 155) : ville de Paris admise à intervenir dans un recours 
dirigé contre un arrêté du préfet de la Seine imposant aux loueurs 
de voitures de place un tarif et un compteur ; 4 mars 1904 {Revue 
du droit public, t. XXI, p. 263) : ville admise à intervenir dans le 
recours dirigé contre un arrêté préfectoral ordonnant la fermeture 
d'un établissement dangereux incommode ou insalubre dans la 
commune. 

Dans des espèces assez semblables, le Conseil d'État a cependant 
refusé à la commune le droit d'intervenir, sans qu'il soit bien facile 
d'indiquer le motif de la différence : 18 mars 1898 (Noualhier, D. 
99. 3. 72) ; 17 novembre 1899 (Teste et Guminghe,D.190l. 3. 10); 
27 janvier 1899 (D. 1900. 3. 44) ; 25 janvier 1901 (Juot, D. 1902. 
3. 35). 

MICHOUD 20 



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'^««1 



3Ô6 CHAPITRE Itl 

diaire du maire, pourra se pourvoir devant le Conseil 
d^Etat statuant au contentieux contre l'arrêté du préfet 
qui annulerait, en dehors des cas prévus par la loi, une 
de ses délibérations (Loi dn 5 avril 1884, art. 67), ou 
encore contre le décret ou l'arrêté qui prononcerait sa 
dissolution ou sa suspension sans observer les formes 
légales (1). Le maire pourra déférer au Conseil d'Etat 
pour excès de pouvoir les arrêtés du préfet faisant obsta- 
cle à Texercice de ses attributions (2). Si les conseils 
généraux n'ont pas de recours contre le décret annulant 
une de leurs délibérations, cela tient uniquement à ce 
que ce décret est déjà lui-même une décision quasi- 
contentieusc (3). Tout cela montre bien que la per- 
sonnalité n'est plus ici une simple fiction, mais qu'un 
véritable sujet de droit a été créé, capable de se défen- 
.dre, tant qu'il subsiste, contre les atteintes de l'Etat 
lui-même, au moins dans les cas où l'Etat n'observe 
pas certaines formes précisées àTavance. Dans tous ces 
cas, l'action donnée au groupe n'est pas, il est vrai, 
l'action en justice qui sanctionne d'ordinaire les droits 
subjectifs ; c'est le recours pour excès de pouvoir, c'est- 
à-dire une action habituellement admise dans l'intérêt 



(i) Conseil (ji'État, iO mars 1864. D. 64. 3. 26. — Conseil d*Ètat, 
28 novembre 1891. Revue généi^ale d' Administration, 92, t. 1. 
p. 46. — Mais le Conseil d'Etat au contentieux ne peux apprécier 
les motifs de la dissolution ou de la suspension que la loi a aban- 
donnés à Tappréciation discrétionnaire de Tautorité supérieure. 

(2) Conseil d'État, 8 décembre 1893. D.94. 3.87. - 10 mars 1893 
(Maire de Lyon). D. 94. 3. 40. — 6 avril 1900 (commune de Jar- 
geau) D. 1901.3. 74. 

(3) V. sur ce point les explications de M. Hauriou : Les élé- 
ments du contentieux (Extrait du Recueil de législation de 
Toulouse. 1905), p. 20 et s. 



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LA CREATION DES PERSONNES KtORÀtES DE DROIT PUBLIC 30? 

du droit objeclif, sans quo le demandeur ail à y faire 
preuve d'un droit violé. C'est que la défense des droits 
publics des collectivités n'est pas organisée par notre 
droit d'une manière complète. C'est aussi sans doute 
que, comme nous allons le voii^, l'Etat n'entend pas 
protéger ce% droits publics aussi énergiqueraent que des 
droits privés, attendu qu'il se réserve de les supprimer 
s'il le juge nécessafre. Mais il n'en est pas moins vrai 
que ces collectivités ont entre les mains une voie juri- 
dique pour faire respecter ces droits tant qu'ils subsis- 
tent, et c'est tout ce qui importe ici. Cela est d'autant 
plus significatif que les fonctionnaires de F Etat ne peu- 
vent au contraire pas attaquer les décisions de Tautorité 
supérieure qui empiètent leurs propres attributions (I). 
118. 11 ne faudrait pas aller jusqu'à dire cependant 
que l'existence de ce sujet de .droit va jusqu'à limiter, 
même dans le domaine du droit public, les pouvoirs de 
TElat législat»iur. On doit admettre très nettement que 
l'Etat ne violerait aucun droit acquis en modifiant ou en 
supprimant la personnalité de droit public qu'il a recon- 
nue aux départements et aux communes. Le droit public 
moderne, à la différence de celui du moyen 4ge, ne 
reconnaît plus d'autre droit de souveraineté que cf^lqi de* 
l'Etat. Ce dernier considère comme déléguées par lui- 
même les parcelles de souveraineté qu'il abandonne aux 
organismes inférieurs; il reconnaît bien que ceux-ci 
les exercent en leur propre nom ; il voit, dans chacun 
d'eux, une personne titulaire de droits de puissance 
publique déterminés; mais il se réserve siir cette 
personne les droits d'un maître qui peut retirer ce qu'il 

(i) C. d'Etat 29 janvier 1886 et 6 janvier. 1895 Dans le Rép. de^ ' 
Beqitet, v<* Fonctionnaires, n» 177. 



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30â ckApiTàE ni 

a donné. Â des pouvoirs divisés, indépendants les uns 
des autres, souvent hostiles les uns aux autres, TËlat 
moderne a substitué, après une période de centralisation 
excessive où il a cumulé entre ses mains toutes les 
fonctions, des pouvoirs à nouveau divisés, mais distri- 
bués par lui-même, agissant sous sa direction suprême, 
et par conséquent subordonnés et non plus souve- 
rains (1). Il a acquis, — par droit de conquête ou autre- 
ment, — les pouvoirs des souverainetés indépendanles 
ou quasi-indépendanles qui pouvaient lui résister ; il 
les a concentrés entre ses mains, et c'est par un acte de 
sa volonté qu'il en a de nouveau donné une partie aux 
groupes territoriaux. En fait, il agit aujourd'hui, non 
seulement en France, mais dans tous les pays civilisés, 
conformément à ce point de départ. C'est lui qui fixe les 
limites territoriales de ces groupements ; c'est lui qui 
Tes modifie par un acte de sa volonté, en prenant seule- 
ment, parce qu'il le juge utile, l'avis des populations 
intéressées ; c'est lui enfin qui augmente ou qui diminue 

(1) G*est là un cas particulier de l'évolution que M. Tarde a magis- 
tralement analysée dans son livre sur les Transformations du 
pouvoir (pp. 198 et suiv.), et qu'il résume en ces termes : « Les 
pouvoirs, divisés d'abord et hostiles, se sont centralisés, pour se 
diviser de nouveau, mais d'accord entre eux ». Si ce n'est pas là 
une loi générale, c'est tout au moius une marche très naturelle de 
l'évolution : les grands États de l'Europe actuelle n'ont pu se cons- 
tituer qu'en concentrant entre leurs mains tous les pouvoirs locaux 
jadis indépendants et souvent hostiles ; dans chacun d'eux le pou- 
voir central n'est arrivé à réaliser l'unité nationale contre ces forces 
historiques qu'en exagérant la concentration des pouvoirs entre 
ses mains ; ce n'est que lorsque le résultat obtenu a été placé au- 
dessus de toute contestation qu'il a pu songer à établir, sous sa 
direction et son contrôle, une nouvelle décentralisation bien diffé- 
rente de l'ancienne. 



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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC 309 

à son gré, suivant qu'il le juge opportun, la somme de 
pouvoir qu'il leur confie. S'il fait tout cela, c'est qu'il 
considère leur administration comme une véritable 
administration publique et leurs fonctions comme une 
parcelle détachée des fonctions de l'Etat, auxquelles elle 
pourra toujours être ramenée si l'intérêt public l'exige. 
La personnalité de ces groupes a donc, en droit 
public (1), quelque chose de précaire vis-à-vis de l'Etat 
législateur. Mais elle correspond à des besoins réelle- 
ment-existants et à des inlérêis collectifs réellement 
distincts. Aussi, s'il n'y a pas de raison de droit, il y 
a au moins d'excellentes raisons politiques, — que 
nous n'avons pas ici à développer, — pour que l'Etat 
respecte les personnalités qu'il a ainsi reconnues, et 
combine les dispositions de ces lois de manière à leur 
assurer un large et fécond développement (2). C'est en 
cela précisément que consiste la décentralisation, telle 

(1) Nous étudierons dans le T. Il les conséquences de leur sup- 
pression. Nous constaterons que leur personnalité de droit privé a 
souvent quelque chose de plus résistant que leur personnalité de 
droit public. 

(2) Nous avons déjà exposé ailleurs [De la responsabilité des 
commîmes à raison des fautes de leurs agents, n^^ 3 et suiv., 
dans Revue du Droit public, T. VII, p. 45 et s.) notre théorie 
sur la nature d^épendante de la personnalité communale. Nous 
avons montré que TAssemblée constituante avait un moment 
admis une conception différente, en voyant dans la commune 
un petit état municipal, dont ies droits n'étaient que des 
droits privés, analogues aux droits de famille. Cette théorie, dont 
on retrouve un écho dans plusieurs publicistes de Técole libérale et 
plus récemment dans Taine (Régime mode?me, t. I, pp. 359, 365 
et suiv.), n'est plus d'accord avec la réalité telle que nous l'offre 
le monde actuel. — Cpr. Jellinek, System des subject-ôffentl, 
Rechte, pp. 262 et suiv. — Schôn, Das Recht der Kommunalver- 
bœndCf pp. 3 et suiv. 



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310 CHAPITRE m 

qu'elle est entendue aujourd'hui dans la plupart des pays: 
au sens juridique du mot elle suppose un systënae dans 
lequel TEtat reconnaît la personnalité de droit public de 
groupes locaux s'adminislrant eux-mêmes et pouvant 
exercer, par Tintermédiaire de leurs représentants, de 
véritables fonctions publiques (i). La personnalité de 
droit privé, que ces groupes possèdent aussi, n'est que 
l'accessoire de leur personnalité de droit public, à moins 
qu'elle ne soit, comme cela se produit pour la com- 
mune, un reste d'anciennes propriétés collectives que 
l'Etat a respectées à titre de droits privés. 

119. On pourrait d'ailleurs concevoir cette person- 
nalité de droit public sans aucun mélange de droits 
patrimoniaux. Le groupe aurgiit des représentants capa- 
bles, par exemple, de prendre en son nom certaines 

(i) Cpr. la définition donnée par M. Hauriou dans le Répertoire 
de Bèquet, vo Décentralisation, no 84 : « La décentralisation est une 
manière d'être de l'État, caractérisée par ce fait que TÉtat se résout 
en un certain nombre de personnes administratives, qui ont la jouis- 
sance des droits de puissance publique et qui assurent le fonction- 
nement des services publics en exerçant ces droits. » Il est clair 
que, dans cette définition, PÉtat est pris dans un sens large, auquel 
Tauteur oppose ensuite la notion de l'État stricto sensu. Les Alle- 
mands donnent au mot décentralisation le sens que M. Aucoc a 
attribué chez nous au mot déconcentration {Conférences, t. I, 
no 46) ; il désigne chez eux l'exercice des fonctions de l'État par 
des fonctionnaires locaux, qui continuent à être des représentants 
de l'État. Ils ont pour désigner ce que nous appelons décentralisa- 
tion au sens juridique, un mot beaucoup plus précis que le nôtre, 
celui de Selbstverwaltung, droit d'un groupe de s'administrer lui- 
même. Voyez sur les nombreuses controverses auxquelles a donné 
lieu en Allemagne la notion de Selbstverwaltung : Schôn, op, cit, 
pp. i à 12, et notamment p. 6 et s., et les nombreux auteurs qu'il 
cite : Laband, 2e éd., t. I, pp. 94 et suiv., et trad. franc., t. I, 
p. 172, note 1; Otto Mayer. Deutsches Wei^tvaltungsrecht, §55. 
Rosin, dans Hûrth's Annalen, p. 307 et s. 



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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC 311 

décisions de police ; mais il n'aurait aucun patrimoine^ 
les moyens financiers nécessaires à Taccomplissement 
de sa mission lui étant fournis du dehors, par TEtat ou 
la commune (1). Celte combinaison, théoriquement 
possible, est cependant peu pratique. Elle aurait notam- 
ment le grave défaut de ne pas permettre de rendre 
effective la responsabilité du groupe. Il est beaucoup 
plus naturel de permettre à l'association territoriafe 
d'avoir un patrimoine et de le grossir au moyen des 
contributions de ses membres. Il y a pourtant dans 
notre organisation un groupe de ce genre dans lequel 
existe au moins en germe la personnalité de droit 
public, sans (Ju'on lui ait accordé de droits patrimo- 
niaux ; c'est rarrondissement(2). Il a sa représentation 
propre, le conseil d'arrondissement, et par son intermé- 
diaire il figure, entre le département et la commune, 
parmi les groupes auxquels on assigne un contingent 
dans la répartition de certains impôts directs, et qui 
eux-mêmes ont la mission de répartir ce contingent 
entre les personnalités inférieures qui les composent. 
Sans doute toute cette organisation compliquée de 
répartiteurs successifs est créée principalement dans 
rintérêt de l'Etat ; c'est un mécanisme ayant pour objet 
de fournir une base à l'assiette de l'impôt. Il est certain 
pourtant que le conseil d'arrondissement représente ici 
les intérêts propres de Tarrondissement qui Ta élu; 
s'il Testime surtaxé, il peut réclamer, non pas en justice 

(i) Nous verrons plus loin que telle est peut-être la situation de 
l'Eglise catholique, envisagée dans son ensemble, comme église 
universelle, vis-à-vis de la loi française. V. infrà, n<» 134. 

(2) 11 en était de même du département avant la loi du 
21 mai 1838. 



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T^ TV 



312 CHAPITRE III 

sans cloute, mais devant le conseil général, et il est dif- 
ficile d'admettre que celte réclamation ne doive pas être 
considérée par le conseil comme basée sur un droit ; 
c'est seulement un droit qui est sanctionné par un 
autre procédé que Taction en justice (i). Il y a donc là 
un commencement de personnalité, même si l'on 
n'admet pas que le conseil d'arrondissement peut^ en 
cas d'excès de pouvoir de la part du conseil général, 
exercer un recours devant le Conseil d'Etat (2). Mais 
cette personnalité est restée à Tétat tout à fait embryon- 
naire, par la volonté expresse du législateur de 1838, 
qui a fait disparaître la personnalité patrimoniale à 
laquelle l'arrondissement pouvait prétendre dans la 
période antérieure, et qui, en somme, a jugé presque 
complètement inutile le maintien de ce groupe territo- 
rial autrement que comme circonscription de l'Etat. 

Le canton n'a même pas la personnalité de droit 
public très incomplète que nous attribuons à l'arrondis- 

(1) Au contraire, Tobligation où se trouve l'Administration de 
consulter le conseil d'arrondissement dans certains cas ne peat être 
considérée comme un droit pour l'arrondissement, car celui-ci n'a 
à sa disposition aucun moyen pour obtenir Texécution de cette 
obligation. C'est un avantage qui est pour lui un simple effet 
réflexe du droit objectif ou du droit subjectif appartenant à d'au- 
tres. 

(2) Un auteur. Trolley {Hiérarchie administrative, t. TU, 
n« 1455), a soutenu que le conseil d'arrondissement avait ce droit, 
ce qui compléterait la personnalité de Parrondissement. Mais son 
système, très admissible en théorie, parait se heurter aux déclara- 
tions formelles du rappcfrteur de la loi de 1838 (voir Tarticle de 
M- Jèze, dans la Revue génf^rale d'administration, 1897, t. II, 
p. 32). La question ne peut d'ailleurs même pas se poser si Ton 
admet, avec la jurisprudence, que la décision du conseil général 
sur ce point est, par sa nature même, soustraite à tout recours 
contentieux (Conseil d'Ëtat, 28 décembre 1894. Lebon, p. 724). 



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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC 313 

sèment (4). La section de commune, de son côté, n'est 
qu'une personne morale de droit privé et ne possède 
que des droits patrimoniaux. Aussi est-il très remar- 
quable que, par contraste avec lé principe suivi en 
matière de personnalité de droit public, la section de 
commune est considérée comme douée de personnalité 
par cela seul qu'elle existe en fait, sans aucune interven- 
tion des pouvoirs publics (2). C'est qu'ici les préroga- 
tives de la puissance publique ne sont plus en cause : à 
la vérité, même en droit privé, on admettait en France, 
à une époque encore très récente, que la création 
d'une personne morale exigeait l'intervention spéciale 

(i) M. Planiol [Traité de droit civil, 1. 1, n^ 676), cherchant à 
démontrer que l'idée de personne fictive se ramène à celle de pro- 
priété collective, demande pourquoi, dans le système contraire, on 
refuse la personnalité au canton : « Il a, dit-il, reçu une organisation 
administrative ; il a son représentant, le conseiller général ; son juge, 
le juge de paix ; son bureau d'enregistrement, sa perception, etc. 
11 est donc organisé, et cependant on lui refuse la personna- 
lité. Pourquoi? parce qu'il n'y a pas de domaine cantotial, comme 
il y a un domaine communal et départemental. » A nos yeux, cette 
raison ne suffirait pas. Le canton serait une personne morale de 
droit public, si la loi admettait sa représentation par une assem- 
blée élective, ou par un fonctionnaire capable de défendre ses inté- 
rêts ou de prendre en son nom des décisions. Mais l'organisation 
qu'il a reçue n'est à aucun égard une organisation destinée à le 
représenter. Les fonctionnaires dont parle M. Planiol, juge de paix, 
receveur de l'enregistrement, percepteur, sont des fonctionnaires 
de l'Etat. Quant aux conseillers généraux, ce n'est pas davantage 
le canton qu'ils représentent^ c'est le département ; le canton n'est, 
en ce qui les concerne, qu'une circonscription électorale ; aussi le 
conseiller général élu dans un canton n*a-t-il aucun besoin d'y être 
domicilié ou d'y payer une contribution ; il suffit qu'il remplisse 
Tune ou l'autre condition dans le département (loi du iO août 1871, 
art. 6). 

(2) V. Aucoc, Des sections de communes, n« AÂ. Sur la nécessité 
d'une loi pour créer une personne morale de droit public, v. infra, 
no 125. 



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314 CHAPITRE III 

des pouvoirs publics; mais ce principe, qui aujourd'hui 
reçoit des dérogations très nombreuses, n'y â jamais eu 
la même portée qu'en droit public. 11 signifiait seule- 
ment que la puissance publique se réservait le droit 
de contrôler l'utilité du groupement avant de le recon- 
naître comme personne morale, et alors même* qu'on 
ne l'avait pas encore fait fléchir pour les associations 
ordinaires, on a pu le faire fléchir en faveur de groupe- 
ments historiques comme les sections de commune. 

Quant au syndicat de commune, il est bien une per- 
sonne morale de droit public, Mais il est chargé de ser- 
vices spéciaux n'intéressant que certaines personnes^ et 
non le groupe territorial tout entier. Il rentre donc dans 
la catégorie des établissements publics dont nous nous 
occuperons plus loin. 

120. La notion de personnalité territoriale telle que 
nous venons de la définir a été contestée récemment par 
M. Duguit (1). Fidèle sur ce point au système général que 
nous avons discuté plus haut, notre éminent collègue nie 
entièrement la personnalité du département et de la 
commune (2). Il cherche à démontrer que les corps ou 
agents considérés d'ordinaire comme les représentants 
du département ou de la commune^ tiennent au fond 

(1) UEtat, les gouvernants et les agents , pp. 689 et s. 

(2) 11 emploie cependant à diverses reprises des expressions qui 
semblent affirmer la personnalité patrimoniale de ces collectivités. 
Il dit même, p. 701 : « Il est certain que le droit positif français 
reconnaît à l'heure actuelle une personnalité patrimoniale de l'Etat 
et de la commune «. Mais ce n'est là pour lui qu'une manière com- 
mode d'exprimer l'affectation du patrimoine de ces personnes : et 
plus loin, p. 720, il précise en disant : « Pour nous la question de 
personnalité des collectivités locales ne se pose pas plus que celle 
de la personnalité de TËtat » . 



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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC 315 

leurs pouvoirs des gouvernants^ et que la seule diffé- 
rence entre eux et les agents de l'Étal réside dans la 
manière dont ils sont institués. Pour lui, le fait domi- 
nant est toujours le pouvoir de fait appartenant aux 
gouvernants sur l'ensemble du territoire. Mais ce terri- 
toire est soumis à un système décentralisateur, lorsque, 
sur certaines de ses parties, existent des agents dont l'ins- 
titution se réalise sans V intervention directe ou indirecte 
des gouvernants^ (soit par voie d'élection, soit de toute 
autr« manière). Cela n'implique aucune puissance publi- 
que appartenant aux parties du territoire ou aux grou- 
pes sociaux sur lesquels s'exercent leur autorité; car ces 
territoires et ces groupes ne sont pas des personnes, et 
d'ailleurs la puissance publique n'est pas un droit sub- 
jectif. Le pouvoir de ces agents, comme ceux des agents 
non décentralisés, est déterminé par la loi objective ; il 
• peut rentrer dans la fonction législative ou dans la fonc- 
tion judiciaire aussi bien que dans la fonction adminis- 
trative ; et il ne diffère du pouvoir des agents dits 
agents d'Etat que par le degré. En fait leé gouvernants 
conservent sur eux une action moindre que sur ces 
derniers ; au lieu du pouvoir hiérarchique impliquant 
le droit de réformer les décisions qu'ils prennent, ils 
n'ont qu'un pouvoir de contrôle^ comprenant seule- 
ment le droit de refuser d'approuver leurs décisions ou 
le droit de les suspendre ou de les annuler. 

Celte conception de la décentralisation (qui s'appli- 
que aussi, avec certaines nuances, au fédéralisme) n'est 
point en soi inexacte. Elle exprime très bien le côté 
politique de la question ; mais elle ne suffit pas à tra- 
duire en langage juridique la réalité des faits. 

Certains intérêts locaux sont reconnus par la loi 



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'^^IPF^^ 



31 Ô CHAPITRE lit 

comme dignes d'une protection distincte de celle des 
intérêts généraux de la nation. Voilà un fsiit qui n'a 
dans la théorie aucune traduction juridique, parce qu'il 
ne peut* se traduire que par l'idée de personnalité des 
groupes locaux. Cette idée est essentielle ici comme 
partout pour apercevoir les conséquences des actes ; 
la technique du droit n'a qu'à perdre à une doctrine qui 
supprime la notion de commune, de province, de dépar- 
tement, comme elle a supprimé la notion d'Etat, en ne 
laissant subsister que des actes individuels produisant, 
sans qu'on sache trop pourquoi, des effets différents 
suivant les cas. M. Jèze qui, en prenant cette doctrine 
pour point de départ, a cherché à y conformer la langue 
juridique, n'a pu le faire qu'en substituant à l'idée de 
personnalité administrative celle de patrimoine admi- 
nistratif (!). Au lieu de parler de recours contre la 
commune, de responsabilité de la commune, il parle de 
recours conlre le patrimoine administratif communal, 
de responsabilité du patrimoine administratif commu- 
nal. Or cette notion est manifestement insuffisante : 
d'abord elle ne nous montre pas le mo/i/ de l'obligation 
qui pèse sur le patrimoine communal ; comment un 
patrimoine serait-il responsable de quelque chose si ce 
n'est par l'intermédiaire de la personne ou des per- 
sonnes à qui il appartient? Puis, il est clair que ce n'est 
pas le patrimoine communal qui est obligé, mais bien 
la commune elle-même, puisqu'elle est tenue de s'im- 
poser extraordinairement pour faire face à ses dettes, et 

(i) Jèze, Les principes généraux du droit administratifs 
p. 85, 87, ilO, 135, 152. — V. aussi, passim. dans V Année admi- 
nistrative les très intéressantes revues de jurisprudence publiées 
par le même auteur. 



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LA CREATION DKS PERSONNES ÉilORALkS DE bROtT PUBLIC 317 

que par conséquent celles-ci ne frappenl pas unique- 
ment une masse de biens. L'élimination de Tidée de 
personnalité laisse, dans la doctrine juridique un vide 
impossible à combler. 

Ce n'est pas d'ailleurs uniquement la technique du 
droit qui est intéressée dans la question. Le système est 
directement contraire à la notion historique de com- 
mune, province, etc. il oublie qu'il s'agit de groupes 
locaux, ayant historiquemenl préexisté à l'Etat, qui ont 
conservé, au moins en partie, le sentiment d^une vie 
propre et d'intérêts distincts des intérêts généraux du 
pays. Même lorsque le maire était nommé par le pou- 
voir central, la commune avait conscience que le 
maire était son organe, un organe que PEtat lui impo- 
sait en intervenant dans ses affaires, mais non point 
l'organe de l'Etat. Il l'était en effet aux yeux de la loi 
positive, parce que c'était pour et contre la commune 
que ses actes produisaient leur effet, et non pour et con- 
tre l'Etat. La commune, à juste titre, a attaché grande 
importance à oe que oel organe puisât son pouvoir en 
elle-même au lieu de l'emprunter du dehors, et si elle 
y a attaché de l'importance c'est qu'elle avait le senti- 
ment qu'on violait sa personnalité, qu'on la défigurait 
tout au moins, en lui donnant une représentation artifi- 
cielle. La disparition de ce sentiment de personnalité 
serait loin d'être un progrès politique. 

Cette personnalité n'est pas seulement patrimoniale, 
parce que la commune n^a pas seulement à administrer 
des biens. Elle a une mission bien plus haute, qui est 
de gérer les intrêtsj collectifs du groupe local, mission 
qui, dans les grandes villes modernes, va chaque jour 
en s'accroissant et se compliquant. Entretenir dans la 



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âi8 CHAPITRE Ht 

cité la tranquillité, la sécurité, la salubrité; y introduire 
toutes les améliorations et facilités dont la vie moderne 
ressent le besoin ; en un mol faire jouir les habitants 
des avantages d'une bonne police, comme le dit la loi 
de 1789, mais en entendant ce mot de police dans un 
sens très large, ce n'est pas là faire acle patrimonial ; et 
cependant c'est bien la commune elle-même qui est 
chargée de ce soin, sous le contrôle de TEtat; et cette 
commune est bien la même que celle qui administre ses 
biens patrimoniaux, car elle emploie précisément à ces 
services les revenus de ses biens, et l'administration 
patrimoniale est si intimement mélangée avec l'admi- 
nistration des intérêts collectifs des habitants qu'on ne 
peut dire au juste où finit Tune, où commence Tautre. 

121. M. Duguit (1) conteste, il est vrai, Texistence 
même, dans notre droit positif, de ces droits de puis- 
sance publique appartenant à la commune. S'emparant 
d'un mot de Thouret que nous avons nous-mêmes cité 
ailleurs (2), il cherche à démontrer que la commune, 

(i) UEtat, les gouvernants et les agents, p. 701 et s. 

(2) V. notre étude précitée sur la Responsabilité des communes, 
nos 3 et s. Voici le passage de Tliouret allégué par M. Duguit : « Le 
régime municipal, borné exclusivement au soin des affaires parti- 
culières, et pour ainsi dire privées, de chaque ressort municipalisé 
ne peut entrer sous aucun rapport, ni dans le système de la repré- 
sentation nationale, ni dans celui de l'administration générale ». 
{Archives parlementaires, t IX, p. 208). Le discours de Thouret 
lui-même, prononcé quelques jours après le dépôt du rapport d'où 
sont extraites ces lignes (Séance du 9 novembre 1789. Arch. parl.^ 
t. IX, p. 726), et un discours de Target prononcé deux jours plus 
tard {eod, l., p. 747), précisent la pensée des Constituants comme 
nous le faisons nous-mème plus loin. Ils ne nient pas le pouvoir 
communal ; au contraire ils l'affirment expressément, mais ils y 
voient une sorte d'autorité domestique, et le comparent aux pou- 
voirs de famille. V. ces textes cités dans notre travail, n® A. 



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LÀ CHEATION t>ËS PERSONNES MORALES DE DROlt PUBLIC 319 

telle que Tavait organisée TAssemblée constituante, 
n'avait aucun droit de puissance publique ; ceci admis, 
ce n'est pas, dit-il, le régime de Tan VIII, où la commune 
est si effacée, qui a pu lui donner des droits de ce genre ; 
et les lois postérieures ne lui en ont pas donné davan- 
tage, malgré les apparences. LMmpôt communal n'est 
en réalité qu'un impôt d'Etat, et ce qui le prouve,' c'est 
qu'il ne peut être levé qu'en vertu d'une loi; la police 
municipale n'est qu'une police d'Etat, et ce qui le prouve 
c'est que dans les villes de plus de 40.000 habitants 
l'organisation de la police est réglée par décret ; quant 
aux services communaux, ce sont des services de pure 
gestion qui n'impliquent en rien l'exercice de la puis- 
sance publique. 

Il nous semble qu'il y a dans ces explications quelque 
confusion. Le système de l'Assemblée constituante a 
consisté, comme nous avons essayé de le démontrer en 
étudiant la responsabilité de la commune, à considérer la 
commune comme une association pinvée^ dont les inté- 
rêts ne touchent pas l'administration générale ; mais 
cette association privée possède sur ses membres de 
véritables pouvoirs, notamment les pouvoirs de police 
(que la loi de 1790 donne aux administrations munici- 
pales à peu près dans les mêmes termes que notre loi 
do 1884 aux maires). Seulement ces pouvoirs sont 
considérés comme des pouvoirs privés, analogues aux 
pouvoirs du droit de famille. Loin de les diminuer, 
cette conception a pour effet de les accroître, et 
c'est encore celle qu'ont soutenue récemment les plus 
ardents partisans de l'autonomie communale, tels, par 
exemple, que Taine ; elle en fait en effet quelque 
chose de sacré, auquel l'Etat s'interdit de porter 



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320 CltAPÏTRE lit 

alteinie, comme il s'interdit de porter atteinte auK 
droits privés. C'est d'après cette conception qu'a été 
construite par Henrion de Pansey la théorie du pouvoir 
municipal, qui a passé, semble-t-il, dans la Constitu- 
tion belge (1) ; et ce n'est pas là une fausse interpréta- 
tion de la pensée de l'Assemblée constituante, puis- 
qu'elle-mème désigne les fonctions rattachées à ce pou- 
voir sous le nom de fonctions propres au pouvoir 
municipal (loi du 14 décembre 4789, art. 50). L'évolu- 
tion a consisté depuis lors à considérer comme pou- 
voirs publics ces pouvoirs qu'elle avait classés dans le 
droit privé. Cette évolution était fatale, parce que TEtat 
moderne ne peut se désintéresser de l'exercice de ces 
pouvoirs, et que la prospérité des groupes locaux est une 
des conditions de son propre développement. Il a trouvé 
dans cette conception nouvelle la base théorique néces- 
saire pour asseoir son pouvoir de contrôle sur l'admi- 
nistration locale. Il a commencé par aller dans celte 
voie jusqu'au point extrême, en édiclant le régime de 
Tan VIII, qui ne laisse plus subsister qu'une ombre de 
vie communale. Il a toujours respecté cependant la per- 
sonnalité de la commune, même celle qu'il considérait 
désormais comme une personnalité de droit public, 
puisque, même sous ce régime, il lui reconnaissait le droit 
de gérer elle-même certains services d'intérêt collectif. 

(1) Les art. 34 et 408 de la Constitution belge reconnaissent 
expressément l'existence d'intérêts exclusivement communaux 
ou provinciaux j et le droit des conseils provinciaux et commu- 
naux à statuer sur ces intérêts. Les auteurs belges n'hésitent pas 
à parler de pouvoir communal et de pouvoir provincial (V. par 
ex., Giron, Diction, de Droit administratif et de Droit public, 
4896, t. 111, p. 99 et 460, et Belljens, La Constitution belge 
revisée, 4894, p. 339). 



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LA CREATION DES PERSONNES MORALES DE DROlT PtJRLIG SSl 

Peu à peu il a relâché les liens dont il l'avait enserrée, 
et, sans lui donner pleine liberté, il lui a donné cepen- 
dant assez d'indépendance pour qu'il soit aujourd'hui 
impossible d'en nier l'existence. 

Si en effet nous examinons la législation actuelle, nous 
ne pouvons nous résoudre à l'interpréter comme le fait 
M. Duguit. Les faits qu'il allègue pour montrer que les 
pouvoirs de la commune sont en réalité des pouvoirs 
d'Etat sont des fails de tutelle (ou, si Ton préfère ce mot, 
de contrôle) (\). La commune ne lève pas librement l'im- 
pôt ; il faut souvent qu'elle y soit autorisée par un acte 
spécial de TElat (loi ou décret) ; il faul toujours qu'elle 
se conforme à certaines règles générales et à certains 
taux que la loi lui indique comme un maximum. Qu'im- 
porte ? C'est bien elle cependant qui le lève, d'abord 
parce que (réserve faite des cas d'imposition d'office, 
qui ne sont autre chose que des voies d'exécution forcée 
pour l'obliger à payer certaines dettes) c'est toujours 

(1) Lorsqu'un acte de la commune est soumis à approbation, il 
n'en reste pas moins un acte de la commune. L'approbation est 
un simple « je n'empêche », qui lève un obstacle à Texécution de 
cet acte, mais n'apporte à cet acte aucun élément constitutif. La 
jurisprudence admet très nettement cette idée à l'égard des délibé- 
rations du Conseil municipal. Il en résulte notamment qu'une délibé- 
ration soumise à approbation, et déjà approuvée par le préfet, peut 
être attaquée en elle-même par la voie de recours des articles 65 
et 67 de la loi municipale, comme s'il s'agissait d'une délibération 
exécutoire par elle-même. Dans un cas comme dans l'autre il s'agit 
toujours d'un acte delà commune (V. Cons, d'Et,, 4 décembre 4904, 
S. 1904. 3. 437, et la note de M. Hauriou). 

Il est évident d'ailleurs que le raisonnement fait par M. Duguit 
serait, s'il était exact, aussi bien applicable au droit privé qu'au 
droit public, car l'Etat exerce aussi un contrôle sur l'administration 
patrimoniale de la commune. On arriverait donc ainsi à nier même 
la propriété communale. 

mCHOUD 2t 



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3^2 dfiAPiTRE ni 

elle qui à l'iniliative de l'impôt à lever, et que TEtat se 
borae à Tautoriser ; ensuite parce que l'impôt ainsi 
levé sert exclusivement à ses services et non à ceux 
de l'Etat ; que les deniers en provenant entrent dans 
son budget et deviennent sa propriété ; qu^ils serviront 
à acquitter ses dettes, à payer ses acquisitions, à grossir 
son domaine public et son domaine privé. C'est nier 
l'évidence que de voir là des impôts d'Etat « affectés 
seulement à un intérêt communal ». S'il en était ainsi, 
il n'existerait plus de véritable propriété communale, 
TEtat pouvant toujours défaire ce qu'il a fait, et rappor- 
ter l'affectation qu'il a donnée aux impôts levés par lui. 
La matière de la police municipale doit être envisagée 
de la même manière, M. Duguit contredit directement 
la loi de 1789 et la loi de 1837 lorsqu'il considère que, 
même d'après ces textes, la police municipale doit être 
envisagée comme une police d'Etat. Nous convenons 
que dans la loi municipale actuelle la solution légale 
est moins certaine, et que les rédacteurs de ce texte ont 
un moment paru voir dans cette police un pouvoir 
d'Etat (1). Mais nous ne croyons pas que celle opinion 
ail réellement passé dans la loi. En tout cas les faits 
que M. Duguit allègue en sens contraire (ingérence du 
pouvoir central dans l'organisation de la police munici- 
pale) ne prouvent point sa thèse, car ce sont, eux aussi, 
de simples fails de tutelle ou de contrôle. C'est le maire 
qui a rinitiative des mesures de police municipale, qui 

(t) V. pour les détails sur ces divers points, notre étude précitée 
sur la Responsabilité des communes, no» 48 à 20. L'élargissement 
du pouvoir du préfet accompli par l'article 99 peut faire admettre 
aujourd'hui que la police municipale a pris un caractère mixte \ 
mais il serait inexact, à vos yeux, de la considérer comme une 
pure police d'Ëtat. 



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La CREATION bËS PERSONNES MORALES DÉ bROtT PUBLIC 32^' 

nomme les agents (le préfet gardant seulement le droit 
d'agréer), qui exerce sur eux un pouvoir discipli- 
naire, etc. Il y a bien là les éléments d'un pouvoir com- 
munal, limité, mais non supprimé par le contrôle de l'Etal. 
D'ailleurs il faut élargir la question : ce ne sont pas 
seulement les impôts et la police, ce sont tous les ser- 
vices communaux : voirie, hygiène, assistance publi- 
que, etc., que nous considérons comme des services 
publics ; et c'est à notre sens une idée très fausse que 
de les faire rentrer dans la personnalité patrimoniale de 
la commune. Sans doute ils ne donnent lieu,, le plus 
souvent, qu'à des actes de gestion ; mais cela est bien 
loin d'être toujours vrai : la police de la voirie munici- 
pale^ par exemple, comporte fréquemment des actes 
d'autorité (injonctions, prohibitions, autorisations) pour 
lesquels le caractère communal n'est pas douteux (1) ; 
tous les services communaux peuvent donner lieu à une 
expropriation, c'est-à-dire à une opération de puissance 
publique que la commune a le droit de mettre en mou- 
vement à son profit ; et c'est en leur faveur que l'impôt 
communal est levé. Ces faits traduisent dans la loi posi- 
tive ridée fondamentale que ces services sont bien des 
services publics, et que leur gestion est entièrement dif- 
férente des gestions accomplies par les personnes privées. 
La personnalité patrimoniale ne comprend que la ges- 
tion des biens productifs de revenus ; dans la commune, 

(1) On sait quMl faut distinguer ayec soin cette police de la voirie 
municipale (que le maire exerce sur toutes les voies appartenant à 
la commune, et qui tend à la conservation et au bon aménage- 
ment des voies), de la police de la circulation que le maire exerce 
sur toutes les voies publiques. Celle-ci rentre dans la police muni- 
cipale proprement dite^ dont on peut considérer le caractère com- 
munal comme douteux. La première est certainement communale* 



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324 CHAPITRE iii 

comme dans toutes les personnes de droit public, elle 
est simplement Tune des faces d'une personnalité 
unique, dont tous les actes sont attribués par le droit à 
la même collectivité; mais dans la commune, comme 
dans l'Etat, quoiqu'à un degré peut-être moindre, ce 
n'est là que le côté secondaire de la personnalité ; la 
raison d'être de celle-ci, ce sont les besoins collectifs 
de Tagglomération ; et la satisfaction de ces besoins col- 
lectifs appartient au droit public. 

122. B. — Les établissements publics. — I. — Le 
mot établissement public a été assez souvent employé 
par les auteurs pour désigner tous les services publics 
personnalisés, y compris le département et la com- 
mune (i). Mais il est préférable de réserver ce terme 

(4) Par exemple par MM. Ducrocq {Revue générale, 1894, p. 99. 
Block, Dictionnaire de l'Administration française, v® Etablisse- 
ments publics, no 1). Il n y a là qu'une question de terminologie, qui 
offre en somme assez peu d'importance. M. Tissier (^Dons et legs, 
n® 90) donne de rétablissement public une définition qui permet- 
trait d'y comprendre, non seulement les départements et les com- 
munes, mais même l'Etat (que M. Ducrocq classe à part). Il déclare 
ensuite que ce n'est qu'en théorie qu'on peut donner à ces mots un 
sens aussi étendu et qu'en pratique on les applique seulement aux 
services spéciaux doués de personnalité. M. Simonnet (Traité de 
droit administratif, ^^ éd,, n° 1090) donne une définition analo- 
gue. Au contraire, MM. Hauriou (3e éd., p. 526) et Aucoc (Confé- 
renceSt t. l, no 198) prennent, comme nous, le mot uniquement 
dans son sens étroit. La terminologie de la loi est un peu incer- 
taine, mais la plupart des textes nomment les établissements 
publics, à côté de l'Ëtat et des communes, comme quelque chose 
de distinct : art. 2045, 2123, 2227, Ce; 49, 69, 481, 1032 Proc. ; 
art. 1, G. for., etc. Le mot établissement d'ailleurs est peu cor- 
rect pour désigner des groupes territoriaux dans lesquels l'élé- 
ment corporatif est prédominant. En droit allemand, la notion 
àôffentliche Anstalt correspond à peu près à notre notion d'éta- 
blissement public, entendue, comme nous le faisons au sens étroit. 



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LA CRÉATION PES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC 323. 

aux services publics spéciaux^ doués d'une personnalité 
distincte de celle qui appartient aux groupes territo- 
riaux. Ces services se rattachent toujours à Tun de ces 
groupes, parce que leur cercle d'action est limité, comme 
le leur, à une certaine circonscription territoriale (1) ; 
mais ils s'en distinguent, parce qu'ils s'adressent, non à 
tous les habitants de la circonscription, mais d\ine ma- 
nière immédiate à quelques-uns d'entre eux seulement. 
L^intérêt général qui s'attache à leur gestion, et qui jus- 
tifie leur élévation au rang de services publics, n'est 
qu'indirect, et le groupe dont ils représentent plus par- 
ticulièrement les intérêts collectifs est un groupe plus 
restreint que le groupe territorial. 11 joue, vis-à-vis de 
ce groupe, un rôle analogue à celui que ce groupe lui- 
même joue vis-à-vis de l'Etat. Ce caractère de l'établis- 
sement public a été très nettement mis en lumière par 
M. Hauriou (2). Après avoir indiqué que le premier carac- 

V. Gierke, Deutsches Privatrecht, t. ï, §§77, p. 635 et s. En droit 
italien il en est de même de la notion à'Fstituto publico. V. 
Fadda et Bensa, sur Windscheid, t. l/p. 792. 

(1) Circonscription qui se confond avec les limites de l'Etat quand 
le service se rattache à TEtat, mais qui est plus habituellement la 
circonscription d'un département ou d'une commune, et parfois 
une circonscription spéciale (par exemple pour les chambres de 
commerce). 

(2) Droit administratif, 5© éd., p. 479. Les syndicats de com- 
munes ne sont point les seuls établissements publics pour lesquels 
la notion de service unique soit inexacte. Par exemple la loi du 
21 mai 1873, art. 7, permettait aux hospices et hôpitaux d'assister 
à domicile, concurremment avec les bureaux de bienfaisance, les 
malades indigents. N'était-ce pas les charger d'un double service ? 
D'ailleurs, sur cette idée de service unique, on ne peut asseoir 
aucun critérium solide : qu'appelle-t-on service unique ? Presque 
tout service public est susceptible d'être subdivisé par une spéciali- 
sation plus grande. En créant, en 1893, le bureau d'assistanCe 



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326 CHAPITRE lit 

tère de rétablissement public est de gérer ud service 
public spécial^ il explique que ce mot peut s'entendre 
dans le sens de service unique^ mais que, si on le prend 
dans ce sens, il ne peut s'appliquer à tous les établisse- 
ments publics, que, notamment, il ne s'applique pas aux 
syndicats de communes ; puis il ajoute : « On peut 
entendre la notion du service spécial dans un autre 
sens, qui a le mérite de rester vrai même pour les syn- 
dicats de communes. Si Ton part de cette idée que les 
services administratifs sont en principe communs à tous 
les habitants d'une circonscription et que les adminis- 
trations de TEtat, des départements, des communes, 
sont pour la gestion de ces services, on remarquera 
qu'il reste à pourvoir à d'antres services qui ne sont 
point communs à tous les habitants d'une circonscription, 
mais qui sont au contraire spéciaux à quelques habi- 
tants ; c'est ainsi que les services variés de Tassistance 
publique, ne s'adressant qu'aux indigents de la cir- 
conscription, ne sont point communs à tous les habi- 
tants ; il en est de même du service des cultes, par cela 
môme qu'il peut y avoir dans une mêm.e circonscription 
des religionnaires de cultes différents, etc. ». 

Ainsi l'établissement public, comme le département 
ou la commune, est destiné à représenter un cercle d'in- 

médicale, on a pris à la fois sar les attributions des hospices et sur 
celles des bureaux de bienfaisance, et il n*est pas de service public 
qui ne soit susceptible d'être décomposé d*une manière analogue. 
C'est donc dans un autre sens qu'il faut entendre le mot service 
spécial, n reste vrai toutefois de dire que si l'établissement public 
n'est pas toujours chargé d'un service unique, il est du moins chargé 
d'un ou plusieurs services nettement spécifiés ; il n'a pas la géné- 
ralité d'attributions qui appartient aux groupes territoriaux; cela 
tient à ce que le groupe qa'il représente n'est pas aggloméré par 
le territoire, mais uniquement par certains besoins communs. 



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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC 32*7 

térêts collectifs et permanents, distinct de Tintérêt de 
TEtat OU de celui des diverses agglomérations territo- 
riales. C^est ce qui permet, sans tomber dans la fiction, 
de lui attribuer la personnalité morale ; il en remplit 
les conditions essentielles, puisqu'il correspond à un 
groupe d'intéressés très réel. On ne doit oublier d'ail- 
leurs que ces intéressés (c'est-à-dire les bénéficiaires An 
service) ne sont point les propriétaires du patrimoine, 
mais que c'est seulement leur groupe^ envisagé comme 
unité juridique indépendante de leurs personnes, qui 
possède celte qualité. On ne doit pas oublier davantage 
que ce groupe lui-même n'est pas à lui seul l'établisse- 
ment tout entier et qu'il ne doit pas être isolé de l'orga- 
nisme destiné à la gestion. Les fondateurs (qui sont ici 
l'Etat ou un autre groupe territorial), et les donateurs 
ou souscripteurs qui sont venus se joindre à eux, n'ont 
pas séparé les deux choses, et il y a lieu, dans la pra- 
tique juridique, de les considérer toutes deux comme 
nécessaires à la vie de l'établissement (i). 

La personnalité de l'établissement public, comme 
celles des départements et des communes, appartient à 
la fois au droit public et au droit privé. Sans doute, il 
semble parfois à première vue que la personnalité de 
droit privé soit ici seule en cause. La plupart des éta- 
blissements publics n'ont reçu, à proprement parler, 
aucune délégation de la puissance publique, et le rôle 
principal de leurs administrateurs consiste à gérer le 

(4) Voir suprày n^ 77, les explications données à propos des 
fondations en général. Les conséquences seront développées dans 
le second volume. Elles sont importantes soit au point de vue du 
principe de la spécialité, soit au point de' vue des règles à appli- 
quer en cas de suppression de l'être moral. 



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328 CHAPITRE lit 

patrimoine dont ils ont la g'arde ; les droits patrimo- 
niaux sont donc ceux qui frappent Toeil tout d'abord^ et 
cela nous explique que certains auteurs se refusent à 
voir dans ces établissements autre chose que des masses 
de biens voués à une affectation spéciale (1). Mais si 
Ton va au fond* des choses, Ton constate que ce patri- 
moine de rétablissement n'est, comme le patrimoine de 
TEtat ou des communes, qu'un moyen mis à la disposi- 
tion d'un groupe humain en vue d'un besoin collectif 
dont la satisfaction est mise au rang des services pu- 
blics. C'est donc Tidée de service public qui est ici domi- 
nante. Aussi la gestion de ces établissements n'est pas 
une gestion de pur droit privé : leurs travaux sont des 
travaux publics, leurs deniers des deniers publics ; les 
contributions de leurs membres, quand il en existe, de 
véritables contributions publiques. C'est là, nous l'a- 
vons vu, ce qui distingue ces établissements des éta- 
blissements d'utilité publique, qui n'ont au contraire 
qu'une personnalité de pur droit privé (2). Il en résulte 
que l'Etat conserve sur eux, comme sur les départe- 
ments et sur les communes, des pouvoirs plus étendus 
que sur les personnes morales de pur droit privé, et 
qu'il garde notamment le droit de reprendre lui-même 
directement la gestion des services qu'il leur a laissés. 
Leur situation à cet égard est la même, vis-à-vis de 
l'Etat, que celle des groupes territoriaux. 

Ils se rattachent du reste à ces groupes terriloriaux 
d'une manière intime. Suivant que le groupe intéressé 

(1) C'est le cas de tous les auteurs qui ont soutenu la théorie 
des droits sans sujet, et en France, de M. Planiol. Traité de Droit 
civil, ir« éd., t. I, nos 670 et suiv. 

(2) Voir suprà, n©» 83 et s. 



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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC 39.9 

sera répandu sur toute la surface du territoire national 
OU seulement sur la surface d'un département ou d'une 
commune, il y aura ce que Ton peut appeler établisse- 
ment public d'Etat, établissement public départemental 
ou établissement public communal (i). Cela ne veut pas 
dire que ces divers établissements sont la propriété du 
groupe auquel on les rattache; étant eux-mêmes des 
personnes juridiques, ils ne sont pas objets de pro- 
priété ; ils représentent une portion seulement du groupe 
territorial ; et ils peuvent défendre leurs droits en jus- 
tice contre ce groupe lui-même. Mais ce rattachement 
entraîne avec lui diverses conséquences : d'abord, en 
général, le groupe territorial intervient dans la création 
même de rétablissement; il joue à son égard le rôle de 
fondateur et lui fournit ses premiers moyens d'action ; 
ensuite il conserve d'ordinaire sur lui un certain droit 
de contrôle, et souvent est appelé à désigner lui-même 
quelques-uns de ses administrateurs, ou participe direc- 
tement à sa gestion par ses propres représentants. Cela 
s'explique principalement par cette idée que le service 
confié à l'établissement est considéré, malgré son inté- 
rêt spécial, comme un service public, et par conséquent 
retomberait en fait à la charge de la collectivité territo- 
riale s'il restait en souffrance. 

(1) Voir dans Hauriou, pp. 483 et suiv., rénumération des établis- 
senients rentrant dans ces diverses catégories. Quelques établisse- 
ments, tels que les chambres de commerce, ne sont pas compris 
dans cette liste parce qu'ils ont leur circonscription propre déter- 
minée par l'Etat. On doit les considérer comme se rattachant à 
l'Etat. La loi du 4 février 1901, article 4, § 2, est venue confirmer 
la classification des établissements publics en établissements natiO' 
nauXf départementaux f et communaux, et en a fait découler un 
intérêt pratique relatif à la forme dans laquelle doivent être auto- 
risées les libéralités adressées à l'établissement. 



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330 CHAPITRE III 

128. La manière dont nous concevons rétablisse- 
ment public dans les explications précédentes est évi- 
demment incompatible avec plusieurs des systèmes que 
nous avons exposés sur la nature de la personnalité 
morale. Dans le système de la fiction pure, on ne cher- 
che point à trouver à cet établissement un subslralum 
réel ; on doit se contenter de dire que l'Etat peut per- 
sonnaliser n'importe quel service, et que cette personni- 
fication a toujours un caractère purement artificiel. 
Dans le système des droits sans sujel, on ne voit dans 
rétablissement public qu'une masse de biens soustraite 
à l'appropriation individuelle et existant uniquement en 
vue d^un but sans considération de personnes. Enfin, 
dans celui de la personnalité réelle basée sur la volonté, 
on ne peut guère voir, dans^ un établissement de cette 
sorte, qu'une fondation ayant à sa base la volonté cris- 
tallisée du fondateur. Nous n'avons pas à reprendre ici 
la réfutation que nous avons essayée de ces divers sys- 
mes (i). Mais, même en partant de la théorie de Tinté- 
rèt collectif et permanent, on peut concevoir autrement le 
groupe collectif intéressé à l'existence de rétablissement 
public. Pour nous, ce groupe est celui des bénéficiaires, 

(t) V. plus haut, ch. 1. Tous ces systèmes, sauf le dernier, ont 
ici comme conséquence Tidée que TEtat seul détermine arbitraire- 
ment ce qu'il faut entendre par établissement public, qu'il le crée 
et le supprime à son grc. et après sa suppression fait de ses biens 
ce qu'il yeut (sauf un droit de retour à réserver pour les biens 
donnée par des tiers avec affectation spéciale). V. Tapplication de 
ridée dans le projet belge sur l'assistance publique, article 143 
(Van Overberg, Phase actuelle de l'assistanee publique en Bel- 
gique, Bruxelles, 1903, p. 73 et s.). L'auteur, considérant les per- 
sonnes morales publiques comme de pures créations de l'Etat, 
approuve la disposition qui enlève aux bureaux de bienfaisance 
l'excédent de leurs ressources pour l'affecter à une caisse commune. 



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LA. CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC 33i 

c'est-à-dire celui des personnnes à qui Tétablis^ment 
assure les services nécessaires à la satisfaction de leurs 
besoins communs : c'est celui des pauvres, des malades, 
des fidèles appartenant à une confession déterminée, des 
commerçants établis sur un territoire, etc. Mais, a-t-on 
objecté (1), ce n'est pas là le véritable groupe intéressé 
à la création de l'établissement public, et la preuve c'est 
que les personnes dont il s'agit profiteraient exactement 
des mêmes avantages si le service était assuré directe- 
ment par TElat ou les divers groupes territoriaux ; en 
réalité, ce qui est fait pour eux c'est le service, mais 
non sa personnalité. Ceux qui ont véritablement intérêt 
à l'existence distincte de la personne morale, ce sont 
ceux qui lui fournissent les moyens de subsister, le fon- 
dateur d^abord, et ensuite les donateurs en nombre 
illimité qui peuvent se joindre à lui pendant toute la 
durée de la vie de l'établissement. Ceux-là ont intérêt 
à ce que les ressources qu'ils fournissent restent per- 
pétuellement affectées au but qu'ils leur ont assigné ; 
c'est précisément cet intérêt que la création de la per- 
sonne morale a pour objet de sauvegarder; elle repré- 
sente donc, non les bénéficiaires, mais le groupe des 
donateurs et fondateurs. 

Cette manière de raisonner ne tient pas compte d*un 
fait : c'est que l'intérêt, ainsi compris, des donateurs et 
fondateurs se ramène en dernière analyse à l'intérêt des 
bénéficiaires. Les premiers ont renoncé, en faveur de 
ceux-ci (considérés in globo et comprenant les bénéfi- 
ciaires futurs aussi biens que les bénéficiaires présents), 
à la propriété des biens dont ils ont gratifié l'établisse- 

(4) Otto Mayer, Deutsches Verwaltungsrecht, t. 41, pp. 377 et 
suiv. 



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332 CHAPITRE III 

ment. L'un des avantages de la personnalité est assuré- 
ment de rendre plus certaine Texécution de leur 
volonté. Mais cet avantage n'est pas le seul, ni même 
le principal : quand il donne au service public une 
personnalité distincte, TEtat est guidé par des motifs 
complexes, que nous allons essaj^er de préciser, mais 
qui pour la plupart se ramènent à ce motif prédomi- 
nant : assurer au service des moyens d'action plujs 
étendus et une meilleure administration dans Tintérêt 
des bénéficiaires. Ceux-ci forment donc bien le groupe 
humain représenté par rétablissement ; c'est leur groupe 
qui est le véritable titulaire de ses droits. Il faut observer 
seulement, comme nous Tavons déjà remarqué, que le 
groupe intéressé ne constitue pas à lui seul toute la per- 
sonne morale, et qu'il est inséparable de l'organisme 
destiné à suppléer sa volonté (1). 

(4) Nous ne considérons donc pas comme entièrement exacte la 
formule de V Encyclopédie de Merkel, citée par Mayer (p. 379, 
note 6). « Au lieu de dire : ces biens appartiennent aux pauvres 
présents et futurs, au profit desquels ils doivent être utilisés par 
la fondation Saint-Marc, nous disons pour abréger : ces biens 
appartiennent à la fondation Saint-Marc. » M. Mayer objecte que 
la situation des pauvres serait la même si ces biens, au lieu d'ap- 
partenir à un établissement public, appartenaient à une corpora- 
tion charitable douée de personnalité. Mais l'objection n'est pas 
fondée : dans ce dernier cas, les biens appartiennent à la corpora- 
tion et non aux pauvres ; la personnalité de la corporation a pour 
substratum les membres qui en font partie ; ceux-ci ne se sont 
pas défaits de leurs biens en faveur d'une personne morale à 
laquelle ils restent étrangers ; ils ont prétendu au contraire con- 
server sur ces biens les droits qui appartiennent aux membres 
d'une association personnalisée sur le patrimoine de cette asso- 
ciation, et c'est là, au point de vue de l'administration de ces biens 
comme au point de vue de la suppression de la personne morale, 
une situation toute différente. Cpr. Meurer, Die juinst. Pej^son,, 
pp. 34-35. Si, à nos yeux, la formule de Menkel n'est pas tout à 



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LA CREATION DBS PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC 333 

Ces explications écartent, en même temps que la 
théorie de Mayer, une autre théorie admise par beau- 
coup d'auteurs, et compatible, elle aussi, avec notre 
notion générale de la personnalité. C'est celle qui voit le 
groupe représenté par rétablissement public dans le 
groupe territorial auquel cet établissement se rattache, 
c'est-à-dire suivant les cas, TEtat, le département ou la 
commune. Dans ce système^ qui a été exposé avec une 
netteté parfaite par M. Berthélemy (1), la création d'un 
établissement public n^est plus qu'une mesure d'ordre, 
destinée à établir la division du travail et la séparation 
des comptés. Elle n'aboutit pas à la constitution d'une 
véritable personnalité ; elle ne touche pas à la question 
de propriété des biens, mais seulement à. leur mode 
d'administration. 

fait juste, c*est qu'elle ne tient compte que de l'un des deux élé- 
ments de la personnalité, l'élément intérêt, et qu'elle laisse trop 
complètement à l'écart les personnes formant Torganisme néces- 
saire à l'administration de l'établissement et représentant en lui 
Télément volonté. V. suprà, n® 77, p. 487, et n« 422, p. 327. 

(4) Droit administratif, 4re éd., p. 549, 2« éd., p. 45. « Mais 
voici que pour simpliûer l'administration, pour diviser le travail, 
pour éviter la confusion des comptes, pour que tels fonds soient 
affectés à tel besoin, une loi ou un décret vienne dire que tel service 
sera personne morale. Qu'est-ce que cela signifie encore? Les biens 
de rhôpital, par exemple seront désormais séparés, ils formeront 
un patrimoine distinct ; à qui sera ce patrimoine ? » L'auteur 
répond que ce sera la commune (c'est-à-dire d'après son système 
sur la notion de personnalité morale, les habitants de la commune 
possédant collectivement), parce que l'hôpital est un service com- 
munal, et que s'il n'était pas érigé en personne morale, c*est la 
commune qui devrait pourvoir à ses besoins. Il ajoute : « Généra- 
lisons : les biens des services publics spéciaux pourvus de person- 
nalité morale ont les mêmes propriétaires que les biens des collec- 
tivités à l'intérêt desquelles ils pourvoient: leurs propriétaires sont 
ces collectivités elles-mêmes différemment représentées». Nous 



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3â4 CHAPITRE lit 

Cette opiaioQ est peut-être fondée pour quelques éta- 
blissements publics, surtout pour quelques-uns des ser- 
vices d'Etats auxquels des lois spéciales ont attribué^ 
dans ces dernières Mnées, la personnalité cisrile (1). Il 
est incontestable que TEtat peut créer par ce procédé 
des personnalités /ac/îcw. S*il le fait, les conséquences 
de la personnalité ne se produiront pas toutes ; il res- 
tera le maître de défaire ce qu'il a fait, et de reprendre 
directement la gestion des services qu*il a ainsi arbi- 
trairement isolés de la masse des services publics. Eu 
soi, le système n^est pas bon parce qu'il rompt l'unité 
budgétaire et on ne peut l'approuver que très exception- 
nellement. Mais le plus souvent les établissements 
publics sont autre chose qu'un organisme administra- 
tif ; ils correspondent, comme nous Pavons dit, à des 
besoins spéciaux qui sont ceux de certaines personnes 
seulement à l'intérieur du groupe territorial, et par là 
leur personnalité est réelle. Nous verrons plus loin 
qu'entre les services publics personnalisés et les autres 
il y a des différences profondes, toutes basées sur cette 
idée que les intérêts représentés par l'établissement 
public sont distincts des intérêts du groupe territorial. 
JLe système de M. Berthélemy aboutirait à effacer entiè- 
rement ces différences et par là à affaiblir la protection 
de ces intérêts distincts. 11 ne faut pas confondre la 
véritable notion du service public personnalisé avec 
i^abus que le législateur en peut faire. 

124. II. — Dans le choix des services publics suscep- 

avoDs vu plus haut (p. 188, note 7), que certains auteurs étendaient 
cette doctrine à toutes les fondations, même aux fondations pri- 
yées. 
(1) Y. de noaibreux exemples, infrà, no» 426 et s. 



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La CREATION DES PEtlSOiSNÈS MORAtÉS bS DROIT PUBLIC 33^ 

libles d'être personnalisés, l'Etat a an pouvoir d'appré- 
cion très étendu. Il pourra personnaliser, sans s'expo- 
ser au reproche que nous venons de formuler, tout ser- 
vice public correspondant à un groupe d'intéressés dis- 
tincts ; mais le plus souvent il n'y aura pour lui aucune 
obligation de le faire, et il pourra se borner, soit à assu- 
rer lui-même le service, soit à le faire gérer par le 
déparlement et la commune. La reconnaissance de per- 
sonnalité est souvent due à une raison historique : cer- 
tains services en effet, et notamment ceux qui ont pour 
objet de subvenir aux besoins des divers cultes, se sont 
constitués en dehors de l'Etat. Ce dernier les a de plus 
en plus soumis à son contrôle et il est arrivé ped à peu 
aies considérer comme de véritables services publics; 
mais en faisant cela il leur a conservé une certaine auto- 
nomie et la possibilité d'avoir un patrimoine leur appar- 
tenant en propre. Il y trouvait d'ailleurs certains avan- 
tages, et ces avantages sont de telle nature qu'il a souvent 
jugé opportun d'employer le même procédé à l'égard de 
services qu'il créait lui-même et qui parfois étaient restés 
longtemps sous sa direction immédiate {i). La person- 
nalité reconnue à ces services peut avoir pour effet de 
grossir leurs ressources en attirant les libéralités : on 

(1) Il semble qu'en France ces avantages aient été mieux aper- 
çus dans ces dernières années. De là beaucoup de lois récentes 
reconnaissant la personnalité de services déjà existants : caisse des 
musées, universités, ou de services nouvellement créés : caisse des 
écoles, bureaux d'assistance médicale, etc., etc Pour le service des 
enfants assistés, le législateur n'a pas admis le régime de la per- 
sonnalité, qui lui avait cependant été proposé par le Conseil supé- 
rieur de l'Assistance publique, et qui se trouvait consacré dans le 
projet déposé au Sénat par le gouvernement. V. la loi du 27 juin 
1904. 



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336 CHAPITRE tu 

ne donne guère aux départements et aux communes, 
on donne moins encore à TElal ; on n'est point assez 
sûr que la libéralité conservera toujours son affectation 
primitive ; on donnera plus volontiers à une institution 
d'assistance ou à un établissement scientifique ou artis- 
tique, voués à une tâche spéciale et capables de con- 
server jalousement à leur destination les biens dont le 
donateur se sera dessaisi. Puis le patrimoine, tel qu'il 
est, sera probablement mieux utilisé et surtout mieux 
ménagé par un établissement pourvu de personnalité que 
par un service dépendant directement de TEtat, du dépar- 
lement ou de la commune ; le fait seul que rétablisse- 
ment est propriétaire lui assure une sorte d'indépendance, 
le place dans une certaine mesure en dehors des fluctua- 
tions de la politique et le cantonne plus étroitement 
dans sa mission spéciale. Enfin, point d'importance 
capitale, le droit de propriété est pour lui une excitation 
à Tordre et à l'économie ; sûr de conserver ses bonis, 
il s'appliquera à en avoir; alors, au contraire, que les 
services publics, dotés par un crédit au budget, s'appli- 
quent à le dépenser intégralement de peur qu'on ne le 
leur diminue et que leur esprit d'économie ne se retourne 
contre eux. 

La contre-partie de ces avantages, c'est que l'Etat 
a sur les services ainsi dotés une influence moindre, 
peut moins facilement y faire prévaloir ses vues et y 
introduire les réformes qu'il juge nécessaires. Il n'est 
pas douteux, par exemple, que les réformes /jue l'Etat 
a cherché et cherche encore à introduire dans le régime 
de l'assistance publique soient rendues plus difficiles à 
réaliser par la demi-indépendance des commissions hos- 
pitalières, qui résistent souvent, par des raisons d'éco- 



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Là CREATION DBS PERSONNES MORALES bË DROIT PUBLIC ^^7 

nomie, à ce qu^oa leur demande. Cela peut perpétuer 
certaines routines et certains abus^ mais cela même n'est 
pas sans avantage; c'est une barrière contre les réfor- 
mes trop rapides, contre les entreprises téméraires qui 
peuvent compromettre la fortune publique. Tout 
compte fait, pour certains services, la spécialisation 
résultant de la personnalité présente beaucoup plus 
d'avantages que d'inconvénients. 

125. 111. — Les explications précédentes nous ont 
montré la condition essentielle de la création des éta- 
blissements publics et la raison d'être de leur existence. 
Il reste à examiner une question qui n'est pas sans inté- 
rêt pratique ni sans difficulté : en quelle forme peut se 
faire la création de l'établissement public ? 

Qu'il faille pour cela l'intervention de l'Etat, cela 
résulte, d'une manière évidente,. de cette circonstance 
qu'il s'agit, soit de créer de toutes pièces un service 
public, soit d'incorporer dans l'administration publique 
un établissement d'origine privée, soit enfin de reconsti- 
tuer un service public sur des bases nouvelles, en lui 
conférant la personnalité qui lui avait manqué jus- 
qu'alors. A l'Etat seul il appartient de disposer ainsi 
des services de cet ordre, même quand ils se rattachent 
au département ou à la commune, car ces collectivités 
elles-mêmes, comme nous l'avons vu, n'administrent 
dans Kintérêt général que par délégation de l'Etat. Mais 
quelle sera, dans TEtat, l'autorité compétente pour 
procéder à cette création ? L'intervention du législateur 
sera-t-elle nécessaire, ou suffira-t-il d^un acte de l'auto- 
rité administrative ? 

Pour les partisans du système de la fiction, il semble 
que la question ne puisse être douteuse. Au législa- 

MIGHOUO 22 



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. w . 



338 CHApirkK ut 

leur seul il appartient de créer des fictions ; rétablisse- 
ment public, comme toute autre personne morale, ne 
pourra donc être créé que par lui, soit au moyen d'une 
disposition spéciale, soit au moyen d'une dispt)sition 
générale, déléguant au pouvoir administratif le soin 
de créer certains établissements dans des conditions 
déterminées à l'avance par la loi. C'est bien ainsi sans 
doute que la question est, en général, tranchée dans la 
pratique, et la plupart des établissements publics exis- 
tants ont été créés, comme nous allons le voir, soit par 
la loi elle-même, soit au moins en vertu de la loi (i). 
Pourtant il y a des exceptions au moins apparentes. On 
reconnaît à un certain nombre d'institutions la qualité 
d'établissements publics, bien que le législateur ne 
paraisse jamais être intervenu, ni dans leur création, ni 
dans leur réglementation. Il en est ainsi notamment de 
plusieurs établissements nationaux de bienfaisance, qui 
ont été fondés et classés parmi les établissements de cet 
ordre par de simples décrets (2), et à qui cependant on 



(1) Le règlement intérieur du Conseil d'Etal du 21 août 187^, 
art. 5, § 2, comprenait, parmi les projets de décret à soumettre à 
l'Assemblée générale du Conseil, l'autorisation ou la création d*éta- 
blissements publics, ou d'établissements d'utilité publique. Mais 
cela ne signifiait nullement qu'une loi ne fût pas en principe néces- 
saire ; cela ne visait en effet que les cas dans lesquels une loi géné- 
rale renvoyait au pouvoir exécutif la création de l'établissement. 
Ce texte est d'ailleurs aujourd'hui modifié, voir infrà, no 126 
in fine. 

(2) Notamment les asiles de Vincennes et du Vésinet, créés par 
le décret du 8 mars 1855 et classés parmi les établissements géné- 
raux de bienfaisance par les décrets du 28 octobre 1857 et du 
14 août 1850 ; et l'asile Vacassj, créé à la suite d'une libéralité 
adressée à l'Etat et classé parmi les établissements généraux de 
bienfaisance par un décret du 30 juin 1876. £n ce qui concerne les 



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La CREATION DES PERSONNES MORALES DE DROlt PUBLIC 33Ô 

attribue très généralement le caractère d'établissements 
publics. Mais Texception peut se ramener à la règle si 
Ton admet, comme nous le croyons, qu'on doit appli- 
quer à ces établissements les textes .généraux sur les 
établissements hospitaliers. Quoi qu'il en soit de ce 
point de détail, nous pensons, conformément à la doc- 
trine dominante, qu^ùne loi esl nécessaire : créer un 
établissement public, c'est, en effet, procéder à une sorte 
de démembrement des services publics ; c'est permettre, 
dans le domaine du droit public, comme dans celui du 
droit privé, à un corps constitué d'opposer ses droits à 
ceux de TEtaV, du déparlement ou de la commune, c'est- 
à-dire à ceux des collectivités que la loi charge en 
principe de la gestion des services publics. Il nous 
semble qu'une exception de cette nature ne peut être 
introduite que par le législateur lui-même. L'adminis- 
tration peut bien, à Vintérieuv des personnes morales 
existantes, faire des règlements d'organisation des ser- 
vices publics. Mais elle pénétrerait dans le domaine du 
droit en créant elle-même une nouvelle personne mo- 
rale (1). Si un établissement ne peut invoquer, en 

établissements de cet ordre antérieurs à la Révolution, la question 
est plus complexe, mais pour la plupart d'entre eux on peut invo- 
quer des textes d'ordre législatif. Notamment l'asile de Gharenton 
parait avoir suivi le sort des hôpitaux et hospices : ses biens ont 
été réunis au domaine de l'Etat, en vertu de la loi du 23 messidor 
an n, et restitués en vertu de la loi du 16 vendémiaire an V par 
l'arrêté du Directoire du 27 prairial an V (voir l'avis des sections 
réunies des Finances et de l'intérieur du 6 janvier 4862, dans Tis- 
sier, Dons et legs, no 150). On sait d'ailleurs que le fonctionne- 
ment de ces divers établissements est réglé par une simple ordon- 
nance, celle du 21 février 1841. 

(1) Otto Mayer, op, cit., p. 388, a soutenu pour le droit allemand, 
que la création d'un SelbstverwaltungS'Kôrper (terme générique 



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^p^^^ .T 



â40 CàAPITRË Itt 

faveur de sa personnalité, aucune loi générale ou spé- 
ciale, on devra, suivant les cas, le considérer comme un 
simple établissement privé (qui aura pu du reste être 
reconnu d'utilité -publique par un décret) ou comme 
une dépendance directe de l'administration générale, 
départementale ou communale. 



sous lequel il comprend les diverses personnes morales de droit 
public autres que TEtat) était de la compétence du pouvoir adminis- 
tratif, — alors qu'il admet en droit privé la nécessité d'une loi (soit 
pour reconnaître directement la personne morale, soit pour autoriser 
le pouvoir administratif à la reconnaître). Il fait observer en ce sens 
que la création d'une personne moraleMe droit public est moins la 
création d'une personne morale nouvelle, que le démembrement 
d'une personne morale déjà existante, l'Etat. Mais alors même que 
ceci serait absolument exact (ce que nous ne croyons pas, car cer- 
taines personnes morales de droit public sont plutôt adoptées par 
PEtat, incorporées dans son administration qu'elles ne sont déta- 
chées de lui), nous pensons que ce démembrement ne peut être que 
l'œuvre directe ou indirecte de la loi ; il faut une règle de droit 
pour admettre la naissance d'une personnalité, aussi bien dans le 
domaine du droit public que dans celui du droit privé. Dans la 
plupart des législations, la reconnaissance de la personnalité de 
droit privé, ou résulte d'une règle de droit générale, ou est délé- 
guée par le législateur au pouvoir administratif. Au contraire, la 
reconnaissance d'une personnalité de droit public est en fait réser- 
vée à Pexamen spécial du législateur. Le Conseil d'Etat italien dans 
un avis du 2 juin 1888 (cité par Ruffini, La classificazione délie 
persone giuindiche^ dans les Studii Schupfer, 1898, p. 352), con- 
sidère comme pouvant »Mre créés par le pouvoir exécutif « les êtres 
moraux qui, sans demander de privilège, se contentent de l'exer- 
cice des droits civils communs à toutes les personnes morales ». 
En France, on a toujours admis en pratique la nécessité d'une^loi 
pour créer un établissement public, toutes les fois qu'il n'existe 
pas de loi générale délégant cette mission à l'autorité administra- 
tive relativement à une certaine catégorie d'établissements. V. les 
nombreux textes de lois cités ci-après. Cpr. l'exposé des motifs de la 
loi du 18 février 1904 attribuant à l'Office colonial la personnalité 
civile 



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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC 341 

126. L'intervention du législateur se produit d'ail- 
leurs sous des formes diverses. Quelquefois il crée 
directement un établissement ou des établissements 
publics, en organisant un service nouveau. On peut 
citer, comme exemples de ce premier type, Tordre de la 
Légion d'honneur, qui a reçu, au moment même où il 
a été créé par la loi, une dotation spéciale et une admi- 
nistration autonome (loi du 29 floréal an X, auj. décret 
du 46 mars 1852); et, dans un autre ordre d'idées, les 
bureaux d'assistance médicale qui ont été créés dans 
toutes les communes par la loi du 15 juillet 1893. Dans 
d'autres cas, le législateur constitue, toujours directe- 
ment, un établissement public en conférant la person- 
nalité à un service déjà existant ; c'est ce qui s'est pro- 
duit, notamment pour les hospices et hôpitaux d'origine 
ancienne, quand la loi du 16 vendémiaire an V leur a 
rendu la personnalité qu'ils avaient un moment perdue 
par la réunion de leurs biens au domaine national ; c'est 
ce qui s'est produit plus récemment pour un assez grand 
nombre de services publics que des lois spéciales ont 
détachés de l'Administration pour les (ériger en person- 
nes civiles (musées nationaux, loi du 16 avril 1895, 
art. 52; corps de facultés (1), loi du 28 avril 1893, 
art. 71 ; Conservatoire national des arts et métiers, loi 
du 13 avril 1900, art. 32; Ecole nationale supérieure 
des mines, même loi, art. 34, etc.). — Enfin, le plus 



(1) Depuis lors transformés en Universités par la loi du iO juil- 
let 1896. Le même procédé avait été employé à l'égard de TUniver- 
versité de France lors de sa constitution : décret du 47 mars 1808, 
art. 131 et suiv. Mais on sait que cette personnalité avait disparu 
par suite de la loi de finance des 7-13 août 1850, qui avait abrogé 
ces textes. 



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34â dHAPlTRK III 

souvent, le législateur ne procède pas d*une manière 
aussi directe. II se contente d'indiquer les bases sur les- 
quelles pourra se fonder rétablissement public et ren- 
voie à Tautorilé administrative le soin de procéder à la 
création individuelle de chaque établissement. Il en est 
ainsi d'abord peur la plupart des établissements ecclé- 
siastiques, qui sont fondés par des décrets rendus en 
Assemblée générale du Conseil d'Etat, en exécution des 
lois générales sur les cultes (art. 15 du Concordat, loi 
du 48 germinal an X, art. 73; et pour le culte proles- 
tant, loi du 18 germinal an X, art. 8 et 10). Il en est . 
ainsi, en outre, pour beaucoup d'établissements civils : 
par exemple, c'est par un décret rendu dans la forme 
des règlements d'administration publique que peuvent 
être créées les chambres de commerce (loi du 9 avril 
4898, art. 2); c'est par un décret rendu en Conseil 
d'Etat que sont constitués les syndicats de communes 
(loi du 5 avril 1884, modifiée par la loi du 22 mars 1890, 
art. 169); c'est par décret aussi que peuvent être fondés 
aujourd'hui les hospices ou hôpitaux publics (édîts de 
décembre 1606 et août 1749, décrets de décentralisation 
du 25 mars 1852 et du 13 avril 1861, tableau A, n*» 67 y). 
Le Conseil d'Etat est, en général, appelé à intervenir 
dans ces créations faites par décret ; son règlement 
intérieur de 1872 exigeait même, dans tous les cas, que 
la délibération du Conseil ait lieu en Assemblée géné- 
rale ; mais aujourd'hui, en vertu du règlement du 
2 août 1879, modifié par celui du 3 avril 1886, a^ t. 7, 
l'intervention de l'Assemblée générale n'est exigée que 
pour la création des établissements ecclésiastiques ou 
religieux et pour celle des chambres de commerce ; il 
suffira donc, en principe, d'un avis de section, toutes 



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LA CREATION DES PERSONNES MORALES DB DROIT PUBLIC 343 

les fois qae la loi n'aura pas dit expressément le con- 
traire, et cet avis même ne sera obligatoire que si la loi 
Texige (1). Il faut ajouter que, dans un grand nombre 
de cas, la loi, en renvoyant la création à l'autorité admi- 
nistrative, la subordonne à certaines conditions détermi- 
nées : avis de conseils municipaux ou d'aulres corps 
constitués, enquêtes, etc. Ce sonl là des détails de 
législation réglementaire dans lesquels il nous parait 
inutile d'entrer ici. 

127. Dans toutes ces fondations publiques, on 
trouve les deux éléments essentiels de la personnalité 
juridique : le groupe intéressé et l'organisation de 
nature à dégager une volonté collective distincte de la 
volonté collective de TEtat, du département ou de la 
commune. Mais Tinlervention des pouvoirs publics a 
ici une plus grande importance qu'en droit privé, parce 
qu^au fond, le plus souvent ce sont eux-mêmes qui fon- 



(1) Pour les bureaux de bienfaisance c'est également la règle de 
l'autorisation par décret qui doit être considérée comme étant 
aujourd'hui en vigueur. Cependant, pendant longtemps, leur créa- 
tion a été 'autorisée par de simples arrêtés préfectoraux et la juris- 
prudence, après quelques hésitations, a validé ce mode de procéder 
pour ceux dont la fondation est antérieure à i852(Cass.,30 décem- 
bre 1873, D., 74.Mi9 ; 19 juillet 4894, D., 95.4.96). Le décret du 
25 mars 4852 (tableau A, in fine) avait expressément enlevé ce 
pouvoir au préfet pour le confier au chef de l'Etat, mais il fut 
rendu au préfet par 'a loi du 24 juillet 1867, art. 14. Depuis la loi 
municipale du 5 avril 1884, la question est discutée : on a soutenu 
qu'elle n'avait pas modifié Tétat de choses antérieur ; mais, en 
abrogeant expressément la loi de 1867 (art. 168, n^ 15), elle a 
enlevé au pouvoir du préfet sa seule base légale et a implicitement 
consacré le retour à la règle posée par le décret de 1852. C'est la 
solution admise par la circulaire du 15 mai 4884, et elle est 
aujourd'hui appliquée en pratique d'une façon constante. 



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344 CHAPITRE III 

dent rétablissement érigé en personne morale. Pour 
que cette fondation, analogue par bien des côtés aux 
fondations de droit privé, soit considérée comme ayant 
Texislence légale, il n^est pas nécessaire qu'elle ait 
déjà un patrimoine; la personnalité juridique ne con- 
siste pas dans le fait d'être titulaire de droits, mais dans 
l'aptitude à Tètre (1). Cette aptitude peut être conférée 
par TEtat au groupe des intéressés par cela seul qu'il 
lui donne l'organisation ; et il n'est pas même nécessaire 
que cette organisation soit déjà matériellement réalisée, 
c'est-à-dire que les personnes appelées à représenter la 
personne morale soient déjà désignées. II suffit pour 
que Têlre moral puisse être considéré comme existant, 
que son organisation soit déjà réglementée de telle sorte 
qu'elle puisse se réaliser matériellement dès qu'elle 
deviendra nécessaire^ c'est-à-dire dès que l'être moral 
aura besoin d'agir, ce qui se produira seulement quand 
il aura des biens. Jusqu'à ce moment l'établissement 
public existera seulement en expectative, mais cela suf- 
fira pour lui donner l'aptitude à être propriétaire, et par- 
conséquent la capacité de recevoir des libéralités. En 
fait^ on ne réalisera matériellement son organisation 
que lorsqu'il sera doté ; mais on admettra son existence 
alors même qu'il ne sera encore ni doté, ni matérielle- 
ment organisé, parce que déjà il présente les éléments 



(1) Certains auteurs ont soutenu, au point de vue du droit privé, 
que Texistence d'un patrimoine actuel était essentielle à Texistence 
de la fondation (V. notamment Meurer, Juristische Personen, 
p. 243 et s., et p. !f48 et s.). Cette thèse est, à notre avis, aussi 
inexacte en droit privé qu'en droit public (V. infrà, n^ 166). Nous 
montrons ici qu'en droit public la pratique française y est con- 
traire. 



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LA CRÉATION DBS PERSONNES MORALES DB DROIT PUBLIC 34o 

nécessaires à la personnalité morale : groupe intéressé, 
organisation de volonté réalisable dès que cela sera 
nécessaire. . 

La loi a, à diverses reprises, en vertu de ces principes, 
créé directement des établissements publics en bloc dans 
toutes les communes, et ces établissements sont devenus 
capables par le fait même de la loi, leur organisation 
matérielle h'étant plus qu'une mesure d'exécution à 
laquelle chaque administration municipale pouvait pro- 
céder à des dates différentes. Ainsi la loi du 15 juillet 
1893, art. 10, a créé directement un bureau d'assis- 
tance médicale dans toutes les communes ; et ce 
bureau a existé virtuellement dès la mise en vigueur 
de la loi ; Taulorité administrative n'a eu à prendre à 
cet égard que des mesures d'exécution (1). La loi du 
28 mars 1882 a procédé de même à Tégard des caisses 
des écoles. Ces établissements existent dans toutes les 
communes alors même qu'on n'a pas désigné encore les 
membres qui les administrent. 

De même, lorsqu'une libéralité est adressée à une 
commune à charge de fondation d'hospice, le décret qui 
autorise le maire de la commune à accepter une libéra- 
lité au nom des pauvres l'autorise en même temps à 
créer l'hospice ; et dès ce moment l'hospice est consi- 
déré comme existant ; il est capable de recevoir une 
libéralité nouvelle, avant même qu'on l'ait pourvu de 
tous ses organes d'adminislration (2). 

(i) V. Gaiïipagnolle, L'assistance médicale gratuite^ 2* éd., 
p. 144, sur l'art. 10. 

(2) V. une conséquence de ces idées en matière de comptabilité, 
dans C. d'Etat, 22 décembre 1900, Revue des établissements de 
bienfaisance, 1901, p. 75. 



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346 CHAPITRE Ht 

128.1V. — Quel que soit le système adopté pour 
créer la personnalité morale de rétablissement public, 
il y a souvent, dans les textes qui l'organisent, une diffi- 
culté d'interprétation très délicate. Quelquefois la loi 
attribue en termes exprès à rétablissement qu'elle crée 
ou qu'elle prévoit la qualité d'établissement public 
(ex. : écoles normales primaires, loi du 19 juillet 1889, 
art. 47 ; chambres de commerce, loi du 9 avril 1898, 
art. 1 ; caisse des recherches scientifiques, loi du 14 juillet 
1901) (1). Quelquefois, et plus fréquemment depuis un 
certain nombre d'années, elle lui attribue en termes for- 
mels la personnah'té civile, ce qui ne laisse pas de doute 
sur sa qualité de personne morale, mais peut permettre 
de se demander s'il est bien réellement incorporé à 
Tadministration ou s'il constitue au contraire un sim- 
ple établissement d'utilité publique (ex. : corps de 
facultés, loi du 28 avril 4893, art. 71 ; caisses des 
musées, loi du 16 avril 1895, art. 52 ; caisse de pré- 
voyance entre les marins français contre les risques et 
accidents de leur profession, loi du 21 avril 1898, art. 2; 
Conservatoire national des arts et métiers, loi du 13 avril 
1900, art. 32; Ecole nationale supérieure des mines, 
même loi, art. 34, et loi 25 février 1901, art. 58; Institut 

♦ 

({) Dans certains textes anciens, on trouve le mot d'établisse- 
ment d'utilité publique appliqué à de véritables établissements 
publics : ainsi dans Tart. 19 du décret du ,3 septembre \SM, lequel 
réglait, avant la loi de 1898, l'organisation des chambrés de com- 
merce ; ainsi encore dans l'art. 10 du décret du 25 mars 1852, sur 
les chambres consultatires d'agriculture, et dans l'art. 1 de la loi 
du 24 juin 1851 sur les monts-de-piété. Cela tient à ce que la dis- 
tinction entre ces deux catégories n'était pas encore précisée à l'épo- 
que de ces lois, et cela laisse parfois planer des doutes sur la classi- 
fication (V. pour les monts-de-piété, suprà, n^ 92). 



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LA CREATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC 347 

national agronomique, loi du 25 février 1901, art. 57; 
Ecole française d'Athènes, et Ecole française de 
Rome, l. du 31 mars 4903^ art. 71 (1); Ecole normale 
supérieure, Décret du 10 novembre 1903, art. 1 ; Office 
colonial, loi du 28 février 4904 ; Musée Gustave Moreau, 
loi du 30 mars 1902, art. 72). Quelquefois enfin^ elle 
réunit dans une même phrase les deux formes précé- 
dentes, comme dans la loi du 22 mars 1890, art. 170. 
(Les syndicats de communes sont des établissements 
publics investis de la personnalité civile). 

Mais souvent le législateur a évité ces termes d'une 
portée doctrinale ; il semble en avoir eu peur. Dans 
la discussion de la loi sur les sociétés de secours mu- 
tuels (loi du l®r avril 1898), il s'est passé à cet égard 
un incident caractéristique. L'article 13, lel qu'il était 
sorti de la discussion en première leclure à la Chambre 
des députés, déclarait expressément que ces sociétés 
jouiraient de la personnalité civile. Dans la séance du 
21 mai 1897, M. Sauzet demanda la suppression de ces 
mots : (( Je crains, dit-il, qu'il n'y ait là qu'un élément 
d^obscurité, une source de controverses. Car Tarlicle 13 

(1) Le rapport de M. Antoine Dubost au Sénat sur cet art. 71 
{Doc, ParL, 1903, p 312) déclare que cette mesure a uni- 
quefnent pour but de permettre à ces deux établissements de rece- 
voir des dons et legs. Il a été formellement entendu entre les 
ministres de l'Instruction publique et des Finances qui font cette 
proposition, qu'elle ne saurait avoir pour effet de leur donner une 
autonomie financière quelconque, et que leurs crédits continu- 
raient à être gérés par le ministère de l'Instruction publique ». Le 
mot uniquement est certainement inexact ; la personnalité, une fois 
constituée a, qu'on le veuille ou non, d'autres conséquences que de 
permettre à l'établissement de recevoir des dons et legs. Et même 
cette faculté de recevoir des dons et legs ne découle pas pour un 
service public de sa personnalité. -^ V. les explications suivantes. 



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348 CHAPITRE II 

vise seulement Tun des actes que la société peut accom- 
plir : le fait d'ester en justice. Pourquoi une allusion de 
ce genre à la capacité juridique des sociétés de secours 
mutuels, capacité variable, en dehors du droit de plai- 
der, suivant qu'elle esl libre, approuvée ou reconnue 
d'utilité publique? Pourquoi cette expression de person- 
nalité civile qui sera un exemple à peu près unique de 
rédaction législative ? Je crois, en efFel, qu'il est sans 
précédent qu'un texte de loi dise expressément d'une 
association ou institution quelconque qu'elle constitue 
une personne civile. On peut même affirmer que cette 
formule, par elle-même, ne signifie rien, car telle société 
emprunte le titre de personne civile à l'aptitude que la 
loi lui reconnaît d'accomplir tels ou tels actes juridiques 
dans telles ou telles conditions, alors qu'une autre 
société, personne civile elle aussi, ne peut accomplir 
que certains de ces actes à des conditions différentes. 
Mieux vaut, dès lors, éviter dans un texte législatif cette 
expression toute théorique de personnalité civile. Mieux 
vaut procéder par voie d'énumération, en indiquant 
spécialement et séparément les actes que telle associa- 
tion a le droit d^acomplir ». 

M. Sauzet, à qui la Chambre donna finalement gain 
de cause, était ici l'écho de scrupules juridiques déjà 
plusieurs fois exprimés avant lui. Laurent, notamment 
avait déjà remarqué (ce qui est aujourd'hui devenu 
inexact) que le terme de personne civile ne se trouvait 
point dans la loi ; et Ton comprend fort bien qu'il ait 
été évité par le législateur à une époque où la théorie de 
la personnalité morale était encore très insuffisam- 
ment étudiée, et où du reste on redoutait tout ce qui 
pouvait ressembler à une résurrection des anciens corps 



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LA CREATION DES PERSONNES MORALES DÉ DROIT PÛRLIC 340 

et communaulés. Aujourd'hui, il y aurait, semble-til, 
quelque avantage à l'employer plus souvent. Les lois 
qui l'ont évité, en effet (et elles sont très nombreuses), 
ont dû se borner à décrire la personnalité morale ; elles 
l'ont fait en attribuant à l'établissement certains droits : 
celui d'ester en justice, de posséder, de recevoir des 
dons et legs, etc. (1). Mais, - et c'est ici que se pré- 
sente la question d'interprétation dont nous parlions — 
cette manière de procéder prête souvent à l'équivoque, 
surtout quand il s'agit d'établissements rattachés à l'Ad- 
ministration. Ces établissements, en effet, peuvent tou- 
jours exavcev les droits de cette nature ; s'ils ne peuvent 
pas en leur nom, ils le peuvent au nom de l'Etat, du 
département ou de la commune (2); pour que nous 

(1) Exemples : caisse des écoles, loi du 10 avril 1867, art. 15 ; 
bureau d'assistance médicale, loi du i5 juillet 1893, art. M ; asso- 
ciations syndicales, loi du 21 juin 1865, art. 3, etc., etc. D'une 
manière générale ce procédé est employé dans toutes les lois anté- 
rieures à 188i (c'est dans Tari, lit de la loi du 5 avril 1884, que 
le moi personne civile se trouve pour la première fois). Les lois 
étrangères ont en général moins évité que les lois françaises le 
terme technique. En Allemagne, le Gode civil a tout un chapitre 
sur les personnes juridiques. Beaucoup de lois cependant y ont 
employé le procédé descritif de nos lois françaises (V. Gierke, 
Genossenschaftstheorie^ pp. 31 et s.), mais en évitant l'équivoque 
en spécifiant que l'établissement peut faires les actes en son nom 
(unter ihren Namen)» Les lois italiennes emploient les mots enti 
morali, ou corpi morali, parfois le mot persona giuridicha, V. 
Fadda et Bensa sur Windscheid, p. 775. Le Gode civil espagnol 
emploie le mot persona juridica (art. 28-35). 

(2) Qu'on se reporte ici aux explications que nous avons données 
plus haut à propos de la personnallité des Ministères et des grandes 
Administrations publiques, telle qu'elle est admise par MM. Mar- 
ques di Braga et Lyon. Il ne suffit pas, pour affirmer la personna- 
lité des établissements, qu'ils aient des représentants distincts, car 
ces représentants peuvent être des représenlantâ «/^eciaua? de l'Etat 



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â50 CHAPITRE Ht 

sachions s*ils sont doués de personnalité morale, il faut 
que la loi nous dise clairement s'ils agissent en leur 
nom ou au nom de Tune de ces collectivités; et c'est pré- 
cisément parce que la loi a reculé devant le mot propre 
que la solution qu'elle donne sur ce point est loin d'être 
toujours claire. De là vient les très nombreuses diffi- 
cultés qui divisent les auteurs sur la question de savoir 
si la personnalité appartient à tel ou tel établissement. 

Nous ne pouvons entrer ici dans le détail de toutes 
ces difficultés (1). Mais nous devons d'abord insister sur 
les divers intérêts pratiques que présente la question, 
ensuite indiquer les idées générales qui doivent servir à 
la trancher.. 

129. Sur le premier point l'observation que nous 
venons de faire montre que Ton se fait souvent une idée 
inexacte de la personnalité, civile de ces établissements. 
Il n'est pas rare d'entendre dire que la concession de la 
personnalité civile à l'un d'eux a pour objet de lui per- 
mettre de recevoir des libéralités (2) ; or tous les services 
publics non personnalisés le peuvent par l'intermédiaire 
de l'Etat ou d'une corporation territoriale (commune ou 
département). Ce qui est vrai, c'est que souvent le légis- 
lateur a eu en vue, en conférant la personnalité à un 
service public, de lui donner plus de chances de recevoir 
en fait des dons et legs, parce qu'on a observé qu'on 

ou de la commuDe. Et à l'inverse, le fait qu'ils n'ont pas de repré* 
sentants spéciaux ne suffit pas pour pernoettre à coup sûr de leur 
dénier la personnalité, comnae le prouve la personnalité de la 
section de commune ou celle de la caisse des écoles. 

(1) V. notamment Tissier, Dons et legs, n^' 93 et s., et 444 et s. 
V. aussi Ducrocq, Droit administratifs 6e éd , t. II, nos 15-49 et s. 
Hauriou, Droit administratif, 5* éd., p. 483 et s. 

(2) V. ci-dessus, p. 347 , note 1. 



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LÀ CREATION DÈS PEnSONNÈS MORALES DE DROIT PUBLIC 354 

donne plus facilement à un établissement public qu*à 
TEtat en vue d'un de ses services non personnalisés. 
Mais au point de vue juridique la seule différence à cet 
égard, c est que le premier acceptera la libéralité en son 
nom et le plus souvent (mais pas toujours) par l'inter- 
médiaire de ses représentants spéciaux, alors que, pour 
les services non personnalisés la libéralité sera acceptée 
par les représentants de la personne morale dont ils 
dépendent et au nom de cette personne. Et ce qui est 
vrai des libéralités est vrai de tous autres actes juridi- 
ques, contrats, procès, etc. 

En dehors de cet intérêt pratique, qui est de forme plus 
que de fond, il y aura encore beaucoup d'intérêts juridi- 
ques à distinguer les uns des autres les services person- 
nalisés et les services non personnalisés. Voici les prin- 
cipaux : 

i** Les formes nécessaires, soit pour créer, soit pour 
supprimer le service sont différentes. Nous avons dit 
qu'une loi était nécessaire pour créer un service person- 
nalisé ; une loi sera également nécessaire pour le suppri- 
mer ou pour supprimer sa personnalité en le réunissant 
aux services d'une autre personne morale. On peut voir 
un exemple d'une suppression de ce genre dans la loi 
du 25 avril 1900, qui a supprimé la personnalité de l'Hos- 
pice du Mont-Genèvre, en transférant ses biens au 
département des Hautes-Alpes, avec obligation de leur 
conserver la mémo affectation Au contraire, la création, 
la transformation ou la suppression d'un service public 
non doué de personnalité rentre en principe dans la mis- 
sion de l'autorité gouvernementale et administrative; 
celle-ci n'est, à ce point de vue, limitée dans son action 



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3S2 CHAPITRE ni 

que par la règle qui lui défend de modifier les lois exis.- 
lanles ; 

2"" La personnalité morale une fois créée, des obliga- 
tions ou des règles de droit nouvelles ne peuvent en 
principe être imposées au service que par une loi, au lieu 
que TEtat peut, par le simple exercice du pouvoir admi- 
nistratif, imposer des obligations nouvelles aux services 
qui dépendent directement de sa personnalité. Cette dif- 
férence que nous croyons certaine en théorie, s'efface 
souvent dans la pratique par le fait que TEtat peut indi- 
rectement, en vertu de ses pouvoirs de tutelle, contrain- 
dre un établissement non personnalisé à observer cer- 
taines règles non prescrites par la loi. Ainsi Tordonnance 
du 14 janvier 1831, article 4, en interdisant défaire aux 
établissements ecclésiastiques ou religieux des donations 
avec réserve d'usufruit, n'a pu rendre ces établissements 
incapables, ce qu'il dépendait de la loi seule de faire, 
mais elle les a mis dans Timpossibilité pratique de profi- 
ter des libéralités de ce genre, car si elle ne lie pas ces 
établissements, elle lie les représentants de TEtal char- 
gés de leur tutelle (1). On trouve cependant dans la 
législation certaines applications plus ou moins cons- 
cientes de ridée : ainsi elle peut expliquer pourquoi le 
décret du 4 juin 1888 fait aux associations ouvrières une 
situation de faveur à l'égard des marchés de fournitures 
ou de travaux publics ne s'applique qu'aux marchés de 
TEtat, et qu'il ait fallu une loi spéciale pour Tétendre 

{{) V. Tissier, Traité des dons et legs, nos 274-275. Cela suffit 
pour faire considérer comme entaché d'excès de pouvoir le décret 
qui autoriserait pareille libéralité. La même règle a été appliquée 
aux établissements d'utilité publique par la «loi du i^r juillet 1901, 
art. 42. 



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Là CREATION DES PERSONNES MORALeS DE DtiOlt PUBLIC 35^ 

aux marchés des communes (1), et pourquoi les décrets 
du 10 août 1899 sur les conditions du travail ont édicté 
des règles qui, obligatoires pour TEtat. sont seulement 
facultatives pour les départements, communes ou éta- 
blissements publics ; 

3° L'établissement personnalisé a des droits subjectifs 
qu'il peut avoir à défendre en justice même contre la 
communauté territoriale d'où il dépend (Etat, départe- 
ment, commune). Au contraire, àVintérieur d'une même 
personnalité, et notamment de TEtat, les luttes entre les 
divers services ne sont point en principe de véritables lut- 
tes judiciaires; chaque service ne peut invoquer vis-à-vis 
des autres services ni un droit de propriété sur les res- 
sources qui lui sont affectées, ni un droit subjectif à la 
compétence qui lui est attribuée. En général, les diffi- 
cultés entre les divers services de la même personne 
morale sont tranchées tout naturellement par voie admi- 
nistrative. Les exceptions à cette règle, par exemple 
celles que Ton trouve dans la procédure de conflit, sont, 
comme nous Pavons montré, plus apparentes que réel- 
les. Mais il peut y avoir dans certains cas utilité à éten- 
dre \es formes judiciaires aux difficultés de cet ordre ; si 
ces formes ont été historiquement introduites pour pro- 
téger les droits subjectifs il n'y a aucun obstacle de prin- 

(1) Loi du 29 juillet 1893. Le rapporteur de cette loi explique sa 
nécessitf^ par le fait qu'il s'agissait, à l'égard des communes, de 
modifier une disposition contenue dans la loi municipale (art. 115) ; 
mais cet article était déjà une application de Tidëe qu*à Tégard des 
communes une loi était nécessaire pour régler cette matière. Aussi 
considérons- nous comme mal fondé Tavis du Conseil d*Etat du 
27 juin 1889 (cité dans Revue générale d' administration , 1902, 
III, 161), qui déclare le décret de 1888 applicable aux marchés 
départementaux. 

MICHOUD 23 



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âS4 CHAPITftE Itt 

cipe à ce qu'on les applique à des cas où aucun droit 
subjectif n'est en cause, mais où une discussion contra- 
dictoire paraît nécessaire à Tintérèt général. 

4* Les actes du service personnalisé n'engagent que 
lui-même^ au lieu que les actes d'un service quelconque 
de TEtat engagent l'Etat tout entier, de même que les 
actes d'un service communal engagent la commune tout 
entière. Cela est vrai pour les contrats. Cela est vrai 
aussi pour les actes illicites. I/Ëtal, le département, la 
commune, ne sont point responsables des fautes com- 
mises par les agents des établissements publics, alors 
qu'ils peuvent être responsables des fautes de leurs 
agents. C'est là un des intérêts de notre distinction qui 
se présentent le plus fréquemment dans la pratique. 
Ainsi, tandis que la commune n'est pas responsable des 
fautes commises parlesagents de rhospice ou de l'hôpital 
communal (lequel a la personnalité morale), le départe- 
ment est responsable des fautes commises parle person- 
nel de Tasile d'aliénés (auquel la jurisprudence ne recon- 
naît pas la personnalité), ou par le personnel du service 
des enfants assistés (4). Cette responsabilité s'étend même 
au département de la Seine, le service des enfants assis- 



(1) V. Cass., 6 décembre 4899, D. 1900. \. 158. Il en résulte 
qu'une action dirigée contre le directeur de l'Assistance publique 
comme tuteur des enfants assistés est considérée comme dirigée 
contre le département, et comme telle soumise à la formalité du 
dépôt du mémoire. L'application de ces principes est fréquente en 
jurisprudence. V., p. ex., en ce qui concerne la responsabilité des 
administrations hospitalières. Cour de Bordeaux, Revue des éta- 
blissements de bienfaisance, 1901, p. 16. Cour de Dijon, 18 mars 
1903, id,, 1903, p. :229. Pour la responsabilité des départements 
& raison des fautes commises à l'asile d'aliénés non doué de per- 
sonnalité. Lyon, 10 juillet 1894, id. 1894, p. 354. 



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Là CREATION DES PBRSOi^NES M0RA.LE8 bB bROIT PUBLIC 35$ 

tés n'ayant pas, malgré certaines apparences (notamment 
une représentation distincte en justice), la personnalité 
morale. 

5» Les agents des établissements publics doivent, sui- 
vant nous, être considérés en principe comme des fonc- 
tionnaires publics (i); mais ils ne sont pas des agents 
de l'Etat, du département ou de la commune, et les 
règles particulières aux agents de ces personnes morales 
ne leur sont pas applicables (à moins qu'ils ne soient^ 
en même temps, au service de Tune de ces personnes). 
C'est ainsi (^ue les agents d'un hospice communal 
(receveur, médecins, économe, etc.), n'ont pas la qualité 
d'agents salariés de la commune, qualité qui d'après 
l'article 33 de la loi municipale, les rendrait inéligibles 
au conseil municipal (2). Au contraire les médecins des 
services départementaux d'assistance tombaient sous le 
coup de l'article 10 de la loi du iO août 187i, parce que 
ces ^services n'ont pas la personnalité morale, et il a 
fallu des textes spéciaux pour les soustraire à la dispo- 
sition de cet article (3). 

6<* Les règles écrites dans la loi pour l'Etat, le dé- 
partement ou la commune, ne s'appliquent pas de plein 
droit à leurs établissements publics, alors qu'ils s'appli- 
quent tout naturellement à leurs services non personna- 

(1) V. suprà, no 84, p. 208. 

(2) G0118. d'Et., 42 janvier 1900, D. 1901. 3. ÂO. 

(3) V. Farrêt du Conseil d'Etat du 1er décembre 1899 (Revue des 
établis, debienf., 1900, p. 35)^ qui applique l'art. 10 aux médecins 
des enfants du premier âge. La loi du 8 juillet 1901 est intervenue 
tout exprès pour écarter cette jurisprudence, très bien fondée au 
point de vue juridique, mais trop rigoureuse en pratique. Déjà la 
loi du 15 juillet 1893, art. 34, avait écarté Tincompatibilité pour 
les médecins chargés du service de Tassistance médicale. 



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i^jsTiîJpnpp" 



356 CHAPITRE iir 

lises. On peut citer comme exemples : la règle de la 
déchéance quinquennale, qui n'est écrite que pour les 
dettes de TEtat, et qui ne doit pas s'appliquer aux dettes 
des établissements publics, même nationaux (i); la règle 
de la compétence du ministre pour connaître des contes- 
tations relatives aux marchés de fourniture intéressant 
l'Etat, règle qui ne doit pas s'appliquer aux établisse- 
ments publics, dont les marchés doivent rester dans la 
compétence judiciaire (2) ; la règle du dépôt du mé- 
moire pour les procès dirigés contre l'Etat, les commu- 
nes, et les départements. Cette dernière règle a été 
déclarée applicable, par la disposition implicite des 
articles 9 et 10 de la loi du 7 août i851, aux établisse- 
ments hospitaliers communaux, mais elle ne s'applique 
pas aux autres établissements publics (3). 

Dans le même ordre d'idées on doit admettre que les 
faveurs fiscales faites à l'Etat, aux départements ou aux 

(1) Nous considérons comaie critiquable Tarrêt du Cons. d'Et., 
du 22 juin 1900 (D. 1901. 3. 74) qui applique le principe de la 
déchéance quinquennale au service de la Légion d'honneur, en se 
basant sur le fait que le budget de ce service est un budget annexe 
du budget de TËtat, motif insuffisant pour établir la non-personna- 
lité du service (Suivant nous, c'est bien un établissement public). 
L'arrêt du 49 juillet i900 (D. 1904. 3. 84) a au contraire raison 
d'appliquer la déchéance à l'Administration des chemins de fer de 
l'Etat, parce que cette Administration n'est pas une personne 
morale. 

(2) Le Trib. de la Seine, par un jugement du 21 décembre 4901, 
{Jouimal des Débats^ du 22) a cependant refusé de se reconnaître 
compétent pour un marché de fournitures intéressant les asiles de 
Vincennes, et de Vacassy, en déclarant qu'il importe peu que ces 
établissements aient la personnalité civile, et qu'il suffît, pour jus- 
tifier la solution, que leur gestion intéresse les finances de l'Etat. 
Mais c'est à nos yeux une hérésie juridique. 

(3) V. Derouin et Worms, Trae^é des autoris, de plaider 
p. 484 et s. 



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LÀ CREATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC 357 

communes, ne profitent (en dehors d'une disposition 
formelle de la loi) qu'à leurs services non personnali- 
séSy et non aux établissements publics qui dépendent 
d'eux. Il en est ainsi notamment de Particle 70, § 2, 
n^ 1 , de la loi du 22 frimaire an VII, texte qui ordonne 
d'enregistrer gratis les acquisitions et échanges faits par 
la République, ainsi que les partages de biens entre elle 
et des particuliers. Ce texte ne peut profiter qu'aux 
services d'Etat non personnalisés, et doit profiter à tous 
ceux qui ont ce caractère (1). Il en était ainsi également 
dos textes qui soumettaient à des règles spéciales les 
droits d'enregistrement des ventes d'immeubles doma- 
niaux, textes aujourd'hui abrogés par l'article 8 de la loi 
du 31 mars 1903. - 

130. L'intérêt de la question étant ainsi indiqué, nous 
pouvons maintenant exposer les idées générales qui 

(1) La jurisprudence administrative est loin d'avoir toujours suivi 
ce critérium d'une manière fidèle. V. Wahl, Régime fiscal des 
libéralités aux personnes moî^ales (dans Revue du droit public, 
1895, p. 226 et s ), et Traité de droit fiscal, t. I. no 221. C'est 
ainsi que l'exemption de droits n'a pas été accordée aux marchés 
passés par les chemins de fer de l'Etat (qui cependant ne sont 
autre chose que l'Etat lui-même), et qu'en sens inverse Texemplion 
de droit a été appliquée à la libéralité faite par le duc d'Aumale à 
l'Institut, bien que ce dernier ait la qualité d'établissement public. 
Elle a été admise aussi, non seulement en faveur des lycées (dont 
la personnalité civile est douteuse), mais en faveur des uni- 
versités et des facultés, qui sont certainement aujourd'hui des 
établissements publics. Cette jurisprudence a été soutenue en doc- 
trine par M. Itier : Les dons et legs faits aux Facultés de l'Etat 
sont-ils assujettis au droit de mutation"} {Revue générale du 
droit, 1895, p. 1 et suiv.). Mais elle est mal fondée. Les établis- 
sements publics d'assistance ne sont pas exemptés, mais soumis 
pour les donations au droit de 9 0/0 (loi du 23 février 4901, art. 19). 
Comment admettre que le législateur ait entendu exempter entiè- 
rement les établissements d'instruction ? 



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358 CHAPITRE m 

doivent servir à la trancher. Ce sont suivant nous les 
suivantes : 

1® Il faut remarquer tout d'abordj avec MM. Marques 
di Brag^a et Lyôn(l), que la personnalité morale d'un 
service public ne découle pas nécessairement de ce que 
ces auteurs nomment, avec grande justesse, son iadi- 
vidualité financière : « Etre investi de Tindividualité 
financière, c'est avoir un budget, un ordonnateur, un 
payeur, des comptes ; or, un service public peut possé- 
der, en tout ou en partie, ces attributs de la vie admi- 
nistrative sans avoir la personnalité civile, de même 
qu'à rinverse il peut être investi de cette personnalité 
sans posséder tous ces éléments d'une existence finan- 
cière indépendante ». L'individualité financière, en efiet, 
n*est qu'une mesure d'ordre, un simple mécanisme 
administratif, ayant pour objet de faciliter et de sim- 
plifier la gestion de certaines branches des revenus 
publics et de faire apparaître d^une manière immédiate, 
au moyen d'un compte séparé, les résultats de cette 
gestion. Elle appartient à certains établissements ou à 
certains groupements qui se rattachent à TEtat, à la 

(4) Op. cit., t. II, p. 39 du tirage à part, nos 471 et saiv. Voir 
aussi Tissier, Dons et legs, n° 89. L'individualité financière n'est 
pas un phénomène nouveau ; les Etats un peu étendus ont toujours 
éprouvé le besoin d'avojr plusieurs caisses distinctes possédant des 
caisses séparées. C'est de là que sont nées les discussions sur 
les stationes fisct (V. suprà, n^ 410). La distinction de la per- 
sonnalité civile et de l'individualité financière a été introduite 
expressément dans le décret du 25 mars 4901, art. 3. Ce texte 
concernant les classes autonomes créées par les sociétés de secours 
mutuels, déclare que ces caisses n'ont pas *une personnalité civile 
distincte de celle de la société ou de l'union dont elles font partie, 
mais qu'elles constituent une personnalité financière indépen- 
dante. 



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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC 359 

coininuQe ou à certains établissements publics, et qui 
ne peuvent pas prétendre pour cela avoir un patri- 
moine autonome et des droits opposables à ceux de ces 
collectivités. C'est ainsi que le fonds de cotisations 
municipales vet particulières (i) groupe dans un ser- 
vice financier unique des deniers provenant tout à 
la fois des communes^ des établissements publics et 
des particuliers, sans que jamais personne ait songé 
à lui attribuer la personnalité morale. C'est ainsi en- 
core que la Caisse des dépôts et consignations, la Caisse 
d'épargne postale, TEcole centrale des arts et manu- 
factures, les asiles départementaux d'aliénés et d'au- 
tres établissements analogues, ont une individualité 
financière incontestable, sans que cela démontre l'exis- 
tence à leur profit de la personnalité morale, qui pour 
plusieurs d'entre eux est au moins très douteuse. A l'in- 
verse, la section de commune, dont la personnalité 
civile est certaine, n'a aucune autonomie financière, 
pas plus que les caisses des écoles ou les caisses de 
retraite des fonctionnaires départementaux ou commu- 
naux (2). On ne peut donc conclure de l'une de ces qua- 
lités à l'autre ; on ne doit pas même admettre, comme le 
fait M. Tissier (3), que la personnalité financière doit 
faire présumer la personnalité morale. Tout ce qu'on 
peut dire, c'est que la réunion de ces deux qualités 
constitue le fait normal et qu'une individualité finan- 
cière bien caractérisée peut, lorsqu'elle est jointe à 
d'autres circonstances, être considérée comme l'un des 



(i) Marques di Braga et Lyon, no 185. 

(2) Eod, loco., no 180. 

(3) Loc. cit., no 153. 



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/ 



360 CHAPITRE III 

éléments qui peuvent permettre d'interpréter, dans le 
sens de la personnalité, la pensée du législateur ; 

131. 2^ Certaines branches de l'administration ne 
doivent point être regardées comme douées de person- 
nalité morale, parce qu'elles y répugnent par leur 
nature même. Ce sont toutes celles qui représentent des 
services d'intérêt général ne correspondant à aucun 
groupement distinct du groupement national ou terri- 
torial. Nous avons déjà fait remarquer que, si le légis- 
lateur confère à ces services la personnalité, ce ne peut 
être qu'une pure fiction ; et cette fiction ne doit jamais se 
présumer, alors même que le service aurait une admi- 
nistration autonome et une individualité financière 
incontestables. Les armées de terre et de mer, les cours 
et tribunaux, le Sénat et la Chambre des députés, le 
Conseil d'Etat, les déparlements ministériels, nous 
offrent des exemples de services de celte nature. Si on 
leur reconnaît le droit de recevoir des libéralités, ce ne 
peut être qu'au' nom de l'Etat. Il en est de même, 
suivant nous, de la Caisse des dépôts et consignations, 
dont le service est d'un injlérêt si général qu'il serait 
impossible de trouver à sa personnalité un substratum 
distinct ; et cela suffirait à nos yeux, même en l'absence 
des autres motifs que nous indiquerons plus loin, pour 
lui faire refuser la personnalité morale (1). Il en est de 
même encore de l'Administration des ponts et chaus- 
sées, à qui il est impossible de dénier, à raison même 
des travaux qu'elle entreprend, la qualité d'administra- 
tion dépendant directement de rEtat(2-3). 



(4) Voir infrà, p. 364, les détails que nous donnons sur ce point. 
{iL) La personnalité de l'Administration des ponts et chaussées a 



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LA CREATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC 36l 

Dans cette catégorie, il faut ranger encore toutes les 
Administrations qui ont pour objet de faire rentrer les 
revenus publics, telles que les grandes régies finan- 
cières ; et on doit y joindre celles qui gèrent, pour le 
compte de VElat, un monopole ou une exploitation 
industrielle. Les deniers de ces administrations ne sont 
au fond que des deniers de l'Etat (sinon au point de 
vue financier, du moins au point de vue civil); c^est ce 

toujours été niée par la jurisprudence : Douai, 18 niiai 1896, D., 
99. 2. 401 et la noie. 

(3) D'une manière générale la solution s'applique à tous les 
organes de l'Etat, du département ou de la commune. Ces organes, 
alors même quMls sont organisés collégialement comme les Cham- 
bres, les conseil généraux ou les conseil municipaux, ne sont point 
des personnes morales (v. plus haut la théorie de Torgane, 
nos 59 et s.). La personnalité de ces assemblées, et notamment la 
personnalité des Chambres, a cependant été défendue par M. Hau- 
riou (Note dans Sirey99. 3. 145, sous Cons. d'Et,, afif. Jolly, et 
Droit administratif, 4e éd., p. 373 ; 5e éd., p. 350). « Cette per- 
sonnalité, dit M. Hauriou, est la conséquence naturelle de ce fait 
que les assemblées délibérantes ont une volonté déterminée ^ar la 
majorité des voix ». M. Hauriou, est en cela logique avec sa théo- 
rie de la personnalité morale ; voyant dans le droit subjectif une 
volonté protégée, et coasidérant comme sujet du droit celui dont 
la volonté est protégée, il lui est difficile de ne pas admettre une 
certaine personnalilé de l'organe. Pour nous qui définissons le 
droit subjectif par Vintérêt protégé, et voyons le sujet du droit dans 
rindividu ou le groupe dont la volonté est protégée, il saute aux 
yeux que les assemblées délibérantes ne sont point des sujets de 
droite mais seulement des organes. Les arguments secondaires 
invoqués par M. Hauriou à l'appui de sa thèse ne sont rien moins 
que décisifs. La dotation des Chambres est celle d'un service public 
non-personnalisé, et les particularités que présente son adminis- 
tration s'expliquent par l'idée d'individualité financière. Quant aux 
actions données dans certains cas aux conseil généraux et aux con- 
seils municipaux pour défendre leurs prérogatives, elles doivent 
être regardées comme exercées en réalité au nom du département 
ou de la commune. 



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362 CHAt>lTR£ 111 

t 

dernier qui souffrira directement de leurs pertes et qui 
profitera de leurs gains. Nous n*admeltroQS donc point 
la personnalité de rimprimerie nationale, des manufac- 
tures de Sèvres, des Gobeliijs ou de Beauvais, ni celle 
de l'Administration des chemins de fer de TEtat. Sur ce 
dernier point, on a pu longuement discuter, parce qu'il 
a été dans les intentions des fondateurs du réseau de 
l'Etat de le douer d'une large autonomie et de le faire 
exploiter d'une manière analogue aux chemins de fer 
concédés. Mais la force des choses remportera néces- 
sairement sur des dispositions artificielles, et la juris- 
prudence paraît bien, dès aujourd'hui, incliner dans 
notre sens (1) ; 



(1) La personnalité de rAdmiDistration des chemins.de fer de 
TEtat a été soutenue notamment par M. Marguerie en 1885 (D. 87. 
3. 1) et devant le Tribunal des Conflits en 1889 (D. 91. 3. 1). Elle 
avait été reconnue par l'arrêt de la Cour de Paris du 30 jan- 
vier 1889, qui, dans l'espèce sur laquelle ont été données ces der- 
nières conclusions, avait argumenté de cette personnalité pour éta- 
blir la compétence judiciaire à l'égard de certains marchés passés 
par cette Administration. Le Tribunal des Conflits, dans la décision 
qui a suivi ces conclusions (22 juin 1889 j ne s'est pas prononcé sur 
la question de personnalité. Depuis lors la Cour de Cassation paraît 
avoir condamné la thèse de personnalité par l'arrêt du 22 mars 1899 
D. 99. 1. 452), qui reconnaît aux employés de cette Administra- 
tion la qualité d'agent de l'Etat, et le Conseil d'Etat l'a condamnée 
plus nettement encore en appliquant la déchéance quinquennale 
aux dettes des chemins de fer de l'Etat (13 juillet 1900. D. 1901. 3. 
84). Cpr. la note de M. Sarrut, sous Cass., 18 novembre 1895. D. 
98.1.497. 

Il est à remarquer que les apparences de personnalité que l'or- 
ganisation de cette Administration pouvaient présenter de 1878 
à 1895, ont en partie disparu par suite du décret du 10 décem- 
bre 1895, qui a réorganisé le service en substituant au conseil 
d'administration autonome du décret de 1878 un simple conseil de 
réseau, n'ayant que des attributions consultatives, et en confiant 



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LA GRÉATIOTn des PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC 363 

132. 3^ Lq critérium précédent sera loin d'être tou- 
jours suffisant, d'abord parce que son application peut 
prêter à discussion, ensuite parce quMl est purement 
négatif; il exclut certaines administrations, mais il n'in- 
dique pas quels seront, parmi les services aptes- à être 
personnalisés, ceux que le législateur aura jugé à propos 
de douer d'une vie propre. Force sera bien, pour tous 
ceux-là et pour ceux dont la situation au point de vue 
précédent pourra paraître douteuse, de rechercher de 
plus près l'intention du législateur. C'est, en général, en 
examinant en son entier la situation de rétablissement 
que l'on pourra conclure : aucun signe extérieur ne peut 
être considéré à lui seul comme infaillible. Une dotation 
affectée à rétablissement, la faculté reconnue à son pro- 
fit de recevoir des dons et legs, celle de conserver ses 
bonis, une organisation autonome, l'individualité finan- 
cière, une représentation distincte en justice, seront 
autant de signes de la personnalité ; ce sont des circons- 
tances qui la feront présumer, surtout si elles sont réu- 
nies. Mais aucune d'elles, prise isolément, n'est absolu- 
ment décisive (1). Nous ne croyons pas, par exemple, à 

la direction du service à un directeur responsable devant le Minis- 
tre, lui-même responsable devant les Chambres. Il est visible aujour- 
d'hui que l'Administration des chemins de fer de l'Etat n'est pas 
soumise aujourd'hui au simple contrôle de l'Etat, mais bien à sa 
direction ; elle est gérée sous ['autorité du Ministre (Cpr. Golson. 
Abrégé de la légisL des chemins de fer et tramways, 2e éd., 
p. 30), En outre, dès le début, le burlget de celte Administration a 
figuré comme budget annexe au budget de l'Etat auquel le produit 
net est versé annuellement. 

(1) De toutes ces circonstances, celle qui entraînera la présomption 
la plus forte sera le droit pour le service de conserver ses bonis. 
Elle sera même décisive toutes les fois qu'elle constituera un droit. 
Mais on peut admettre dans certains cas qu'elle n'est accordée au 



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364 CHAPITRE m 

la personnalité de la Caisse d'épargne postale, bien 
qu'elle présente plusieurs de ces caractères : d'après la 
loi du 9 avril 1881, articles 15 et 16, elle a une dotation, 
elle peut recevoir des libéralités et elle peut conserver 
ses bonis. Mais elle est instituée sous la garantie de 
l'Etat, placée directement sous l'autorité du Ministre des 
Postes ; elle est donc gérée par l'Etat, et en réalité n'est 
pas autre chose que l'Etat lui-même, car il n'est pas 
douteux, que ce dernier' ne fut chargé, le cas échéant, 
de pourvoir à l'insuffisance des fonds de la dotation ; 
c'est donc k lui que profitent, en réalité, les dons et legs 
adressés à la Caisse ; celle-ci peut recevoir, comme tous 
les autres services publics, mais elle reçoit au notn de 
TEtat (1). Nous admettrions moins encore la. personna- 
lité de la Caisse des dépôts et consignations, non seule- 
ment à raison du motif que nous indiquions plus haut, 
mais aussi parce qu'il lui manque la plupart des carac- 
tères extérieurs que nous venons d'énumérer; le seul 
qu'elle possède, c'est une administration indépendante 
et douée d'une certaine autonomie (2) ; mais cette auto- 
nomie est insuffisante pour qu'on soit obligé de considé- 
rer ses représentants comme autre chose que des repré- 

serviçe qu'à titre de simple tolérance, et cela empêche qu'on puisse 
la considérer à elle seule comme décisive. 

(t) En ce sens, solution de l'Administration de l'Enregistrement 
du t2 juin 1886, citée par Marqués di Braga et Lyon, no 183. Contra 
Tissier, Dons et legs, n^ 165. 

(2) Elle a une commission de surveillance, qui par sa composi» 
tion n'est pas dans la dépendance immédiate du Gouvernement ; 
un directeur responsable, nommé par le chef de TEtat et révocable 
seulement sur la demande motivée de. la commission de surveil- 
lance : enfin un caissier général distinct du caissier central du Tré- 
sor public. Elle a donc, avec une administration distincte, l'indivi- 
dualité financière. 



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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC 368 

sentants de rElat. Elle n'a pas d'ailleurs de dotation 
qu'on puisse considérer comme lui appartenant ; les 
deniers qu'elle manie sont ceux de TEtat qui est maître 
de son actif, comme il serait, s'il y avait lieu, responsa- 
ble de son passif ; elle n'a pas même le droit de conser- 
ver ses bonis, et chaque année les bénéfices que son 
maniement lui assure sonl versés au budget derEtat(l). 
On a affirmé, il est vrai (2), que ce n'était là qu'un sim- 
ple usage, une tradition que Ton ne pouvait appuyer sur 
aucun texte impératif; et on a ajouté que, dans les con- 
ditions d'indépendance oti elle fonctionne, la Caisse pour- 
rail légalement se refuser à ce versement annuel, sans que 
le Ministre des Finances ait sur elle un pouvoir de coer- 
cition. Mais il est à remarquer que ce versement lui est 
imposé chaque année par une loi spéciale. En outre, 
pour une partie au moins de ses bénéfices, il y a aujour- 
d'hui un texte général : l'article 43 de la loi du 16 avril 
1895 déclare acquises à VEiat les sommes déposées à la 
Caisse des dépôts et consignations, lorsque, par suite de 
la prescription trentenaire, elles ne peuvent plus être 
revendiquées par les déposants. Ce texte achève de 
démontrer à nos yeux que la Caisse des dépôts et consi- 
gnations est bien TEtat lui-même, l'Etat dépositaire, 
comme le Trésor public est TElat créancier ou débiteur. 

(4) Ils sont compris dans l'état annexé chaque année au budget 
sous la rubrique de : Tableau des droits, produits et revenus dont 
la perception est autorisée, conformément aux lois existantes, au 
proflt de l'Etat, des départements et des communes ; voir la partie 
de cet état comprise dans le % 4, Produits divers du budget ; il 
comprend les bénéfices réalisés par la Caisse (4.700.000 fr. pour le 
budget de 4900) et les sommes acquises à l'Etat en vertu de la loi 
du 46 avril 1895 (400.000 fr. pour le même budget). 

(2) Répertoire de Béquet, y^ Caisse des dépôts, n^ 52. 



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366 CHAPITRE lit 

Elle peut recevoir des dons et legs, mais ceux-ci ne 
peuvent profiter à d'autres qu'à TEtat (i). 

Au contraire, nous serions disposé, malgré l'opinion 
générale, à admettre la personnalité des asiles départe- 
mentaux d'aliénés, même de ceux qui ne sont pas com- 
pris dans les quelques asiles autonomes dont la person- 
nalité est reconnue par tout le monde (2). Il est vrai que 
ces asiles sont créés par les départements, que le conseil 
général vote leur budget et aune certaine action sur eux. 
Mais ils ont une administration autonome, analogue a 
celle que la loi a donné'e, dans la commune, aux hospices 
et hôpitaux ; leurs directeurs responsables sont soumis, 
dans leur gestion, à peu près aux mêmes règles que les 
commissions administratives des hospices communaux 
(ordonn. du 18 décembre 1839, rendue en exécution de 
la loi du 30 juin 1838). En outre, le déparlement n'est 
pas obligé légalement de subvenir à leurs besoins, puis- 
que aucun texte ne classe les dépenses de ce genre parmi 
les dépenses obligatoires ; et enfin, ils ont la possibilité 
de conserver leurs bonis ; le Conseil d'Etat a décidé, en 
effet (3), que le conseil général ne pouvait pas détourner 
leurs excédents de receltes pour doter d'autres services 



(1) En notre sens, Ducrocq, Droit administratif, 6e éd., t. II, 
no 1097, et 7e éd., t. V. n^ 1940. — lissier, Dons et legs, no 97. — 
Mais, en sens contraire : Aucoc, Conférence, si. I, n^ 207, et t. II, 
no 604. — Répertoire de Béguet, v° Caisse des dépôts, n© 52. — 
Marques di Braga et Lyon, n^ 183. — Hauriou, Droit adminis- 
tratif, 5« éd., p. 484, note 1. - Gass , 22 février 1893. D., 93. 
1. 235. — Boucart et Jèze, Science des finances^ 2* éd., p. 476. 

(2) Ce sont les asiles d'Aix (Bouches-du-Rhône), Saint-Pierre de 
Marseille, Bordeaux et Cadillac (Gironde), Armentières et Bailleul 
(Nord), Bassens (Savoie). 

(3) Conseil d'Ëat, 23 mars 1880, D., 80. 3. H4. 



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La. création des personnes morales de droit public 36*? 

départementaux. Ce trait, joinl à celui d'une adminis- 
tration autonome^ nous paraît suffisant pour permettre 
de conclure à la personnalité (1). 

Nous admettons aussi, sans hésitation, la personna- 
lité des lycées et des autres établissements d'instruction 
publique à qui l'article d5 de la loi du 7 août d850, en 
supprimant la personnalité de l'Université de France, a 
conservé expressément le droit d'acquérir et de possé- 
der, sous les conditions déterminées par les lois. Ces 
expressions nous paraissent témoigner d'une manière 
formelle que le législateur a eu l'intention de leur con- 
server la personnalité civile (2) ; 

133. 4^ Les explications précédentes nous paraissent 
suffire pour montrer les idées générales qui peuvent con- 
duire à la solution de la question. Mais une dernière 
remarque nous semble nécessaire en ce qui concerne les 
établissements ecclésiastiques. Ceux-ci diffèrent des 
précédents en ce que, si on ne leur reconnaît pas la per- 
sonnalité, celle-ci ne sera point suppléée par celle de 



(1) l^a jurisprudence est ici absolument contraire. Elle admet que 
c'est le préfet qui est le représentant légal de l'asile toutes les fois 
que la loi ne donne pas expressément compétence au directeur (voir 
Conseil d'Etat, 6 avril 1842. lissier. Dons et legs, no 155), et que 
ce dernier n'a que l'administration intérieure ne l'établissement et 
la gestion de ses biens, mais qu'il ne peut le représenter dans 
aucun acte d'acquisition et de disposition Elle en conclut que le 
département est responsable des fautes commises dans ce service 
(Lyon, 10 juillet 1894, Revue des établissements de bienfaisance, 
4894, p. 354). La plupart des auteurs sont dans le même sens. Mais 
voir dans notre siens Tissier, Dons et legs, no 155, et Hauriou, 
p. 485. 

(2) En se sens, Tissier, n^ 144, et Ducrocq. n^ 1552. Mais voir 
en sens contraire la solution de l'Administration de l'enregistre- 
ment du 45 avril 1865. 



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368 CHAPITRE ni 

TEtat, du département ou de la commune ; ces collectî- 
vilés, en effet, ne se chargent point directement de ser- 
vices ayant un caractère confessionnel ; elles n'accepte- 
ront donc pas, avec charge d'affectation, les libéralités 
qui seraient adressées à des établissements ecclésias- 
tiques non reconnus, et ces libéralités deviendront pure- 
ment et simplement caduques. La question de person- 
nalité présente donc ici un intérêt tout particulier. Elle 
n'est pas douteuse pour la plupart des établissements 
publics de cet ordre : fabriques, menses curiales et épis- 
copales, chapitres, séminaires, consistoires protestants 
et israélites. Mais elle a été très vivement discutée en ce 
qui concerne les diocèses. On sait que le Conseil d'Etat, 
après avoir admis en pratique leur personnalité jusqu'en 
1840, Ta niée de 1840 à 1874, Ta admise à nouveau de 
1874 à 1880 (1), enfin est revenu, à cette dernière date, 
à sa jurisprudence négative (2). Nous ne voulons pas 
entrer dans les détails de la question. Ce que nous 
voulons faire remarquer, c'est qu'il suffit, pour la 
résoudre par l'affirmative, de démontrer que les dio- 
cèses peuvent faire un acte quelconque de la vie civile, 
par exemple peuvent accepter des dons et legs. Ici en 
effets si cette faculté existe, elle n'est point équivoque, 
comme pour les établissements précédents ; il est cer- 
tain que s'ils peuvent acquérir, c'est en leur nom, et non 
pas au nom d'un tiers. x\ussi serions-nous disposé à 
admettre comme fondée la jurisprudence de 1874, en 
nous basant principalement sur l'article 73 de la loi du 
18 germinal an X, qui permet à l'évêque d'accepter les 



(1) Avis du 13 mai 1874. D. 75. 3.86. 

(2) Avis du 6 avril 1880. D. 80. 3. 65. 



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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC 369 

fondations ayant pour objet Tentretien des ministres et 
le service du culte. On n'a pu enlever à ce texte sa valeur 
qu'en le considérant comme créant une organisation 
provisoire, qui est devenue inutile par l'organisation 
postérieure des autres personnes ecclésiastiques : men- 
ses, fabriques, séminaires, chapitres. Mais la vérité est 
que l'existence de ces derniers établissements ne rend 
nullement inutile la personnalité du diocèse, car ce der- 
nier représente des intérêts collectifs tout différents, ceux 
du groupe de fidèles de la circonscription tout entière. 
L'avis du Conseil d'Etat du 13 mai 1874 n'a pas eu de 
peine à démontrer que le diocèse, considéré comme per- 
sonne morale, pouvait avoir un rôle utile à jouer à côté 
des autres établissements ecclésiastiques; et cela suffit 
pour qu'on ne puisse considérer Torganisation de ces 
établissements comme abrogeant implicitement l'ar- 
ticle 73 (1). 

134. V. — La situation des établissements publics con- 
sacrés au culte nous parait nécessiter, à un autre point 
de vue, quelques explications complémentaires. Le 
principe de la liberté de conscience, qui est l'une des 
bases de notre droit moderne, exige que l'Etat recon- 
naisse aux Eglises non seulement le droit d'exister, 
mais aussi le droit de posséder, sous une forme ou sous 
une autre, les biens nécessaires à l'exercice du culte. 
En fait les procédés employés par l'Etat pour donner 
satisfaction à ce besoin peuvent varier à deux points 
de vue. 

D'une part, il pourra, ou reconnaître la personnalité 

({) Voir principalement en ce sens la lettre de Jules Simon au 
président du Conseil d'Etat, en date du 27 novembre 1872, rapporte» 
dans lissier, Dons et legs, n<> 179. 

MICHOUD 24 



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370 CHAPITRE III 

de l'Eglise elle-même, en lui laissant le soin^de répartir 
les biens entre les établissements particuliers qui dépen- 
dront d'elle, ou au contraire se refuser à reconnaître la 
personnalité de TEglise, et se borner à admettre celle 
d'établissements spéciaux strictement limités dans leur 
mission. La première solution est la iseule sans doute 
qui donne entière satisfaction auK besoins des Eglises (1). 
La seconde peut cependant en pratique êlre admise par 
les Eglises elles-mêmes comme équivalente, à condition* 
qu'elle ne soit point appliquée dans un esprit de tracas- 
serie ou de persécution, et que l'ensemble de la législa- 
tion permette de créer toules les personnes morales 
nécessaires aux besoins réels de l'Eglise. On sait que 
notre législation admet seulement, au point de vue de 
la capacité civile en droit interne, cette seconde solution .. 
Elle admet la personnalité juridique des fabriques^ 
menses, séminaires, consistoires, etc,, non celle de 
TEglise catholique ou de Tune quelconque des Eglises 
dissidentes. On doit cependant considérer l'Eglise catho- 
lique comme ayant une personnalité de droit public^ 
reconnue pas l'Etat lui-même au moment du Concordat, 
et manifestée par les relations, tout à fait analogues 
à des relations internaticmales, que le gouvernement 
•français a entretenues avec le Saint-Siège jusqu'à une 
époque toute récente. La rupture des relations diploma- 

(1) L*Eglise catholique a toujours affirmé qu'elle était une société 
parfaite, ayant par elle-même le droit de posséder; et le Syllabus 
a condamné, sous le no 26, la proposition : Ecclesia non habet 
nativum ac legitimum jus acquirendi ac possidendi. Mais il est 
évident qu'en pratique cette capacité naturelle de l'Eglise estjComme- 
celle de l'homme lui-même, subordonnée dans son exercice à la 
reconnaissance par l'Etat. V. Meurer, Der Begriff und Eigen- 
thûmer der heiligen Sachen., t. I, p. 125 et s. 



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f 



r 



LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC 371 

tiques qui existe à Theure ou nous écrivons, ne peut pas 
plus être considérée comme ayant supprimé cette per- 
sonnalité de droit public, que la rupture des relations 
diplomatiques avec un Etat n'entraînerait la ndgation de 
la personnalité intjBrnationale de cet Etat. La recon- 
naissance de cette personnalité de droit public n'en- 
traîne pas nécessairement dans le droit interne la 
reconnaissance de la personnalité de droit privé (1), 
puisque celte personnalité est suppléée par celle des 
établissements ecclésiastiques particuliers. Nous croyons 
cependant qu'elle entraîne nécessairement, pour le 
Saint-Siège, possibilité d'acquérir et de posséder en 
France pour les besoins de sa personnalité diplomatique, 
car ces besoins ne sont desservis par aucun des établis- 
sements particuliers reconnus par noire loi, et les textes 
qui instituent ces établissements particuliers, n'ayant 
visé que l'organisation interne de TEglise de France, ne 
doivent pas être considérés comme ayant exclu la per- 
sonnalité diplomatique du Saint-Siège et ses conséquen- 
ces (2). 

D'autre part, l'Etat peut prendre vis-à-vis des Eglises 
des situations diverses qui vont depuis la séparation 
absolue, jusqu'à l'union intime et même jusqu'à la con- 

(i) Cpr. Hinschias, dans r^anc/ôzicAdeMarquardsen, 1. 1. Staat 
und Kirche, p. 258. Il coDsidère que, lorsque TEtal reconnaît une 
église à titre de personnalité de droit public, la capacité de posséder 
en dérive pour l'Eglise naturellement^ mais non essentiellement ^ 
cette capacité pouvant être en fait remplacée par celle des établis- 
sements particuliers. 

(2) V. pour le détail de la question notre article sur la Capacité 
en France des personnes morales éti^angères et en particulier du 
St-Siège, Dans la Revue généi^ale de Droit intern. public, t. I, 
(1894) p. 193 et s., notamment p. 217 et s. 



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372 CHAPITRE 111 

fusion des deux pouvoirs; et c*est suivant la situation 
qu'il aura adoptée à ce point de vue que devra ^être 
tranchée la question de savoir si les Eglises (ou les éta- 
blissements ecclésiastiques qui en tiennent lieu) doivent 
être considérées comme des personnes morales de droit 
public ou comme des personnes morales de droit privé. 
Le premier de ces deux points de vue sera adopté par- 
tout où Ton considérera les services du culte comme 
de véritables services publics, à raison soit de la confu- 
sion du pouvoir civil et du pouvoir spirituel entre les 
mains de TEtat, soit de Tintérêt que TEtat attache au 
développement de Tidée religieuse. Jusqu'ici c^est le 
système suivi en France, où les établissements du culte 
sont certainement considérés comme des établissements 
publics et à ce titre participent aux faveurs et aux ser- 
vitudes attachées à la qualité de service public. C'est 
d'ailleurs le système suivi encore à l'heure actuelle dans 
presque tous les pays. Au contraire le régime de la 
séparation absolue, tel qu'il est projeté dans la loi en 
discussion au moment où nous écrivons, entraîne comme 
corollaire la classification des personnes morales repré- 
sentant les églises parmi les personnes morales de pur 
droit privé. 

Quel que soit le système adopté, on doit dire d'ail- 
leilrs que les droits appartenant aux personnes morales 
qui représentent les Eglises sont bien des droits vérita- 
bles. La personnalité en effet correspond ici incontes- 
tablement à un groupement distinct de la collectivité 
nationale ou des collectivités locales, le groupement des 
personnes appartenant, dans la France entière, ou dans 
une circonscription territoriale inférieure, à une confes- 



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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC 373 

sioii religieuse (1). L'Etat n'est pas plus le propriétaire 
de ces biens que des biens affectés aux indigents, et ses 
droits à leur égard sont même moindres qu'à l'égard des 
biens des pauvres ; car pour ces derniers, ils se trouve 
en présence de fondations, dont il est parfois lui-même 
Tauteur, et dont, dans le cas contraire, le fondateur a 
disparu ; pour les biens des Eglises, au contraire il se 
trouve en présence de véritables corporations vivantes 
et agissantes. Il peut, vis-à-vis de ces corporations, 
adopter des politiques diverses, il ne peut en nier l'exis- 
tence, et quand il institue des établissements du culte, il 
n'en est pas en réalité lui-même le fondateur, il ne fait 
que les reconnaître et les classer parmi les établisse- 
ments chargés d'un service public. Mais l'initiative 
en cette matière n'est jamais venue de lui, et il ne 
peut aucunement prétendre être le véritable proprié- 
taire des biens amassés par la corporation dont il a 
reconnu Texistence. 

(1) Quoi qu*on eo ait pu dire dans la discussion du projet de sépa- 
ration, ce groupement était déjà distinct de la collectivité nationale 
en 1789 ; car à cette époque déjà il y avait des dissidents en 
France. C'est ce que méconnaissait Mirabeau quand il assimilait 
les biens du clergé aux biens de la marine ou de Tarmée. (V. A7*~ 
chives parlementaires, t. X, p. 609), et en concluait que l'Etat 
était le véritable propriétaire. Nous nous contenterons ici de cette 
brève indication, Texamen des diverses thèses soutenues à propos 
du projet de loi sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat nous 
paraissant mieux placé dans la partie de cet ouvrage où nous trai- 
terons de la suppression des personnes morales. V. cep. infrà, 
p. 381. 



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CHAPITRE IV 

LA CHÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVÉ 



Sommaire : 135. Position de la question. — 136. Historique du droit 
moderne. La législation de l'ancien régime au xviii» siècle; ses idées 
directrices. — 137. Point auquel elle aboutit : la personnalité mo- 
rale n'est reconnue qu'à l'Etat et aux services publiCfS qu'il tient sous 
sa dépendance ; application et conséquences de, cette idée pendant 
la période révolutionnaire. — 138. Son application sous le Consu- 
lat et l'Empire ; toutes les personnes morales reconnues à cette date 
sont de véritables établissements publics. — 139. Origine de la 
théorie des établissements d'utilité publique. — 140. Reconnais- 
sance, progressivement admise par notre législation, de la personna- 
lité morale des groupements privés. — 141. Evolution analogue 
dans d'autres pays. — 142. Revue sommaire de législation com- 
parée sur la personnalité morale des associations. — 143. Ordre à 
suivre dan<ï l'étude de la législation française et place ë. faire à l'étude 
des établissements d'utilité publique. 

§ 1. Associations soumises au droit commun. — 144. Législation 
antérieure à 1901. — 145. Système du projet de loi Waldeck-Rous- 
seau. — 146. Système qui a triomphé : petite et grande personna- 
lité. — 147. Formation de l'Association. — 148. Formalités à 
remplir pour obtenir la petite ou la grande personnalité. — 149. 
Situation juridique de l'Association avant qu'elle ait obtenu la 
reconnaissance. Sa vie embryonnaire. — 150. Régime des biens 
possédés en fait par les associations dépourvues de personnalité. 

I 2. Associations soumises à des régies spéciales. — 151. Classifica- 
tion. — 152. Congrégations religieuses. Définition et historique. — 
153. Situation juridique antérieure k 1901. — 154. Situation juridi- 
que d'après la loi du !••■ juillet 1901. — 155. Associations privilé- 
giées. Associations syndicales de propriétaires. — 156. Syndicats 
professionnels. — 157. Sociétés de secours mutuels. — 158. 
Sociétés ou caisses d'assurances mutuelles agricoles. 

§ 3. Sociétés. — 159. Sociétés anonymes et sociétés en comman- 
dite par actions. — 160 Sociétés d'assurances mutuelles. 



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CA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVE 375 

§ 4. Fondations, — 160 bis. Notions générales. — 161. La fonda- 
tion personne morale ne peut pas, dans notre droit, être constituée 
par un acte sui generis. Conséquences de l'application du droit 
commun en cette matière. Fondation par le fondateur lui-môme, de 
de son vivant. — 162. Fondation à cause de mort. Premier procédé 
possible. Don et legs fait à personne physique non obligée de solli- 
citer pour l'œuvre entreprise la personnalité morale. — 163. Don 
ou legs avec charge èi personne morale préexistante non obligée de 
solliciter pour l'œuvre entreprise la personnalité morale. — 164. Don 
ou legs à personne physique à charge de solliciter la personnalité 
morale. ^ 165. Don ou legs à, personne morale préexistante à 
charge de solliciter la personnalité morale. — 166. Reconnaissance 
de la fondation comme établissement d'utilité publique. 



135. Quand on a passé en revue l'Etat et les services 
lies personnalisés, on se trouve en présence de 
^groupements très divers, présentant tous ce trait com- 
mun, qu^ils ont leur origine dans l'initiative privée : 
-associations et fondations d'origine privée poursuivant 
un but idéal ou un but économique ; sociétés ayant en 
vue un bénéfice à réaliser. La création de ces groupe- 
ments soulève deux questions que depuis longtemps on 
a pris rhabitude de distinguer : doit-on les considérer 
•comme licites ? doit-on leur reconnaître la personna- 
lité morale ? 

La première question ne rentre pas dans le cadre de 
-cet ouvrage, et elle soulève trop de difficultés pour que 
nous puissions songer à la traiter incidemment. Mais 
nous devons rappeler ici que, dans notre pensée, les 
deux questions sont intimement liées Tune à l'autre. 
D'après notre théorie le caractère licite du groupement 
doit avoir comme conséquence normale la reconnais- 
sance de sa personnalité^ toutes les fois qu'il présen- 
tera les caractères fondamentaux de la personnalité 
juridique, tels que nous avons essayé de les déterminer. 



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376 CHAPITRE IV 

Le lien entre les deux questions a d'ailleurs longtemps 
été présent à la pensée des jurisconsultes; ce n'est 
guère que dans notre siècle qu'on en a fait abstraction 
d'une manière complète, et qu'on a considéré les deux 
questions comme indépendantes. Nous croyons que cela 
tient à des circonstances toutes transitoires, et que cet 
état du droit (dont notre législation a déjà éommencé à 
se dégager) n'est qu'une étape entre le régime de la con- 
trainte, qui est celui du passé, et le régime de la liberté 
qui, nous Tespérons, sera, dans une large mesure, celui 
de l'avenir. 

136. Le point de départ de notre droit moderne se 
trouve ici dans les textes de Tancien régime prohibant 
les associations qui se formeraient sans autorisation 
du roi. Cette prohibition, déjà formulée par les juris- 
consultes du xvi^ siècle (i), reproduite par ceux du 
xviie et du xvni® (2), se trouve d'ailleurs expressément 
écrite dans plusieurs textes, notamment dans la Décla- 
ration du 7 juin 1659 et TEdit de décembre 1666 (3). 
Ces deux textes ne s'appliquent qu'aux établissements 

(1) Loisel, Institutes coutumières y t. I, n^ 400. « L'on ne se peut 
assembler pour faire corps de communauté sans congé et lettres du 
roi ». 

Sur tous les développements qui suivent, cpr. l'intéressante 
thèse de M. Avril. Les origines de la distinction des établisse^ 
ments publics et des établissements d* utilité publique (1900). 

(2) Le Bret, Traité de la souveraineté du roy (1689). L. 1, 
ch. XV. « Puisque le roy est à la république ce que l'âme est au 
corps, est-il pas juste qu'il ne se fasse rien de public dans son Etat 
sans sa permission ? C'est pourquoi l'on a toujours tenu pour 
maxime qu'on ne pouvait établir aucune congrégation ni collège, 
soit pour la religion, soit pour la police, sans le congé du 
prince... ». Domat, Droit public, 1. ï, t. II, sect. Il, n» i4. 

(3) V*> Tissier, Traité des dons et legs, n» 6 . 



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lA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIt PRIVE 377 

fondés par le clergé, mais c'est uniquement, comme le 
fait remarquer M. Tissier, parce que les établisse- 
ments civils pouvaient alors être considérés comme 
quantité négligeable, et on ne doit point en conclure que 
ces derniers aient pu se former librement. A cette épo- 
que déjà, on trouve, dans certains auteurs, au moins le 
germe d'une distinction entre le droit de s'associer (tout 
au moins de s assembler)^ et celui de former corps et 
communauté, c'est-à-dire de constituer une personne 
morale (1), et il a certainement existé en fait des asso- 
ciations tolérées auxquelles cette qualité n'était pas 
reconnue (2). Mais il ne semble pas que cette distinction 
ait joué un rôle important. En fait on ne distinguait pas 
deux degrés A' autorisation, et les lettres patentes ne 

(l) Denisart, v» Assemblées illicites : a Si les assemblées que 
Ton fait n*ont pas seulement pour but de traiter une affaire com- 
mune à ceux qui se réunissent, mais de former entre différents 
particuliers une association, elles sont contraires au bon ordre à 
moins qu'elles ne soient légalement autorisées ». Encyclopédie.. V* 
Corps et communautés : « On ne peut faire aucune assemblée sans 
permission du prince, et ceux-mêmes auxquels on permet de 
s'assembler ne forment pas tous un corps ou communauté ». V. 
aussi Domat» Droit public^ 1. I, t. II, section II, no 14 et 15. 

(â) Tocqueville, Ancien régime et Révolution, ch. VIII, p. 119, 
cite une lettre d'un intendant oâ il est question d'une confrérie de 
nobles, qui n'e&t point patentée, mais seulement tolérée, La ques- 
tion de savoir si nos anciens auteurs considéraient la personniflca- 
tion comme un attribut distinct du droit d'association a été beau- 
coup discutée. Il nous parait inutile de la reprendre ici en détail. 
Kl le offre évidemment une faible importance sous les régimes qui 
n'admettent pas la liberté d'association. V. sur la question: 
Baudry-Lacantinerie et Houques Fourcade. Droit civil. Traité 
des personnes, t. I, p. 205. Viollet. Précis de V histoire du droit 
frauqais, p. 647. Saleilles. Annales du droit commercial 1895, 
p. 76 et s. Vaulhier. Des personnes morales, p. 286 et s. Capi- 
tant. Introduction à V étude du droit civil, 2" édition p. 156,157. 



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378 CHAPITRE IV 

•conféraient pas le droit de s'associer, sans conférer, en 
même temps le droit de former corps et communauté. 
La tendance naturelle do TEtat^ quand il se trouve 
armé du droit d'autoriser les groupements, est de dis- 
penser cette autorisation d'une main avare. Il s'agit 
tout d^abord, quand on pose le principe, de protéger 
l'Etat contre les groupements dangereux pour son auto- 
rité. Mais on arrive bien vite à considérer tout groupe- 
ment comme dangereux, et à voir dans l'autorisation 
une faveur exceptionnelle. On exige alors que le groupe 
qui la sollicite soit quelque chose de plus qu'une asso- 
ciation librement formée en vue d'un but /zaV^ ; on lui 
'demande de justifier que ce but est utile à rintérêt 
général^ et par là l'autorisation se transforme en une 
reconnaissance cTiUilité publique. Cette idée, déjà indi- 
quée dans le préambule célèbre de l'Edil d'août 1749, 
est exprimée, au xviu® siècle, par beaucoup de juris- 
consultes : « Leur usage, dit par exemple VEncyclo- 
pédie en parlant des communautés (1), est de pourvoir 
par le concours et le secours de plusieurs personnes à 
quelque bien utile au public, quoi qu'elles soient aussi 
établies pour le bien commun de ceux qui en sont 
membres. Aussi la première règle de Tordre de leur 
police est qu'elles procurent quelque avantage et quel- 
que utilité à tEtat qui les établit, et qu'elles ne le 
soient que par Tordre ou la permission du prince » ; et 



(1) Encyclopédie- Partie juridique. Vo Communautés, t. III, 
p. 40. V. déjà Domit, op. et loc, cit. «... celles mômes (les assem- 
blées de plusieurs personnes en un corps) qui n'ont pour fin que 
■de justes causes, ne peuvent se former sans une expresse approba- 
tion du Souverain, sur la connaissance de rutiliié qui peut s'y 
trouver ». 



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tA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVÉ 379^ 

Denîsart exprime la même idée quand il dit : « L'utilité 
publique a formé des corps et établissements civils », 
^t ailleurs : « Les établissements publics, soit civils, 
soit ecclésiastiques, ayant pour objet Tutjlité publique, 
ne peuvent se former qu'avec Tautorisalion de la puis- 
sance publique » (1). 

137. Le mouvement philosophique du xviti^ siècle, 
loin de contrarier cette tendance, ne fait que l'accentuer. 
La plupart des écrivains, sous Tinfluence d'idées diver- 
ses, se méfient des corps particuliers qui peuvent se 
former dans TEtat : les uns invoquent les abus qu^ils 
ont produits, et les dangers politiques ou économiques 
qu'une mainmorte puissante peut faire courir à l'Etat (2) ; 
d'autres redoutent que ces corps particuliers ne contra- 
rient leurs vues de réforme (3); d'autres enfin, théori- 
ciens de la souveraineté, cherchent à assurer l'omnipo- 
tence de la volonté générale, et se refusent à souffrir des 
intermédiaires entre elle et le citoyen (4). A ces idées 

(1) Deoisart, y^ Gens de mainmorte, et vo Etablissements 
publics, 

(2) P. ex. Montesquieu, Esprit des lois, 1. XXV, ch. V. « Ces 
acquisitions sans fin paraissent au peuple si déraisonnables, que 
celui qui voudrait parler pour elles serait regardé comme un imbé- 
«cile ». Montesquieu insiste principalement sur le danger de l'accu- 
mulation des biens aux mains du clergé. Cpr. dans le même ordre 
d'idées, le préambule de l'Edit d'août 1749, et l'article de Turgot 
sur les Fondations, dans Y Encyclopédie, 

(3) On sait que c'est là l'état d'esprit des physiocrates. 

(4) Rousseau, Contrat social, 1. II, ch. IV. « Il importe donc, 
pour avoir bien l'énoncé de la volonté générale, qu'il n'y ait pas 
de société partielle dans l'Etat, et que chaque citoyen n'opine 
que d'après lui ». La pensée de Rousseau sur ce point est devenue, 
un des dogmes fondamentaux du catéchisme révolutionnaire. V. 
le discours de Mirabeau du 2 novembre 1789 : « Des sociétés parti- 
culières placées dans la société générale rompent l'unité de ses 



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380 CHAPITRE IV 

d'origine si diverse vient d'ailleurs s'ajouter le sentiment 
d'hostilité contre le clergé qui se fait jour dans la partie 
la plus bruyante de l'opinion, et qui concourt au même 
résultat, la plupart des corps existants étant des corps 
ecclésiastiques. En suivant ce mouvement, on arrive à 
restreindre encore la formule juridique de TEncyclopé- 
die. De la notion à' utilité publique ^ on aboutit à celle de 
service public. On admet que tout objet d'utilité publi- 
que rentre dans les attributions de l'Etat ; car c'est à 
l'Etat qu'appartient le monopole de bien public, c'est 
lui qui est le représentant universel et exclusif de l'in- 
térêt général. Dès lors l'établissement qu'il autorise en 
vue de l'utilité publique n'est que son auxiliaire ; il 
n'est qu'un service public doué de personnalité, ou, 
pour employer la terminologie actuellement en usage 
un établissement public. Et de cette notion en décou- 
lent bien d'autres : non seulement elle justifie l'ingé- 
rence la plus étroite de l'Etat dans l'administration 
intérieure de l'établissement autorisé, mais encore elle 
lui permet de reprendre, quand il le jugera opportun, 
la gestion directe du service, en faisant disparaître l'éta- 
blissement et en s'emparant de ses biens ; car tout cela 
est sa chose, et ce n'est que par tolérance qu'il l'a laissé 
entre les mains d'un corps distinct du corps général de 
la Nation. On trouve cette idée nettement exprimée dans 
la célèbre discussion sur la sécularisation des biens du 

principes et l'équilibre de ses forces » ; V. aussi le décret du 
7 août 1792, relatif à la suppression des congrégations séculières 
et des confréries : a L'Assemblée nationale, considérant qu'un 
Ëtat vraiment libre ne doit souffrir dans son sein aucune corpora- 
tion pas même celles qui, vouées à l'enseignement public, ont 
bien mérité de la patrie ». V. au surplus Taine, La Révolution, 
I, p. 220 et s. 



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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVE 381 

clergé, discussion qui marque le triomphe suprême de 
toutes les théories et de toutes les tendances que nous 
venons d'indiquer : « Les fondations sont dans les mains 
dix clergé un dépôê pour un service public, dit par 
exemple Barnave (1) ; si c'est à la Nation à soulager les 
pauvres, à payer le service public, il est certain que les 
biens donnés à la charge de la Nation ne sont qu'un 
•dépôt dans les mains des officiers chargés de ce service 
public. Le clergé existe par la Nation ; la Nation pour- 
rait le détruire ; il résulte évidemment de ce principe 
que la Nation peut retirer des mains du clergé des biens 
^ui n'ont été affectés et donnés que pour elle ». Et c'est 
<5ette même idée qui est formulée dans le titre I de la 
Constitution de 1791, en ces termes : « Les biens desti- 
nés aux dépenses du culte et à tous services d'utilité 
publique appartiennent à la Nation et sont dans tous les 
temps à sa disposition ». 

Sans doute, dans la discussion même que nous venons 
-de citer, celte idée est loin d'être mise en avant par tous 
les orateurs. La plupart, sans exprimer aussi nettement 
que l'Etat est le propriétaire réel des biens du clergé, se 
^contentent de justifier la mesure proposée par Tidée de 
personnalité fictive^ personnalité que l'Etat concède et 

(1) Le 13 octobre 4789, Annales parlementaires, t. IX, p. 4:23. 
La thèse ici soutenue par Barnave est au fond celle de tous les 
auteurs qui voient dans les fondations de simples masses de biens 
appartenant aux groupements généraux de l'Etat ou de la com- 
mune. V. ci-dessus p. 188, note?. C'est cette thèse qui a été reprise 
par les orateurs de la Gauche dans la discussion du projet de loi 
sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat. V. notamment les discours 
de M. Briand en date des 6 avril et 15 mai 1905 ; le rapport de 
M. Briand (publié à part sous le titre : la Séparation de l'Eglise et 
tle l'Etat, p. 272), V. aussi Grunebaum Ballin. Séparation des 
Eglises et de VEtat, p. 63. 



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382 CHAPITRE lY 

que TElat retire en s'emparaut des biens devenus, dit 
fait même de ce retrût, des biens sans maître (1). Mais 
il est évident que les deux théories sont loin de s'exclure, 
et que la seconde conduit naturellement à la première 

(1) C'est ainsi que plusieurs des orateurs justifient le projet de 
confiscation. C*est notamment le principe déyeloppë dans le célèbre 
discours de Thouret, du 23 octobre ilS9(Ann. ParL, t. IX, p. 485) : 
« Il faut distinguer entre les personnes, les individus réels, et les 
corps qui, les uns par rapport aux autres, et chacun relativement à 
TEtat, forment des personnes morales et fictives. Les individus et 
les corps diffèrent essentiellement par la nature de leurs droits, et 
par rétendue d'autorité que la loi peut exercer sur ces droits. Les 
individus existant indépendamment de la loi, et antérieurement à 
elles, ont des droits résultant de leur nature et de leurs facultés^ 
propres ; droits que la loi n'a pas créés, mais qu*elle a seulement 
reconnus, qu'elle protège, et qu'elle ne peut pas plus détruire que- 
les individus eux-mêmes. Tel est le droit de propriété relativement 
aux particuliers. Les corps, au contraire n'existent que par la loi ;,. 
par cette raison, elle a sur tout ce qui les concerne, et jusque sur 
leur existence même, une autorité illimitée. Les corps n'ont aucuns 
droits réels par leur nature, puisqu'ils n'ont pas même de nature 
propre. Ils ne sont qu'une fiction^ qu^une conception abstraite de 
la loi, qui peut les faire comme il lui plaît, et qui, après les avoir 
faits, peut les modifier à son gré. Ainsi la loi, après avoir créé les- 
corps, peut les supprimer, et il y en a cent exemples... Le droit 
que l'Etat a de porter cette décision sur tous les corps qu'il a admis 
dans son sein n'est pas douteux, puisqu'il a dans tous les temps et 
sous tous les rapports, une puissance absolue, non seulement sur 
leur mode d'exister, mais encore* sur leur existence. La même rai- 
son qui fait que la suppression d'un corps n'est pas un homicide^ 
fait que la révocation de la faculté accordée aux corps de posséder 
des fonds de terre ne sera pas une spoliation. Il ne reste donc 
qu'à examiner s'il est bon de décréter que tous les corps de 
mainmorte, sans distinction, ne seront plus à l'avenir capables de 
posséder des propriétés foncières ». On trouverait difficilement, 
même dans les jurisconsultes de notre siècle, un exposé plus pré- 
cis du système de la fiction. Même thèse dan^ le discours tenu le 
même jour par Treilhard (eod. loc, p. 491), et dans celui de Durand 
de Maillane {eod, loc, p. 497). 



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LA CREATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVÉ 38^ 

tous ceux qui^ derrière la fiction, cherchent à voir la 
réalité, et qui sont d'ailleurs imbus des idées générales 
rappelées plus haut. Avec Tune ou Tautre de ces 
théories, d'ailleurs, il n'est pas une personne morale 
qui puisse se prévaloir d'un droit vis-à-vis de l'Etal; 
leur existence ou leur suppression n'est jamais pour ce 
dernier qu'une question de politique ou d'opportunité. 

On sait dans quel sens les assemblées révolutionnai- 
res ont tranché cette question, et comment elles ont fait 
disparaître successivement la personnalité de toutes les 
corporations et de tous les établissements existant sous 
l'ancien régime (1). Dès cette époque on voit commen- 
cer à se réaliser une idée qui n'a pris que plus tard sa 
forme systématique^ celle que le droit de former une 
personne morale, ou un corps, comme on disait alors, 
est quelque chose de tout à fait distinct du droit d'asso- 
ciation. Car, à l'époque même où l'Assemblée consti- 
tuante procède à cette hécatombe, elle admet en principe 
que les citoyens jouissent du droit de s'associer (2), et 

(i) Les principaux textes sont : le décret des 2-4 novembre 1789, 
mettant les biens ecclésiastiques à la disposition de la Nation ; le 
décret des 14 17 juin 1791, relatif aux Assemblées d'ouvriers et 
artisans de même état et profession : « L'anéantissement de toutes 
les espèces de corporations des citoyens du môme état et profes- 
sion étant une des bases fondamentales de la constitution fran- 
çaise, il est défendu de les rétablir de fait, sous quelque prétexte et 
quelque forme que ce soit (art. li » ; le décret des !27 septembre* 
16 octobre 1791 portant suppression de toutes les Chambres de 
commerce existant dans le royaume ; le décret du 4 août 1792 
supprimant les congrégations religieuses; le décret du 7 août 1792, 
supprimant les congrégations séculières et les confréries (dont nous 
avons cité plus haut une partie du préambule); la loi du 23 messi- 
dor an II (11 juillet 1794), sur la réunion de Tactif et passif des 
hôpitaux, maisoqs de secours, de pauvres, etc., au domaine national. 

(2) Décret des 21 octobre! 9 novembre 1790, relatif au droit de^ 



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384 CHAPITUB IV 

isi cette liberté se réduit en pratique à u'être que la 
liberté des clubs ou sociétés politiques, c'est qu'alors la 
politique absorbe presque toutes les forces sociales, et 
que d'ailleurs la lutte entamée contre les anciens corps et 
les efforts faits pour les empêcher de renaître ne permet- 
tent guère aîix citoyens de s'unir pour d'autres objets. 
138. Quoi qu'il en soit, du reste, l'idée que la personna- 
lité morale ne peut exister qu'en vue de l'utilité publique 
reste ancrée dans les esprits; et lorsque, quelques années 
plus tard, nous voyons quelques-uns des anciens corps 
revenir à la vie, ce n'est nullement par respect pour le 
iibre jeu de l'activité humaine, mais toujours dans un 
but d'utilité publique. On s'est aperçu, dans le domaine 
<le l'assistance publique tout d'abord, du danger qu'il y 
avait pour l'Etat à s'emparer lui-même de tous les ser- 
vices, et on a reconstitué des corps chargés de représenter 
les malades et les pauvres (i). Puis, dans le domaine 
religieux on s'est aperçu que le rétablissement de la 
religion catholique, considérée, elle aussi, comme une 
institution d'utilité publique, n'allait pas sans une cer- 

former des sociétés libres i « L'Assemblée nationale, après avoir 
entendu son comité des rapports, déclare que les citoyens ont le 
droit de s'assembler paisiblement et de former entre eux des 
sociétés libres, à la charge d'observer les lois qui régissent tous les 
citoyens ». Les excès des clubs flrent introduire dans la suite cer- 
taines limitations aux principes : décret des 29-30 septembre, 
9 octobre 1791 ; décret des 19-22 juillet 1791, art. 14. 

(1) Pour les hôpitaux, v. 1. du 16 vendémiaire an V, et 1. du 
19 pluviôse an V ; pour les bureaux de bienfaisance, 1. du 7 fri- 
maire an V. V. aussi l'ouvrage de M. Lallemand, La Révolution et 
les pauvres. Pour les hospices et hôpitaux, l'Etat a opéré par voie 
de restitution, en sorte que ia mainmise nationale a été rétroacti- 
vement effacée, sauf toutefois le maintien des actes faits à Tégard 
des tiers pendant la période intérimaire. V. sur ce point Dufour, 
Droit administratifs t. VI, n© 452. 



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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVE 385 

laine liberté accordée aux fondations religieuses et on 
les a permises en les soumettant d'ailleurs à des condi- 
tions sévères (1). On a même, toujours dans un but d'u- 
tilité publique, rétabli certaines congrégations, mais en 
prenant soin de les soumettre à des patronages officiels 
et de les englober, autant que possible, dans l'Adminis- 
tration {2)..0n a enfin, quand on a voulu reconstituer 
rinstruction publique à tous ses degrés, érigé en corpo- 
ration rUniversitéde France, parce qu'on considérait ce 
procédé comme le plus propre à atteindre le but d'inté- 
rêt général qu'on se proposait (3). 

Dans toutes ces créations de Tépoque impériale, non 
seulement Tidée d'utilité publique est prédominante, 
mais encore elle continue à n'être^ point distinguée de 

(1) Art. 15 du Concordat ; loi du 18 germinal an X, art. 73 i 
arrêté du 7 thermidor an XI ; décret du 30 décembre 1809 ; décret 
du 6 novembre 1813. 

(2) V. notamment le décret du 18 février 1809, qui, en rétablis- 
sant les congrégations hospitalières de femmes les soumet à toute 
une réglementation, et les place sous la protection de Madame 
« notre chère et honorée mère ». L'art. 2 de ce décret s'exprime 
ainsi : « Les statuts de chaque congrégation ou maison séparée, 
seront approuvés et insérés au Bulletin des lois^ pour être recon- 
nus et avoir la force d'institution publique ». V. aussi le rapport 
de Portails du 24 fructidor an XIII : « Un établissement, et surtout 
un établissement religieux (Portails vise dans ce passage les asso- 
ciations religieuses), doit avoir pour but l'utilité des hommes et 
l'avantage de l'Etat autant que celui de la religion ». (Discours, 
rapports et trav)aux inédits sur le Concordat de iSOi, p. 530). 

(3) Décret du 17 mars 1808, art. 131 et s. En reconstituant l'Uni- 
versité, Napoléon a dit lui-même : « je veux une corporation... », 
et a comparé sa création à l'ordre des Jésuites. Mais il voulait des 
Jésuites d'Etat, qui fussent sous sa dépendance (V. Taine. Le régime 
moderne, t. 2, p. 170). Aux faits cités au texte, on peut ajouter la 
création de l'Ordre de la Légion d'honneur, la reconstitution de 
rinstitut, et celle des Chambres de commerce. 

michoÛd ^ 25 



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386 CHIPITRE lY 

celle de service public. Oa n'admet point l'existence de- 
personnes morales n^ayant pas de caractère administra* 
tif. La distinction actuellement existante entre les éia- 
hlissements publics et les établissements d utilité publia 
que n'existe donc pas encore dans les faits, et il ne faut 
pas s'étonner qu'elle ne se trouve pas non plus dans les 
textes ni dans les auteurs. Au premier abord le Code- 
civil paraît cependant indiquer cette distinction ; car il 
emploie le mot établissement d'utilité publique, dans les- 
articles 910 et 937, pour formuler des règles qui aujour- 
d'hui s'appliquent aux deux catégories d'établissements ; 
et le mot établissement public dans les articles 1712^ 
204S, 2121, 2133, 2227 pour des règles spéciales à la^ 
catégorie désignée aujourd'hui sous ce nom. Mais il ne 
semble pas que cette différence de terminologie ait été- 
voulue ; dans la langue des rédacteurs du Code les deux 
expressions étaient synonymes, et désignaient .unique- 
ment les établissements que nous appelons aujourd'hui 
établissements publics^ les seuls qui eussent alors une- 
existence réelle (1). Oji peut en dire autant du Code de 
procédure (art. 49, 69, 83, 336, 481, 1032), qui emploie- 
toujours le mot établissement public. Ce qui est certain,. 
en tout cas, c'est que les premiers commentateurs de nos- 
Codes n'onl aucunement aperçu la distinction (2), et que- 

(i) M. Avril, op. cit., p. 187 et s., a relevé un passage de Treil— 
hard (dans la discussion de l'art. 1 du livre 2 du Code civil) affir- 
mant que les biens des établissements publics appartiennent à la 
Nation ou aux communes. C'est, légèrement modifiée, la thèse que- 
nous avons vue soutenir par Barnave à la Constituante. 

(2) Les premiers commentateurs du Code ne définissent pas le 
mot établissement public, et se bornent à paraphraser les articles- 
du Code où ils se trouvent, en citant seulement parfois certains- 
établissements comme soumis à ces textes. Mais aucun d'eux ne- 



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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVÉ 387 

pendant bien longtemps le législateur a employé indiffé- 
remment les deux termes sans paraître y attacher d'im- 
portance. Si l'article 1®' du Code forestier emploie correc- 
tement (au sens actuel) le mot établissement public, nous 
trouvons au contraire une désignation inexacte dans la 
loi du 20 février 1849 sur la taxe des biens de main- 
mortes dans celle du 24 juin 1851 sur les monts-de- 
piété, dans le décret du 3 septembre 18S1 sur les cham- 
bres de commerces et dans celui du 25 mai 1852 sur les 
chambres consultatives d'agriculture. 

139. A l'époque où ont été écrits ces derniers textes, 
cependant, la théorie de l'établissement d'utilité publique 
avait commencé à se former. Elle avait été l'œuvre du 



'donne une déflnition générale. La confusion se continue très tard 
dans la doctrine, même dans là doctrine administrative. Cormenin 
{Droit administratif y 5" éd., 18^0) désigne les hospices et hôpi- 
taux tantôt sous le nom A* établissements d'utilité publique, (t. 1, 
p. 356), tantôt sons le nom à' établissements publics (t. II, 
p. 277). De Gérando (/nsfzÏM^es de droit administratif, ^^ éd. ^ 
1842) emploie le mot établissement public d*une part pour dési- 
gner des services publics non doués de personnalité, d'autre part 
pour désigner les congrégations religieuses (t. II, p. 18). Macarel 
(Cours de droit administratif, 1844, t. Il, p. 29 et s.) cite pêle- 
mêle comme établissements communaux les commissions de 
répartition, les commissions administratives d'hospices et hôpi- 
taux, les bureaux de bienfaisance, les caisses d'épargne, les 
maisons de refuge, etc., sans paraître soupçonner qu'tl j ait inté- 
rêt à établir des distinctions d'ordre juridique entre ces diverse» 
catégories d'établissements. La distinction n'est pas indiquée par 
Foucart {Eléments de droit public et administratif, i843), ni 
par Laferrière {Cours de droit public et administratif, 3" éd., 
1844). La confusion est également entière dans l'ancien Réper- 
toire de Dalloz. V» Etablissement public (t. XXIII, 1852), et 
Privilèges et hypothèques (t. XXXVII, 1858, n» 1086). A cette 
dernière date cependant la distinction était déjà admise par une 
partie de la doctrine. V. infrà. 



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388 CHAPirnE iv 

Conseil d'Etat qoi peu à peu s'était décidé à reconnaître 
la personnalité morale à un certain nombre d'associa- 
tions laïques qu'il était impossible de considérer (à 
l'exemple des congrégations religieuses) comme faisant 
partie intégrante de l'administration, et qui étaient incon- 
testablement de simples associations privées. M. des 
Cilleuls a montré (1) que^ pendant la durée de la Res- 
tauration, on trouve encore des sociétés de ce genre 
qualiFiées établissements publics, mais qu'à partir de la 
fin de cette période le mot établissement d'utilité publi- 
que devient le terme technique par lequel le Conseil 
d'Etat les désigne. La distinction ainsi introduite atten- 
dit cependant longtemps avant d'être connue de la juris- 
prudence judiciaire. On ne l'y trouve qu'après 18S0, 
dans les arrêts par lesquels la Cour de cassation refuse 
aux caisses d'épargne l'hypothèque légale de l'arti- 
cle 2121 et les déclare soumises aui modes d'exécution 
du droit commun (2). C'est à ce moment seulement que 
la doctrine se décide à la formuler, et que par là elle 
prend enfin sa forme définitive (3). A partir de 1860, elle 

(i) Des Cilleuls. Du i^égime des établissements d'utilité 
publique, dans Revue générale d^ administration, 1890, t. II, 
p. 474. V. aussi Avril. Les origines de la distinction des établis- 
sements publics et d'utilité publique^ p. 270 et s. 

(-2) Gass. Smaps 1856, D. 56. 1. 121. 8 juillet 1856. D. 56. 1. 
278. Deux ans auparavant, la Cour de cassation avait déclaré que 
les caisses d'épargne n'étaient pas soumises à autorisation pour 
ester en justice (18 mai 1854. D.54. 1. 244) ; mais, dans ses motifs, 
elle semblait encore les ranger parmi les établissements publics. 

(3) On la trouve formulée très nettement dans un article de 
hdimdiChQ, Revue critique, 1861, t. XVIII, p. 385, et dans les Prin* 
cipes du droit administratif àe Bouchené-Lefer (1862), p. 25 et s. 
A partir de cette date, elle devient courante dans les Traités de 
droit administratif et de droit civil. Mais on la trouve déjà aupa- 



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LA CREATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVÉ 389 

est acceptée de tous, et le législateur lui-même com- 
mence à opposer Tune à l'autre les deux catégories 
d'établissements (v. la loi du 26 février 1862 sur le Cré- 
dit foncier et le décret du 30 juillet 1 863). 

Il est remarquable que l'évolution que nous venons 
de décrire, évolution ayant comme conséquence de fait 
la concession de la personnalité morale à certains grou- 
pements privés, voués à des œuvres désintéressées, ne 
s'est pas produite en Belgique^ et que les auteurs de ce 
pays comme ceux qui chez nous écrivaient vers le milieu 
du xix^ siècle, ne connaissent que des établissements 
publics, et n'admettent en dehors d'eux d'autre person- 
nalité morale que celle des sociétés do gain. M. Vau- 
thier (i), parlant de la distinction dont nous venons de 

ravant dans quelques auteurs : Batbie. Des personnes administra- 
tives (Journal de droit administratif 1854, t. II, p. HO et g.); de 
Salverte, Revue critique iSo^ , t. VII. p. 407. 

(l) Vautbier, Etudes sur les personnes morales, p. 335, note 1 . 
Cp. Giron, Dictionnaire de droit administratif et de droit public 
(1895), V. Etablissement public. La distinction est généralement- 
critiquée par les auteurs étrangers. Ruffini (danîjes Studii Schup- 
fer, p 380, note) lui trouve une grande incertude théorique et peu 
d'avantage pratique. Giorgi (t. V, p. 2) critique les termes employés 
en faisant observer qu'il ne sont ni clairs, ni également enten- 
dus dans les écoles, ni adoptés par aucune loi. 11 est exact que les 
termes employés manquent de clarté, et que la confusion .a été 
encore augmentée par la tendance des auteurs à considérer les éta- 
blissements d'utilité publique comme des personnes morales de 
droit public. Mais «ette observation de terminologie ne touche 
point la distinction en elle-même ; et au fond Giorgi l'admet en 
termes différents* M. Hauriou (Note dans Sirey 1905. 3. 33) s'asso- 
cie dans une certaine mesure à ces critiques des auteurs étrangers. 
Mais, à le bien lire, il critique plutôt, nous semble-t-il la manière 
dont la jurisprudence conçoit la distinction que la distinction elle- 
même. — Il faut ajouter que la loi du 4 février 1901 légalise 
mieux que par le passé la distinction et que la circulaire du 



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390 CHAPITRE IV 

parler, s'exprime ainsi : « Cette distinction, à laquelle on 
attribue des effets pratiques, est assez ingénieuse, et il 
est possible qu'elle finisse par recevoir la consécration 
de la loi. Mais il faut avouer aussi qu'elle est relative- 
ment neuve, qu'elle semble bien artificielle, et que jus- 
qu'à présent la loi, dans une foule de cas, n'en a tenu 
aucun compte. Ajoutons enfin qu'elle est inconnue en 
Belgique. » 

K*en déplaise à Téminent auteur de ces lignes, rien 
n'est moins artificiel que cette distinction. £lle est non 
seulement naturelle, mais forcée, du moment que Ton 
admet que des particuliers peuvent (avec ou sans auto- 
risation de l'Etat, cela n*importe pas ici), former entre 
eux, dans un but idéal ou désintéressé, des groupements 
doués de personnalité morale, qui ne cessent pas d'être 
des groupements privés^ et à qui on n'impose pas le 
dangereux honneur d'être englobés de force dans TAd- 
ministralion publique. La coupure à marquer ici, dans 
cette échelle descendante sur laquelle s'étagent toutes 
les personnes morales, depuis l'Elat jusqu'aux sociétés 
de gain, est une des plus importantes à constater et à 
préciser nettement. Elle correspond à la distinction, qui 
tient une si grande place dans la doctrine allemande, 
entre les personnes morales de droit public et les-per- 
sonnes morales de droit privé. Nous avons déjà indiqué, 
dans une autre partie de cet ouvrage, la manière dont 
elle devait être comprise, et les intérêts pratiques 
qu'elle présentait (1). 

10 juin 1901 classe expressément comme nous Tavons fait plus 
haut (no 83) les établissements d'utilité publique parmi les per- 
sonnes morsiles privées (V. le texte dans Revue génér,, d'adm., 
1904, t. Il, p. 465, in fine), 
(1) Ci-dessus, n^^ 82 et s. 



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^A CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVÉ 391 

140. Le processus historique qui a peu à peu conduit 
notre législation à reconnaître Texislence de personnes 
^norales privées ne s'est pas d'ailleurs arrêté aux établis- 
sements d'utilité publique. Ceux-ci, bien qu'ayant ce 
caraclère'par leur origine et leur organisation, restent 
<îependant soumis à des règles rigoureuses de droit 
public, notamment à la nécessité d'une autorisation de 
d'Etat pour se constituer, pour se dissoudre et pour 
accepter des libéralités. La suite naturelle de l'évolu- 
tion devait consister ici à alléger le contrôle de l'Etat 
sur ces groupements, et à accentuer leur caractère 
Teconnu de groupements privés. Pour cela il fallait 
les soustraire au régime du bon plaisir, et substituer 
à la nécessité d'une autorisation préalable à leur créa- 
tion une réglementation légale déterminant à l'avance 
les conditions qu'ils devraient remplir pour être con- 
sidérés comme personnes morales (i). Notre loi a 
commencé par admettre ce système à Tégard de 
certaines associations qui lui paraissaient, ou moins 
•<langereuses que d'autres parce qu'elles se rappro- 
chaient davantage des sociétés de gain, ou, plus par- 
ticulièrement dignes de faveur à raison du but qu'elles 
poursuivaient : associations syndicales libres de proprié- 
taires (loi du âl juin 1865), syndicats professionnels 
-(loi du 25 mars 1884), sociétés de secours mutuels 
(loi du 1er avril i 898), sociétés ou caisses d'assurances 



(l) La jurisprudence a pris une certaine part à l'évolution, et 
-cela de deux manières : 1° en faisant aux associations non person- 
nalisées une situation de fait leur f)ermettant de vivre ; 2» en 
admettant môme, pour quelques-unes d'entre elles, une sorte de 
■demi-personnalité, que l'on avait appelée V individualité juri- 
dique. V. ci-dessus, p. 32, note 2. 



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392 CHAPITRE IV 

mutuelles agricoles (loi du 4 juillet 1900). La loi du 
1'*'' juillet 1901 a fait en avant un pas décisif en éten- 
dant partiellement le système à toute association licite, 
à qui il suffit aujourd'hui de remplir certaines condi- 
tions, précisées à l'avance par la loi, pour avoir de 
plein droit un certain degré de-personnalité morale. Il y 
a là un progrès théorique important, et, on peut l'espé- 
rer, un germe fécond pour Tavenir; car c'est l'abandon 
du vieux principe étatique de la personnalité créée par 
autorisation spéciale de l'Etat. Les restrictions dontlaloi 
entoure cette règle nouvelle, l'exception qu'elle y apporte 
à l'égard des congrégations religieuses, sont à nos 
yeux choses fâcheuses, et pratiquement on peut encore 
douter (à tort, d'ailleurs, suivant nous) (1) que le 
régime apporté par cette loi soit beaucoup plus favo- 
rable aux associations que le régime antérieur; mais 
cela n'empêche pas la loi d^ètre l'expression d'une 
tendance nouvelle, qui probablement doit aboutir, dans 
l'avenir, à un élargissement du nouveau principe ainsi 
introduit. 

141. Il est remarquable en effet que l'évolution hislo- 
rique décrite dans les pages précédentes ne s'est pas 
produite en France seulement. On la retrouve, plus ou 
moins avancée à l'heure actuelle, dans la plupart des 
Etats européens. La doctrine allemande a désigné sous 
le nom d'Elat-police (Polizeistaat) l'Etat tel qu'il était 
conçu au xviu'^ siècle, et dans la première partie du 
XIX' (2). Lé rôle de cet Etat n'est pas seulement de faire 

(i) V. sur ce point la controverse soulevée par M. Eugène Ros- 
tand dans la Revue politique et parlementaire , 1901, t. XXVIII, 
p. 259, et la réponse de M. Trôuillot, eod. l, p. 231. 

(2) Sur cette notion du Polizeistaat, v. notamment Otto Mayer, 



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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVÉ 393 

régner le droit, mais aussi de veiller au développement 
moral et lûalériel du peuple confié à ses soins. Il se 
considère comme directement chargé du bien public, et, 
par une conséquenco naturelle, s*en attribue le mono- 
polo ; il admet que lui seul peut sans inconvénient s*en 
préoccuper, ou du moins, s'il permet aux particuliers 
de le faire, ils ne veut pas qu'ils le fasssent collective- 
ment. Il veut èlre le seul groupe organisé ^s'occupant 
dintérôt général. De là pour les associations le régime 
que nons avons décrit : ou bien elles sont adoptées 
par l'Etat, agissant sous sa surveillance ou même sa 
directipn; ou bien elles sont vues avec méfiance, et, si 
elles ne sont pas interdites, elles sont au moins pri- 
vées de personnalité morale et réduites à n'être que des 
rapports contractuels entre individus : <* Union contrac- 
tuelle d'individus isolés ou portion de l'Etat, tel était le 
dilemme auquel les associations de cette époque ne 
pouvaient échapper. D'un c6lé, indépendance vis-à-vis 
de TEtat, mais négation de toute personnalité juridique ; 
de Tautre, personnalité juridique, mais seulement par 
l'Etat, pour l'Etat, et sous TEtat » (1). 

C'est sur cette idée notamment qu'est construite la 

Deuisches Verwaltungsrecht, t. 1, §§ 4. (Trad. fraoç., 1. 1, p. 43 
et s.). 

(I) Ilosin, Das Recht der ôffentlichen Genossenschaft, p. 30. 
Cpr. Gierkc, Genossenschaftsrecht, t. I, p. 641-652. L'Etat ne veut 
pas seulement avoir tous les droits auxquels il prétend ; il veut aussi 
les avoir seul. Ce n'est pas seulement le droit et le devoir, c'est 
aussi le monopole du prince de connaître, d'exécuter et de protéger 
ce qu'exige le bien public. Le résultat, c'est un état de droit dans 
lequel il n'y a plus que l'Etat d'un côté, et de l'autre des individus, 
ou des personnes tolérées par l'citat, parce qu'où bien il les absorbe 
cl les dirige, ou bien il les assimile purement et simplement à 
l'individu (v. notamment p. 643-645). 



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394 CHAPITRE IV 

théorie de FAIlgemeines Landrecht de 1794. Elle est 
seulement plus libérale que le système français de 1810, 
parce qu'elle admet en principe la liberté d'association 
(comme l'admettait d'ailleurs en théorie notre législation 
révolutionnaire). Mais elle n'admet de personnalité juri- 
dique que celle qui est conférée par l'Etat dans un but 
utile au bien commun. Le même système se retrouve 
dans d'autres lois allemandes de la première moitié du 
XIX® siècle, notamment dans la loi badoise du 14 juillet 
1807. Mais peu à peu la science abandonne le système 
Polizeistaat^ et lui substitue celui du Rechtsstaat ou du 
Kulturstaat, Dans ces nouvelles conceptions, TEtat ne 
prétend plus au monopole du bien public : toute corpo- 
ration n'est donc plus nécessairement une corporation 
d'Etat, et au contraire on admet la possibilité d'une vie 
corporative libre, se développant en dehors de l'adminis- 
tration par l'initiative privée. En d'autres termes, il y a 
dès lors des corporations de droit public et des corpora- 
tions de droit privé. Le rôle de l'Etat vis-à-vis de ces 
dernières change absolument de caractère : il peut sans 
doute se méfier encore d'elles, prendre des précautions 
contre leur développement ou leur enrichissement exa- 
géré ; mais c'est tout ; son rôle reste purement négatif, 
défensif ; il ne cherche plus à les absorber et à les diri- 
ger, et leur laisse, au moins dans une certaine mesure, la 
liberté de se constituer et de se développer par leur 
propre impulsion. 

142. En parlant de ces idées, l'Etat pourra encore, 
pour certains cas, soumettre à autorisation la création 
de la personne morale. Mais cela deviendra peu à peu 
une exception, motivée toujours par des considérations 
spéciales. Au système de l'autorisation préalable se sub- 



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tLA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVÉ 395 

stituera celui que les Allemands appellent le système 
des Normativbestimmtmgeny c'est-à-dire le droit pour 
toute association licite d'obtenir la personnalité, en 
observant certaines formalités prescrites par la loi, qui 
sont surtout des formalités de publicité. En Allemagne, 
«comme chez nous, et plus tôt que chez nous, ce système 
s'est introduit peu à peu d'abord dans les législations 
d'Etat (notamment celles de la Saxe et de la Bavière, 
et aussi celle de la Prusse, mais seulement pour certai- 
nes catégories d'associations), puis dans la législation 
d'Empire où elle forme aujourd'hui, depuis le Code civil 
de 1900, le droit commun des associations à but désin- 
téressé. Dans le système de ce Code, la personnalité 
morale est accordée à toute association licite (le droit de 
prononcer sur le caractère licite de Tassocialion étant 
laissé aux législations d'Etat), pourvu qu'elle soit imma- 
triculée sur leVegistre des associations. L'autorité admi- 
nistrative aie droit de s'opposer à son immatriculation 
-d'abord lorsque l'association est illicite ou peut être 
interdite d'après les règles du droit public, puis lors- 
qu'elle poursuit un but politique, social-politique ou 
religieux. Le système conserve donc à TEtat un droit de 
veto pour certaines catégories d'associations; il consti- 
tue cependant un progrès sur le système de l'autorisa- 
tion préalable, parce que l'administration n'a, pour exer- 
cer son droit de veto, qu'un délai déterminé, et ne peut 
empêcher la personnalité de l'association que par un 
acte formel (1). Ce régime concernant la personnalité 

(i) Pour les détails sur la législation allemande. V. Saleilles 
-dans le Bulletin de la Société de légisL comparée, avril-naai 1899, 
p. 263 et s., Les personnes juridiques dans le Code civil alle- 
mand dans Revue du droit public, t. XVIÏ. V. aussi Gahen 



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396 CHAPITRE IV 

juridique n'empêche pas d'ailleurs les Etats de rester 
libres au sujet de la formation même de Tassociation, et 
quelques-uns des petits Etats ont sur ce point des légis- 
lations rigoureuses (1). Pourtant le principe général est 
que toute association peut se constituer librement : la 
question de personnalité morale n'étant pas en cause, 
l'autorisation préalable n'est nécessaire que dans les cas 
exceptionnels où cela peut paraître exigé par des consi- 
dérations de police. 

L'Angleterre, où les associations ou fondations non 
douées de personnalité abondent, et où le système du 
trust fonctionne avec une liberté qui a permis de l'ap- 
pliquer même aux plus importantes associations, n'a 
pas cependant, à l'heure actuelle, de restrictions arbi- 
traires à l'obtention de la personnalité morale. Cette 
obtention s'acquiert par un simple dépôt et un enre- 
gistrement des statuts pour de nombreuses catégories 
d'associations parmi lesquelles figurent, à côté des Trades 
Unions, les associations littéraires, scientifiques ou artis- 
tiques, les sociétés de bienfaisance, etc. (2). L'enregis- 
trement doit être obtenu du Chief Registrar, qui peut le 
refuser si la société ne remplit pas les conditions fixées 

et Worms, dans les Etudes du Conseil d'Etat sur le droit 
d^ association dans les législations étrangères (Paris, Imprimerie 
nationale, 1899), p. 29 et s., et p. 75 et s. Parmi les nombreuses 
études allemandes : les commentaires de Planck et d'Ëndemann, 
Zeller, dans Ârchiv fur ôffentL Recht. 1897, p-, 241 et s., et 
Meurer, Die juristischen Personen, 1901. Les dispositions que nous 
analysons ici n^ sont d'ailleurs applicables qu'aux associations 
« n'ayant pas pour but une entreprise de caractère économique. » 

(1) V. Cahen, dans les Etudes du Conseil d'Etat, p. 14 et s. 

(2) V. Jean Clos, dans Etudes du Conseil d*Etat, p. 85. Sur le 
développement du système du trust, v. l'article déjà cilé, de 
M. Maitland, Tîmst and Korporation (dans le GrûnhuVs Zeit- 
schrift, t. XXXI, p. 1). . 



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LA CRÉATION DBS PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVÉ 397 

par la loi ; mais la sociélé a le droit de faire appel de 
sa décision devant la Haute Cour d'Angleterre. 

La Suisse, comme FAIIemagne, mais avec plus de 
libéralisme, applique jusqu'ici à la personnalité civile 
des associations le système de la réglementation légale. 
D'après le Code fédéral suisse des obligations, les asso- 
ciations à but idéal acquièrent la personnalité par leur 
inscription sur le registre du commerce, suivie d^une 
publication. L'administration n'a pas ici de droit de 
veto; et si, comme en 'Allemagne, le système ne s'ap- 
plique qu'aux associations licites, celles-ci du moins 
peuvent se former beaucoup plus librement que dans les 
divers pays allemands ; Tarticle 56 de la Constitution 
protège en effet le droit d'association, qui ne comporte 
de restrictions qu^à l'égard des congrégations religieu- 
ses. L'avant-projet de Code civil reste fidèle à ce système 
(art. 61 et s.). Mais quelques cantons, notamment le can- 
ton de Zurich (1), sont allés plus loin dans la voie du 
libéralisme en adoptant le système de la pleine liberté cor- 
porative; c'est-à-dire en admettant la personnalité de 
toute association licite qui manifeste d'une manière suf- 
fisante la volonté d'exister comme corporation. 

En Autriche aussi, où le droit d'association est beau- 
coup moins largement reconnu qu'en Suisse, il n'y a pas 
d'autorisation spéciale à obtenir pour la personnalité 
morale, le | 26 du Code civil considère comme personne 
morale toute association permise. Aussi a-t-on pu ran- 
ger ce pays parmi ceux qui admettent non pas le sys- 
tème de la réglementation légale, mais le système de 
pleine liberté corporative. Cela n'empêche pas que les 

(1) Art. 16, du Gode civil de Zurich. 



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398 CHAPITRE lY 

restrictions à la liberté d'association n*y soient assez, 
nombreuses {i). 

Dans quelques autres pays, où le régime de la recon- 
naissance de personnalité par acte spécial du pouvoir est 
resté en vigueur, il est arrivé en pratique à dévier : la 
reconnaissance n'y représente plus, comme dans notre 
législation, une vérilablfe reconnaissance d'utilité publi- 
que, ne devant être accordée qu'après une appréciation 
plus ou moins arbitraire du but visé par le groupe ; elle 
est devenue une simple vérification par l'Ëtat du carac- 
tère licite de l'association et de Tobservation par elle des- 
formalités légales. C'est ce qui s'est produit en Hollande, 
où existe la liberté d'association, et où les associations^ 
doivent, pour jouir delà personnalité morale, être recon» 
nues par une loi ou par un arrêté royal qui approuve leurs 
statuts (loi du 22 avril 4835) (2). Dans l'esprit du légis- 
lateur, ce texte a été, paraît-il, inspiré par la doctrine 
de la fiction (3). Mais le législateur lui-même a inter- 
prêté la règle dans un sens libéral en ajoutant que la 
reconnaissance ne pourrait être refusée que pour des 
motifs tirés de l'intérêt général, et, en dehors des cas ob 
le refus a été motivé par l'irrégularité de l'association, il 
n'a été fait depuis cinquante ans qu'une seule fois nsd^ge 
du droit de refus (4). L'autorisation ainsi comprise est 

(1) V. Unger, Œsterr. Privatrecht, 1892, 1. 1, p. 322 et 339. 
Gierke, Genossenschafts théorie, p. 83, note 3, et Deutsches Pri- 
vatrecht, p. 488, note 29. 

(2) Une loi est nécessaire lorsque l'association est faite pour plus 
de trente ans ; un arrêté royal suffît dans le cas conti^aire. V. pour 
le détail de la législation hollandaise : Biebuyck, Le régime légal 
de la personnification civile en Hollande (Biblioth. de l'école 
des sciences politiques de l'Université de Louvain, 1905). 

(3) Biebuyck, op, cit., p. 22 et 35. 
U) Biebuyck, op, ait, y p. 45. 



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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVE 399^ 

bien différente de la reconnaissance d'utililé publique 
telle qu'elle est pratiquée chez nous. On peut presque 
en dire autant de l'Italie, oti Tarticle 2 du Code civil 
n'admet la personnalité que pour les corps moraux léga- 
lement reconnus. Le texte a été écrit dans un esprit tout 
semblable à celui de notre législation napoléonienne ; le 
rapporteur avait exprimé Tidée que la reconnaissance 
devait être réservée aux associations répondant à un 
besoin social général et permanent (1), ce qui est bien 
à peu près ce qu'on exige en France pour une reconnais* 
sance d'utilité publique. Mais il semble qué^ dans Tap- 
plication, le Conseil d'Etat italien se soit montré plus 
large que le Conseil d'Etat français. Il accorde la per- 
sonnalité morale sans exiger qu'il existe, à proprement 
parler, un but d'utilité publique, par exemple à des- 
associations de pur agrément, ou à des associations tout 
à fait temporaires; il n'exige pas d'ailleurs que l'associa- 
tion ait déjà une certaine durée d'existence et un patri- 
moine constitué. La reconnaissance ainsi entendue n'est 
plus guère autre chose qu'une constatation par le pou- 
voir administratif de la régularité de l'association (2). 

Le système de la reconnaissance de personnalité par 
l'Etat est au contraire appliqué, dans un esprit plus 
rigoureux, par la Belgique, qui admet d'ailleurs très 

(1) V. Grunebaum, dans le Recueil du Conseil d'Etat, p. 469. 

(2) V. sur ces divers points. Giorgi, La dottrine délie persone 
giuridicke, t. VI, p. 494 et s. Fadda et Bensa, sur les Pandçctes 
de Windscheid, t. I, p. 791-792. Giorgi, discutant la question de 
savoir si la reconnaissance de personnalité ne devrait pas être 
réservée au pouvoir législatif, fait observer, avec un peu d'exagé- 
ration sans doute, que la multitude des décrets de reconnaissance 
est telle, qu'elle suffirait à absorber Tactivité des Chambres pen- 
dant toute l'année (T. 1. p. 128, no 754). 



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400 CHAPITRE IV 

largement la liberté d'association, mais dont les auteurs 
sont portés à voir dans la concession de personnalité 
civile quelque chose de tout à fait exceptionnel, et à ne 
l'accorder qu'aux associations qui sont en quelque 
sorte englobées dans Tadministration publique (1). A ce 
point de vue, les idées sont restées à pt^u près celles de la 
législation napoléonienne, n'admettant d'antres person- 
nes morales que les personnes morales administratives. 
Mais il faut ajouter que dans ce pays il existe un fort 
courant d'opinion pour donner aux associations non 
douées de personnalité un régime se rapprochant de 
celui de la personnalité proprement dite (2), et que cer- 
tains projets de réforme accordent de plein droit aux 
associations charitables la personnalité, pourvu qu'elles 
remplissent certaines conditions fixées à l'avance par la 
loi (3). 

D'autres pays, dont les législations sont d'origine 
latine, tels que TEspagne et le Portugal (3), ont con- 
servé aussi le système de la concession. Il est visible 
cependant qu'il perd du terrain, et que les législètlions 

(1) V. Vauthier, Etudes sur les personnes morales, p. 335, 
note!. Giron, Dictionnaire de droit administratif et de droit 
public, 1895, yo Etablissement public. Laurent, Principes de droit 
civil, t. 1, DOS 5^88 et s., notamment no 298. 

(2) C'est de ce pays qu'est parti, avec M. Van den Heuvel, le 
système qui considère la personnalité comme inutile, les associa- 
tions ayant par elles-mêmes toute possibilité d'employer à leurs 
fins des biens considérés comme restant dans le patrimoine de 
leurs membres. 

(3) V. sur ces projets, Rivière, dans Réforme sociale du 16 jan- 
vier 19ui, p. 165 et s. Van Overbergh, Phase actuelle de la 
Réforme de la 6 zen/a z^a/ice (Bruxelle, 1903), p. 101 et s. 

(4) Lehr, Droit civil espagnol, 1. 1, n^ 58. Gode civil portugais, 
art. 33. 



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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVÉ 40t 

européennes s'orientent de plus en plus vers un sys- 
tème admettant en principe la personnalité pour toutes 
les association licites, ou les soumettant seulement pour 
Tobtenir à certaines formalités de publicité. Il résulte 
du rapide aperçu qui vient d'être donné, que la solu- 
tion à admettre sur ]a question de personnalité ne 
rétroagit pas nécessairement sur la question de liberté 
d'association ; il y a des pays où la liberté d'association 
est faible, et cependant la personnalité morale large- 
ment accordée aux associations licites ; il y en a 
d'autres comme la Belgique où la liberté d'association 
est entière, et où le régime de la personnalité civile 
reste rigoureux. D'autre part, la solution même de la 
question de personnalité n'est pas nécessairement liée à 
une vue théorique ; on peut en théorie admettre la doc- 
trine de la fiction et cependant juger utile d'acorder en 
bloc le bénéfice de cette fiction à toute association ; ou 
peut à l'inverse admettre que la personnalité civile n'est, 
pour les associations licites, que l'application normale 
d'une règle de droit, et cependant consei:ver à l'Etat un 
droit de vérification individuelle à Tégard de chaque 
association. Tout cela est possible en fait et se trouve 
réalisé dans les lois que nous venons de passer en revue* 
Mais nous n'en croyons pas moins que ces diverses ques- 
tions ont entre elles une corrélation réelle. Les idées 
ont leur logique intime ; le système de la fiction peut 
être plié à un régime de liberté; mais il est, pour 
l'Etat qui veut soumettre les associations à un régime 
rigoureux, un auxiliaire précieux ; il lui fournit un pré- 
texte spécieux et un peu hypocrite pour empêcher le 
développement des associations qu'il redoute. Avec la 
théorie de la réalité de la personne morale au contraire, 

MIGHOUD 26 



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402 CHAPITRE IV 

TËlat pourra se montrer rigoureux^ mais il devra dut 
moins le faire à découvert et motiver expressément sod 
intervention sur des motifs de police. Cela même est ua 
progrès dont on ne saurait méconnaître l'importance (1)^ 

143. Au point où notre législation en est parvenue, 
les distinctions à faire en droit positif français parmi les> 
personnes morales de droit privé sont les suivantes : 

/^ Associations soumises aux règles générales. Ëlles- 
se subdivisent en associations simplement déclarées, et 
associations reconnues d'utilité publique. 

S^ Associations soumises à des règles spéciales, parmi 
lesquelles il y a lieu de distinguer, d'une part les congre- 
yationSy d'autre part les associations privilégiées. 

5' Sociétés. 

4^ Fondations reconnues d'utilité publique. 

Les trois premières catégories forment le domaine de- 
la corporation, qui, ainsi que nous l'avons vu, doit s'op- 
poser, en droit privé, à celui de la fondation. Le prin- 
cipe qui y domine aujourd'hui est que Tacquisition de la 
personnalité s'accomplit sans autorisation spéciale de 
Tautorilé publique. Cette autorisation n'est nécessaire,, 
en droit commun, que pour compléter la capacité de 
personnes morales qui ont pu se constituer d'elles- 
mêmes, et le principe contraire ne subsiste que pour 
certaines catégories spéciales d'associations. Au con- 
traire, dans le domaine de la fondation la personnalité- 
morale ne s'acquiert que par une reconnaissance d'uti- 
lité publique. 

(1) Cpr. les explications données ci-dessus, n® 5, p. i3 et 14. 
Dans les développements qui précèdent nous ne nous sommes 
occupés, au point de Tue de l'histoire et du droit comparé, que des- 
corporations. Pour les fondations, v. infrà, n^ 160 bis. 



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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVE 403 

On pourrait établir une division différente, en mettant 
g. part les établissements d'utilité publique y groupe carac- 
térisé par dçux règles importantes, qui lui sont spécia- 
les : 1*" ils sont Tobjet d'upe reconnaissance formelle des 
pouvoirs publics; 2^ ils sont soumis à la règle des arti- 
cles 910 et 937 Code civil sur les dons et legs. Mais cette 
classification, serait peu scientifique, étant donné que 
les mêmes groupes peuvent, sans perdre leur personna- 
lité morale, se trouver soit dans la catégorie des établis- 
sements d'utilité publique, soit au dehors. Nous ne 
parlerons donc des établissements d'utilité publique qu'à 
Toccasion dés groupés qui sont susceptibles d'acquérir 
cette qualité. Nous verrons que ces groupes se trouvent, 
soit parmi les associations soumises au droit commun, 
soit parmi celles qui sont soumises à des règles spé- 
ciales, soit enfin parmi les fondations. 

§ 1 . — Associations soumises au droit commun 

144. Avant la loi du 1®' juillet 1901, une association 
à but désintéressé devait, pour être en règle avec la loi 
pénale, obtenir une autorisation préfectorale, dès qu'elle 
renfermait plus de vingt membres (art. 291 C. P.). Cette 
autorisation ne lui conférait pas la personnalité morale, 
quelle ne pouvait obtenir que par un décret de recon- 
naissance, rendu après examen de la section compé- 
tente du Conseil d'Etat (1). Les associations auxquelles 

(1) Pendant longtemps ou avait exigé un décret rendu en Assem- 
blée générale du Conseil d'Etat ; mais le règlement du 3 avril 1886, 
modifiant l'article 7, du règlement du 2 août 1879, ne classait plu* 
ces sortes d'affaires parmi celles qui exigeaient l'examen de l'assem- 
blée générale. Une jurisprudence, d'ailleurs très contestée, accor- 



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404 CHAPITRE IV 

étaient accordée celle faveur poursuivaient des objets 
très divers, mais que Ton pouvait toujours considérer, 
par certains côtés, comme utiles à l'intérêt général (l). 
On leur demandait certaines justifications tendant à dé- 
montrer, non seulement le but d'utilité publique, mais 
encore des moyens d'action suffisants et l'existence de 
services déjà rendus (2)* On considérait, en effet, la 
reconnaissance (3) « comme donnant, en quoique sorte, 

dait une certaine capacité juridique (le droit d'ester en justice et 
celui de contracter) à certaines associations ayant un but d'intérêt 
général. C'est ce que les arrêts appelaient Y individualité juridi- 
que (V. supràj le chapitre sur la Notion de personnalité morale- 
p. 32, note 2 ; cpr. Hauriou, 4e éd., p. 118, et Planiol, Droit civilf 
4re édit., no» 738 à 745) . D'autre part, M. de Vareilles-Sommières 
(Des personnes morales, n^s 406 et s., 1003 et s.), a soutenu que les 
associations autorisées par le préfet étaient, sous cette législation^ 
' de véritables établissements d'utilité publique, doués de personna- 
lité morale. Pour la critique de cette opinion qui est restée isolée, 
voyez notre compte rendu critique de l'ouvrage de M. de Vareilles- 
Sommières, dans Revue du droit public^ 1903, t. XX, p. 353 et s. 

(1) Les notes de jurisprudence du Conseil d'Etat les distribuent 
en cinq catégories : 1*^ œuvres d'assistance (crèches, dispensaires, 
sociétés protectrices de l'enfance, etc.) ; 2<> œuvres d'assistance 
mutuelle et de prévoyance (associations d'anciens élèves de lycées, 
associations des artistes peintres et sculpteurs, etc.); 3^ œuvres d'en- 
couragement au bien (Société générale des prisons, œuvre des libé- 
rées de St-Lazare, etc.) ; 4® œuvres de progrès scientifique, artis- 
tique ou littéraire (sociétés savantes, sociétés d'amis des arts, etc.) ; 
5*^ œuvres d'encouragement aux exercices civils et militaires (club 
alpin, sociétés de tir, etc.). Cette énumération n'a d'ailieursjamais 
été considérée comme limitative (V. Revue générale d'Administra- 
tion, 1893, III, p. 23 et s. et Notes de jurisprudence ^ publiées par 
MM. Reynaud et Lagrange, p. 175 et s.) 

(2) Sauf dans des cas exceptionnels, on exigeait que l'association 
ait déjà fonctionné pendant un certain temps, et parmi les pièces 
à produire figuraient les comptes des trois dernières années (V. 
même Revue, p. 27-28). 

(3) Même Revue, p. 21 (Note du 4 février 1888). 



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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVÉ 405 

la sanction de TEtat aux travaux de l'association » et 
comme « la plus haute récompense de longs et impor- 
tants services »• On exigeait d'ailleurs que le but fût 
spécial^ et nettement indiqué dans les statuts. Ceux-ci 
étaient présentés à l'approbation par l'association "de- 
manderesse elle-même, mais le Conseil d'Etat avait 
rédigé des statuts-modèles, qui tendaient à introduire 
l'uniformité parmi toutes les associations reconnues (1). 
Ce système était empreint d'une méfiance excessive 
vis-à-vis de l'association, et depuis longtemps tous les 
partis étaient d'accord pour en demander la suppres^ 
sion. Dans les nombreux projets et propositions de loi 
qui se sont succédé sur ce point depuis 1870, où 
trouve toujours consacrée au moins la suppression de 
Farticle 291 du Code pénal. Ils se divisent sur les 
précautions à prendre à l'égard des dangers que Ton 
peut redouter, soit de la part de l'association considé- 
rée en elle-même, à titre d'association de personnes, 
soit de la personnalité morale et de la mainmorte. Il 
ne saurait être question ici, ni de faire Thistoire détail- 
lée de ces divers projets, ni de donner un commentaire 
complet de la loi du 1*^^ juillet 1901, à laquelle ils 
ont abouti, et qui forme aujourd'hui la règle de la 
matière (2). Nous devons nous borner à préciser la 

(1) Une première rédaction de ces statuts modèles porte la date 
du 22 novembre 1883. Ils ont été remaniés dans la séance du 
15 décembre 1893 (V. Revue des Etablissements de bienfaisance y 
1895, p. 331). 

(2) Parmi les travaux que cette loi a déjà suscités, il faut citer 
surtout le commentaire de MM. Trouillot et Chapsal : Du contrat 
d* association (Extrait des Lois nouvelles). Il faut y joindre les 
explications de M. Hauriou (Droit administratif, 5e éd., p. 105 et 
8. celles de MM. Ducrocq et Barrilleau (Cours de Droit adminis- 



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406 CHAPITRE IV 

manière dont cette loi comprend l'acquisition de la per-^ 
sonnalité par les associations. 

145. Dans le système du projet de loi, tel qu'il avait 
été présenté par le Gouvernement (1), on donnait aux 
associations la liberté de se former sans autorisation ; 
on faisait en conséquence disparaître les dispositions 
pénales frappant les associations non autorisées. Mais, 
d'une part, on exigeait de toute association une con* 
dition de forme : la déclaration. D'autre part, on ne 
changeait rien aux principes anciens sur la person- 
nalité civile, qu'on continuait à faire dépendre d'une 
reconnaissance d^utilité publique prononcée par décret 
(art. 11). On consacrait même expressément la théorie 
traditionnelle de la fiction, en donnant, dans l'art. 10, 
la définition de la personnalité civile (2). Seulement on 

tratif, 7e édit., t. VI, nos 2199 et s.), et enfin celles de M. Planiol 
(Droit civil, 3" édit., t. I, n<»» 3041 et s.). — Cpr. Grumbach. Les 
associations et les cercles depuis la loi de 1901 \ Benoist, Cel- 
lier, Vavasseur et Taudière. -SoctVfes et associations (7e éd., 1904); 
Pandectes françaises. V. Associations (Appendice au mot Sociétés)^ 
1902 ; et un certain nombre de thèses de doctorat. V. dans l'ou- 
vrage de MM. Trouillot et Ghapsal, p. 23, l'énumération des trente- 
trois projets de loi, propositions et rapports, qui se sont succédé 
depuis 1871 . , 

(1) V. le texte et l'exposé des motifs du projet dans les Doc.pa7*L 
delaCh. Session extraord., 1899, p. 123 (Annexe, n» 1184). Ce 
projet reflétait les idées personnelles de M. Waldeck-Rousseau fV. 
Hauriou, p. i07, note 1). Le contre-projet Lemire (repoussé par 
la Chambre à la séance du 29 janvier 1901) avait ceci de com- 
mun avec le projet primitif du Gouvernement, qu'il ne demandait 
pas pour les associations déclarées la personnalité morale, mais 
seulement le droit de posséder par Tintermédiaire des associés. 
Il était directement inspiré par les idées de M. de Vareilles- 
Sommières (sans y apporter les mômes restrictions que le projet de 
M. Waldeck Rousseau). 

(2) Elle était ainsi définie : « la fiction légale en vertu de laquelle 



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1LX CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVE 407 

tempérait la rigneur de la théorie en permettant aux 
associations d'affecter en fait à leur but certains biens 
appartenant aux associés. On admettait en effet qu'à 
<ôlé de Tassocialion, contrat n'ayant pour objet que 
Tunion des personnes, les associés pouvaient former 
^ntre eux un second contrat, société ou communauté 
de biens, soumis aux mêmes règles que si l'association 
n'existait pas (1). Dans ce système, il ne pouvait pas y 
avoir, à proprement parler, de patrimoine appartenant 
à l'association, mais il pouvait pas y avoir patri- 
moine appartenant aux associés et affecté au but 
•social. Les biens composant ce patrimoine étaient la pro- 
priété indivise des sociétaires (art. 8), et pouvaient être 
4'objet de conventions accessoires réglant le mode d'ad- 
ministration dans la mesure où le permettait le droit com- 
tnun des sociétés ou de l'indivision. On faisait même 
à l'association ainsi constituée la faveur (déjà admise 
par la jurisprudence antérieure en faveur de certaines 
associations) de pouvoir ester en justice par Tintermé- 
•diaire de ses directeurs ou administrateurs (art. 5). Mais 
pour éviter que celte situation n'aboutît à la constitu- 
tion d'une « personnalité civile occulte », on prohibait 
-(art. 15) toute clause de réversibilité, et tout pacte ayant 
pour objet de perpétuer la propriété de Tassociation 
^u d'en opérer la dévolution au profit d'une ou plusieurs 

-Ane association est considérée comme constituant une personne 
morale distincte de la personne de ses membres, qui lear survit, et 
-en qni réside la propriété des biens de Tassociation »• 

(1) c Quelque forme qu'elle emprunte, disait Texposé des motifs, 
4a possession des biens par les membres d'une association sera 
soumise aux mêmes régies, aux mômes lois que si les sociétaires ou 
les communistes ne joignaient pas à cette qualité celle de membres 
<i*une association » . 



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408 CHAPITRE IV 

personnes. Les clauses ainsi visées étaient celles qui 
antériearement étaient en usage dans un assez grand 
nombre d'associations non reconnues, notamment dans 
les congrégations religieuses, clauses dont Teffet calculé 
est « de perpétuer la détention des biens de l'associa- 
tion entre les mains de ses chefs, de faire qu'à aucun 
moment cbacun des sociétaires n'ait sur eux un droit 
réalisable, qu'il ne puisse sortir de l'association qu'à la 
condition d'abandonner ce qu'il y a mis ou ce qu'il y a 
gagné », 

Ce système était en somme l'une des traductions 
législatives possibles des théories qui essaient de conce- 
voir le régime des associations en faisant abstraction de 
l'idée de personnalité morale et en ramenant tous les 
droits du groupe aux droits individuels de ses mem- 
bres (1). Mais il n'admettait ces théories qu'en prenant 
une précaution excessive contre l'accumulation des 
biens affectés au but social. Il prohibait, en effet, les 

(1) Ce système était l'expression des idées personnelles de Wal- 
deck-Rousseau, qui se flattait par là de concilier le principe de 
liberté d'association avec les précautions nécessaires contre la main- 
morte. Il Ta exposé en détail à la séance de la Chambre du 21 jan- 
vier 1901. A la séance du 31 janvier, en répondant à M. Paul Beau*? 
regard, il résumait ainsi les avantages qu'il croyait apercevoir dans 
le système : « grâce à la combinaison législative que nous vous 
proposons, le seul fait que des biens sont possédés en commun par 
des membres de l'association tombera sous l'application du contrat 
de société, si les biens ont été mis en commun dans le but de par- 
tager les bénéfices, ou sous la loi de l'indivision, s'il n'y a pas eu 
de convention précise. De sorte que par là on évite que, sous la 
forme d'une association en apparence désintéressée, il ne se forme... 
une mainmorte clandestine résultant du fait lui-même, et de ce 
qu'aucun associé ne trouve actuellement dans la législation le 
moyen d'affirmer, de revendiquer, et de faire triompher au besoin 
sa prétention à une copropriété. 



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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVE 40^ 

clauses de réversibilité et autres clauses analogues, et 
par là il condamnait en fait les associations à un état 
de précarité perpétuelle, en empêchant ce que M. de 
Vareilles-Sommières, appelle le « régime personnifiant )v 
Sous une apparence libérale, il conservait en l'aggravant 
la traditionnelle méfiance de la mainmorte qui a animé 
tous les législateurs depuis le xviiie siècle. Le caractère 
artificiel des théories dont il s^agit se montre ici avec 
évidence : elles n'empêchent point les biens affectée 
au but social (toutes les fois qu'on s'arrange pour 
« qu'à aucun moment chacun des sociétaires n'ait sur 
eux un droit réalisable »), d'être au fond les biens du 
groupe et non les biens des associés. Si on interdit les. 
clauses qui ont ce résuUat, on empêche par là les asso- 
ciations de vivre; si on ne les interdit pas, on revient, 
par un détour, à la personnalité morale, et on est 
obligé de prendre contre elle les mêmes précautions que 
si on l'admettait directement. 

146. Quoi qu'il en soit, ce n'est point là le système- 
qui a triomphé. Le projet du Gouvernement a été boule- 
versé de fond en comble soit par la commission de là 
Chambre des députés, soit par la Chambre elle-même. 
Cette dernière a fait disparaître l'obligation imposée à 
toute association de se soumettre à la formalité de la 
déclaration préalable ; elle a admis que les associations 
de personnes pourraient se former librement, et que la 
déclaration ne serait nécessaire qu'à celles qui vou- 
draient obtenir un commencement de capacité juridi- 
que (1). D'autre part (et pour la théorie des personne» 

(1) Séance du 4 février 1901. Vote de l'article additionnel proposé 
par M. Groussier et plusieurs de ses collègues sous le n*' 1 bis (arti- 
cle devenu Tart. 2} : « Les associations de personnes pourront se 



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410 CHAPITRE IV 

morales c'est là le point intéressant), la commission 
elle-même a été d'avis d'accorder directement aux asso- 
ciations simplement déclarées une personnalité morale 
restreinte, que, dans le langage parlementaire, on a 
appelée la petite personnalité^ et qui ressemble (bien que 
moins étendue) à celle qui avait déjà été reconnue aux 
syndicats professionnels par la loi de 1884. C'est cette 
proposition qui a définitivement passé dans la loi, la 
Chambre et le Sénat ayanl repoussé les diverses proposi- 
tions plus larges qui avaient pour objet de conférer la 
personnalité complète à toute association déclarée (I). 
Comme conséquence, et sur un amendement de M.Tabbé 
Lemire (2), la Chambre à supprimé le paragraphe de 
Tarticle 10, qui définissait la personnalité civile et la 
considérait comme une fiction légale. 

Il en résulte tout d'abord que législateur n'a point 
pris parti sur la définition à donner de la personnalité 

former librement sans aatorisatioa ni déclaration préalables, mais 
elles ne jouiront de la capacité juridique que si elles se sont con- 
formées aux dispositions de Tarliclei (auj. art. 5) ». La Chambre 
avait voté en outre Famendement Fournière, qui excluait de ce 
bénéfice les « associations religieuses ». Mais la commission do 
Sénat a fait disparaître cette restriction (Y. la séance du Sénat du 
15 juin 1901). 

(1) Ces propositions étaient : le contre-projet Gayraud, repoussé 
par la Chambre à la séance du 28 janvier 1901 ; le contre-projet 
Cunéo d'Ornano, repoussé à la séance du S9 janvier 1901 ; l'amen- 
dement Piou, retiré par son auteur à la séance du 5 février 1901 ;, 
ramendement Cunéo d'Ornano, repoussé à la même séance ; 
Tamendement de Lamarzelle et l'amendement Riou, l'un et l'autre 
repoussés par le Sénat à la séance du 17 juin 1901. V. en outre ce 
que nous disons plus haut du contre-projet Lemire, qui faisait aussi 
aux associations un régime très libéral, mais en partant d'autres 
idées théoriques, celles de M. de Vareilles-Sommières. 

(2) Séance du 26 février 1901. 



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f.A CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVE 411 

morale. On ne peut que s'en féliciter, les définitions de 
€e genre n'étant point de la compétence du législateur, 
ne pouvant en aucune façon lier la doctrine, et pou* 
vaut cependant agir sur elle d'une manière fâcheuse* 
Mais ce qui est plus important, c'est que le système 
qui a définitivement triomphé consacre comme étant le 
droit commun^ et non plus comme une exception, l'ac* 
quisitîon de plein droit de la personnalité morale par 
toute association licite, à condition qu'elle remplisse de 
simples formalités de publicité. En d'autres termes, il 
substitue en principe le système de la réglementation 
légale à celui de l'autorisation préalable. Pratiquement 
toutefois, le système admis est encore ,peu libéral, 
si on n'admet pas que l'association, à côté du patri- 
moine restreint dont elle peut être titulaire, a le droit 
de jouir de biens restant dans le patrimoine de ses 
membres. C'est un point que nous traiterons plus loin- 

147. La première condition que doit remplir une 
association pour obtenir la personnalité morale est de se 
constituer régulièrement comme association. C'est là le 
substratum nécessaire de sa personnalité. La loi nou- • 
velle a eu le mérite de combler ici une lacune de notre 
législation antérieure en réglementant le contrat d'as- 
sociation, dont jusqu'alors aucun texte ne s'était occupé, , 
et sur lequel régnaient les plus grandes incertitudes 
doctrinales. Sans entrer dans le détail, nous devons ici, 
pour la clarté des idées, indiquer les principales disposi- 
tions de la loi sur ce point. 

L'association est définie : « la convention par laquelle 
deux ou plusieurs personnes mettent en commun d'une 
façon permanente leurs connaissances ou leur activité 
dans un but autre que de partager des bénéfices ». En* 



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Î12 CHAPITRE IV 

dehors du caractère noa lucratif du but, qui distingue 
Tassocialiou de la société, et sur lequel nous avons déjà 
insisté (1), la définition nous révèle deux autres carac* 
tères de Tassociation : son caractère contractuel^ c'est- 
à-dire le fait que les associés contractent une véritable 
obligation de poursuivre le but social sous les condi- 
tions fixées dans les statuts ; et son caractère de perma^ 
nence, c*est-à-dire la nécessité que rassocialion soit 
établie soit pour une durée déterminée, soit pour une 
durée indéfinie. Ces deux caractères, dont le premier 
d'ailleurs entraîne nécessairement le second, différen- 
cient Tassociation de la simple réunion. En tant que 
contrat, Tassocialion est soumise aux règles générales 
des contrats, telles qu'elles sont réglées au «Code civil 
(consentement, capacité, objet et cause licites). L'arti- 
cle 3 de la loi déclare nulle toute association fondée sur 
une cause ou en vue d'un objet illicite, et ajoute, assez 
maladroitement d'ailleurs, l'indication de certains buts 
considérés comme illicites. Sous cette réserve, l'asso- 
ciation est valable par un simple contrat sans être sou- 
mise à aucune autorisation ni déclaration préalables (2). 
Mais la déclaration, comme nous Tavons dit, est néces- 
saire pour obtenir \b, petite personnalité. 

148. Les formalités à remplir pour cela par les parties 
sont indiquées par Tarticle 5, complété par les articles 
d à 7 du décret du 16 août 1901. Nous renvoyons au 
texte pour les détails (3). Il nous faut cependant relever 

(1) Suprà, n»8 99 et s. 

(2) Nous verrons plus loin les conséquences qu'eniraine pour elle 
le défaut de personnalité. 

(3) V. le commentaire de MM. Trouillot et Chapsal, p. 66 et s. V. 
aussi Hauriou, Di^oit administratif, 5e éd., p. dl6. Grumbach, Les 



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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVE 413 

les points suivanls : la déclaration doit être faite à la 
préfecture du département ou à la sous-préfeclure de 
Tarrondissement où l'association aura son siège social. 
Elle fait connaître le titre et l'objet de l'association, le 
siège de ses établissements, et les noms, profession et 
domicile, de ceux qui, à un titre quelconque, sont 
chargés de son administration ou de sa direction. Deux 
exemplaires des statuts doivent y être joints. X*' Admi- 
nistration est obligée de délivrer récépissé de la décla- 
ration, qui constitue pour l'association la base de sa 
personnalité morale ; elle n'a pas à apprécier le carac- 
tère licite ou illicite de l'association ; son seul droit, au 
cas oîi elle lui semble illicite, est de donner avis au Par- 
quet, pour qu'il poursuive, s'il y a lieu (1). 

^association est en outre obligée de procéder à une 
déclaration nouvelle pour faire connaître, dans les trois 
mois, tous les changements survenus dans son adminis- 



associations et les cercles depuis la loi du /'t juillet 1901, 
ii<>8 31 et s. Benoist, Cellier, Vavasseur et Taudière, Sociétés et 
associations, 7e éd., p. 30 et s. Dacrocq et Barrilleau, op. cit,, 
n0 2205. 

(1) Trouillot et Ghapsal, p. 71-72. Hauriou, p. H6, n^ 14. Ce der- 
ïiier auteur se pose la question de savoir quelle est la sanction de 
robligalion imposée à l'administration. Nous croyons que la cons- 
tatation du refus par acte extra-judiciaire devra être considérée 
«omme équivalent à un récépissé, sans qu'il soit besoin de faire 
annuler le refus par le Conseil d'Etat (comme impliquant une déci- 
sion de rejet d'après la procédure de la loi du 17 juillet 1900). Le 
refus n'équivaut pas ici à une décision de rejet, parce que l'adminis- 
tration n'a aucune décision à prendre, la délivrance du récépissé 
étant pour elle une obligation. Une solution analogue est admise 
par la loi elle-même en matière de déclaration de réunion publique 
(1. 30 juin 1881, art. 2 § 4), et par la jurisprudence en matière de 
déclaration d'ouverture d'école (Cass., 17 janv. 1902. D. 1902. 
i. 169). 



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414 GHAPITRB IV 

tration ou sa direclioa ainsi que ioales les modificalions 
apportées à ses statuts (i). 

. Ces formalités confèrent à l'association la petite per- 
sonnalité de l'article 6 (2). Pour a\'Dir une capacité plus 
complète, l'association reste obligée, comme avant 1901, 
d'obtenir une reconnaissance d*utilité publique. Les 
règles de cette reconnaissance, telles que nous les indi- 
quions plus haut, sont d'ailleurs restées en vigueur^ 
sauf les modifications suivantes : 

i^ Le décret de reconnaissance doit être rendu dans 
la forme des règlements d'administration publique^ 
c'est-à-dire après délibération de l'assemblée générale 
du Conseil d'Etat (art. 10 de la loi) ; 

2® La reconnaissance ne peut être sollicitée que par 
les associations qui ont rempli au préalable les forma- 
lités imposées aux associations déclarées (art. 8 du 
décret 16 août 1901) ; 

3® Les formes de la demande et les pièces qui doivent 
l'accompagner sont indiquées dans les articles 9 et 10 
du décret ; parmi ces pièces figurent les statuts. Le 
règlement de 1901 ne rend pas obligatoire pour les 
associations l'ensemble des statuts modèles élaborés 
par le Conseil d'Etat ; il leur impose cependant, dans 
l'article 11, certaines dispositions. En outre, l'article 
11 de la loi soumet les associations, même une fois 
reconnues, à certaines limitations de capacité, dont nous 
parlerons plus loin, et qui se trouvaient jusqu'alors dans 
les statuts modèles (interdiction de posséder d'autres 

(1) V. pour les détails l'article 3 du décret du 16 août 1901 r 
Trouillot et Chapsal, p. 72. 

(2) Nous étudierons l'étendue de cette personnalité dans le cha- 
pitre consacré à la capacité des associations. 



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LA CREATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVÉ ^{^ 

immeubles que ceux nécessaires au but social ; obliga- 
tion déplacer les valeurs mobilières en titres nominatifs); 

4^ La demande est adressée au Ministre de rintérieur 
seul compétent aujourd'hui pour Tinstruire (i). L'ins- 
truction comprend notamment un avis du conseil muni- 
cipal de la commune où l'association est établie, et un 
rapport du préfet (art. 12 du décret). 

149. On a beaucoup discuté, soit en France, soit à 
l'étranger, la question de la vie embryonnaire de Tas- 
sociation non encore douée de personnalité morale, mais 
déjà existante en fait. Cette question présente surtout de 
l'importance pratique à l'égard des libéralités qui peu- 
vent être adressées à une association avant qu'elle ait 
obtenu la reconnaissance. Peut-on considérer ces libé- 
ralités comme valables, à condition que la reconnais- 
sance intervienne après coup ? 

Il n'est pas inutile de résumer l'Etat de notre jurispru- 
dence et de notre doctrine sur ce point avant la loi de 
1901 . La plupart des aute^urs, partant de la théorie de la 
fiction, admettaient la nullité de toute disposition testa- 
mentaire qui gratifiai directement ou indirectement un 
établissement non encore reconnu lors de la mort du 
testateur (2). Quelques-uns ajoutaient cependant que 
l'on pouvait indirectement gratifier une association à 
naître, sous forme de charge grevant un legs fait à per- 



(1) Avant 1901, chaque ministre instruisait les demandes rela- 
tives aux associations dont Tobjel rentrait dans son départe- 
ment. 

(2) Demolombe. t. XVIII, n^s 588 et s. Aubrj et Rau, t. VII, 
§ 649, p. 24 et s. De Baulny, Revue critique, 1859, t. 14, p. 247- 
248 ; Alfred Gautier, Revue Critique, 1877, t. 43, p. 145. De 
Lapradelle, Fondations, p. 103 et s. 



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416 CHAPITRE IV 

sonne capable (1). Mais c'était une concession peu logi- 
4\ue ; car en réalité une charge imposée au profit d'une 
personne morale déterminée (née ou à naître) est bien 
lin véritable legs. Aussi, quelques auteurs, désireux de 
valider les libéralités de ce genre, avaient-ils suivi une 
tiutre voie. Ils considéraient le legs comme valable en 
assimilant rétablissement déjà existant en fait, mais 
non encore reconnu, à l'enfant simplement conçu : « La 
situation de l'établissement non reconnu présente, écri- 
vait notamment M. Marguerie (2), la plus grande ana- 
logie avec celle de l'enfant simplement conçu : oui, son 
élévation éventuelle à la vie civile est soumise à bien 
des doutes et à bien des incertitudes ; mais l'existence 
future de l'enfant simplement conçu n'est-elle pas aussi^ 
bien précaire et problématique? L'enfant, une fois conçu, 
peut recevoir, mais à la condition qu'il naîtra viable ; 
d'après nous, l'établissement qni^ pendant sa période de 
formation, aura justifié des services qu'il était en état 

(1) Aubry et Rau, loc. cit., p. 25, notes 7 et 8. Demolombe, loc, 
cit,y D® 590. La Cour de cassation paraissait admettre cette atté- 
nuation : Cass. 21 juin 1870, D. 71. 1. 97 (Ville d'Alençon, c. 
Société de patronage). On invoque en ce sens l'idée que l'incapa- 
cité de Tarticle 906 a uniquement pour but d'éviter toute incerti- 
tude sur la dévolution de la propriété, et que, si par un moyen 
quelconque on évite cette incertitude, rien ne s'oppose à l'attribu- 
tion d'une libéralité à une personne future (V. Fénelon, Thèse, 1902, 
p. iOl). Mais c'est restreindre l'article 906 plus que son texte ne le 
permet. 

(2) Etude sur les libéralités faites aux établissements non recon- 
nus, Revue critique, 1878, p. 525. La thèse de M. Marguerie a été 
admise par M. Tissier, Dons et legs, no 85. C'était déjà celle de 
Troplong, Donations et testaments, II, 612. La doctrine italienne 
«st divisée comme la doctrine française. Pour la validité, v. Giorgi, 
I, n® 62 et s., Fadda et Bensa, p. 815 ; contre ; Chironi, ht,, I, 
§28. 



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LA CREATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVE 417 

de rendre à la société, des ressources que la confiance 
publique lui aura confiées pour le mettre en état d'àc- 
com'pJir sa mission, sera réputé viable pour la vie civile, 
et il obtiendra la reconnaissance qui lui conférera la 
capacité légale exigée par l'article 906 Code civil ». Le 
Conseil d'Etat (1), après divers revirements de juris- 
prudence, avait fini par admettre cette thèse, au moins 
quant au résultat ; car il admettait que le Gouvernement 
pouvait, par un seul et même décret, reconnaître un éta- 
blissement et l'autoriser à accepter les libéralités qui 
lui avaient été adressées à une époque où il n'avait 
qu^une existence de fait. 

Il semble que cette jurisprudence administrative, 
antérieure à 4901, doive aujourd'hui s'appliquer a for^^ 
tiori à la libéralité qui serait adressée à l'association 
simplement déclarée^ c'est-à-dire ayant déjà une cer- 
taine personnalité juridique, mais incapable de rece- 
voir un don ou un legs. Le Conseil d'Etat n'éprouvera 
probablement aucun scrupule à statuer, par un même 
décret, sur la libéralité et sur la reconnaissance. Il ne 
s'agira plus en effet de valider rétroactivement une libé- 
ralité adressée à une personne inexistante^ mais, chose 
qui paraît plus facilement admissible, une libéralité 
adressée à une personne ea;25/an/e, mfle,9mca/?a6/^. Il est 
à croire que toutes les juridictions se rallieront à cette 
opinion (2). La question ne continuera à se poser dans 
les mêmes termes qu'avant 1901, que pour les associa- 

(1) V. les diverses phases de la jurisprudence du Conseil d'Etat 
dan^ Tissier, op. cit.^ n^ 86. V. notamment la note de la Section 
de rintérieur du 30 juillet 1884, et celle du 29 juin 1892, qui expri- 
ment sa dernière jurisprudence antérieure à 1901 • 

(2) En ce sens déjà Trouillot et Ghapsal, op. cit.yp. 119. 

MICHOUD 27 



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418 CHAFITRl IT 

lions soumises à des règles spéciales (notamment le^ 
congrégations religieuses). En outre elle se posera pour 
les associations non déclarées, qui pourront se deman- 
der si une libéralité à elles adressée se trouverait vali- 
dée après coup par une déclaration suivie d'une recon- 
naissance comme établissement ^d'utilité publique. 

Une solution favorable, analogue à celle que le Con- 
seil d'Elat admettait avant 1901, est à nos yeux désira- 
ble. Elle est de nature à rendre possibles des libéralités^ 
à des associations intéressantes^ qui n'avaient point 
songé à remplir les formalités nécessaires pour Tobten- 
tion de la personnalité morale parce qu'elles n'espéraient 
pas de ressources pécuniaires, mais à qui une libéralité 
imprévue viendra offrir les moyens de développer leur 
champ d'action. Cette solution n'offre d'ailleurs aucut^ 
danger pour Tintérêt général, puisque Tautorisalion d» 
Gouvernement reste toujours réservée. On l'a, il est vrai, 
présentée comme dangereuse au point de vue de la sécu- 
rité des relations juridiques, en faisant remarquer que la^ 
période de conception pour l'individu, n*a qu'une durée- 
limitée, alors que la vie embryonnaire d'un établisse- 
ment non encore reconnu peut se prolonger indéfini- 
ment. Mais en fait ce n'est pas là un danger ; car s'il y 
a incertitude sur la situation d^ rétablissement ce ne 
sera jamais que pendant la période qui sépare la libéra- 
lité de la reconnaissance ou du refujs de reconnaissance, 
et cette période ne peut être pratiquement bien longue.- 

Mais, si l'on se place au point de vue théorique, on 
doit reconnaître (\\x^avec le système de lafiction^ la solu- 
tion est tout à fait illogique. Dans ce système, en effet, 
la personnalité morale est créée par un acte de l'Etat ; 
avant cet acte, il n'y a rien^ et Ton se met en contradic- 



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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES D^ DROIT PRIVE 41$ 

tion formelle avec rarticle 906 du Code civil, lorsqu'on 
propose de valider après coup une libéralité adressée 
au néant {{). Il en est de mêmej d'ailleurs, dans toutes 
les théories qui voient dans la personnalité morala quel^ 
que chose d'artificiel (2). Au contraire, la solution est 
admissible pour ceux qui admettent avec nous que l'as- 
sociation, même non recoanue, même Don déclarée, est 
p€^ elle-ntême un groupemeat q,ui présente les carac^ 
tères fondamentaux de la personnalité morale, et à qui 
il ne manque^ pour pouvoir figurer sur la scène juridi- 
que, qu'une condition extérieure et formelle, la recon- 
naissance. Dans ce système, il est tout simple d'admettre 
que la reconnaissance est déclaralive et non créatrice de 
la personnalité morale ; et il n'y a aucune difficulté 
logique à la faire rétroagir. En d'autres termes l'asso- 
ciation non reconnue n'est pas, avec celte th,éorie, uhe 
sQcietas qui se transforme, par le fiât créateur de l'Etat 
en corporation ; elle est, dès le moment où elle se 
constitue, une corporation à l'état de devenir^ une cor- 
poration en voie de formation ; et, ceci étant, il est très' 
naturel de valider les libéralités qui lui sont adressées, 



(1) Observation qui sufât à. détrake l'analogie avec l'enfant 
eo^nçii. 

(2) Par exemple dans les théories qui se rattachent à celle dii 
Zwechvermogen, 

(3) .Et même pendant la période de constitution avant que tontes 
les adhésions soient acquises. Il faut dire d'elle ce que M. Thaller 
dit de la société par actions en voie de formation (Droit corn- 
Mercialfi* éd., n^SOl) : «il suffit que deux souscriptions aient 
été recueillies pour qu'on spit autorisé à dire : le noyau d'asso- 
ciation est créé... A ces deux personnes s'en adjoindront cent ou 
mille autres ; mais c'est la même formation plastique qui se con- 
tinue, c'est la même cellule qui s'alimente. » 



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420 CHAPITRE IV 

à condilîou qu'elles soient régularisées après coup (1). 
150. Le régime des associations tel qu'il est établi par 
la loi de 1901 est-il vraiment libéral? Comparé au régime 
résultant de la législation antérieure il constitue assuré- 
ment un progrès notable, puisqu'il permet aux associa- 
tions de se constituer librement et même d'acquérir par 
une simple condition de forme un certain degré de per- 
sonnalité. Mais nous croyons que cette petite personna- 
lité^ la seule ouverte à tous, ne suffira pas à donner aux 
associations tout le développement auquel elles peuvent 
raisonnablement prétendre (2). Aussi la loi, ne sera- 
t-elle en pratique vraiment libérale que si on permet 
aux associés de mettre en fait certains biens en com- 
mun pour les affecter au but social tout iftn restant 
eux-mômes propriétaires. Les auteurs de la loi parais- 
sent avoir cru que ce patrimoine de fait ne pouvait 
se produire. Us ont déclaré tout simplement que les 

(1) V. dans Gierke, Genossenschaftstheorie, p. 127 et s., toute 
•la théorie de la corporation en voie de formation et notamment la 
noie 2 de la p. 129. Nous ne croyons pas devoir entrer dans le 
détail de celte théorie, qui ne nous parait présenter pour nous 
qu'un faij)lc intérêt pratique. Gierke et la plupart des Allemands 
considèrent que Tacte constitutif de la corporation n^est pas un 
contrat, mais un acte unilatéral, le premier acte de volonté de la 
corporation qui arrive à rexistence. Nous admettrions plus volon- 
tiers qu'il s'agit bien d'un contrat, mais d'un contrat sui generis 
ayant pour objet la constitution d'une personne morale. A nos 
yeux en effet, c'est dans l'accord des volontés des membres du 
groupe que la corporation volontaire puise son droit à l'existence, 
droit que l'Etat ne fait que confirmer et protéger, e^t qu'il ne 
doit restreindre que lorsqu'il y est contraint par des raisons de 
police. ~ ' 

(2) Nous ne pourrons développer cette idée qu'en étudiant dans 
le second volume de cet ouvrage la capacité des associations décla- 
rées. ' 



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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DJÏOIT PRIVE 421 

associations non déclarées, par cela même qu'elles 
n'auraient aucune capacité juridique^ ne pourraient rien 
posséder, pas même des cotisations (1) ; et les premiers 
commentateurs de la loi, MM. Trouillot et Chapsal(2), 
se bornent àreproduire cette affirmation. Ils cherchent à 
montrer que Tarticle 1.7 (entraînant nullité des actes 
accomplis par personne interposée pour permettre aux 
associations de se soustraire aux dispositions de Farti- 
cle 2) frappe de nullité tonte combinaison qui tendrait à 
éluder la règle du défaut d'individualité juridique des 
associations non déclarées. Pour cela ils déclarant cette 
sanction applicable non seulement aux-^ctes qui auraient 
pour objet de constituer une véritable mainmorte — 
par exemple la création d'une société civile ou com- 
merciale annexe ayant pour seul rôle de fournir des 
ressources à l'association (3) — mais aussi tous les 
actes qui auraient pour objet de mettre en fait certains 
biens en commun pour les faire servir au but de Tasâo- 
ciation. Si cette conception est exacte, il faut aller plus 
loin, et en conclure (ce que les auteurs précités ne font 
pas expressément, mais ce qui paraît bien être dans 
leur pensée), que le fait seul par l'association de possé- 
der des ressources de ce genre (ou peut-être même de 

(1) V. la réponse (Je M. Vallé, rapporteur de la loi au Sénat, à 
M. Rambaud dans la séance du 15 juin 1901. 

(2) Op, cit., p. 62 et s. La môme opinion est soutenue par 
MM. Ducrocq et Barrilleau, op, cit,y n® 2204, ainsi que dans les 
Pandecles françaises, vo Associations, no 176. — MM. Ducrocq et 
Barrilleau admettent toutefois que dans Tapplication de cette doc- 
trine rigoureuse l'autorité publique devra apporter une certaine 
tolérance. 

(3) Gomme îe fait observer M. Hauriou (p. 114), on doit admet- 
tre que cette combinaison a été condamnée par le rejet du système 
Waldeck-Rousseau. 



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422 dHAFITRB IV 

les prévoir dans ses statuts sans pour cela se soumettre 
à la déclaration)^ lui fera encourir la dissolution ea vertu 
de Tarticle 7, § 2, et exposera ses directeurs et adminis- 
trateni*s aux pénalités de Tariicle 8, § i ; car alors ce 
fait, à lui seul, devrait être regardé comme une tentative 
pour acquérir la capacité juridique en dehors des condi- 
tions fixées par la loi, ce qui est te délit prévu et puni 
par ces articles. Même avec ce syslènie, on arriverait 
sans doute bien difficilement en pratique à éviter la 
constitution d'un patrimoine de fait dans les associations 
non déclarées; car il n'est pas une association qui puisse 
entièrement se passer de ressources, — ne fût-ce que 
pour se procurer le morceau de papier sur lequel sera 
écrite la liste de ses membres (1). Toute association qui 
voudra vivre, et qui cependant ne voudra pas se sou- 
mettre à la formalité de la déclaration — ce qui est son 
droit — , possédera par l'intermédiaire de ses membres 
certains biens, et il faudrait au parquet une singulière 
vigilance pour poursuivre tous ceux qui contrevien- 
draient à celte exigence excessive. 

L'interprétation rigoureuse des premiers commenta- 
teurs de la loi ne paraît pas d'ailleurs en voie de préva- 
loir. M. Vallé, qui l'avait énoncée comme rapporteur au 
Sénat en d901 a déclaré expressément à la Chambre en 
i904 que cette opinion n'avait pas prévalu, et que les 
associations non déclarées avaient le droit de percevoir 

(1) En fait, il y aura toujours beaucoup plus que cela, mêaie 
dans rassociation la plus modeste : « ... les associés mettront des 
biens en commun, a dit excellemment M. Hauriou (op. cit., p. 112). 
Il y aura le montant des cotisations, un mobilier sommaire, un 
local, il y aura aussi les dettes sociales créées par les dépenses 
indispensables. Il eût fallu poser une règle quelconque et ne pas 
fermer les yeux à révidence comme on l'a fait ». 



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tLA CRÉATION DES PERSONNES MOiLàXES DE DROIT PRIVE 423 

iles cotisations ; il a cité en ce sens une dépêche de 
liValdeck^Rousseau au préfet de la Manche, en date dn 
12 février 4902, dépêche qui atteste l'opinion à laquelle 
^'est arrêtée l^adtnimstralion (1). Plusieurs auteurs ont 
•déjà approuvé cette doctrine (2). Nous la croyons, pour 
notre part, seule admissible : la solution contraire irait, 
coflame le fait observer M. Grumbach, à Teùcontre des 
intentions du législateur, en rendant obligatoire la dé- 
«claration pour toutes les associations, aucune ne pou- 



({) La déclaratîoD de M. Vallé a été faite à la Chambre, à la date 
^u 24 juin 1904, à propos de la franc-maçonnerie, en réponse à 
l'interpellation de M, Prache. Voici la partie la plus importante de 
la dépêche de Waldeck-Rousseau : « Faut-il conclure des termes 
de l'article 6, et spécialement du lo de cet article que par cela seul 
que les statuts d'une association prévoient le versement de cotisa- 
tions, cette association sera tenue de souscrire une déclaration ? Je 
ne le pense pas... De ce qu'une association ne réclame. pas le 
bénéfice de la personnalité civile restreinte, il ne s'ensuit pas que 
ses membres ne pourront pas constituer à Taide de cotisations, 
un fonds commun destiné k faire face aux dépenses nécessitées par 
ila réalisation de Tobjet qu'ils entendent poursuivre au moyen de 
leur association. Dans ce cas le fonds commun n'appartiendra pas 
en propre à l'association, il restera la propriété collective de ses 
membres. Les droits de chacun d^eux sur ce fonds commun seront 
réglés, soit par des stipulations spéciales s'il en a été fait par eux à 
cet égard, soit à défaut par les principes généraux du droit ». La 
dépèche ajoute que Tassociation, dans ce cas, ne pourra pas ester 
en justice en son nom, et qu'il faudra établir l'assignation au nom 
<ie tous les associés, ou d'un mandataire ayant reçu pouvoir d'eux 
tous . 

(2) Hauriou, op. cit., p. 113-114. Berthélemy, Droit administra- 
4if, 2* éd., p. 305. Grumbach, Les associations et les cercles, n® 30 
Benoit, délier, Vavasseur et Taudiére, Sociétés et associations^ 
7«éd,, p. 27-28. Margat, Z>e /a condition juridique des asso- 
ciations non déclarées (dans Revue trimestrielle de droit civil^^ 
19(fë, p. 235 et s.). Capilant, Introd. à Vétude de droit civile 
.-2e éd., p. 201 et s. 



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424 CHAPITRE IV 

vant se passer de certaines ressources élémentaires. 
Nous ajoutons qu'elle reposerait sur une confusion : la 
personnalité morale est autre chose que la possession 
en commun de certains biens afifectés à un certain but ; 
et on ne peut être regardé comme cherchant à donner 
la capacité juridique à leur groupement les associés 
qui n'ont en vue que cette mise en commun (i). Mais il 
ne faut pas se dissimuler que la solution est grave, et 
peut conduire à un régime des associations assez diffé- 
rent de celui qu'avaient rêvé la plupart des auteurs de la 
loi de 1901. D'une part, en eifet, il est impossible de la 
limiter aux cotisations ; les associés pourront mettre en 
commun des biens de toute nature leur appartenant ou 
appartenant à Tun d'eux (2) ; ils pourront placer les fonds 
provenant des cotisations, et avec le capital'ainsi consti- 
tué acheter des immeubles, qui, eux aussi, seront 
communs. Tout cela est inévitable, le principe admis^ 
car la loi n'a fixé aucune limite. La seule que l'on puisse 
accepter, c'est la possibilité pour les tribunaux d'an* 
nuler les actes .faits au profit des associés, lorsqu'il 
leur apparaîtra en fait qu'on a voulu arriver à une main- 
morte occulte d'une durée indéfinie, et que les combi- 

(1) Les développements que nous avons donnés ci-dessus (nos ^5 
et suiv.) sur la limite du concept de personnalité nous dispensent 
d'insister sur cette idée. 

(!2) Nous ne pensons pas que Ton puisse limiter cette faculté 
aux cotisations, parce qu'elle résulte pour les associés, non d'un 
texte précis, mais des principes généraux du droit : c On ne sau- 
rait soutenir, dit avec raison M. Margat {op. cit.,' p. 254), en 
l'absence d'un texte venant édicter cette règle, que l'entrée d'une 
personne dans une association a pour effet de limiter sa capacité 
personnelle. Cette capacité reste entière. Les membres de Tasso- 
cialion ont donc le droit de former une masse indivise à telles 
fins que bon leur semble. » 



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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVÉ 425 

liaisons adoptées donnent au patrimoine la môme per- 
manence qu^au patrimoine d'une personne morale. Cela 
pourra se produire, par exemple, s'ils ont doublé leur 
association d'une sociélé de gains fictive ayant pour 
unique objet de Palimenler; mais ce seront là des cas 
exceptionnels (1). 

D^autre part, on ne doit même pas dire, suivant nous, 
que le patrimoine commun ainsi constitué ne pourra être 
accru par des dons et 'legs, fails aux associés à charge 
d'alTeclalion aux besoins de l'association ; car, le prin- 
cipe admis, où est la disposition delà loi qui Tinterdit? 
L'article 17^ | 2, n^ 1 établit, il est vrai, sur ce point, une 
présomption d'interposition de personne-, mais seule- 
ment à l'égard des congrégation (et encore il l'établit 
pour les acquisitions à titre onéreux, aussi bien que 
pour les dons ou legs, ce qui montre bien qu'il n'a pas 
pour objet d'interdire pins particulièrement ces der- 
niers). Tout ce qu'on peut dire, là encore, c'est qu'en 
fait les tribunaux pourront annuler les dons et legs pour 
interposition de personne au profit de Têlre moral inca- 
pable plus facilement qu'un autre acte, mais encore 
faudra-t-il prouver qu'il y a réellement interposition (2). 

Enfin, il faut remarquer que, si Ton veut être logique, 

(1) V. ci-dessus, p. 29 bis, note 3. Môme la société dont il s'agit 
ne sera pas légalement présumée personne interposée ; car la pré- 
somption d'interposition de l'article 17, § 2, n^ 2 n'existe qu'à 
l'égard des congrégations* Mais on peut [prévoir qu'en fait les tri- 
bunaux admettront dans ce cas l'interposition. 

(2) M. Gapitant, p. 204, considère comme interdite l'acquisition 
d'immeubles affectés au but social. Mais il ne donne, à l'appui 
de cette solution, aucun argument autre que l'esprit de la loi. Or 
cet esprit nous paraît ne pas s'opposer à l'acquisition d'immeu- 
bles, pourvu que ces immeubles ne soient pas soumis au régime 
de la personnalité morale^ 



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496 GBAPITRB IV 

on ne doit pas appliquer la solatîon uniquement aux 
•associations non déclarées. Lé droit des associés de 
mettre leurs biens en commun une fois accepté doit 
être admis même pour les associations déclarées, qui 
pourront avoir ainsi, à côXé de leur patrimoine officiel, 
un second patrimoine, ne leur appartenant pas, mais 
affecté aux fins sociales par les membres copropriétai- 
res. Sans cela on ferait aux associations déclarées un 
pégime pire qu'aux associations* non déclarées. D'ail- 
leurs, pour les unes comme pour les autres, il n'y a pas 
' interposition dans Tacte qui a pour, seul objet de met- 
tre des biens en commun entre les associés ; il n'y 
aurait interposition que dans Tacte qui aurait pour 
objet indirect de grossir le patrimoine social propre- 
ment dit. La limite est difficile à fixer, mais pas plus 
pour les association^ déclarées que pour les autres. 

Il y aura donc des biens, qui pourront être impor- 
tants, affectés en fait au but social. Quel sera le régime 
de ces biens? Cette question du régime des biens des 
associations licites non douées de personnalité (ou douées 
seulement d'une personnalité partielle) a donné lieu, 
dans presque tous les pays, à des difficultés inex- 
tricables ; et les solutions les plus variées lui ont 
été données, depuis celle qui consiste à soumettre 
ces biens au régime d'une simple communauté de 
fait (1), jusqu'à celle qui les assimile entièrement aux 
biens des personnes morales expressément recon- 
nues (2). Entre ces opinions extrêmes, plusieurs opi- 

({) V. principalement Laurent, Principes de droit civil-, L XX Vï, 
n^ 486 et s. 

(2) V. dans ce dernier sens, Gierke, Genossenschaftstheorie, 
p. 88 et s. En France môme, le système a été soutenu par M. Epi- 



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f.A CRÉATION DES PERSONKB8 HOflALES DE DROIT. PRIVE 427 

liions intermédiaires se sont fait jour, essayant d'établir 
pour cette situation une construction juridique intermé- 
-dîaîre entre celle de societas romaine et celle de la cor- 
poration (1). Le Code civil allemand a tranché toutes 
•ces incertitudes en soumettant les biens des associations 
•non douées de personnalité au régime établi pour les 
sociétés (art. 54), c'est-à-dire au régime de la Gesam- 
mte Hand, tel que nous avons essayé d'en donner l'idée 
plus haut. On a critiqué celte solution, parce qu'elle ne 
donne pas la véritable expression du régime auquel les 
associés entendent soumettre les biens ainsi mis en 
<jommun ; mais elle a du moins Tavanlage de créer un 
régime précis, moins favorable que le régime de la per- 
sonnalité à la stabilité et au développement de Tassocia- 
'tion, acceptable cependant pour ello et ne l'empêchant 
pas de poursuivre efficacement le but qu'elle se pro- 
pose. Elle résout ainsi, d'une manière heureuse, le pro- 
blème de rendre désirable à toute association Taequisi- 
tion de la personnalité^ et cependant de ne pas la lui 
imposer. Le législateur de 1901 aurait sagement agi eu 
prévoyant le cas, et en le soumettant à des dispositions 
-analogues à celles de la loi allemande (2). 

Dans le silence du teste, plusieurs auteurs ont déjà 

oây, dans sa thèse : De la capacité juridique des ass^ociations, 
Lille, 1897, p. 95 et s. 

(1) V. pour les détails sur ces constructions intermédiaires, qu'il 
nous paraît inutile d'analyser en détail, notre travail sur la Per- 
sonnalité des associations en droit comparé, dans Annales de 
V Université de Grenoble, 1901, p. 49. 

(2) V. sur cette disposition de la loi allemande. Saleilles, Les per- 
sonnes juridiques dans le Code civil allemand, p. 58 ; v. aussi la 
note du même auteur dans \^ Bulletin de la Soc, de législ, corn- 
pat^écy 1899, p. 452 et s. ; Mçurer, Die Juristischen Personen, p. 58 
-et s. 



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• ' .r^ 



428 CHAPITRE IV 

exprimé Tidée qu'on , pourrait appliquer au patrimoine 
de fait de l'association ce régime de la Gesammte 
Hand. (i). D'autres, au contraire, le considèrent comme 
soumis aux règles générales de l'indivision (2). 

L'une etPaulre opinion nous paraissent trop absolues. 
D'une part, il nous semble que le régime si imparfait 
de rindivision doit être considéré comme implicitement 
écarté, dans plusieurs de ses conséquences, par le con- 
trat d'association lui-même. Par cela seul qu'elle admet 
la validité de ce contrat et la possibilité, même au cas 
d'association non déclarée, d'y comprendre l'apport de 
certains biens, la loi permet, croyons-nous, aux parties 
de mettre ces biens dans l'indivision, non seulement 
pour la durée déterminée par l'article 815, C. c, mais 
pour toute la durée de l'association. En d'autres termes 
elle donne, à ce point de vue, au contrat d'association 
la même portée qu^au contrat de société. L'indivision 
pure et simple est un état passif, qui ne peut se prolonger 
au delà d'une certaine durée sans exposer les biens 
qu'elle comprend à toutes les chances d'une mauvaise ad- 
ministration. L'association et la société sont au contraire 
des états d'activité, donnant aux biens une destination 
précise, et les soumettant à une administration unifiée. 
Les motifs de Tarticle 815 ne s'étendent donc pas à elles. 
Sans cela on ne comprendrait pas que l'article 4 de la 
loi de 1901 (article applicable aux associations non 

(1) En ce sens Hauriou, Droit administratifs p. H5. Josserand, 
Essai sur la propriété collective, dans le Livre du centenaire du 
Code civil, p. 378. 

(2) Waldeck-Rousseau dans la dépêche ci-dessus citée, Grum- 
bach, op, cit., p. 25. Margat, op. cit, p. 254 et s. Capitant, op, 
cit., p. 203 et s. Planiol, op. cit., n» 3042. 



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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVE 429 

déclarées aussi bien qu'aux associations déclarées), im- 
posât à celui qui se retire de Tassocialion non formée 
pour un temps déterminé Tobligalion de lui payer les 
cotisations échues et celles de l'année courante. Com- 
ment aurait-il pareille obligation s'il a le droit, en se 
retirant, de faire liquider partiellement le patrimôirie 
social au moyen d'une action en partage ? 11 serait 
contradictoire de l'obliger à verser d'une main ce qu'on 
lui permettrait de reprendre de l'autre (4). — En outre, 
on comprendrait moins encore que le même article 4 
obligeât Tassocié à rester dans l'association pour toute 
la durée fixée quand elle est faite pour une durée déter- 
minée. Le droit de demander à sortir de l'indivision ne 
peut être qu'un corollaire du droit de sortir de la société, 
et si celui-ci n'existe pas ile premier ne peut pas exister 
davantage. 

Il résulte encore, suivant nous, de l'ensemble du texte, 
une seconde conséquence : la loi admet irViplicitement 
que Tassocié^ en se retirant, ne reste pas copropriétaire 
du fonds social. Elle lui permet de se retirer en versant 
une dernière cotisation ; c'est donc qu'elle le considère 
comme devenant, à partir de ce moment, étranger à l'as- 
sociation. En s'affranchissant pour l'avenir de toute obli- 
gation l'associé renonce par là même à tout droit, aussi 
bien aux droits sur le patrimoine commun qu'aux droits 

(1) M. Margat {op. cit., p. 253) essaie d'atténuer la force de cet 
argument (déjà exposé par M. Hauriou), en déclarant qu'il exclut 
seulement le droit de demander le partage des cotisations, non 
celui des capitaux et des économies. Mais ce serait un texte bizarre 
qu6 celui qui, réglant les conséquences de la sortie d'un associé, 
lui impose l'obligation de verser ses cotisations? en retard, et négli- 
gerait de nous dire qu'il a, par contre, îe droit de demander le 
partage du fonds social ! 



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430 caupiTR£ IV 

sur la direction de Tassociatiop. Au coatiaire en entrant 
dans Vassociation les nouveaux membres deviennent 
copropriétaires du fonds social. Cette dernière solution 
ne dérive ptar immédiatement du texte, mais elle est la 
conséquence de la précédente. On ne comprendrait pas^ 
une association où les sortants cesseraient d'être copro- 
priétaire alors que les entrants ne le deviendraient fs^^ 
Outre que Ton aurait ainsi, à la fin de Tassociation, une 
liquidation 'infiniment compliquée^ on arriverait à 
cette conséquence singulière que^ pour certaines partie^ 
du palrimoine commun, il pourrait n' y avoir plus auciii^ 
copropriétaire. La seule solution pratiquement possible 
est donc de décider que la copropriété suit le mouve-*' 
ment du personnel de l'association (1). 

A ces deux points de vue, ]a loi admet donc que le& 
conséquences du régime passif d'indivision sont écartées 
par le contrat d'association, et qu'il existe un régime 
se rapprochant de celui de la Gesammte Hand. Mais 
nous ne croyons pas pour cela que Ton puisse appliqueir 
ce dernier régime au patrimoine comman dans sa partie 
la plus importante, celle qui concerne les tiers : Taffee- 
tation exclusive, même à l'égard des. tiers, du patrimoine^ 
social au but social, avec toutes les conséquences qu'elle 
entraîne (séparation du patrimoine social et des patri- 
moines privés des associés, limitation du gage des 
créanciers sociaux au fonds social, elc.) nous paraît ne 

(I) Oq nous objectera peut-être qu'il est illogique d'interdire t» 
société placée à côté de l'association dans le but de raliiBe»ter et 
de permettre la constitution d'un patrimoine commun dont la 
copropriété se déplace avec le mouvement du personnel. Mais nous 
répondrons que l'ensemble de notre système ne donne pas à ce 
patrimoine la même stabilité qu'au patrimoine d'une société, p«is^ 
qu'à l'égard des tiers il ne forme qu'une simple indiTÎsion. 



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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVÉ 4Sf 

pouvoir résulter que d'ua contrat dûment publié^ et 
non d'un contrat non révélé aux tiers comme celui de 
Tassociation non déclarée. On pourrait sans doute ima-- 
giner un système de publicité propre à prévenir les 
tiers ; mais en matière d'association la lai n'a organisé 
qu'un seul système de publicité^ la déclaration^ et il est 
impossible à l'interprète de créer^ à côté de ce système 
qui conduit èL la personnalité morale, un autre système 
de publicité qui conduirait à un régime de main com- 
mune. A regard des tiers, ce seront donc les principes 
de rindivision ordinaire qui s'appliqueront. Les créan- 
ciers des associés auront le droit de faire saisir et ven- 
dre la part de leur débiteur dans le bien commun, sans- 
avoir égard à raÇFectation de ce bien. D'autre part, les 
tiers qui traiteront avec un des associés agissant pour le 
compte de la société n'auront en principe que cet associé 
pour débiteur, et l'auront pour débiteur personnel à 
moins qu'il n'ait reçu mandat régulier de ses coassociés; 
Enfin la règle que nièl ne plaide par procureur s*appli- 
quera vis-à-vis d'eux, dîfns la mesure où la jurispru- 
dence la maintient en droit commun : si donc Tun des- 
associés soutient un procès contre un tiers concernant 
les intérêts sociaux, la chose jugée ne sera pas oppo- 
sable aux autres et ne pourra pas être invoquée par eux, 
à moins que tous leurs noms ne figurent dans les actes 
de la procédure (I). Au contraire, quand l'association 
plaidera^ contre i>n de ses membres, elle pourra agir par 
l'intermédiaire de son gérant, la règle n'étant pas 
d'ordre public et les associés pouvant être regardés 



(f ) Sauf toutefois rapplication des principes sur la solidarité et 
l'indivisibilité. V. Trib. de la Seine, 16 avril 4879. D. 80. 3. 22. 



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432 CHAPITRE IV 

comme y ayant renoncé les uns yis-à-vis des autres par 
le pacte social (1). 

Ce régime, que nous ne pouvons ici qu'esquisser, ne 
donnera sans doute pas à l'association une situation sûre. 
Elle sera exposée à des périls. Mais cela même corres- 
pond aux vues du législateur, qui n'a pas voulu que l'as- 
sociation non déclarée puisse posséder un vrai patri- 
moine de mainmorte, ayant tous ou presque tous les 
avantages du patrimoine permis à l'association déclarée. 
Tel qu'il est, il pourra suffire aux petites associations 
qui n'ont que peu d'occasions d'entrer en relations avec 
les tiers. 



I 2. — Associations somnises à des règles spéciales. 

151. Les associations soumises à des règles spéciales 
appartiennent à deux catégories très différentes. Ce sont, 
d'une part, les congrégations religieuses, qui ont tou- 
jours eu une situation particulière, et qui, depuis la 
loi de 1901, sont soumises à un régime beaucoup pliis 
rigoureux que celui des associations ordinaires. Ce sont, 
d'autre part, certaines associations qui, dès avant la loi 
de i 901, échappaient au régime de l'autorisation, pou- 
vaient se constituer librement en observant certaines 
formalités, et acquéraient par là même la personnalité 
morale. Ces associations, qu'on pouvait à cette époque ' 

(1) V. Cass., 19 novembre 1879, D. 80.. 1. 84 ; 27 janvier 1890. 
D. 90. t. I. 48, Paris 10 novembre 1894. D. 9o. 418. On sait d'ail- 
leurs que la jurisprudence a de plus en plus tendance à atténuer la 
portée de la règle que nul ne plaide par procureur ; les associa- 
tions non reconnues profiteront sans doute de cette tendance, qui 
nous paraît d'ailleurs bonne en elle-même. 



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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVE 433 

appeler associations privilégiées^ méritent encore cette 
qualification à certains points de vue, car elles ont une 
capacité supérieure à celle des associations déclarées de 
la loi de 4901 : ce sont les associations syndicales de 
propriétaires, les syndicats profesisionnels, les sociétés 
de secours mutuels, les sociétés ou caisses d'assurances 
mutuelles agricoles. Les textes relatifs à ces associations 
sont restés en vigueur depuis la loi de 1901 (1). 

152. Congrégations religieuses. — Les congrégations 

(4) Au contraire, les règles particulières qui, avant la loi de 1901, 
régissaient certaines autres catégories d'associations sont aujour- 
d'hui abrogées, lien est ainsi notamment: lo pour les associations 
d'enseignement supérieur que les lois combinées du 12 juillet 1875 
et 18 mars 1880 soumettaient, au point de vue de la personnalité, 
à certaines règles particulières, notamment à la nécessité d'être 
autorisées par une loi spéciale ; on doit les considérer aujourd'hui 
comme soumises aux dispositions de la loi de 1901. Il est vrai 
que la loi ne l'a pas dit expressément, et l'on pourrait soutenir 
l'opinion contraire en invoquant- la règle specialia generalibus 
non derogant. Mais nous croyons qu'il rentre dans l'esprit de la 
loi nouvelle de comprendre dans l'abrogation générale édictée par 
l'article 21 in fine {toutes les dispositions contraires à la présente 
loi) tous les textes antérieurs moins favorables aux associations 
que la loi nouvelle et notamment toutes calles qui exigeaient une 
autorisation. En ce sens Trouillot et Chaptal, p. 398-399. Ces 
auteurs admettent que les associations restent soumises aux lois 
de 4875 et de 1880 concernant les déclarationsà faire aux autorités 
universitaires et judiciaires, ce qui nous paraît une distinction trop 
arbitraire pour être admissible ; 2^ pour les sociétés de courses qui, 
d'après la loi du 2 juin 1891, devaient faire approuver leurs statuts 
par le ministre de l'agriculture, après avis du conseil supérieur 
des haras ; elles sont aujourd'hui soumises à la loi de 1901 ; 
3° pour les diverses sociétés régies par les textes qu'abroge expres- 
sément l'article 21 de la loi de 1901 : ordonn. 5-8 juillet 1820, 
art. 20 (associations d'étudiants) décret du 28 juillet 1848, arti- 
cle 30 (sociétés secrètes); loi du 30 juin 1881, article 7 (clubs) ; 
loi du 14 mars 187? (association internationale des travailleurs). 

MICHOUD 28 



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434 CHAP1TR£ IV 

religieuses sont des associations donlles membres vivent 
en commun, sous une certaine règle/ pour se vouer à la 
vie religieuse. Elles sont distinguées des associations- 
ordinaires par les trois circonstances mises en lumière- 
par cette définition : la vie en commun^ la règle^ les- 
vœux religieux; circonstances qui doivent se trouver 
cumulées pour qu'il y ait congrégation (1). 

L'Assemblée constituante avait adopté, à Tégard des 
communautés religieuses^ un système qui les laissait en* 
partie subsister en fait. Elle s'était contentée de pro- 
noncer Tabolition des vœux religieux, et de supprimer 
les ordres ou congrégations où Ton faisait de semblables- 
vœux (loi des 13-19 février i790). Elle donnait par là 
aux religieux la liberté de sortir de leurs couvents, et 
pourvoyait par des pensions aufsort de ceux qui usaient 
de celle faculté. Mais elle déclarait ne rien changer,, 
provisoirement, àPégard des maisons chargées de Téda- 
cation publique, et des établissements de charité. En 
outre, elle laissait les religieux libres de vivre en com- 
mun, s'ils le voulaient : « Votre comité a pensé, disait 
Treilhard dans son rapport, que vous donnerez un^ 
grand exemple de- sagesse et de justice, lorsque, dans- 
le même instant où vous vous abstiendriez d'employer 
Tautorité civile pour maintenir Teffet des vœux, vous^ 
conserveriez cependant Tasile du cloître aux religieux 
jaloux de mourir sous leur règle ». Les congrégations 
conservèrent donc alors une existence de fait. C'est seu- 
lement l'Assemblée législative qui, par les décrets des 
4-17 et T-ie août 1792 accomplit la suppression effective 
des congrégations régulières, suppression qu'elle étendit 

(1) V. suprà, n»a 40* et s. 



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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVE 435^ 

aux congrégations séculières par le décret du 18-i8 août 
1792, et qui entraîna Tévacuation et la vente des mai- 
sons occupées par les religieux et religieuses. Ce der- 
nier texte permit seulement que, dans les hôpitaux et 
maisons de charité, les mêmes personnes continuassant 
le service des pauvres et le soin des malades à titre indi' 
viduel, sous la surveillance des corps municipaux et 
administratifs, jusqu^à Torganisation définitive des se- 
cours publics ; et il admit une règle analogue pour la 
continuation provisoire de renseignement public à titre 
individuel par les membres des communautés dissoutes* 
(T. I, arl. 2 et 6). A part ces atténuations, les religieux 
devaient évacuer leurs maisons et indiquer le lieu où ils^ 
se retiraient ; ils avaient droit du reste à une pension à 
condition de prêter le serment civique. 

Les congrégalions ainsi supprimées ne furent point 
légalement reconstituées au moment du Concordat. La 
loi du 48 germinal an X, art. 11, après avoir parlé des 
chapitres cathédraux et des séminaires, ajoute : a Tous 
autres établissements ecclésiastiques sont supprimés w^ 
et Portalis, dans son rapport sur les articles organiques, 
commente ainsi cette disposition : « Toutes les institu- 
tions monastiques ont disparu : elles avaient été minées 
par le temps. Il n'est pas nécessaire à la religion qu'il 
existe des institutions pareilles » (1). Cependant, à cette 

(4) Portails, Discours, rapports et travaux inédits sur le Con- 
cordat de 180 i (Paris, 4845), p. 97. L'opinion de Portails sur les 
congrégations religieuses n'est d'ailleurs pas tout entière dans cette 
formule tranchante. Dans un rapport du 25 fructidor an X, après 
avoir donné un avis contraire à la reconstitution de certaines con- 
grégations, et déclaré que le moment n'était pas favorable ponr 
autoriser des corporations ecclésiastiques, il ajoute : « Dans quel- 
ques années il sera peut-être sage de favoi-iser des établissements- 



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436 CHAPITRE IV 

date, certaines congrégations s'étaient déjà reconstituées 
en fait, cl même quelques congrégations hospitalières 
ou charitables de femmes avaient été provisoirement 
autorisées par des arrêtés (V. Tart. 3 du décret du 3 mes- 
sidor au XII, qui énumëre ces congrégations en indi- 
quant la date des arrêtés : sœurs de Charité, sœurs Va- 
telotles, etc.). Une congrégation d'hommes, celle des 
Pacanaristes, ayant sollicité la reconnaissance, le Gou- 
vernement fut amené à poser une règle générale dans 
le décret du 3 messidor an XII. Il commence par décla- 
rer dissoute Tassociation des Pères de la Foi, Adorateurs 
de Jésus, ou Pacanaristes, ainsi que toute autre associa- 
tion non autorisée ; il ordonne que les membres qui 
composent ces associations se retirent dans leurs dio- 
cèses respectifs ; et il renouvelle la prohibition des lois 
révolutionnaires contre tout ordre religieux dans lequel 
on se lie par des vœux perpétuels. Mais, sous cet aspect 

qui pourront servir d'asile à toutes les têtes exaltées, à toutes les 
âmes sensibles ou dévorées du besoin d'agir et d'enseigner... 11 ne 
suffit pas d'avoir des institutions pour classer les citoyens, il faut 
en avoir encore, si je puis m*exprimer ainsi, pour classer les âmes 
et donner à toutes les moyens réguliers de suivre leurs mouvements 
dans un ordre fixe et convenu d. (Eod. l., p. 450-451). Un peu 
plus tard ( â et 8 pluviôse an XII) il donne un avis favorable à une 
association ecclésiastique que Tarchevêque de Lyon voulait établir 
dans son diocèse en vue de l'éducation et des missions, et fait res- 
sortir tous les avantages qu'on peut trouver à confier l'enseigne- 
ment à des congrégations ; il conclut : « On n'aura jamais devrais 
instituteurs publics tant qu'on n'aura pas une agrégation d'hommes 
consacres à cet objet intéressant » (Eod, L, p. 467). Il entend 
d'ailleurs par là une agrégation d'hommes voués à l'état ecclésias- 
tique et vivant en commun. Enfin dans les rapports des 13 prai- 
rial an XIII et 24 mars 4807 [eod, /., p. 480 et 495), il prend la 
défense des congrégations de femmes vouées à l'enseignement et à 
l'assistance, et en fait un éloge des plus chaleureux. 



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LA. CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVÉ 437 

prohibitif, il fait en réalité revivre, avec la personnalité 
morale, certaines congrégations. Il déclare, en effets 
qu'aucune agrégation ou association d'hommes ou de 
femmes ne pourra se former à Tavenir, sous prétexte de 
religion, à moins qu'elle naît été formellement auto^ 
risée par décret impérial. Il admet donc, pour l'avenir, 
la possibilité d'une reconnaissance par décret. En outre, 
il valide les reconnaissances provisoires opérées anté- 
rieurement par divers arrêtés au profit de certaines con- 
grégations charitables, à condition qu'elles présentent 
leurs statuts et règlements dans le délai de six mois, 
pour être vus et vérifiés en Conseil d'Etat. 

C'est conformément à ce texte que furent autorisées, 
sous le premier Empire, certaines congrégations d'hom- 
mes : lazaristes, missions étrangères, prêlres du Saint- 
Esprit, prêtres de Saint-Sulpice, frères des écoles chré- 
tiennes (1). Il est à remarquer que, conformément à 
une idée générale que nous avons déjà signalée, toutes 
ces congrégations étaient chargées d'une mission spé- 
ciale, et plus ou moins incorporées à TAdministration» 
Ainsi le supérieur des missions étrangères était nommé 
parle chef de l'Etat (2). 

Quant aux congrégations de femmes, elles furent 
autorisées en bien plus grand nombre. Mais elles aussi 
furent considérées comme chargées de véritables ser- 

(i) L'existence légale de ces diverses congrégations a été recon- 
nue par le Conseil d'Etat, dans les avis du 16 janvier 1901 et du 
1er août 1901 (V. Revue génér, d Administration, i901. 1. 303, et 
le Rapport de M. Rabier sur les demandes d'autorisation des congre* 
gâtions. Chambre, Session ord. de 1903, Ann., 738, p. 143). 

(i) V. la thèse précitée de M. Avril, Des origines de la distinc- 
tion dçs établissements publics et des établissements d'utilité 
publique, p. 224. 



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438 CHAPITBB IV 

vices publics (éducation des jeunes filles, assistance des 
pauvres et des naalades, refuges pour filles repenties), et 
-soumises à une étroite tutelle administrative. Le décret 
du 18 février 1809, uniformisant dans une certaine 
mesure les règles qui leur étaient appliquées^ les plaça 
sous la protection de M"* Lcetitia, et reconnut leurs 
vœux temporaires comme ayant force d'institution pu- 
blique. 

Les congrégations religieuses reconnues avaient donc, 
à cette époque, le caractère d^établissements publics ; 
ce n*est que peu à peu que les idées sur ce point se sont 
modifiées, par suite de ce fait que l'Etat les a de moins en 
moins considérées comme ses collaboratrices, et leur a 
laissé en pratique une plus grande liberté d'allure (1). 
Quant aux formes de la reconnaissance elles ont passé 
par les phrases suivantes : la loi du 2 janvier 1817 (qui 
avait pour principal objet de permettre aux établisse- 
ments ecclésiastiques de recevoir des libéralités immo- 
bilières), déclara que ses dispositions s'appliquaient aux 
établissements ecclésiastiques reconnus par la loi; et 
Ton déduisit de ce texte, combiné avec les travaux pré- 
paratoires : V que les congrégations religieuses étaient 
<5omprises dans cette formule ; 2* que celle-ci renferme 
implicitement l'obligation, pour l'avenir, de la recon- 
naissance par une loi spéciale et non par un simple 
•décret. Le Gouvernement soutint cependant, durant 
<juelques années, qu'il avait le droit d'autoriser les con- 
grégations par simple ordonnance. Mais devant les résis- 
tances soulevées par celte thèse, il se résolut à présenter 

(i) Ainsi que nous TaYons dit, la classification dans les personnes 
«morales de droit privé ne fait plus aujourd'hui de doute sérieux 
(Suprà, ch. II, no 88). 



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ILA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVE 439 

^D projet de loi, dans lequel ii faisait la part du feu, en 
^tdmettant la nécessité d'une loi spéciale pour les congré- 
.gations d'hommes, mais en se réservant le droit d'auto- 
riser par ordonnance les congi*égations de femmes. Les 
«Chambres n'acceptèrent pas entièrement la proposition 
^t la loi du 24 mai 1825 admit ie principe d'une loi pour 
ies deux catégories, mais avec quelques atténuations 
pour les congrégations de femmes (1), atténuations 
accrues plus tard par le décret-loi du 3Ï janvier 1852. 

153. En somme, avant la loi de 1901, la situation 
-était la suivante : 

g 1^ Les congrégations religieuses d'hommes ne pou- 
rraient, depuis la loi de 1817, être autorisées que par 
«une loi. En fait aucune loi d'autorisation n'était inter- 
venue, et il n'y avait pas d'autre congrégation d'hom- 
mes reconnue que celles qui l'avaient été par décret ou 
ordonnance avant cette date (2). Il y avait, en outre, un 
<îertain nombre de congrégations non reconnues comme 
telles,' qui avaient des établissements reconnus comme 
établissements (futilité publique^ dans les formes usi- 
tées pour les établissements de ce genfe. Ces congré- 
gations jouissaient même de certaines faveurs qui leur 
avaient été expressément accordées par la loi du 15 mars 
1850, art. 31 et 79, et par la loi du 27 juillet 1872, 
-art. 2005^ et pendant longtemps le Conseil d'Etat les 
avaient admises à recevoir des libéralités Mais la Cour 



(1) Sur l'histoire des lois de 1817 et 1825, V. Avril, p. 246 et s. 
iDubief et Gottofrey, dans le Rép. de Béquet, y^ Cultes, n» 2116. 

(2) Le Conseil d*Etaf, dans Tavis du 14 février 1901 (Rapport 
;Babier, p. 145) a considéré ces règles comnae applicables aux con- 
.^régations de Savoie, en faisant toutefois une réserve pour les 
celigieulde Tabbaye de Haute-Combe. 



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440 CHAPITRE IV 

de cassation avait décidé, par un arrêt du 3 juin 
J861 (1), que celte autorisation n'avait d'aulre effet que 
de mettre la congrégation en règle avec les lois de 
police, et d'autoriser ses services en vue de renseigne- 
ment primaire, mais qu'elle ne lui conférait pas la per- 
sonnalité civile ; le Conseil d'Etat s'était rangé à cette 
opinion par un avis du 16 juin 1881,qu^il a confirmé 
par l'avis du 16 janvier 1901 (2). Quelques arrêts, 
appliquant aux congrégations de ce genre la théorie de 
l'individualité juridique, leur avaient reconnu le droit 
d'ester en justice (3). ' ■ ■> 

2^ Quant aux congrégations de femmes, il fallait 
aussi en principe qu'elles fussent reconnues par une loi. 
Mais les textes de 1825 et de 1852 admettaient à cette 
règle diverses exceptions (4). La congrégation notam- 
ment, pouvait être reconnue par décret en Conseil 
d'Etat, lorsqu'elle adoptait des statuts déjà vérifiés et 
enregistrés au Conseil d'Etat, et approuvés pour d'au- 
tres congrégations ou communautés religieuses; en 
outre, la congrégation reconnue comme congrégation à 
supérieure générale pouvait obtenir par décret l'autori- 
sation de créer un établissement de religieuses de son 
ordrc^ ou la reconnnaissance légale d'un établissement 
déjà créé. 

3<» Les congrégations non reconnues étaient certaine- 
ment dénuées de toute personnalité. Mais c'était une 

(1) D. 61. 1.218. GonclasionsdeDupin.Gpr. Nancy, 15 juin 1878, 
D. 79. 2. 236. Lyon, 12 juillet 1878, D. 80. 1. 148. 

(2) Revue générale d' Administration^ 1901. 1. 303. 

(3) Toulouse, 6 mars 1884, D. 85. 2. 145. 

(4) Pour le détail de ces exceptions, V. Dubief et (îottofrev% 
nos 2002 et s. 



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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVE Aiî- 

question discutée que de savoir si on devait les consi- 
dérer comme illicites. Un grand nombre d'auteurs Tad-^ 
mettaient, les uns en se basant sur les articl es 291 et 292 
du Code pénal, d'autres en s'appuyant sur les lois révolu- 
tionnaires qui avaient supprimé les congrégations et sur 
le décret du 3 messidor an XII, d'autres en admettant, 
Tapplication cumulée de ces dispositions. Ces diver- 
gences sur le fondement de la prohibition entraînaient 
une divergence sur sa sanction, les partisans de 
Tarticle 291 admettant une sanction pénale, les autres 
admettant seulement un droit de dissolution du Gou- 
vernement par mesure de police. C'est ce dernier droit 
que le Gouvernement avait invoqué dans les célèbres 
décrets du 29 mars 4880. Mais d'autres auteurs soute- 
naient que les congrégations non autorisées n^avaient 
aucun caractère illicite, et différaient seulement des 
autres par l'absence de personnalité morale (1). En fait, 
après la tentative de dissolution de 1880, les pouvoirs 
publics avaient largement toléré l'existence de ces con- 
grégations et elles étaient très nombreuses. 

154. La loi du l*""" juillet 1901 s'est proposée tout à la 
fois de régler la situation des congrégations existantes 
non reconnues, et de donner des règles pour la création, 
dans Tavenir, de congrégations nouvelles. Sur les deux 
points elle ai pour des motifs d'ordre politique, qu'il 
nous paraît inutile de discuter ici, adopté des solutions 
extrêmement rigoureuses qui font disparaître toute la 
liberté de fait résultant du régime antérieur. 

(\) Sur la célèbre controverse, qu'il n'y a pas lieu d'étudier ici en 
détail, V. Dubief et Gottofrey, n% 2137 et s., et les nombreux 
auteurs cités dans un sens ou dans Tautre aux nos 2142 et 2151. v 



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442 CHAPITRE IV 

En premier lieu, elle oblige toutes les congrégations 
existantes non reconnues à faire dans un délai de trois 
mois les diligences nécessaires pour obtenir Fautorisa- 
tion (d'après les règles qu'elle fixe elle-même pour les 
congrégations à établir dans l'avenir). Elles réputé dis- 
soutes de plein droit les congrégations qui ne se seront 
pas conformées à cette règle (art. 18). 

En second lieu, elle déclare que dans Tavenir, aucune 
congrégation ne peut se former sans une autorisation 
donnée par une loij qui déterminera les conditions de 
«on fonctionnement (art. 13). 

Enfin, elle déclare illicite toute congrégation formée 
sans autorisation, et soumet ceux qui en font partie à 
une pénalité correctionnelle, qui est portée au double 
pour les fondateurs et administrateurs (art. 16). D'après 
ia jurisprudence de la Cour de cassation, cette sanction 
«'applique, non seulement aux congrégations nouvelles 
qui se formeraient sans autorisation, mais encore aux 
congrégations anciennes non autorisées qui n'ont pds 
régularisé leur situation dans le délai légal' (1). A cette 
sanction pénale, faut-il ajouter une sanction de police 
consistant dans le droit pour le Gouvervement de faire 
fermer, sans condamnation judiciaire préalable, les éta- 
blissements de la congrégation non autorisée? I^ous 
croyons qu'il faut aujourd'hui répondre négativement, 
la sanction pénale rendant inutile toute mesure de 
police, et ayant pour objet de la remplacer. 

Il résulte de ces dispositions que dans la loi de 1901, 

(1) Gass., 6 novembre 1902. D. 1903. 1. 308, et les conclusions 
-de M. le procureur général Baudouin. Plusieurs jugements ou arrêts, 
avaient admis la solution contraire, qui est admise sous formé dubi- 
tative, par Hauriou, op. cit., ip. 12S. 



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l.k CREATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVE 443 

les congrégations (à la différence des associations ordi- 
naires) ne sont licites .qu'a la condition d'être reconnues 
comme personnes morales. Le législateur a admis ici, 
non seulement que la personnalité morale était la con- 
séquence naturelle de l'existence à titre d'association 
(idée que nous approuverions pleinement), .mais encore 
qu'elle eu était la conséquence nécessaire. Une congré- 
gation ne pourait pas demander à vivre sans personna- 
lité morale, comme vivaient, avant i90i, les associa- 
tions autorisées en vertu de Farticle 291 du Code pénal, 
comme peuvent vivre, aujourd'hui encore, les associa- 
tions non déclarées, comme peuvent vivre aussi, diaprés 
le Code civil allemand, les associations qui ne visent 
pas à la personnalité juridique. Rarement les législations 
ont admis celte indivisibilité absolue entre la personna- 
lité morale et le droit d'association. C'est un point qu'il 
importe de constater, car on a souvent objecté aux con- 
grégations qu'elles sollicitaient un véritable privilège 
en demandant la reconnaissance : en réalité ce n'est 
pas elles qui réclament ce privilège, c'est législateur 
qui leur impose l'obligation de le réclamer si elles veu- 
lent vivre, et en faisant cela il dépasse certainement les 
exigences de la théorie, et adopte une solution qui n'est 
plus en vigueur en France pour aucune autre catégorie 
d'associations (i). 

Le régime est encore aggravé en ce qu'il est appliqué, 
non seulement à la congrégation elle-même, mais aussi 
aux établissements qu'elle veut fonder. D'après l'art. 13, 
I 2 de la loi, la congrégation une fois autorisée ne peut 

(1) V. infràf n^ 156 et 157, nos explications sur la situation, à 
cet égard, des syndicats professionels et des sociétés de secours 
mutuels. 



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444 CHAPITRE IV 

fonder aucun nouvel étàblissiîment qu'en vertu d'un' 
décret rendu en Conseil d'Etat. La loi de 1901 ne pro- 
nonçait d'ailleurs pas de sanction pénale contre la fon- 
dation d'un établissement sans autorisation ; en sorte 
qu'une fermeture administrative, assez contestable au 
point de vue des principes généraux de notre droit 
public, restait la seule sanction possible. La loi du 4 dé- 
cembre 1902 a complété sur ce point sa devancière en 
frappant d'une pénalité tous ceux qui sans autorisa- 
tion ouvriraient ou dirigeraient un établissement de ce 
genre, et tous ceux qui continueraient à en faire partie 
après que sa fermeture aurait été ordonnée, et même les 
propriétaires qui favoriseraient l'organisation ou le fonc- 
tionnement d'un établissement de ce genre en consen- 
tant Fusage d'un local dont ils disposent. Nous n'avons 
pas à entrer ici dans les nombreuses difficultés qui peu- 
vent être soulevées par le sens du mot établissement (1). 
Mais il est important de relever que la loi n'admet plus 
d'établissement (quel que soit d'ailleurs le sens de ce 
mol) non doué de personnalité morale distincte. Elle 
impose la personnalité, non seulement à la congréga- 
tion, mais encore aux divers établissements qu'elle vou- 



(1) V. principalement sur ces difficultés, qui n'ont pas été entière- 
ment supprimées par la loi du 4 décembre 1902 : Riom, 18 juin 1903, 
et Grenoble, 20 juin 1903. D. 1903. 2. 393, et la note. 11 résulte de 
la loi de 1902 que ni le petit nombre des membres, ni le fait que 
la propriété du local appartient à un tiers, n'est suffisant pour écar- 
ter le caractère d'établissement. Mais encore faut-il, pour qu'il y 
ait établissement, que le ou les religieux détachés continuent à 
dépendre de leur communauté et agissent pour son compte, et on 
ne doit pas les considérer comme tels, lorsqu'ils sont les salariés 
d'un tiers qui peut les renvoyer à volonté (pourvu que ce tiers ne. 
soit pas une personne interposée). 



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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVE 445 

drait foQder, — aggravation injustifiée d'une exigence 
déjà par elle-même excessive (1). 

(1) L'ancienne jurisprudence avait déjà tendance à considérer 
comme devant nécessairement acquérir la personnalité morale 
les divers établissemeuts de la congrégation . A la suite de la loi 
de 1825, l'instruction du i7 juillet 1825 avait cependant consi- 
déré les annexes de minime importance comme une sorte de pro- 
longement de la congrégation autorisée, ce qui leur permettait 
de s'établir sans autorisation spéciale, et ce qui permettait à 
la congrégation de recevoir elle-même des libéralités dans leur 
intérêt. L*avis du Conseil d'Etat du 27 novembre 1849 admit l'opi- 
nion contraire, en déclarant que, dès qu'une religieuse venait 
s'établir dans une commune, sa présence suffisait pour constituer 
un établissement au sens de la loi de l82o, et que cet établisse- 
ment devait être soumis à une autorisation spéciale. Mais la Cour de 
cassation suivait, à cette époque, l'opinion contraire (Cass., 6 mars 
4854. D. 54. 1. 123, et 17 juillet 1856. D. 56. i. 279j, et le Conseil 
d'Etat, s'y rangea lui-môme dans un avis de la section de l'Inté- 
rieur, du 19 juillet 1861 (Est d'avis : 1* qu'il y a lieu de distinguer 
dans les établissements dépendant des congrégations religieuses, 
ceux qui sont de véritables succursales de la maison-mère, et pour 
lesquelles on continuerait d'exiger l'autorisation impériale, et ceux 
qui, n'étant que des établissements scolaires, existent en vertu et 
sous l'empire de la loi de 1825 ; 2*> que, pour ces derniers, le gou- 
vernement pourrait, lorsqu'il le jugera convenable, donner aux mai- 
sons-mères l'autorisation d'acquérir et de posséder). Il ne main- 
tint d'ailleurs sa jurisprudence que jusqu'en 1880 ; l'avis du 
21 juillet 1880 exige une autorisation régulière pour tout établisse- 
ment, si peu important qu'il soit. Dans la période de 1861 à 1880 le 
Conseil d'Etat avait, en vertu de la jurisprudence qu'il admettait 
alors, donné des avis favorables à Tacquisilion par les maisons- 
mères de nombreuses libéralités ayant pour objet Tinstallation ou 
l'entretien d'établissements non pourvus de personnalité morale, et 
en conséquence ces libéralités avaient été autorisées par des 
décrets, qui souvent spécifiaient la nature de l'établissement à fon- 
der, mais qui n'étaient pas précédés de la même procédure que les 
décrets de la loi de 1825, autorisant les établissements à titre de 
personnes morales. Ces décrets, dits décrets de tutelle, ont été, 
depuis la loi du 12 juillet 1901, considérés comme non avenus 
à tout autre point de vue que V acquisition de lU propriété, et . 



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446 CHAPITRE IV 

Au point de vue de la théorie de la personnalité 
morale, les textes que nous venons d'analyser n'ont 
qu'une faible importance. Ils constituent une législatioi> 
d'exception dictée par une idée de méBance appartenant 
entièrement à Tordre politique, et ils sont en. dehors du> 
courant général qui parait aujourd'hui prévaloir, pour 
le régime des associations, dans la plupart des pays 

155. Associations privilégiées. — Il en est autrement 
des règles applicables aux associations que nous dési- 
gnons sous le nom d'associations privilégiées. Elles 
sont très intéressantes parce qu'elles ont été, en France, 
le premier essai d'un régime de liberté ou au moins de- 
quasi-liberté corporative. On a appliqué ce régime eu 
certaines associations paraissant, ou moins dangereuses,, 
ou plus particulièrement dignes de faveur, avant d& 
l'appliquer timidement, dans la loi de 1901, à toutes les- 
associations. 

I. Associations syndicales de propriétaires. — Ce sont 
les premières qui ont bénéficié de ce régime de faveur», 
(loi du 21 juin 1863), et ce sont celles aussi qui se rap- 
prochent le plus des sociétés de gain, ce qui explique 
en partie la générosité du législateur à leur égard. Ces- 
associations doivent avoir pour but d'accomplir certains 
travaux d'utilité collective, travaux dont l'objet, indiqué 
dans la loi du 21 juin 1865 (art. 1) a été notablement 

les établissements qui en bénéficiaient fermés comme établissements 
non autorisés. Nous estimons que c'était là donner, à tort, un effet 
rétroactif à la jurisprudence inaugurée en 1880, qui nous parait 
pour Tavenir, avoir été confirmée par la loi nouvelle. La solution 
de TAdministration a cependant été admise par le Conseil d'État 
au contentieux, arrêt du 10 juin 1904 (Lebon, p. 448). 

V. pour les documents cités ci-dessus^ Trouillot et Chapsal, op^ 
cit., p. 218 et s. Dubief et Gottofrey, op. cit. 



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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVE 44T 

élargi par la loi du 22 décembre 1888 (1). Elles peaveat 
se former librement, sans intervention administrative, à 
condition que le consentement des associés soit constaté^ 
par écrit, et que Pacte d'association renferme les men^ 
tions exigées par la loi (art. 5, § 3). Elles acquièrent la 
personnalité morale par une simple formalité de publi- 
cité (publication d'un extrait de l'acte d'association dans 

(1) La formule est aujourd'hui très large, puisque, en dehors des 
travaux compris expressément dans rénumération, rassociation^ 
peut se constituer en vue de toute autre amélioration ayant un 
caractère d'intérêt public dans les villes ou faubourgs, bourgs, vil- 
lages ou hameaux, et en vue de toute autre amélioration agri- 
cole d'intérêt collectif (n<^» 7 et 10 de l'art. 1). Il sufflt donc qu'il 
s'agisse de travaux y et que ces travaux aient pour objet d'amé- 
liorer collectivement les fonds des propriétaires intéressés. 
On a admis la validité d'une association syndicale formée entre 
propriétaires d'étangs, en vue de travaux ayant pour objet la con- 
servation du poisson dans ces étangs (Cass. 24 avril 1896, D. 97. 
1. 471). Mais on n'établirait pas valablement une association syn- 
dicale pour construire une église, ou une école, ou tout autre édifice 
d'intérêt général n'ayant pas pour objet d'améliorer les fonds des 
propriétaires intéressés. On n'en établirait pas valablement non 
plus en vue d'améliorer ces fonds par d'autres procédés que des 
travaux à exécuter, par exemple pour défendre les intérêts collec- 
tifs de leurs propriétaires (Cass. 8 juillet 1889, D. 1900. 3. il2, nul- 
lité de l'association formée entre propriétaires arrosants pour 
défendre leurs intérêts contre l'administration d'un canal d'irriga- 
tion), ou pour exploiter en commun la pêche ou la chasse. 

Des lois spéciales permettent d'établir des associations syndi- 
cales pour la défense des vignes contre le phylloxéra (loi du 
15 décembre 1888), et pour facilliter le travail de la réfection du 
cadastre (loi du 17 mars 1898, art. 6). Le projet de loi sur la 
houille blanche, déposé à la date du 15 janvier 1904, permet égale- 
ment d'établir des associations libres de propriétaires riverains en 
vue de la création d'une usine hydraulique. La loi du 20 août 1881 
(art. 19 et s.) permet également des associations syndicales en vue- 
des travaux des chemins ruraux ; mais elle paraît n'admettre que 
des associations syndicales aw^omées. 



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î"r"'-^|?ÏNP^:^"'^' 



448 CHAPITRE IV 

un des journaux d'annonce légale de rarrondissemeni, 
ou, s'il n'en existe pas, dans Tun de ceux du départe- 
menl) (art. 3, 6 et 7). On sait d'ailleurs que ces asso- 
ciations peuvent devenir de véritables établissements 
publics^ en se transformant en associations syndicales 
autorisées (1). 

Enfin elles présentent cette particularité, qui les dis- 
tingue de toute autre association, que les obligations 
-contractées par leurs membres s'attachent à la terre 
plutôt qu'à la personne et suivent les fonds obligés en 
quelque main qu'ils passent (décret du 9 mars 1894, 
art. 3, dont la disposition s'applique aux associations 
syndicales libres aussi bien qu'aux associations autori- 
sées). 

156- IL Syndicats professionnels. — Le pas le plus 
important qui ait été fait avant la loi de 1901 dans le 
sens de la liberté corporative est celui de la loi du 
21 mars 1884 sur les syndicats professionnels. Cette loi 
tidmettait à se constituer librement, sans autorisation du 
Gouvernement, les syndicats ou associations profes- 
sionnelles, c'est-à-dire les associations formées entre 
personnes « exerçant la même profession, des métiers 
similaires ou des professions connexes concourant à 
l'établissement de produits déterminés », et ayant pour 
objet exclusivement « l'étude et la défense des intérêts 
économiques, industriels, commerciaux et agricoles » 
(art. 1 et 2). Nous ne voulons pas ici entrer dans le 
détail des nombreuses difficultés soulevées par ces ter- 
mes. Elles avaient une importance pratique très grande 
avant la loi de î901, parce qu'alors les syndicats consti- 

(1) V. ci-dessus, n» 89. 



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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVE 449 

tués illégalement soit quant à l'objet, soit quant aux 
personnes, tombaient sous le coup de Tarticle 9, qui 
prononçait une pénalité contre les directeurs ou admi- 
nistrateurs, et qui permettait au tribunal saisi de la pour- 
suite de prononcer la dissolution du syndicat. Aujour- 
d'hui le syndicat qui ne remplit pas ces conditions ne 
saurait, semble-t-il, être soumis à une poursuite de ce 
genre, car, s'il n'est pas licite comme syndicat, il est licite 
tout au moins comme association formée sans autorisa- 
tion ni déclaration préalable, en vertu de l'article 2 de la 
loi de 4901, 

Il en est de même d'ailleurs des conditions de forme 
prescrites aux syndicats par la loi de 1884* D'après cette 
loi, la déclaration du syndicat (déclaration faite à la 
mairie et non, comme dans la loi de 1901 à la préfec- 
ture, et consistant dans le dépôt des statuts et des noms 
de ceux qui, à un titre quelconque, étaient chargés de 
l'administration ou de la direction) était obligatoire, 
non seulement pour conférer au syndicat la qualité de 
personne morale, mais encore pour lui donner le carac- 
tère licite. Aujourd'hui, le syndicat non déclaré sera 
licite en vertu de l'article 2 de la loi de 1901, et sera 
seulement dépourvu de personnalité morale. 

Le système de la loi de 1884 se trouve par là modifié, 
bien que la loi de 1901 ait déclaré ce texte toujours en 
vigueur. Dans celte loi, en effet, il y avait indivisibilité 
entre la personnalité morale et le droit de s'associer ; 
tout syndicat licite était par là même personne morale, 
et même, d'après une jurisprudence d'ailleurs très con- 
testable, tout syndicat illicite était aussi personne morale 
tant qitil vivait. Le caractère illicite avait seulement 
pour conséquence de permettre les poursuites prévues 

MICHOUb 29 



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450 CHAPITRB lY 

parTarticle^, et la dissolution du syndicat (1). Il n'exis- 
tait donc pas de syndicat non doaé de personnalité. 
Aujourd'hui au contraire, il existera deux degrés dans 
les syndicats comme dans les associations ordinaires : 
ceux qui seront conformes à la loi de 1884 auront 1» 
personnalité morale dans les termes de cette loi ; ceux 
qui ne rempliront pas les conditions qu'elle exige, soit 
au fond, soit dans la forme, seront des associations lici- 
tes non douées de personnalité (2). 

(1) Cette solution avait été nettement adoptée par la jurispru^ 
dence pour le cas d'inobservation des conditions de forme (Parisr 
20 janvier 1886, D. 86. 2. 170 ; Bordeanx, 25 novembre 1886^ 
D. 87. 5. 430) ; quelques décisions Tavatent appliquée aussi à 
Tinobservation de certaines conditions de fonds (p. ex. Trib. 
de Bordeaux, 5 février 18^, D. 98. 2. i32). En ce quL concerne- 
ces dernières, cependant, elle ne pouvait Tôtre que si en se 
trouvait en présence de groupements ayant en réalité le carac- 
tère de groupements professionnels ; il n'aurait pas suffi de^ 
baptiser une association quelconque du titre de syndicat pour la 
faire rentrer dans les syndicats illicites de la loi de i884 plutôt 
que dans les associations illicites de la législation alors en vigueur^ 
associations qui assurément n'étaient point personnes morales. 
Aujourd'hui encore, il ne suffit pas de baptiser une association.quel- 
conque du titre de syndicat pour la faire bénéficier des règles de I» 
loi de 1884, et non des règles moins favorables de la loi de 1901. 
Mais ce qu'on peut admettre, avec la plupart des arrêts, c'est qu'il* 
y a ici une question d'appréciation, et que, si le groupe est en réa-- 
lité professionnel, il ne perdra pas ce caractère par «cela seul qu'il' 
a commis certaines irrégularités, ou s'est ouvert accessoirement à 
certaines personnes qui n'appartiennent pas à la profession (V. les 
observation» de M. Barthélémy, sur l'arrêt de la Cour de Douai du 
l*r février 1903, dans Revue du droit public, t. 21, p. 312 et s.) 

(2) M. Pic (Légis, indus tr., 2» éd., n° 373) a parfaitement carac- 
térisé l'influence de la loi de 1901 sur celle de 1884 par les deux, 
résultats suivants : 1^ impunité assurée aux syndicats clandestins, 
que le législateur de 1884 avait entendu proscrire, en tant du moins 
que ces syndicats ne prétendent pas se comporter en personnes 
morales ; 2* reconnaissance implicite, à raison même de cellô- 



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LA CRÉATION DES PERSONNES AtORALES DE DROIT PRIVÉ 451" 

Ce n'e&t pas à dire IjoulefDis qu'il n'y ait plus inlérêl à 
(IbiiDguer entre le» assaciaiions ordÎBaires- et ie^ syndi- 
cal» professionneUv Cet ialérêt est natiitiple : 1® les synK 
dieal» profesâ)oon<e}s àe<jtiièrenl la persoDnalité morale 
moyeanant des foroiialilés an petK différentes de celles 
qui sont inaposées aux associations ordinaires : dépôt à 
la Enatrie, et non à la préfeetctre oa à la sous-préfectarey 
dépôt ne portant que sur teâ statuts et sur les noms des 
personnes chargées de Vadmiciislration et de la direction, 
aJors qoe les associations ordinaires doivent faire con- 
naître en outre le titre et Vobjet de Fassociation, et le 
siège de ses établissements ; 29 les syndicats peuvent 
compirendre des étrangers^ mais les membres chargés 
de Tadministration ou de la direction doivent être Fran- 
çais et jouir de leurs droits civils ; aucune règle sembla- 
ble n'est imposée aii& associations ordinaires ; seulement 
lorsqu'elles sont composées en miajeure partie d'étranr 
gers, ou lorsqu'elles ont de& administrateurs étrangers^ 
ou leur siège à T étranger, elles peuvent être dissoutes 
par décret du président de la République, rendu en 
conseil des ministres^ lorsqu'elles se rendent coupables 
de certains agissements prévus à Tarticle 2 (régie qni 
n est pas applicable aux syndicats) ; 3^ les syndicats pro- 
fessionnels peuvent former des îmions, dans les condi- 
tions prévues à Tarticle 5 de la loi de 1884; mais ces 
unions n'ont aucune personnalité moralp. Les associa- 
lions peuvent, elles aussi, former des laiions ou fédéra- 

impunité, de deux catégories de syndicats fmDfessioDnels, comme' 
en droit anglais : les uns affranchis de toute iagérence administra- 
tive, mais dépourvus de toute personoottlité civile ; les autres investis 
de cette personnalité, et de tous les avantages qu'elle impMqaer 
mais aatreiats ea éehaa^e à l'obligation du dépôt de leurs statuts. 



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452 CHAPITRE IV 

lions ; cela résulte, non du texte de la loi qui est muet, 
mais très nettement, des travaux préparatoires ; et ces 
unions sont plus favorisées que les unions de syndicats ; 
car elles peuvent obtenir la petite personnalité en se 
soumettant à la formalité de la déclaration (v. l'art. 7 
du décret du (6 août 1901) (i) ; 4® les sanctions, en cas 
de violation de la loi de 1884 sont contenues dans l'ar- 
ticle 9 de la loi; la loi- de 1901, article 8, introduit de 
son côté des sanctions pour le cas de violation de'ses 
dispositions, et elles ne sont pas tout à fait les mêmes ; 
5° enfin et surtout, la capacité du syndicat une fois 
constitué est plus étendue que celle des associations 
déclarées; notamment, d'après l'opinion, <jui tend de 
plus en plus à prédominer, il peut recevoir des dons et 
legs, et n'a besoin pour cela d'aucune autorisation (2). 

Dans Tcnsemble, ces règles font aux syndicats pro- 
fessionnels une situation plus favorisée que celle qui 
appartient aux associations ordinaires. Il est évident 
qu'une association qui ne répond pas à la définition de 
la loi de 1884 ne peut pas se placer sous le régime des 
syndicats. Nous pensons au contraire, comme il résulte 
des explications précédentes, qu'une association répon- 
dant par sa composition et son but à cette définition 
peut, si elle le juge préférable, se placer sous le régime 
de la loi de 1901, qui est celui du droit commun (3). 

(1) V. sur ces points les explications détaillées de MM. Trouillot 
et Ghapsal, op. cit., p. 123 et s. 

(2) Sur les autres différences qui peuvent exister au point de vue 
de la capacité, nous renvoyons au chapitre consacré à la capacité 
des personnes morales. 

(3) Le projet de loi rapporté par M. Barthou (Rapport du 
28 décembre d903. Ck. Doc, Pari. Sess. extraord., 1903, p. 66) 
modifierait plusieurs des termes de la comparaison précédente ; 



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LA CREATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVÉ 453 

157. III. Sociétés de secou7*s mutuels. -^ La loi du 4®^ 
juillet 1898 a introduit le principe de liberté à Tégard des 
sociétés de secours mutuels avant qu'il ne soit introduit 
dans le droit commun, mais en établissant à leur égard 
une législation plus complexe que celle qui régit les syn- 
dicats professionnels. Elle distingue, en effet, trois caté- 
gories de sociétés de ce genre : les sociétés libres, les 
sociétés approuvées, les sociétés l'econmœs (Futilité pu- 
blique. La personnalité morale, avec une capacité limi- 
tée, appartient aux sociétés libres, à condition qu'elles 
remplissent les formalités de l'article 4 : dépôt de leurs 
statuts, et des noms et adresses de toutes les personnes 
qui, sous un titre quelconque, sont chargées de Tadmi- 
nistration ou de la direction (dépôt effectué, comme 
dans la loi de 1901, à la préfecture ou à la sous-préfec- 
ture). Les statuts doivent contenir un certain nombre de 
mentions indiquées à Tarticle 5. La capacité de ces 
sociétés, sans être aussi grande que celle d^s syndicats 
professionnels, est supérieure à celle des associations 
déclarées de la loi de 1901, car elles peuvent, avec une 
autorisation donnée tantôt par le préfet, tantôt par décret, 
recevoir des dons et legs mobiliers. 

Pour avoir des droits plus étendus, et surtout pour 
jouir de certaines faveurs administratives (fourniture 
gratuite de locaux par la commune, exemption de cer- 
tains droits fiscaux, droit de verser leurs capitaux à la 
caisse des dépôts et consignations), ces sociétés doivent 
faire approuver leurs statuts par arrêté ministériel ; elles 
sont dites alors sociétés approuvées. Mais celte appro- 

notammeDt il étend encore la capacité des syndicats ; en outre 
il permet de créer des unions de syndicats douées de personnalité 
morale. 



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4S4 CaATCTRS TV 

batîon n'a pas le caractère dt^crétlonnaîre ; elle ne peut 
être refusée que dans deux cas : 1* pour non-conforuaité 
des fttaluts avec les disposîti<His d€ im loi ; 2^ si ie<s. 
statuts ne prévoient pas des reoelibes proportionnées wix 
dépenses pour la constitation des retraites garanties, on 
des assurances en cas de rie^ de décès on d'accident. Le 
refus d'approbation peut donc donner lieu à recours, 
4]ui se porte devant le Conseil d'fitat, et qui a lieu «aiis 
frais (art. 16). 

Ekifin ces sociétés pefurent, comiise toutes aB6oeiai:toa«, 
solliciter la reconnaÎMiance d'utilité publique, qui leur 
confère la capacité appartenant aux établissements d'uti- 
lité publique ordinaires, sauf quelques nuances. 

Elles penveht former entre elles des tmmns (art, 8), 
qui ont, elles aussi^ la personnaKté morale, et qtii se 
divisent comme les sociétés elles-mêmes en libres^ ap- 
proiwées^ reconnttes d'iuilki publique. Ces unions ont 
la même capacité . que les sociétés de la classe corres- 
pondante. 

L'ensemble de cette législation spéciale maintenue en 
vigueur par la loi de -1901, ne «"applique qu'aux sociétés 
poursuivant, soil en totalité, soît en partie, les objets 
divers permis aux mutualistes par Tarticle 1** de la 
loi (1). En outre, pour qu'une socîélé puisse se placer 

(i) Avant la loi de i898, âesvoeiétésde secours muto^k pouTaient 
avoir seulemeot Tuo des buts suivants : secours temporaires à leurs 
membres malades, blessés ou înfîrnaes ; pensions de retraite aux 
sociétaires âgés ; soin -de poiirf»oÎT ani funérailles de leurs mem- 
bres ; enfin assurances ooileetivcs ea cas de décès. L'art. 4 de la 
loi de 4898 a étendu notat)lement leur cercle d'action. Elle leur a 
permis de donner des fiecours temporaires pour maladies, bkasiire 
ott iniîrmité, son seuleinoeni k leurs mneiobives partidpaats, mais 
encore aux familles de ces membres ; elle a autorisé la fnêsie 



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^A CREATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVE 455 

âous l'empire de ces règles spéciales, il faut qu'elle 
garantisse à tous ses membres participanls (1) les 
tnèmes avantages, sans autre distinction que celle qui 
résulte des cotisations fournies et des risques apportés. 
Ne sont pas sociétés de secours mutuels les associations 
-qui, tout en organisant, sous un titre quelconque, tout 
•ou partie des services prévus à l'article 1«', créent au pro- 
fit de telle ou telle catégorie de leurs membres et au 
-détriment des autres des avantages particuliers. Mafs ces 
sociétés pourraient, si leurs statuts ne renferment au- 
cune clause illicite, contraire aux lois ou aux mœurs, se 
lormer sous le régime des associations de la loi de d901. 
La loi sur les sociétés de secours mutuels, pas plus que 
4a loi sur les syndicats, ne prévoyait la possibilité d'éta- 
blir une société de ce genre sans personnalité morale. 
Ou bien la société de secours mutuels est une personne 

extensîoD en ce qui concerne les pensions de retraite ; e\le leur a 
permis de contracter^ non seulement des assurances collectives 
jpoup le cas de décès ou d'accident (comme le permettaient déjà le.s 
-art. 7 et 15 de la loi du il juillet 1868), mais aussi des assurances 
sur la vie individuelles au profit de leurs membres. Elle leur a 
permis en outre d'allouer de^ secours aux ascendants, aux veufs ^ 
veuves ou orphelins des membres participants décédés. Enfin, acces- 
soirement, et à condition qu'il soit pourvu à ces dépenses au 
moyen de cotisations ou de receltes spéciales, elle leur a per- 
nais de créer au profit de leurs membres des cours professionnels, 
des offices gratuits de placement, et enfin d'accorder des allocations 
en cas de chômage. Cette dernière innovation, qui est particulière- 
ment grave, et qui n'a pas passé sans difficulté, vise surtout les 
sociétés de secours mutuels ayant un caractère professionnel « qu'il 
a été dans la pensée du législateur d'encourager. 

(1) €ela n'exclut pas pour les sociétés de secours mutuels, la 
possibilité d'avoir des membres honoraires, c'est-à-dire payant la 
•cotisation ou faisant des dons à l'association sans prendre part aux 
«bénéfices attribués aux membres participants. 



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456 CHAPITRE IV 

morale, ou bien elle est illicite et doit être dissoute ; il 
n'y ajpas place pour une situation intermédiaire. Mais^ 
là comme pour les syndicats, il pourrait arriver qu'une 
société, rentrant par son objet dans le cadre des sociétés 
de secours mutuels, préférât se placer sous Tempire de 
la loi de 1901. En tant qu'association déclarée, elle le 
pourrait certainement. En tant qu'association non dé- 
clarée, c'est un point plus douteux, car on ne peut pas 
concevoir une société de secours mutuels sans cotisation 
et placement de fonds, et la possibilité pour une asso- 
ciation non déclarée de percevoir des cotisations est 
discutée. Si on admet avec nous l'affirmative, il faudra en 
conclure qne, pour les sociétés de secours mutuels, aussi 
bien que pour les syndicats, la loi de 1901 a indirecte- 
ment introduit la possibilité d'une catégorie Douvelle, 
celle des sociétés de secours mutuels non douées de per- 
sonnalité morale. 

158. VI. Sociétés ou caisses d'assurances mutuelles 
agricoles. — Jusqu'à la loi du 4 juillet 4900, ces sociétés 
sans être rangées par la doctrine dans la catégorie des 
sociétés véritables (1) étaient cependant réglementées, 
comme les autres assurances mutuelles, d'après les prin- 
cipes des sociétés. En vertu de l'article 66 de la loi du 
24 juillet 1867, et du décret du 22 janvier 1868, elles 
étaient soumises non au principe de l'autorisation gou- 
vernementale, mais à une série de formalités assez com- 

(4) D'après le critérium couraDt (ci-dessus, nos lOO et s.)# toutes 
les sociétés d'assurances mutuelles sont des associations, et l'ex- 
posé des motifs de 4867 faisait bien ressortir que le législateur ne 
la réglementait dans la loi sur les sociétés qa^utilitatis causât à 
raison de la ressemblance de ces associations avec des sociétés véri- 
tables (V, Lyon-Caen et Renault, Tra/^é de droit comm.^ t. 2, 
no 34). 



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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVE 457 

plexes. En fait, un certain nombre de syndicats agri- 
coles avaient cru pouvoir constituer des sociétés de ce 
genre, sans autorisation, sous le couvert de la loi syn- 
dicale. Mais les parquets n'avaient pas admis cette possi- 
bilité (plus que douteuse en effet), et avaient commencé 
des poursuites contre quelques-unes des associations 
ainsi constituées. C'est pour régulariser la situation de 
ces sociétés, jugées dignes dfe faveur, que le législateur 
est intervenu. La loi du 4 juillet 1900 les soumet sim- 
plement, au point de vue de leur constitution, aux for- 
malités imposées aux syndicats professionnels ; elle en 
fait donc des personnes morales du type associatioriy 
plulôt que du type société. Cette faveur n'est d'ailleurs 
accordée qu'aux sociétés constituées entre agriculteurs^ 
gérées et administrées gratuitement, n'ayant en vue et 
ne réalisant en fait aucun bénéfice, et ayant pour objet 
de garantir leurs membres contre les risques agricoles 
(Voir le rapport de M. Mir, au Sénat, dans Dali. 
1900-4-83). 

Ces sociétés, comme les syndicats eux-mêmes, pour- 
raient aujourd'hui se constituer sous le régime de la loi 
dul«^ juillet 1901. 

I 3. — Sociétés 

159. D'après les explications données plus haut 
(n°' 71 et s.), nous ne considérons comme personnes 
morales que les sociétés à personnel variable, c'est- 
à-dire les sociétés anonymes et les sociétés en com- 
mandite par actions. Nous n'avons pas d'ailleurs, en 
ce qui les concerne, à étudier le détail des règles de 
constitution, règles très complexes à raison de la multi- 



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458 CHAPITRB IV 

plicîté des intérète en présence : souscription intégride 
du capital, versement du guart ou de la totalité de 
chaque action, déclaration par-devant notaire de Tétat 
des souscriptions et versements. Toutes ces règles con- 
cernent la validité de la société en elle-même, la forma- 
tion du substratum de la personnalité. Elles sont com- 
plétées par les règles sur la publicité des sociétés, 
publicité qui seule achève la personnalité de la société, 
Jusque-là simplement en voie de formation (i). 

La législation a, comme on le sait, abandonné depuis 
1867 (2), le système de l'autorisation préalable, qui 
n^est plus en vigueur chez nous que pour les sociétés 
ayant pour objet les assurances sur la vie (3). Elle est 
donc arrivée en cette matière, plus vite qu^en matière 
d'association au système de réglementation légale subs- 
titué à celui d'autorisation préalable. En cela elle n'a 
fait que suivre ou devancer la plupart des législations 
étrangères (4). Le pouvoir reconnu jadis à l'Etat sur ce 
point n'avait point d'ailleurs le même caractère que celui 
qui lui était attribué en matière d^association; il n'a 
Jamais ici séparé arbitrairement la formation du groupe 

(1) V. sur ces dernières règles, Thaller, Droit commei^cial, 
nOs 359 et s. (3e éd). Lyon-Caen et Renault, T^^aité (3° éd.), t. 2, 
n^s 188 et s. La même pufoiicitë est aujourd'hui exigée à peu de 
-chose prés pour toutes les sociétés de commerce, et toutes les 
liociëtés civiles à forme commerciale. 

(2) Partiellement depuis 1863. 

(3) En outre pour les tontines. Mais les tontines ne sont pas des 
sociétés au sens propre du mot. 

{4) « L'autorisation dit M. Thaller (op. cit.^ n® 994) est aujourd'hui 

un système condamné. 11 a été abandonné à peu près partout (sauf 

en Hollande, en Autriche, où il a été bien atténué depuis ^889, en 

Russie dont la législation de i90l prépare une réforme libé- 

' raie, etc.) » — V. Ljon-Caen et Renaul, op, cit^^ ao« 673 et s. 



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CA CREATION DES PEBSOIVJiBS ilOftAI«E3 DE DROIT PRIVÉ 4^9 

/ 

-de sa reconnaissaoce à titre de personne moi^aie ; ce 
qu'il autorisait ce n^était pas la persoaualîté, c'était 
la formalioa même de ]a société^ la constîiutioa du 
^ubstratum. L'absence d'aulorîsatioa n'avait pas pour 
«ffet de laisser subsister un groupement licite dépouivu 
de persounalité; elle entraînait le caractère illicite du 
croupe lui-même. C'est encore ce système qui est au- 
jourd'hui en vigueur pour les sociétés d'assurance sur 
la vie. Les motifs de cette exigence et ceux de sa sup- 
pression n'appartiennent donc pas en réalité à la théorie 
•de la personnalité morale, et il ne nous semble pas qu'il 
y ait lieu d'y insister ici. 

160. Les sociétés d'assurances mutuelles constituent, 
4'après le critérium généralement adopté, plutôt des asso- 
ciations que des sociétés. Pourtant le législateur, se rap- 
prochanten fait de Topinion que nous considérons comme 
préférable, les a réglementées, dans îa loi du 24 juillet 
1867^ et le décret du 22 janvier 1868, en même temps que 
les sociétés^ et les a soumises en principe aux mêmes 
règles (1). S'il s'agît d'assurance sur la vie, il leur faut 
raulorisaliori gouvernementale; pour toute autre, elle 
n'est plus nécessaire depuis 1867, et il suffit à rassoçîa- 
lion de se soumettre aux formalités des articles 8 et 10 
-du décret de 1868. Mais cVst une question controversée 
que de savoir si ces associations constituent des per- 
sonnes morales. Pour nous, nous ne le mettons point 
en doute, ces associations étant normalement à per- 

{i) V. cî-dessas, n** 100 et s. L'eiposé des motîft de la loi 
-de 4867 fait d'ailleurs ressortir que le législateur ne réglemente 
ces assuraiH^es dans ia loi sur les saciélés qauiilitalis causa, à 
raison de ieur ressembla&ee arec les sociétés véritables. V. Ljo&- 
€aen et R^iault, Truite de droit commercial:, t. % a® M. 



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460 CHAPITRE IV 

sonnel variable," et devant, d'après nos principes,, être 
considérées comme personnes morales par cela seul 
qu'elles sont licites, et que la législation ne s'y oppose 
pas d'une manière expresse. Or, bien loin qu'elle s'y 
oppose, il nous semble que la réglementation de ces 
associations dans la loi de 1867, et l'ensemble des dis- 
positions du décret de 1868, supposent implicitement 
ridée de personnalité (1). 

§ 4. — Fondations 

160 bis, La fondation de droit privé peut comme 
nous Tavons dit, exister avec ou sans personnalité 
morale. Nous n'avons à nous occuper ici que des fon- 
dations auxquelles leur auteur a' voulu donner une 
certaine autonomie, et qui en conséquence aspirent à 
se constituer comme personnes morales distinctes.. 
Pour elles, comme pour les associations, il y a deux 
questions à distinguer : celle de la constitution du subs^ 
tratum, celle de l'autorisation par l'Etat. — Le subs- 
Iratum, ici, au lieu d'être un groupe de personnes s'as- 
sociant en vue d'un but, est un groupe de personnes 
désigné par leur fondateur (par exemple les pauvres de 
telle commune), personnes, qui ont entre elles aucun 
lien contractuel, qui en conséquence n'organisent pas 
elles- mêmes leur représentation légale, et auxquelles 
il faut que le fondateur fournisse l'organisme nécessaire 
à cette représentation. L'acte de fondation consiste donc 

(1) V. sur la controverse, Lyon-Caen et Renault, Traité, t. 2, 
n»« 137-438. Ces auteurs admettant la négative. M. Thaller (n* 737> 
déclare que Taffirmative n*est cependant guère douteuse. 



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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVE 461 

essentiellement en deux choses : désignation du groupe 
destinataire/conslitution de l'organisme de la fondation. 
En droit privé, il comprend toujours en outre pratique- 
ment Tassignation, à la fondation ainsi organisée, d'un 
patrimoine provenant. du fondateur. Nous verrons plus 
loin pourquoi cette condition de fait est généralement 
exigée (i). 

Beaucoup de législations réglementent ce premier 
stîide de la créalion d'une fondation privée ; ils font de 
cette constitution un acte stii generis, qui peut se faire 
soit entre vifs, soit à cause de mort (2). Notre législation 

(1) Ci-dessous n^ 166 in fine. 

(2) C'est Je cas notamment pour le Code civil allemand §§ 80 
et s. D'après ces dispositions, la fondation peut se faire soit entre 
vifs, soit par acte de dernière volonté. Dans les deux cas, elle est 
soumise (à la différence de la corporation à but idéal), au principe 
de l'autorisation gouvernementale. 

La fondation entre vifs se fait par écrit ; elle consiste dans une 
déclaration unilatérale de volonté. La loi n'indique pas expressé- 
ment tout ce que doit contenir cette déclaration. Il va sans dire 
qu'elle doit manifester la volonté de créer une nouvelle personne 
juridique, et en même temps indiquer le but de la fondation de 
manière à Tindividualiser d'une manière sufGsante ; elle doit auss^ 
régler la désignation du Vorstand, c'est-à-dire de Torgane destiné 
à administrer la fondation. La question de savoir si elle doit aussi 
contenir nécessairement la constitution d'un patrimoine au profit 
de l'œuvre à fonder est discutée : elle dépend de la notion même 
que l'on se fait de la personnalité morale. Dans le sens de l'affir- 
mative, V. Planck, sur le §81, n^ 2 ; Meurer, Die jurist, Personen, 
§ 24, et § 2o, p. 248 et s. ; dans le sens de la négative : Stintzing, 
dans Archiv fur die civilist. Pi^axis (1898), t. LXXXVIIÏ, p. 414). 
La déclaration de volonté ainsi faite reste révocable tant que l'autori- 
sation gouvernementale n'a pas été obtenue ; elle produit toutefois 
son effet dès le moment où elle intervient en ce sens que si posté- 
rieurement (et môme avant l'autorisation), le déclarant meurt ou 
devient incapable, elle continuera de subsister. A partir de l'auto- 
risation la fondation a un droit de créance contre le fondateur, qui 



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462 CHAriTRB IT 

au contraire n'a jamais fourni anx fondateurs ce moule 
spécial^ dont l'existence a cependant le très^ grand avan- 
tage de foiinar des règles juridiques précises à la période 
embryonnaise de la fondation. Elle a toujours va dans^ 
la fondation une simple dtapoeition de biens faite à titre 
gratuit, et elle a toujours renvoyé le fondateur à Tappli- 
calion Hes règles du droit commun sur les libéraUtéa» 
De là des difficultés nombreuses dont nous parlerons 
plus loin. 

Quant à la question d'aotorisation par TEtat, notre- 
légTslatioDy au moins depuis la période révolutionnaire, 
et même, suivant Topinion commune, depuis TEdit 
de 1749, (t) Ta toujours considérée comme nécessaire 

est obligé de loi transférer les droits indiqués par loi comme devant 
servir à doter la fondation ; elle derient immédiatement titolaîre 
des droits qui, d'après le droit eommnn, se transmettent par %m 
simple contrat de cession. 

La fondation pa?' acte de dernière volonté se fait dans ime dis- 
position testaosentaire qui contient toat à la foi» rëtabUssement de 
la fondation, et sa dotation par legs oo institution d'héritier. D b*j 
a pas \k deux actes jaridiqnes distincts^ mais un seal. L'antoma- 
lion gon?ernen&entale doit être donnée par le tribanal de la soeee»- 
sion, lorsqu'elle ne Test pas par Théritier ou l'exécuteur testa- 
mentaire. Elle pourrait d'ailleors être donnée d'office (V. pour ks 
détails : Saleilles, op. cit., p. d4 ets.\. Le projet de Code ci? il 
suisse, art, 90 ei s., contient àos dispositions analogues : la fonda- 
tion est constituée par acte authentique ou par disposition de der- 
nière volonté. Elle est inscrite au registre du commerce. Mais, à la 
différence de la législation ailemande, le projet n'exige pas l'autori- 
sation de TEtat. 

(1) Il semble bien que ce soit à cette date seulement que remoitte,. 
dans notre aocien droit, la nécessité d'une autorisalioik par Lettres 
patentes pour les fondations, — et ene<»e cette nécessité com- 
portait certaines exceptions. V, sur ces points : de LapradeUe^ 
Théorie et pratique des fondations^ p. 371 et s. — M. Salmoa, La 
fondation et VEdit d'août 1749 (dans Revue générale d'Admi- 
nistration 1904, t. a. p. 395 et s., et 1905, t. L pp. 12 et s.), a son- 



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LA CBÉÀTION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVÉ 46^ 

pour arriver à la personnalité d'ane fondation. Il n'y a 
donc eu ici aucune évolution analogue à celle qui s'est 
produite pour la personnalité des associations. Comme 
nous Favons déjà dit, nous croyons préférable de main-^ 
tenir cette règle qui est admise dans la plupart des^ 
législations étrangères (1). 

161. Nous avons dit que c'était uniquement dans le 
droit commun des libéralités que le fondateur devait 
puiser les moyens nécessaires pour conférer à la fonda- 
tion Texistence de fait préalable, nécessaire de la de- 
mande en autorisation. Le procédé qu'il peut employer 
varie suivant qu'il veut organiser et doter la fondation 
de son vivant ou seulement après sa mort. 

Dans le premier cas il faudra d'abord qu'il consacre- 
en fait certains biens au but qu'il se propose. Il fera 
construire, par exemple, de ses deniers, Thôpital qu'iV 
veut fonder ; il y installera le personnel nécessaire^ et le 
fera fonctionner comme il fonctionnera dans l'avenir. 
-Mais, pendant cette période, l'œuvre n'aura aucune per- 
sonnalité; ce sera le fondateur lui-même employant une 
partie de son patrimoine à un but' désintéressé, et con- 
servant toute sa liberté d'action (sous réserva) des contrats 
qu'il a pu passer avec certains collaborateurs) soit pour 
augmenter, soit pour diminuer Fimportance des sommes 
affectées à la fondation, ou même pour supprimer l'œuvre 

tenu que, même à partir de cette date, la fondation était en prin- 
cipe libre. 

(i) Il ne nous parait pas nécessaire de passer ici en revue, avee 
détails, les diverses législations. La nécessité d'une autorisation par 
FEtat est admise notamment en Allanagne^ Italie, Belgique, Espa- 
gne. Elle est au contraire écartée en Angleterre, en Hollande, et, 
dans le Projet de Code civil suisse. On peut consulter sur le droit, 
comparé en cette matière : de Lapradelle, op, cit,, pp. 377 et s. 



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464 CHAPITRE IV 

entièrement. C'est seulement quand la fondation aura 
ainsi fonctionné en fait pendant un certain temps, qu'il 
pourra obtenir qu'elle soit dotée de la personnalité civile 
au moyen de la reconnaissance comme établissement 
d'utilité publique. Cette reconnaissance est faite par décret 
au Conseil d'Etat (1), et le Conseil d'Etat a élaboré, pour 
les établissements de ce genre qui la sollicitent, un 
modèle'de statuts-types, qui diGTere par quelques détails 
de celui qui est proposé aux associations (2). 

Dans ce système, la fondation n'a, tant que Tautorisa- 
tion n'a pas été obtenue, aucune existence légale ; son 
patrimoine futur se confond, au point de vue juridique, 
avec celui du fondateur, puisque TafiFoctation, même 
déjà réalisée en fait, n'est légalement qu'un projet. Il ne 
semble pas que, dans cette situation, il soit possible de 
lui reconnaître la vie embryonnaire que nous avons 
reconnue à l'association non personnalisée. Aucun acte 
juridique n'est en effet encore venu attester son exis- 
tence dans le domaine du droit, pas même un acte ana- 
logue au contrat qui donne naissance à l'association. Il 



(i) Pour les associations, il faut, depuis la loi du 4«r juillet 1904 
{art. 10), un décret rendu dans la forme des règlements d'admi- 
nistration publique. Aucun texte jusqu'ici n*étend cette exigence au 
décret qui reconnaît l'utilité publique d*une fondation. Il semble qu'il 
faille toujours appliquer ici le règlement du 3 avril 1886, qui, modi- 
fiant Tart. 7 du décret du 2 août 1879, soustrait la question à l'As- 
semblée générale du Conseil d'Etat pour la soumettre seulement à 
une délibération de section . 

(2) Ils ont été distribués, le 23 mars 4896 (V. le texte dans /?er Me 
des établiss. de bienf,, 1897, p. 330). On peut citer, comme types 
des fondations de ce genre, faites soit entre-vifs, soit à cause de 
mort, l'asile Galliéra, et la fondation Furtado-Heine (V. eod. l., 
p. 329), l'Académie de Goncourt, etc. (V. Lévy Ullmann et Grune- 
baum Ballin, dans Revue trimestrielle de droit civil). 



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hk CREATION DES PERSON^TES MORALES DE DROtT PRIVE i6& 

en serait tout autrement dans les législations qui, comme 
le Code civil allemand, admettent la création de la fon- 
dation par acte unilatéral de volonté ; même si elles 
exigent Faulorisation de TEtat, elles voient le véritable 
acte créateur dans l'acte de volonté, et elles doivent 
logiquement considérer Tautorisation comme purement 
déclarative, et comme rétroagissant au jour où la fonda- 
tion a été constituée (I). 

162. Pratiquement c'est surtout à des dispositions à 
cause de mort que les fondations doivent leur origine. 
L'absence d'une institution juridique spéciale crée pour- 
tant ici des difficultés graves. Le fondateur ne peut léguer 
ses biens à l'œuvre à fonder, puisque celle-ci n'exisle 
pas encore. Il est donc obligé de prendre un détour, et 
de léguer à personne déjà existante, à charge par le 
légataire d'établir en fait la fondation. Les difficultés 
varient suivant le procédé employé. 

1® L'intermédiaire choisi peut être une personne 
physique, simplement chargée d'affecter les biens au but 
que se propose le fondateur, sans être obligée de solli- 
citer pour Toeuvre entreprise «la personnalité morale. 
C'est le procédé du testament de Théophraste et du tes- 
tament 'de Nicole, et nous le retrouvons chez nous fré- 
quemment employé, par exempte dans ' le testament 
Baron, et dans le testament Graule, qui ont fait l'objet 

(1) Aussi les auteurs allemands sont-ils disposés à admettre une 
vie embryonnaire de la fondation analogue à la vie embryonnaire 
de l'association. V. Gierke, Deutsches Prioatrecht, § 78, n<> 3 
(p. 651-652). La solution dépend d'ailleurS des idées théoriques 
sur la nature de la personnalité morale ; le système de la Action 
conduit à nier cette vie embryonnaire, puisqu'il considère l'autori- 
sation de TEtat comme l'acte créateur. 

MICHOUD 30 



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406 CBAPITBB IV 

1*UQ et l'autre d'une lougue série de décisious judi- 
ciaires (1). 

Au point de vue du résultat pratique, ce procédé est 
évidemment incomplet, parce que, n'aboutissant pas à la 
personnalité morale, et ne s*appuyant d^ailleurs sur au- 
cune personne morale déjà existante, il n'assure pas, 
d'une manière suffisante, la perpétuité de Pœuvre. Au 
point de vue juridique, il doit, à notre avis, être considéré 
comme régulier; mais il a donné lieu à des objections que 
nous ne pouvons examiner ici dans tous leurs détails. La 
plus grave se présente dans le cas où le bien légué doit 
être en entier afifeclé à l'œuvre ; on a pu soutenir dans ce 
cas, avec beaucoup de force, que le legs était nul parce 

(1) Sur le testament de Théopbraste, v. de Lapradelle, Théorie 
et pratique des fondations, p. 43. Sur le testament de Nicole, 
eod* loc,^ p. 144, note 4 (Denizart, v. Fidéicommis, § 3, n^* 3, cite 
d'autres exemples). Sur le testament Baron, v. Orléans, 8 jan- 
vier 4885 et Cass. 5 juillet 4886. D. 86. 1. 465 ; et S. 90. 4. 244, 
note de M. Labbé. Angers, 22 juillet 4887. D. 89. 2. 4 ; et Req., 
6 mai 1888. D. 89. 4. 344, et S. 90. 4. 244. La demoiselle Baron, 
avait légué tous ses biens au comte Armand de Biencourt, à charge 
d'établir à perpétuité, à Azay-le-Rideau, une école libre de gar- 
çons ; il était dit dans le testament qu'en aucun cas on ne pour- 
rait changer l'affectation des biens légués, et que le légataire aurait 
soin de prendre toutes les dispositions nécessaires pour assurer la 
continuité de l'œuvre après sa mort. L'arrêt de la Cour d'Orléans 
annule ces dispositions, comme ne contenant pas un legs sérieux ; 
elles sont au contraire validées par les autres arrêts ci-dessus cités. 
Sur le testament Graule, v. Montpellier, ^23 avril 4900, et Cass., 
4â mai 4902, D. 4902. 4. 425, avec les conclusions de M. le procu- 
reur-général Baudouin. M. Graule avait institué comme légataires 
universels trois personnes, chargées d'employer les biens k la fon- 
dation d'une œuvre hospitalière dont la direction serait conûée à 
des religieuses, et, aGn d'assurer la perpétuité de l'œuvre, avait 
engagé ses légataires universels à former entre eux une société 
civile de longue duiée. Les deux arrêts ont admis la validité de 
cette disposition. 



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LA GRBATION DES PBRSOPtNES AtORALfiS DE DROIT PRIVE 469 

.qu^il ne comporte aucun avantage, même simplement 
éventuel, pour le légataire, et que Vanimus donandi, 
cause essentielle de tout legs, lui fait défaut (4). Même 
pour le cas où la charge n'absorbe pas en entier Fémolu^ 
ment du legs, on peut encore objecter que les bénéfi-^ 
ciaires dé la fondation ainsi faites doivent être assimi- 
lés à des légataires, que ce sont des personnes incer- 
taines, pouvant n'être pas même conçues à l'époque 
du décès du testateur, et que l'article 906 fait obstacle 
à la disposition faite en leur faveur. On peut objecter 
enfin que rétablissement même à créer est au fond le 
véritable légataire, et que l'article 911 fait obstacle à ce 
qu'il puisse recevoir, puisqu'il n'est pas une personne 
juridique et même ne doit jamais Têtre. 

La jurisprudence n'a pas cru devoir s^arrêter à ces 
objections : elle a répondu à la première que ce qui fait 
le legs, c'est la transmission à titre gratuit de la pro- 
priété des biens légués, et que, si le légataire devient 
incontestablement propriétaire, il importe peu qu'il 
n'acquière cette propriété qu'eu assumant des charges 
capables d'en absorber l'émolument; que c'est à lui à 
apprécier s'il doit accepter, et que, s'il le fait, le legs est 
valable alors même qu'il constituerait le légataire en 
perte. Elle a répondu à la seconde et à la troisième que 
les articles 906 et 911 ne s'appliquent qu'au legs direct 

(4) V. le développement de cette idée dans de^ Lapradelle, op, 
cit., p. 125 et s« (Uauteur vise l'hypothèse d'un legs à charge de 
fonder un établissement pour lequel on demandera la personnalité ; 
mais l'objection est la même, dans le cas contraire). Au raisonner 
ment général indiqué au texte, il ajoute (p. 433) que, par là, on 
violerait Tart. 1026 Ce, qui refuse la saisine des immeubles à l'exé- 
cuteur testamentaire, parce qu'au fond le légataire dont il s'agit 
n'est pas autre chose qu'un exécuteur testamentaire 



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I6â CfiAPlTllE IV 

et non au legs fait indirectement sous forme de charge. 
La majorité de la doctrine s'est montrée disposée à 
accepter ces réponses (1). Les dispositions ainsi faites ne 
peuvent d'ailleurs être grevées d'aucune charge formelle 
de conserver et de rendre ; elles tomberaient, en efiet, 
par là sous le coup de la prohibition des substitutions, 
et on pourrait en outre leur reprocher d'aboutir à la 
constitution d'une mainmorte occulte. Il est clair que 
cette règle aggrave la précarité qui s'attache à toute 
fondation de ce genre. 

163. 2° L'intermédiaire choisi est une personne mo- 
rale, qui doit affecter les biens au but désigné, sans être 
obligée de solliciter pour l'œuvre entreprise la person- 
nalité morale : par exemple un legs est adressé à une 
commune à charge de fonder et d'entretenir une école 
dans des conditions déterminées, à une Académie à 
charge de distribuer des prix, etc. (2). Ici nous ,ne 

(1) V. particulièrement la note de Beudant, sur Tarrôt de Besan- 
çon, 26 mars 1891, D. 93. 2. 1, et les nombreuses références qui y 
sont citées. 

(2) 11 faut classer dans la même catégorie la libéralité adressée 
à une personne morale existante, â charge par elle d*en faire béné- 
ficier un service dont elle a la charge, mais qui n'est pas érigée à 
titre de personne morale : libéralités faites au département en 
faveur du service des enfants assistés ; au maire, représentant légal 
des pauvres en faveur d'une œuvre municipale, crèche, nursery, 
ouvroir, etc., non personnalisée (V. notamment dans les Notes de 
jurisprud. administ,, publiées en 1892, p. 183, les libéralités 
autorisées en faveur de crèches, qui, bien que n*étant pas reconnues 
d'utilité publique, se rattachent étroitement à l'Administration 
municipale). En la forme, les libéralités de ce genre sont souvent 
adressées à rétablissement non reconnu lui-même ; mais elles sont 
considérées comme s'adressant à la personne administrative com- 
pétente, avec charge d'en faire profiter l'œuvre en question. Toute- 
fois; il faut pour cela que la libéralité vise les pauvres et non 



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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVE 469 

retrouvons plus la première des objections adressées à 
la fondation par intermédiaire de personne physique 
(celle qui est tirée du défaut d'animus donandï) ; c'est 
bien, en effet, gratifier la personne morale que de lui 
donner des biens affectés au but ou à l'un des buts en 
' vue desquels elle a été créée ; par là on facilite sa tâche, 
et c'est la seule manière de gratifier une personne 
morale, puisque, à la différence des personnes physi- 
ques, elle n'a d'autres besoins que ceux des services 
dont elle est chargée. La seconde objection signalée 
plus haut, celle qui est tirée du caractère futur et incer- 
tain des bénéficiaires de la fondation, aurait il est vrai, 
la même valeur ici que pour les personnes physiques ; 
mais nous avons vu que la doctrine et la jurisprudence 
ne s'y étaient jamais sérieusement arrêtées. 

Aussi le procède^ de fondation dont il s'agit est-il 
généralement approuvé de tous, et il est d'une pratique 
courante; Il présente l'avantage de n'être pas précaire 
comme la fondation par legs à personne physique, puis- 
que l'intermédiaire choisi est une personne morale à 
vie indéfinie. En outre, il n'y a pas de danger qu'il, 
aboutisse à la constitution d'une mainmorte occulte, 
puisque les legs à personne morale sont d'ordinaire 
soumis à autorisation du Gouvernement. Le procédé 
a cependant plusieurs points faibles : 1° il est fort pas- 



Tœuvre incapable elle-même. V. Derouin, Gory et Worms, Traité 
de Vassistance publique, t. 2, p. 440, et les arrêts des tribunaux 
judiciaires qui statuent en ce sens. C'est dans la même catégorie 
qu'il faut ranger les libéralités adressées aux fabriques, à charge 
de fondation de services religieux (fondation qui peut d'ailleurs 
aussi être faite avec la fabrique par voie de convention, et qui dans 
ce cas n'a pas le caractère de libéralité). 



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470 CHAPITRE IV 

sibië que le fondateur ne trouve pas, parmi les per- 
sonnes morales existantes, un groupement dont TAd- 
ministration lui inspire toute confiance au point de vue 
de Vesprit dont il désire que son oeuvre soit animée ; 
dans ce cas, il est fort naturel qu'il cherche à créer 
une personne morale nouvelle dont Torganisme soit' 
pleinement approprié au but qu'il a en vue; 2° le 
procédé garantit moins bien la perpétuité de Tœuvre que 
la création d'une personne morale nouvelle, parce qu'il 
ne donne pas à Tœuvre des représentants spéciaux, 
uniquement chargés de maintenir Taffectation des biens ; 
il pourra arriver un moment où la personne morale léga- 
taire sera tentée de détourner ces biens pour les affecter 
à quelque autre de ses services ; et si on est éloigné de 
Tépoque de la fondation, il y a chance pour qu'aucun 
héritier ne réclame, et que rien ne fasse obstacle à ce 
changement de destination ; 3* enfin notre jurisprudence 
française oppose à ce procédé un obstacle artificiel, qui 
est de nature à aggraver les inconvénients précédents : 
elle ne permet à chaque personne morale de recevoir des 
libéralités à charge de fondation que si ces libéralités 
rentrent dans le cercle de sa spécialité. Ce principe (que 
nous étudierons à propos de la capacité des personnes 
morales) gêne souvent le choix du testateur, et peut 
être un motif de plus pour qu'il cherche à créer une per- 
sonne morale nouvelle (1). 

(i) Cpr. la note de Beudant ci-dessus citée (D. 93. 2. 2) : « Il 
peut arriver que... le créateur de la fondation ne rencontre pas un 
établissement public ou d'utilité publique ayant qualité pour réali- 
ser la pensée conçue, et en assumer la tâche ; c'est possible, puis- 
que à l'inverse des personnes humaines qui ont la plénitude de 
capacité juridique, les personnes civiles .>. n'ont qu'une capacité 
limitée par le service qui leur est confié. Ou bien, s'il s'en trouve 



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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVÉ 471 

164. 3® Il peut le faire en prenant comme intermé- 
diaire une personne physique, qu'il charge de créer 
Tœuvre avec les biens légués, et de solliciter ensuite 
pour elle la personnalité morale, c'est-à-dire dans notre 
droit la reconnaissance comme établissement d'utilité 
publique. Les objections que Ton peut faire à la situa- 
tion du légataire sont à peu près les mêmes que celles 
qui ont été indiquées plus haut à propos de la constitu- 
tion par œuvre de fait confiée à personne physique, et 
on y répond de la même manière. Il faut convenir cepen- 
dant que quelques-unes paraissent prendre une force 
plus grande à raison de Tobligaiion imposée au léga- 
taire de solliciter pour Pœuvre la personnalité morale. 
Ne peut-on pas dire ici qu'il n'est point un légataire 
sériepx, puisqu'il est obligé, non seulement à donner 
aux biens une affectation déterminée, mais encore à se 
dépouiller de leur propriété ? Ne peut-on pas soutenir 
aussi qu'au fond c'est l'œuvre à créer qui, dans la 
pensée du testateur, est bien le véritable légataire, puis- 
qu'il a voulu qu'elle fût propriétaire^ et, si on admet 
cette idée^ la nullité de la disposition n'en ré^ulte-t-elle 
pas nécessairement en vertu de l'article 906 ? 

Il faut bien avouer que ces objections sont pressantes. 
Le mode de fondation dont il s'agit est pourtant, de 
tous les procédés, le plus souple, et le seul qui soit 

quelqu'une à qui il pourrait s'adresser, il se peut qu'il ne Jui con- 
vienne pas, pour des raisons dont il est seul juge, de s'en remettre 
à elle du soin de servir l'œuvre projetée, dans la crainte, par 
exemple, qu'elle n'y apporte pas l'esprit qu'il entend jr attacher ». 
L'inconvénient est encore aggravé par le principe de laïcité, qui 
s'impose aujourd'hui à tout établissement public, autre que 
rétablissement public consacré exclusivement aux besoins du 
culte. 



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472 tBAPITRB IV 

assuré de répondre toujours aux intenlious du fondateur, 
tout en donnant à son œuvre la perpétuité qu'il désire. 
Aussi l'a-t-on généralement approuvé, wrt/tVam causa, et 
parfois même on le trouve approuvé par des auteurs 
qui refusent de reconnaître la validité du premier pro- 
cédé indiqué ci-dessus. Ils considèrent la fondation par 
legs sub modo à personne physique comme valable dans 
le cas seulement où le légataire. est obligé de demander 
la reconnaissance d^utilité publique (i). Ce mode est le 
seul équivalent, dans les législations comme la nôtre, de 
la fondation directe par testament, tel que l'admet le 
droit allemand. 

La vérité est que, dans ce cas, il est impossible de 
nier que la fondation n^implique un legs adressé à l'œu- 
vre à fonder, avec la condition si nascatur. Le légataire 
apparent n*a ici la propriété que d'une manière intéri- 
maire et dans le but de transférer les biens à un tiers. 
L'ensemble de la discussion devrait aboutir à permettre, 
comme le faisaient déjà plusieurs de nos anciens au- 
teurs (2), comme Ta admis Troplong sous le droit 

(1) C'est notamment Topinic^n soutenue par M. lissier, Dons et 
legs, Ti^ 72 et s. C'est aussi celle qui paraît avoir été admise par la 
Cour de cassation pendant un certain temps, notamment dans les 
arrêts suivants : Caen, 32 juin iS58, et C^ss., 7 novembre 1859. 
Testament de la dame Delivet, chargeant sa légataire universelle 
de fonder dans la commune un établissement scolaire et charitable, 
et de le faire reconnaître comme établissement d'utilité publique : 
Cass. 8 avril 4874, legs à charge d'achever la fondation à Anduze, 
d'un établissement dit Asile de Bon Secours, et d'en obtenir la 
reconnaissance comme établissement d'utilité publique. Ces arrêts 
admettent qu'il y a là une charge et non un legs^ et que l'établis- 
sement à fonder pourra en demander le bénéûce lorsqu'il sera 
reconnu d'utilité publique. 

(2) Par exemple Furgole et Ricard. V. les citations dans Sal- 
mon, op, cit., n« il (Revue gén. d'Adm., 1904, t. III, p. 393), 



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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVE 473 

actuel, que Ton peut léguer directement à' l'œuvre à 
fonder, sôus la condition qu'elle sera reconnue. Il est 
vraiment puéril de rejeter ce procédé, complété par la 
nomination d'un exécuteur testamentaire, et d'admettre 
le procédé de legs à personne physique à charge de 
fonder (1). 

(J ) MM .Lévy Ullmann et Granebaum (Essai sur les fondations par 
testament dans Revue trimes tr. de Droit civile 1904, p. 277-278) 
admettent la validité de la libéralité adressée |i une œuvre à fonder, 
en se basant sur un raisonnement des plus simples. «Tout est fac- 
tice, disent-ils dans la personnalité civile : et l'autorité publique 
qui crée artiflciellement l'existence juridique peut a fortiori fixer 
le point de départ de cette existence, la date de la naissance de 
la personne morale ». A la bonne heure ! C'est le principe de la 
fiction guérissant lui-même les blessures qu'il a faites ! On arrive 
ainsi à permettre non seulement le legs à l'œuvre ayant déjà une 
existence de fait, mais le legs à l'œuvre future, qui n'existe au 
moment du décès que dans la pensée du testateur ; et en somme 
on supplée à l'absence d'un texte analogue aux art. 80 et s. du Code 
civil allemand. Il n'est plus nécessaire de faire de la fondation par 
testament un acte sud generis, puisque le procédé du legs à œuvre 
future en joue le rôle. Nous voudrions bien sincèrement pouvoir 
accepter cette formule si simple ; mais nous avons des doutes sur 
sa valeur, même en nous plaçant hypothétiquement avec les deux 
auteurs, sur le terrain de la fiction : sans doute le Gouvernement, 
avec ce système, est le maître absolu de l'emploi qu'il doit faire de 
cette fiction ; il peut (et c'est pour nous un des graves inconvé- 
nients de la théorie), l'employer même lorsque la réalité ne lui 
fournit aucun substratum. il n'y a pas de limite à son pouvoir. . . 
dans l'avenir ; mais peut-il en être de même dans le passé ? Un 
des principes de notre droit (appliqué par Part. 906, d'une 
manière expresse, aux seules personnes physiques, mais cependant 
général par ses motifs), c'est quç pour recevoir une libéralité par 
testament, il faut exister à l'époque du décès du testateur. Si une 
libéralité est faite à une personne non encore existante à ce 
moment, il y a, dès le jour de ce décès, droit acquis pour les héri- 
tiers à demander la nullité du legs. Comment admettre que le Gou- 
vernement ait par un acte postérieur, le pouvoir de porter atteinte 
à ce droit acquis ? 



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474 CHAPITRE IV 

165. 4** Enfin le testateur peut faire une libéralité h 
une personne morale déjà existante, mais à la charge 
pour elle d'ériger l'œuvre qu'elle entreprend en personne 
morale distincte : libéralité adressée à une commune à 
charge de fondation d'un établissement public de bien- 
faisance (1), à un hospice en vue de la fondation d'un 
orphelinat, etc. (2). Ce procédé^ qui n'est applicable 
qu'exceptionnellement, présente, sur celui décrit ci-des- 
sqs sous le n® 2, l'avantage de donner à Tœuvre une 
représentation distincte ; mais, pas plus que lui, il ne 
donne au testateur la certitude de trouver pour intermé- 
diaire une personne morale animée de Tesprit qui Tins- 
pire, et comme lui il se heurte aux difficultés naissant des 
principes de la spécialité et de la neutralité. En outre, 
il n'est pas à l'abri des critiques juridiques adressées au 
procédé décrit sous le n<* 3; car la personne morale gra- 
tifiée en apparence n'est, comme la personne physique, 
qu'un intermédiaire chargé de remettre la propi'iété des 
biens à une autre personne morale, laquelle n'existe pas 
encore au moment du décès du testateur. 

166. Quoi qu'il en soit de toutes ces difficultés de 
droit privé, il est certain dans notre droit que les per- 
sonnes à qui par testament le fondateur a assigné le 
rôle d'instituer la fondation, ne peuvent donner à 
celle-ci la personnalité morale qu'en obtenant pour elle 
la reconnaissance à titre d'établissement d'utilité publi- 
que. Les formalités à remplir pour cela sont les mêmes 

(1) Projet de décret et note du Conseil d'Etat, il mars 1891. 
Legs Laffite. iTo/es rfe /umpri/rf. adm.^ 1892, p. 183. Création 
d'hospice. Notedu 1^ février ^882, eod, /., p. 187. 

(2) P. de décret et notes du 3 février 1887, et 5 janvier 1888, eod. 
^,p. 185. 



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tA CREATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVE 475 

que pour la fondation établie de son vivant par le fonda- 
teur lui-même. Le Conseil d'Elat exige, en règle^géné- 
rale, que Tœuvre ait déjà fonctionné en fait pendant un 
certain temps pour démontrer sa vitalité et son utilité, et 
qu'elle justifie de ressources suffisantes ; et il lui appli- 
que les statuts-types que nous avons mentionnés plus 
haut. 

Peut-on, des avant le décret de reconnaissance, et par 
cela seul que les exécuteurs testamentaires ont déjà 
commencé à faire fonctionner l'établissement, admettre 
qu'il existe le germe de personnalité que nous avons 
, constaté dans l'association non encore reconnue, mais 
que nous aurons refusée à la fondation établie entre- 
vifs ? Oui, croyons-nous, dès la mort du testateur, il y 
a en effet déjà un organisme créé en vue de la gestion 
des intérêts collectifs du groupe humain que le fondateur 
B; voulu doter. Les éléments de la fondation existent 
donc ; elle a en elle tout ce qu'il faut pour obtenir la 
personnalité morale, et la reconnaissance n'est, comme 
en matière d'association, qu'un élément formel, qui n'a 
rien d'un acte créateur, et qui ne fait qu'achever la fon- 
dation, déjà en état de devenir. Cette solution ne peut 
pas faire grande difficulté, semble-t-il, si l'on admet, par 
un procédé ou par un autre^ que le legs fait par le tes- 
tateur lui-même à l'œuvre à fonder est valable; a 
fortion considérera-t-on comme valable la libéralité 
adressée par un tiers à cette œuvre après la mort du 
testateur, mais avant la reconnaissance. 

Notre système français aboutit évidemment à cette 
conséquence pratique qu'une fondation de droit privé ne 
peut être créée qu'à condition d'être dotée par le fonda- 



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476 CHAPITRE IV 

teur. Ainsi que nous Tavons dit (1)^ celte exigence ne 
découle nullement de la théorie générale des fondations, 
et en droit public la pratique ne l'admet pas; elle admet 
la possibilité d'organismes aptes à posséder^ mais ne pos- 
sédant pas encore. En droit privé, on pourrait admettre 
la même solution ; mais à notre sens il est préférable 
de l'écarter pour des motifs d'ordre pratique. Il n'est bon 
de donner aux particuliers le moyen d'imposer leur vo- 
lonté aux générations futures que s'ils font au moins 
pour cela un sacrifice pécuniaire, et il ne semble pas 
qu'il y ait utilité à leur permettre de créer la personne 
morale en laissant à d'autres le soin de la doter (2). 

(i) Ci-dessus n» 127. 

<3) II y a lieu de classer, en dehors des règles générales qui 
précèdent, parmi les fondations priTées les caisses d'épargne, La 
jurisprudence en effet, avec raison suivant nous, les assimile aux 
établissements d'utilité publique et non aux établissements publics 
(V. ci-dessus n<» 94). Mais ce sont des fondations privées soumises 
& des règles spéciales, que nous jugeons inutile d'exposer ici 
en détail (V. Hanrion. Dr. adm., 5» édit., p. 96 ; Barthélémy, 
Dr. adm.f 3e édit., p. 757 et s. ; Ducrocq et Barilleau, Dr. adm., 
7e édit., t VI, nos 2943 et s.). Ces règles se rapprochent des per- 
sonnes morales de droit public beaucoup plus que les établisse- 
ments d'utilité publique ordinaires. 



FIN 



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NOTE ADDITIONNELLE 

(Personnalité des chemins de fer de l'Etat) 



Un arrêt, du Conseil d'Etal en date du 20 janvier 
1905 (dans Revue générale (T administration^ 1905, t. II, 
p. 313), arrêt dont nous n'avons eu connaissance 
qu'après l'impression de ce volume, déclare expressé- 
ment, contrairement à Topiniçu que nous attribuons à 
ce Conseil (ci-dessus, p. 362, note 1), que l'administra- 
tion des chemins de fer de l'Etat est investie d'une per- 
*sonnalité juridique distincte de celle de l'Etat. Il en 
conclut que le ministre des Travaux publics ne peut 
pas se substituer à cette administration pour poursuivre 
un fournisseur, et qu'il ne peut pas non plus procéder 
contre ce fournisseur par voie d'arrêté de débet, ce 
mode de poursuite n'étant admis que pour les créances 
du Trésor public. Cet arrêt, qui rompt avec une tradi- 
tion établie depuis la création des chemins de fer de 
PEtat (le système des arrêtés de débet contre les débi- 
teurs de cette administration avait toujours fonctionné 
en pratique sans réclamation), ne nous paraît point 
justifié au point de vue théorique. Sans doute l'admi- 
nistration des chemins de fer de l'Etat a en justice son 
représentant propre (décret du 10 décembre 1895, art. 1, 
§ 3, cbn. avec décret du 25 mai 1878, art. 4 et 6), et il 



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47^ KOTS ADDITIONNELLE 

n'appartient pas au ministre de se substitaer à lui. Maïs 
représentation en justice et personnalité sont deux 
choses très distinctes (voyez, ci-dessus, p. 277 et 278, 
note i). L^administration des chemins do fer de TËtat ne 
peut être autre chose que TEtat lui-même, parce que ses 
gains et ses pertes sont nécessairement ceux de l'Etat. Il 
en résulte qu'on doit appliquer à ses dettes et à ses créan- 
ces (sauf texte contraire) toutes les règles applicables aux 
dettes et créances de TËtat, par conséquent aussi bien la 
règle de l'arrêté de débet que celle de la déchéance quin- 
quennale. L'arrêt de 1905 aurait pour conséquence 
logique le désaveu de larrêt du 13 juillet 1900. 



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TABLE DES MATIÈRES 



Chapitre I. — La notion de personnalité morale, p. 1. 

!•. Définition de la personne morale ; p. 3. — 2. Distinction de la per- 
sonne morale au sens philosophique et de la personne morale au 
sens juridique. Celle-ci n*est autre chose qu'un sujet de droit ; p. 6. — 
3. Caractère technique de cette étude ; p. 8. — 4. Relativité des élé- 
ments techniques du droit ; p. 10. — 5. Leur importance ; p. 42. — 
5 bis. Point de départ de la recherche : est-il exact que Thommeseul 
soit un sujet de droit ? p. 15. 

I. — 6. Exposé sommaire du système de la fiction ; p. 46-. — 7. Ses 
conséquences ; p. 17. — 8. Première objection à lui opposer : il ne 
résout pas le problème de la personnalité morale ; p. 18. — 

9. Seconde objection: on nepeut l'appliquer au droit public ; p. 21. — 

10. Nécessité d'étendre au droit public la notion de* personnalité ; 
p. ?4.— 11. PjBrsonnalité del'Etat nécessaire pouren maintenir l'unité ; 
p. 25. — 12. L'Etat ne peut pas être une personne morale fictive ; p. 27. 
— 13. Troisième objection au système de la fiction : il méconnaît 
le rôle que joue le législateur dans les rapports sociaux, et ne donne 
pas aux associations licites le régime qui leur convient ; p. 28. — 
14. Impuissance du législateur à empêcher l'existence de fait des 
personnes morales ; p. 33. — 15. Rôle réel de l'Etat en cette matière ; 
p. 34. — 15 bis. Quatrième objection au. système de la fiction ; 
il fait trop abstraction des personnes physiques qui composent l'être 
moral ; p. 36. 

IL — 16. Systèmes qui, tout en repoussant l'idée de fiction, con- 
servent le principe que l'homme seul est une personne ; p. 39. — 
17. I. Théorie des droits sans sujet, Brinz ; p. 39. — 18. Bekker ; 
p. 44. — 19. Objections. La notion de droit sans sujet implique contra- 
diction. Elle est dangereuse ; p. 42. — 20. II. Théorie de M. Duguit ; 
p. 44. — 21. Elle prétend écarter toute fiction et toute abstraction ; 
impossibilité de cette tentative ; p. 46. — 22. Insuffisance delà tech- 
nique proposée par M. Duguit ; p. 48. — 23. Nécessité de l'idée d'im- 
perium, considéré comme droit de l'Etat ; p. 54. — 24. III.' Théorie 
de M. Van den Heuvel , p. 53. — 25. Théorie de M. de Vareilles- 
Sommières ; p. 57. — 26. Théories de M. Planiol et de M. Berthé- 
lemy ; p. 60. — 27. Théorie d'Ihering ; p. 64. — 28. Objections. 
Ces diverses théories ne peuvent expliquer l'existence des personnes 
morales de droit public ; p. 62. '^ 29. Elles oublient riniérèt collec- 



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4â0 TaBLB des MATlàRES 

tifdu groupe qui est ditstinct de l'intérêt individuel des membres ; 
p. 64. — 30. Elles n'analysent pas exactement la situation juridique 
du groupe ; p. 66. 

III. — 31. Théories qui admettent la réalité de la personne morale. 
Position de la question ; p. 68. — 32. Les théories qui voient dans 
le droit subjectif un pouvoir attribué à une volonté ne peuvent démon- 
trer la réalité de la personne morale qu'en démontrant que l'être 
collectif est doué de volonté ; p. é9. — 33. Essai de démonstration, 
par.la théorie organique des sociétés ; p. 71. —^.34. Réfutation. 11 n'y 
a pas identité entre les collectivités organisées et les organismes bio- 
logiques ; p. 73. — 36. L'idée d'organisme n'entraîne pas l'idée de 
volonté ; p. 74. —36. Théorie de la volonté deZitelmann ; p. 77. — 
37. Réfutation; p. 80. — 38. Théorie de Rousseau. Son insuffisance ; 
p. 82. — 39. Théorie de M. Hauriou. La réalité du phénomène de la 
représentation ; p. 85. — 40. Part de vérité contenue dans la théo- 
rie ; son insuffisance ; p. 87. — 41. Théorie de M. Boistel. Le fais- 
ceau de volontés des associés; p. 90. — 42. Elle n'aboutit pas à 
démontrer la personnalité du groupe ; p. 92. — 43. Système de 
Jellioek. La volonté existe dans la personne morale au point de vue 
de la raison pratique du juriste, non au point de vue philosophique ; 
p. 93. — 44. Elle se rapprocha de la vérité en renonçant à recher- 
cher, dans l'être collectif une volonté réelle, mais elle ne démontre 
pas sa personnalité ; p. 98. 

IV. — 45. Point de départ à adopter. Le fondement du droit n'est 
pas dans la volonté ; p. 99. — 46. Démonstration par la situation 
du fou et de Vinfans ; p. 100. — 47. Démonstration tirée de la nature 
môme de la volonté ; ce que'.le droit protège c'esiVintérél que la volonté 
représente; p. 101. — 48. La volonté élément secondaire du ^ droit 
subjectif. Différence entre le droit subjectif et l'effet réflexe^ du droit 
d'autrui. Définition du droit subjectif ; p. 102. — 48 bis. Objec- 
tions de M. de Vareilles-Sommières : la personnalité de Vinfans ; les 
animaux et les êtres inanimés ; p. 106. — 49. Objection de l'école 
libérale. La définition du droit basé ^r l'intérêt compromettrait 
l'existence des droits de la personne humaine ; p. 107. — 50. Réponse. 
La doctrine, qui est çl 'ordre technique, est compatible avec toute 
théorie de droit naturel ; p. 108. — 51. L'Etat doit protéger d'abord 
les intérêts de l'individu humain, et par conséquent reconnaitre la 
personnalité de l'homme ; p. 110. — 52. Il doit aussi protéger les 
intérêts collectifs et permanents des groupements humains, et pour 
cela reconnaître leur personnalité ; p. 112. — 53. Conditions néces- 
saires pour cela. Première condition : un intérêt collectif distinct des 
intérêts individuels. Groupements divers qui remplissent celte condi- 
tion ; p. 113. — 54. Deuxième condition : organisation suffisante 
pour dégager une volonté collective. Forn\ps diverses sous lesquel- 
les se présente cette volonté ; p. 118. — 55. Caractère artificiel de la 
volonté ainsi organisée ; p. 122. — 56. Rôle de l'Etat vis-à-vis des 
groupements organisés. L'acte qu'il fait en reconnaissant leur person- 
nalité est de même nature que celui qu'il accomplit en reconnaissant 
la personnalité de l'homme ; p. 123. — 57. Il a le droit de réglemen- 
ter la formation du groupement ; p. 124. — 58. Il petit y avoir dans 
certains cas utilité k refuser de reconnaître la personnalité du grou- 



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TABLE DES MATIERES 48l 

pement régulièrement organisé. En outre TEtat est compétent pour 
fixer les limites du concept de personnalité : p. 125. 

V. — 69. Situation des personnes chargées de représenter la personne 
morale. Théorie de la représentation de droit privé (mandat ou 
représentation légale) ; p. 129. — 60. Théorie de Torgane. Il est une 
partie intégrante de la personne morale, et par lui c'est en réalité 
ell^ qui agit ; p. 131. — 61. Conséquences. Il a des pouvoirs supé- 
rieurs à celui du représentant ordinaire ; il n*a, en tant qu*organey 
aucune personnalité vis-à-vis de l'être moral ; p. 132. — 62. Objections 
à cette théorie et réponses ; p. 135. — 63. Observations qui limitent la 
théorie de l'organe. Le mot organe ne peut éire employé qu'à titre 
de comparaison. La personne morale n'est pas tout entière dans ses 
organes; p. 137. — 64. En quoi la représentation par l'organe est 
plus étendue que la représentation ordinaire ; p. 141. — 64 hii. Droits 
de la personne chargée du rôle d'organe vis-à-vis de la personne 
morale ; p. 144. 

VI. — 65. Limite du concept de personnalité. Séparation absolue, en 
droit romain, entre YunivertitM et la tocietm. Application de cette 
idée aux sociétés civiles et commerciales ; p. 151. — 66. Explication 
des particularités offertes par ces sociétés au moyen d'idées autres 
que la notion de personnalité morale ; p. 154. — 67. Origine de la 
société avec propriété en main commune ; p. 156. — 68. Possibilité 
d'un groupe intermédiaire QniveVuniversitai ei la toHeioa .; p. 160. — 

69. Théorie de la société avec propriété en main commune ; en quoi 
ce régime ressemble h^ celui de la personnalité morale ; p. 161. — 

70. En quoi il en diffère ; p. 166. — 71. Il faut classer parmi les per- 
sonnes morales tout groupement dans lequel l'intérêt collectif ne se 
confond pas avec l'intérêt individuel des membres ; p. 170. — 72.11 
en est ainsi dans tout groupement à but idéal ; p. 172. — 73. Il en 
est de même dans les sociétés de gain à pe^onnel variable; p. 174. 

— 74. Autre critérium tiré du fait que les membres sont person- 
nellement tenus des dettes du groupe. Son insuffisance ; p. 176. 

Chapitre II. — La elastifieation des personnes morales, p. 180 

75. Indication des deux principales classifications (Corporations et 

fondations. Personnes morales de droit public et personnes morales 

de droit privé) ; p. 181. 

I. — 76. Notion générale de la fondation ; p. 182. — I. 77. Distinction 
de la corporation et de la 'fondation en droit privé ; son impor- 
tance plus ou moins grande suivant la conception théorique qu'on 
se fait de l'une et de l'autre ; notion de la fondation personnalisée ; 
p. 184. -- 78. Intérêt de la distinction au point de vue législatif ; 
p. 189. — 79. Son intérêt au point de vue du droit positif; p. 192. 

- 80! Critérium de la distinction ; p. 194. — II. 81. En droit public 
la distinction s'efface presque, et ne peut servir de base à une classi- 
fication ; p. 197. 

II. — 82. Origine et importance de la distinction entre personnes 
morales de droit public et personnes morales de droit privé ; p. 200. 

— 83. La limite entre les deux groupes se trouve entre les établis- 
sements publics et les établissements d'utilité publique; p. 202. — 

MICHOUD 3i 



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482 TABLB DBS MATIERES 

84. Intérêts pratiques nombreux de la distinction en droit positif 
français ; p. 205. — 86. Intérêts de la distinction au point de vue 
législatif ; p. 211. — 86. Divers critériums proposés pour distinguer 
entre les deux groupes. Il faut chercher le critérium dans la situa- 
tion d'ensemble de la personne morale, et non dans un ou deux 
caractères précis ; p. 213. — 87. Discussion du critérium proposé 
par M. Hauriou ; p. 219. — 88. Application du critérium. Congré- 
gations religieuses; p. 221. — 89. Associations syndicales; p. 224. 

— 90. Caisses de secours des ouvriers mineurs ; p. 227. — 91. Comi- 
tés d'habitation à bon marché; p. 228. — 92. Monts-de-piété; 
p. 229. » 93. Caisses des écoles ; p. 230. -> 94. Caisses d'épargne ; 
p. 231. —95. Ordres d'avocats et corporations d'officiers ministériels. 
On doit les considérer comme personnes morales de droit public. 
mais sans les soumettre à toutes les règles des établissements 
pubics striclo tentu ; p. 232. 

III. — 96. Subdivisions des personnes morales de droit public. Dis- 
tinction de l'Etat et des autres communautés territoriales ; p. 235. — 
97. II ne faut pas chercher le critérium dans l'idée de souveraineté. 
Indication du critérium véritable ; p. 236. —'98. Distinction des com- 
munautés territoriales et des établissements publics ; p. 240. 

IV. — 99. Subdivisions des personnes morales de droit privé. — I. Dis- 
tinction des associations à but intéressé et des associations à but 
désintéressé. Son importance au point de vue législatif ; p. 242. — 
100. Distinction dans notre droit positif, des sociétés et des associa- 
tions. Comment elle est comprise par la plupart des auteurs : il faut 
pour qu'il y ait société» des bénéfices pécuniaires à réaliser : p. 243. 

— 101. Critique du système. Il faut ranger parmi les sociétés tous 
les groupements ayant pour objet Kintérét patrimonial de leurs mem- 
bres ; p. 250. — 102. Situation intermédiaire des associations à but 
égoïste sans intérêt patrimonial ; p. 252. — II. 103. Les associa- 
tions à but religieux : p. 253. — 104. Distinction des associations et 
des congrégations. Silence du législateur ; p. 254. — 105. Divers 
systèmes soutenus ; p. 250. — 106. Les trois caractères essentiels 
de la congrégation sont : les vœux, la règle canonique, la vie en 
commun ; p. 259. 

Chapitre III. ~ La création des ptrsonnet morales de droit publie, 
p 262. 

I. — 107. Création .de l'Etat ; p. 263. — 108. Il doit être considéré 
comme une personne morale par cela même que les conditions 
de fait nécessaires à son existence se trouvent réunies ; p. 265. 

— 109. Lui-même, en droit interne, doit reconnaître sa propre 
personnalité, ety'unité de cette personnalité ; p. 270. — 110. Sys- 
tème de MM. Marqués di Braga et Lyon, décomposant la personna- 
lité de l'Etat en autant de personnes distinctes qu'il y a de services 
publics, ses dangers ; p. 276. -—111. Système qui voit dans les trois 
pouvoirs de l'Etat des êtres moraux distincts ; ils sont seulement les 
organes d'une même personne morale ; p. 281. — 112. Les organes 
de l'Etat n'ont pas des droits subjectifs, mais des compétences * 
p. 284. — 112 bit. Cependant les électeurs,! organes de l'Etat, ont 



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TABLE DES MATIERES 483 

un droit individuel à ia qualité d'organes ; p. 287. — 113. La 
théorie de la personnalité de l'Etat en droit public comme en droit 
privé, explique seule le droit de commander; p. 294. — 114. Elle 
en donne en même temps ^es limites, et n'aboutit pas à accroître la 
puissance de l'Etat ; p. 293. 

II. — 115. Services publics personnalisés. L'Etat peut personnaliser un 
service public en lui donnant une organisation suffisante pour le 
représenter toutes les fois que ce service correspond à un groupe 
d'intérêts collectifs et {permanents, distincts de ceux de l'Etat lui- 
même ; p. 296. — 116. Il le fait pour les groupes territoriaux, dépar- 
tements, communes, colonies, etc. ; p. 299. — 117.. La personna- 
lité de ces groupes existe, non seulement en droit privé, mais aussi 
en droit public ; p. 303. — 118. Mais l'Etat législateur, qui reconnaît 
cette personnalité de droit public, reste maître de la modifier ou de 
la supprimer ; p. 307. — 119. La personnalité de droit public pour- 
rait théoriquement être séparée de la personnalité de droit privé ; 
motifs pour lesquels elles sont en fait toujours réunies ; l'arrondisse- 
ment et le canton ; la section de commune ; p. 310. — 120. Critique 
de la théorie de la décentralisation faite par M. Duguit ; p. 314. — 
121. Démonstration de l'existence do droits de puissance publique 
appartenant à la commune ; p. 318. 

lïl. — 122. Les établissements publics. I. Leur définition. Leur per- 
sonnalité en droit public et en droit privé. Leur rattachement aux 
groupes territoriaux ; p. 324. — 123. Critique des autres concep- 
tions de l'établissement public. Théorie d'Otto Mayer. Théorie de 
M. Berthélemy ; p. 330. — 124. II. Avantages et inconvénients de la 
personnification des services publics spéciaux ; p. 334. — 125. lII. 
La création d'un établissement public ne peut résulter que de la loi ; 
p. 337. — 126. Formes diverses de l'intervention du législateur; 
p 341. — 127. Moment à partir duquel l'établissement public est 
considéré comme existant ; il n'est pas toujours nécessaire pour cela 
qu'il ail un patrimoine, ni même que son organisation soit matériel- 
lement réalisée; il suffît qu'elle puisse se réaliser dès qu'elle devien- 
dra nécessaire ; p. 343. — 128. IV. Incertitude sur l'existence de la 
personnalité morale résultant fréquemment des procédés employés 
par le législateur ; p. 346. — 129. Intérêts pratiques de la question 
de personnalité morale ; différences juridiques entre le service per- 
sonnalisé et le service non personnalisé ; p. 350. — 130. La person- 
nalité morale ne se confond pas avec l'individualité financière; p. 357. 
— 131. On ne doit pas considérer comme personnes morales les ser- 
vices publics qui ne correspondent pas à un groupement distinct ; ce 
ne sont que des organes ; non personnalité de Torgane ; p. 360. — 
132. Quand le service est susceptible d'être personnalisé, il faut, 
pour savoir s'il l'est, examiner sa situation dans son ensemble. Quel- 
ques exemples : cuisse des dépôts et consignations, caisse d'épargne 
postale, asile d'aliénés, etc. ; p. 363. — 133. Situation à cet égard 
des établissements publies du culte. Personnalité du diocèse ; p. 367. 
134. V. Personnalité des Eglises et des établissements ecclésiasti- 
ques ; sa nature ; p. 369. 



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484 TABLE DBS MATIERES 

Chapitre IV. — La création des personnes morales dedroit privé, p. 374. 

135. Position de la question ; p. 375. — 136. Historique du droit 
moderne. La législation de Tancien régime au xviii* siècle; ses idées 
directrices ; p. 376. — 137. Point auquel elle aboutit : la personna- 
lité morale n*est reconnue qu'à l'Etat et aux services publics qu'il 
tient sous sa dépendance ; application et conséquences de cette idée 
pendant la période révolutionnaire; p. 379. — 138. Son application 
sous le Consulat et l'Empire; toutes les personnes morales reconnues 
à cette date sont de véritables établissements publics ; p. 384. — 
139. Origine de la théorie des établissements d'utilité publique; 
p. 387 — 140. Reconnaissance, progressivement admise par notre légis- 
lation, de la personnalité morale des groupements privés; p. 390. — 
141. Evolution analogue dans d'autres pays; p. 392. — 142. Revue 
sommaire de législation comparée sur la personnalité morale des 
associations ; p. 394. — 143. Ordre à suivre dans l'étude de la légis- 
lation française et place à faire à l'étude des établissements d'utilité 
publique ; p. 401. 

S {. Associations soumises au droit commnn. — 144. Législation anté- 
rieure à 1901 ; p. 403. — 145. Système du projet de loi Waldeck- 
Rousseau ; p. 406. — 146. Système qui a triomphé : petite et grande 
personnalité ; p. 409. — '147. Formation de l'Association ; p. 411. — 
148. Formalités à remplir la petite ou la grande personnalité ; 
Y>. 412. -^ 149. Situation juridique de l'Association avant qu'elle ait 
obtenu la reconnaissance. Sa vie embryonnaire ; p. 415. — 150. 
Régime des biens possédés en fait par les associations dépourvues de 
personnalité ; p. 420. 

{ 2. Associ'itions soumises à des règles spéciales. — 151. Classifica- 
tion; p. 432. — 152. Congrégations religieuses. Définition et histo- 
rique ; p. 433. — 153. Situation juridique antérieure à 1901 ; p. 439. 

— 154. Situation juridique d'après la loi du 1" juillet 1901 ; p. 441. 

— 155. Associations privilégiées. Associations syndicales de proprié- 
taires ; p 446. — 156. Syndicats professionnels; p. 448. — 157. 
Sociétés de secours mutuels ; p. 453. — 158. Sociétés ou caisses 
d'assurances mutuelles agricoles ; p. 456. 

I 3. Sociétés. — 159. Sociétés anonymes et sociétés en commandite par 
actions ; p. 457. — 160. Société d'assurances mutuelles; p. 459. 

{ 4. Fondations. — 160 bis. Notions générales ; p. 460. — 161. La 
fondation personne morale ne peut pas, dans notre droit, être cons- 
tituée par un acte «ut generis. Conséquences de l'application du 
droit commun en cette matière. Fondations par le fondateur lui-même 
de son vivant ; p. 463. — 162. Fondation à cause de mort. Premier 
procédé possible. Don et legs fait à personne physique non obligée 
de solliciter pour l'œuvre entreprise la personnalité morale; p. 465. 

— 163. Don ou legs avec charge à personne morale préexistante 
non obligée de solliciter pour l'oeuvre entreprise la personnalité 
morale; p. 468. — 164. Don ou legs à personne physique à charge 
de solliciter la personnalité morale : p. 471 . — 165. Don ou legs à 
personne morale préexistante à charge de sollicitei* la personnalité 
morale ; p. 474. — 166. Reconnaissance de la fondation comme éta- 
blissement d'utilité publique ; p. 474. — Note additionnelle (Person- 
nalité des chemins de fer de l'Etat) ; p. 477. 

Ï.AVAL. — IMPRIMERIE L'. BARNÉÔUP & Ç" 

-, A 6.(5 

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